Recueil de décisions du Président Andrew Scheer 2011 - 2015

Les affaires émanant des députés / Limitations financières

Travaux des voies et moyens : motion requise pour un projet de loi visant à supprimer un allègement fiscal

Débats, p. 2984–2986

Contexte

Le 18 octobre 2011, Joe Comartin (Windsor—Tecumseh) invoque le Règlement au sujet du projet de loi C-317, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (organisations ouvrières), inscrit au nom de Russ Hiebert (Surrey-Sud—White Rock—Cloverdale). M. Comartin prétend que le projet de loi aurait dû être précédé d’une motion des voies et moyens, parce que sa mise en vigueur pourrait faire perdre à certains syndicats leur statut d’organisations exemptées d’impôts. Il soutient qu’étant donné que les membres d’une organisation ouvrière doivent verser des cotisations syndicales, sans égard à l’exemption fiscale de l’organisation, le projet de loi pourrait entraîner la suppression d’une déduction fiscale pour les syndiqués et potentiellement créer une nouvelle catégorie de contribuables, ce qui est une prérogative de la Couronne. Il demande donc au Président de statuer que la Chambre n’a pas été dûment saisie du projet de loi et de déclarer tous les travaux s’y rapportant nuls et non avenus. Un autre député intervient et le Président prend l’affaire en délibéré[1]. Lors de séances suivantes, MM. Hiebert et Comartin font des observations supplémentaires[2].

Résolution

Le Président rend sa décision le 4 novembre 2011. Il convient que le projet de loi C-317 aurait pour effet de créer une nouvelle catégorie de contribuables qui se verraient privés d’un allègement fiscal. Par conséquent, le Président statue que le projet de loi C-317 aurait dû être précédé d’une motion des voies et moyens et ordonne que les travaux s’y rapportant soient nuls et non avenus, que l’ordre portant deuxième lecture du projet de loi soit révoqué et que le projet de loi soit rayé du Feuilleton. Le Président conclut que, comme ce serait sans doute pour M. Hiebert la seule occasion au cours de la 41e législature d’inscrire une affaire dans l’ordre de priorité, il invoque les pouvoirs que lui confère l’article 94(1) du Règlement[3] pour autoriser le député à substituer une autre affaire dans l’ordre de priorité dans les 20 jours civils[4] ou, sinon, à faire rayer son nom du Feuilleton.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé par le député de Windsor-Tecumseh au sujet de la question d’une motion des voies et moyens et du projet de loi C-317, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (organisations ouvrières), inscrit au nom du député de Surrey-Sud—White Rock—Cloverdale.

Je remercie le député de que le parrain du projet de loi, le député de Surrey-Sud—White Rock—Cloverdale, de ses interventions, ainsi que le député de Kitchener—Conestoga de ses observations.

L’honorable député de Windsor—Tecumseh a fait remarquer dans son intervention que le projet de loi C-317 a pour objet d’obliger les organisations ouvrières à fournir des renseignements financiers précis au ministre pour divulgation publique. Le député a aussi fait observer que l’inobservation de cette nouvelle exigence pourrait faire perdre à l’organisation ouvrière son statut d’organisation exemptée d’impôt, en précisant que cela aurait également des conséquences sur ses membres payant des cotisations.

Il a parlé des effets du projet de loi C-317 dans les termes suivants, comme en témoignent les Débats du 18 octobre 2011, à la page 2171 :

[…] les exemptions fiscales qui s’appliquent aux organisations syndicales et la réduction du revenu imposable qui découlerait de la disparition des cotisations payées par leurs membres pourraient facilement être qualifiées d’allègements fiscaux. Qui plus est, les dispositions du projet de loi C-317 annuleraient ces allègements en retirant aux organisations syndicales leur statut d’exception prévu dans la Loi de l’impôt sur le revenu.

Le député de Windsor—Tecumseh a expliqué que les organisations syndicales qui ne se conforment pas aux exigences de divulgation financière énoncées dans le projet de loi ne bénéficieraient plus de l’exemption d’impôt prévue à l’alinéa 149(1)k) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Il a soutenu que cela aurait pour effet d’assujettir à l’impôt une personne ou, dans le cas présent, une organisation, qui n’était pas déjà un contribuable. Par conséquent, il a conclu que le projet de loi C-317 aurait dû être précédé par l’adoption d’une motion des voies et moyens.

Dans son intervention, qu’on peut lire dans les Débats du 25 octobre 2011, à la page 2438, le député de Surrey-Sud—White Rock—Cloverdale a soutenu que le projet de loi C-317 a simplement pour objet de prévoir un mécanisme permettant de rendre publics les renseignements financiers des syndicats et ne fait qu’ajouter aux types de renseignements que l’Agence du revenu du Canada peut déjà, en vertu de son mandat, obliger les organisations ou les contribuables à produire.

Il a également fait référence à une décision rendue au cours de la 40e législature au sujet du projet de loi C-470, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (révocation d’enregistrement)[5]. Il a constaté un parallèle entre les projets de loi C-317 et C-470. Cependant, en réponse à l’argument selon lequel les dons de bienfaisance sont laissés à la discrétion de chacun de sorte que le projet de loi C-470 soit sans conséquence sur les allègements fiscaux existants, le député a soutenu que, pour ce qui est du projet de loi C-317, il serait laissé à la discrétion des membres cotisants d’un syndicat de choisir d’adhérer à un syndicat ou à une organisation ouvrière qui se serait conformé aux dispositions de divulgation financière prévues dans le projet de loi C-317 et qu’ils conserveraient ainsi l’exemption fiscale applicable à leurs cotisations.

Avant d’analyser les arguments présentés, il est de mise de considérer le contexte de cette discussion en référence à l’important fait que la procédure en matière financière suivie par la Chambre est fondée sur des règles établies de longue date et rigoureusement observées, procédure qui repose sur la prérogative financière de la Couronne. Le principe est clairement exposé à la page 848 de l’ouvrage d’Erskine May intitulé Parliamentary Practice, 23e édition :

[...] il revient à la Chambre des communes, agissant à l’initiative exclusive des ministres, d’autoriser en premier lieu les dépenses en cause (ou « crédits ») et, en second lieu, de fournir par les impôts et autres sources de revenu public les « voies et moyens » jugés nécessaires pour financer les crédits ainsi accordés.

Le rôle du Président, dans le présent cas, est de déterminer si le projet de loi C-317 constitue une initiative législative qui impose une taxe ou un impôt au contribuable et aurait donc nécessité l’adoption préalable par la Chambre d’une motion des voies et moyens.

Afin de répondre à cette question, il est peut-être utile d’examiner de plus près les différents précédents cités par les députés étant intervenus dans l’affaire qui nous occupe.

Dans son intervention lors de laquelle il a soulevé le rappel au Règlement, le député de Windsor—Tecumseh a invoqué une décision de la présidence rendue le 28 novembre 2007 au sujet du projet de loi C-418, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (déductibilité de la rémunération). Dans cette décision, aux pages 1463-1464 des Débats, la présidence a fait référence à l’ouvrage d’Erskine May intitulé Parliamentary Practice, 23e édition, à la page 896, où il est écrit ceci : « […] l’abrogation ou la réduction des allègements fiscaux existants doit être précédée d’une motion des voies et moyens. »

La présidence a conclu que le projet de loi C-418 supprimait une exemption de taxe existante, ce qui avait pour conséquence d’augmenter l’impôt à payer par certaines sociétés. De l’avis de la présidence, il s’agissait de la réduction d’un allègement fiscal, et le projet de loi devait par conséquent être précédé d’une motion des voies et moyens. Je demanderais aux honorables députés de retenir l’expression « allègement fiscal », car j’y reviendrai sous peu.

D’abord, il faut examiner les interprétations divergentes concernant la façon dont sont touchés les droits individuels des membres d’un syndicat par le projet de loi C-317. Le député de Windsor—Tecumseh a soutenu que les membres de syndicats n’ont pas automatiquement le droit individuel de cesser de payer des cotisations à une organisation qui ne bénéficierait plus de l’exemption fiscale. Le député de Surrey-Sud—White Rock—Cloverdale a répliqué que, à son avis, les membres des syndicats seraient en mesure de choisir une organisation ouvrière qui se serait conformée aux dispositions du projet de loi C-317 afin d’assurer le maintien de leur exemption fiscale. Bien qu’il s’agisse plus d’une question de droit du travail que de procédure, la présidence est consciente du fait que les membres d’organisations ouvrières ne peuvent pas changer facilement de syndicat ni simplement cesser de payer leurs cotisations, sauf dans certains cas extrêmement rares prévus par la loi. Comme l’a souligné le député de Windsor—Tecumseh, il s’agit d’un net contraste avec les dons de bienfaisance où le donneur peut choisir de contribuer ou non, choisir l’organisme bénéficiaire de cette contribution et choisir le moment d’une telle contribution.

La présidence ne peut qu’être d’accord avec l’honorable député de Windsor—Tecumseh, qui a fait valoir que le défaut par l’organisation ouvrière de se conformer supprimerait également une déduction fiscale dont peuvent actuellement se prévaloir les membres cotisants du syndicat. Pour la présidence, il ne fait aucun doute que cela peut aussi être considéré comme la suppression d’un allègement fiscal. Pour ces seuls motifs, le projet de loi C-317 aurait besoin d’être précédé d’une motion des voies et moyens.

Resituons-nous maintenant dans un contexte plus large. La présidence reconnaît l’argument présenté par le député de Surrey-Sud—White Rock—Cloverdale que l’Agence du revenu du Canada bénéficie déjà du pouvoir d’exiger la divulgation de certains renseignements financiers. Toutefois, ce n’est pas du pouvoir de l’Agence d’exiger la divulgation de certains renseignements qui est en litige.

Il est vrai, comme l’a soutenu le député de Surrey-Sud—White Rock—Cloverdale, que le projet de loi C-317 modifie les exigences de divulgation applicables aux organisations ouvrières. Toutefois, contrairement à ce qu’il a affirmé, il y a plus. En prévoyant que l’organisation ouvrière qui ne se conforme pas à ces nouvelles exigences perdrait les déductions d’impôt auxquelles elle a droit, le projet de loi C-317 retire vraisemblablement un allègement fiscal et, ce faisant, il crée vraisemblablement un nouveau pouvoir législatif qui supprimerait ce qui est à l’heure actuelle une exemption inconditionnelle.

Peut-être cette distinction apparaîtra-t-elle plus clairement si l’on examine de nouveau l’exemple du projet de loi C-470 présenté à la troisième session de la 40e législature. Ce projet de loi modifiait la définition d’une catégorie de contribuables — soit les organismes de bienfaisance enregistrés —, mais l’allègement fiscal accordé à la catégorie de contribuables que sont les organismes de bienfaisance demeurait intact. À l’opposé, le projet de loi C-317 ne change pas la définition du terme « organisation ouvrière »; il exige la divulgation de certains renseignements, faute de quoi l’organisation ouvrière qui ne s’y conforme pas perdra l’allègement fiscal dont elle bénéficie actuellement.

Il s’agit d’une différence subtile, mais cruciale, de l’avis de la présidence.

La décision sur le projet de loi C-470 conclut que celui-ci modifiait les conditions et exigences qu’un organisme doit respecter pour être considéré par le ministre comme un organisme de bienfaisance enregistré, mais qu’il ne touchait pas la catégorie de contribuables. En d’autres termes, le projet de loi C-470 proposait de changer la définition d’organisme de bienfaisance enregistré, mais ne changeait pas l’exemption fiscale dont bénéficiaient les organismes de bienfaisance. Dans la décision sur le projet de loi C-470, rendue le 15 mars 2010 et se trouvant aux pages 419 et 429 des Débats, j’ai affirmé ceci à propos du projet de loi :

Il me semble qu’il ajoute plutôt un critère qui permet au ministre de déterminer dans quelle catégorie de contribuables se trouve un organisme. Les régimes et les taux d’imposition actuels ne sont pas touchés.

Cependant, contrairement au projet de loi C-470, le projet de loi C-317 ne vise pas à changer les conditions ou les exigences qu’une organisation doit respecter pour être considérée comme une organisation ouvrière.

Selon les dispositions du projet de loi C-317, en ce qui a trait à la Loi de l’impôt sur le revenu, une organisation ouvrière demeurerait une organisation ouvrière, qu’elle se conforme ou non aux exigences de divulgation prévues. S’il était adopté, le projet de loi C-317 créerait donc une situation où les organisations ouvrières seraient classées en deux catégories distinctes : celles qui se conforment au mécanisme de production de renseignements financiers et celles qui ne le font pas.

La présidence est d’avis que cette nouvelle catégorie d’organisations ouvrières constituerait une catégorie de contribuables qui n’existe pas à l’heure actuelle. Les organisations ouvrières faisant partie de la nouvelle catégorie d’organisations, c’est-à-dire celles qui ne se conforment pas aux exigences de production de renseignements financiers prévues dans le projet de loi, se verraient retirer l’exemption fiscale dont elles bénéficient actuellement. Autrement dit, le projet de loi C-470 ne modifiait pas le statut d’organisme exempté d’impôt des organismes de bienfaisance enregistrés, alors qu’au contraire, le projet de loi C-317 vise à modifier le statut d’organisation exemptée d’impôt dont bénéficient actuellement les organisations ouvrières.

Étant donné cette conclusion, je suis d’avis que le projet de loi C-317, en établissant une distinction entre les organisations ouvrières, crée une nouvelle catégorie de contribuables et que celle-ci serait alors assujettie à la suppression d’un allègement fiscal.

Pour les motifs exposés précédemment, je dois donc conclure que le projet de loi C-317 aurait dû être précédé par une motion des voies et moyens. Par conséquent, je conclus également que les étapes franchies par le projet de loi jusqu’à maintenant, soit sa présentation et sa première lecture, n’ont pas respecté les dispositions du Règlement et sont donc annulées. Pour ces raisons, la présidence ordonne que l’ordre portant deuxième lecture du projet de loi soit annulé et que le projet de loi soit rayé du Feuilleton.

Cependant, j’hésite à priver le député de ce qui sera sans doute sa seule chance au cours de la présente législature d’inscrire une affaire à l’ordre de priorité.

Comme le savent les députés, l’article 94(1) du Règlement[6] confère au Président le pouvoir de prendre « toutes les dispositions nécessaires pour assurer le déroulement ordonné des affaires émanant des députés ».

Compte tenu du caractère singulier de cette situation exceptionnelle, le député de Surrey-Sud—White Rock—Cloverdale aura le droit de substituer une autre affaire au projet de loi C-317 dans l’ordre de priorité. Cette substitution se fera selon les règles prévues à l’article 92.1 du Règlement[7], qui donne au député 20 jours de séance pour remplacer l’affaire émanant des députés qui a été rejetée ou retirée par une autre affaire. Si le député décide de ne pas procéder à la substitution dans les 20 prochains jours de séance, son nom sera rayé du Feuilleton.

Je remercie les députés de leur attention.

Note de la rédaction

Voir une déclaration au sujet du projet de loi C-317.

Post-scriptum

Le 14 novembre 2011, le Président fait une mise au point sur sa décision du 4 novembre 2011. Il dit que lorsqu’il a fait le lien entre le temps accordé au député pour substituer son affaire et l’article 92.1 du Règlement[8], il a déclaré par erreur que M. Hiebert disposerait de 20 jours de séance. Il explique que cet article prévoit plutôt 20 jours civils. Par conséquent, il accorde à M. Hiebert jusqu’au 9 décembre 2011 pour procéder à la substitution[9].

Le 5 décembre 2011, M. Hiebert présente le projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières), qui est ajouté à l’ordre de priorité[10].

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[1] Débats, 18 octobre 2011, p. 2170–2172.

[2] Débats, 25 octobre 2011, p. 2438, 26 octobre 2011, p. 2537–2539, 1er novembre 2011, p. 2811–2812.

[3] Voir l’annexe A, « Dispositions citées : Règlement de la Chambre des communes », article 94(1).

[4] Dans sa décision, le Président a fixé le délai à 20 jours de séance, mais s’est corrigé dans une déclaration à la Chambre subséquente. Voir le post-scriptum.

[5] Le titre du projet de loi a été modifié pour Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (divulgation de la rémunération — organismes de bienfaisance enregistrés) le 8 mars 2011.

[6] Voir l’annexe A, « Dispositions citées : Règlement de la Chambre des communes », article 94(1).

[7] Voir l’annexe A, article 92.1.

[8] Voir l’annexe A, article 92.1.

[9] Débats, 14 Novembre 2011, p. 2997.

[10] On trouvera une décision au sujet du projet de loi C-377 à la page 506.

Pour des questions au sujet de la procédure parlementaire, communiquez avec la Direction des recherches pour le Bureau

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