Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Outrage à la Chambre : divulgation d’information sur un projet de loi avant sa présentation à la Chambre; question fondée de prime abord

Débats, p. 2442–2443.

Contexte

Le 14 avril 2016, Andrew Scheer (Regina—Qu’Appelle) soulève une question de privilège concernant la divulgation prématurée du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir). M. Scheer prétend qu’avant la présentation du projet de loi à la Chambre, des détails précis ont été rapportés dans les médias et qu’il s’agit assurément d’une atteinte aux privilèges des députés. En réponse, Andrew Leslie (whip en chef du gouvernement) affirme que personne n’a autorisé la divulgation de ces détails avant la présentation du projet de loi et présente des excuses au nom du gouvernement. Le vice-président (Bruce Stanton) prend la question en délibéré[1].

Le 18 avril 2016, M. Scheer aborde de nouveau la question pour déclarer que, au vu des excuses présentées par le whip en chef du gouvernement, un comité parlementaire devrait être saisi de la question pour déterminer s’il y a atteinte aux privilèges. Le Président prend la question en délibéré[2].

Résolution

Le 19 avril 2016, le Président rend sa décision. Il confirme le droit de la Chambre de prendre connaissance en premier du texte des projets de loi à étudier. Il conclut donc qu’il y a entrave à ce droit indiscutable et à l’exercice des fonctions parlementaires des députés. Par conséquent, il estime que l’affaire constitue, de prime abord, une question de privilège, puis il invite M. Scheer à proposer la motion voulue.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 14 avril 2016 et encore hier par le leader à la Chambre de l’opposition officielle au sujet de la divulgation prématurée du contenu du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir).

Je remercie le leader à la Chambre de l’opposition officielle d’avoir soulevé cette question, ainsi que le whip en chef du gouvernement et l’honorable député de New Westminster—Burnaby pour leur intervention.

Lorsqu’il a soulevé la question de privilège, le leader à la Chambre de l’opposition officielle a fait remarquer que des détails précis du projet de loi C-14 avaient été publiés dans un journal et dans d’autres médias avant que le projet de loi ne soit présenté à la Chambre. Afin d’établir la gravité de l’affaire, qu’il a qualifiée d’atteinte aux privilèges des députés, il a souligné que les députés doivent avoir accès à l’information dont ils ont besoin pour remplir leurs fonctions parlementaires et qu’il faut respecter le rôle capital joué par la Chambre dans les affaires législatives.

En réponse, le whip en chef du gouvernement, reconnaissant le problème, a déclaré, et je cite, que « le gouvernement traite avec le plus grand sérieux toute atteinte au privilège des députés et de la Chambre ». Il a ensuite affirmé que la divulgation prématurée des détails du projet de loi n’avait pas été autorisée, puis il a présenté sans réserve des excuses et il s’est engagé à ce qu’une telle chose ne se reproduise pas.

Puisqu’il s’agit de la première question de privilège soulevée lors de la présente législature, j’en profite pour informer les députés du rôle du Président à cet égard, car la présidence a un rôle très limité lorsqu’elle se penche sur pareille question.

Il est écrit à la page 141 de La procédure et les usages de la Chambre, deuxième édition, et je cite :

On attache une grande importance aux allégations d’atteinte aux privilèges parlementaires. Un député qui désire soulever une question de privilège à la Chambre doit d’abord convaincre la présidence que de prime abord, sa préoccupation peut faire l’objet d’une question de privilège. Le rôle du Président se limite à décider si la question qu’a soulevée le député est de nature à autoriser celui-ci à proposer une motion qui aura priorité sur toute autre affaire à l’Ordre du jour de la Chambre, autrement dit, que le Président pourra considérer de prime abord comme une question de privilège. Le cas échéant, la Chambre devra immédiatement prendre la question en considération. C’est finalement la Chambre qui établira s’il y a eu atteinte aux privilèges ou outrage.

Lorsqu’elle se prononce sur des questions de privilège, la présidence examine attentivement l’effet de l’atteinte alléguée sur la capacité des députés à remplir leurs fonctions. Il est écrit à la page 145 de l’ouvrage d’O’Brien et Bosc, et je cite :

En délibérant sur une question de privilège, la présidence prendra en considération dans quelle mesure l’atteinte aux privilèges a gêné le député dans l’accomplissement de ses fonctions parlementaires ou semble avoir fait outrage à la dignité du Parlement.

Comme les honorables députés le savent, l’une des plus importantes responsabilités de la présidence consiste à protéger les droits et les privilèges individuels et collectifs des députés. L’affaire qui retient notre attention aujourd’hui repose essentiellement sur le fait que la Chambre, vu le rôle clé qu’elle joue dans le processus législatif, ne saurait permettre que des détails précis des mesures législatives soient communiqués à qui que ce soit avant que les députés en aient pris connaissance. Les Présidents précédents ont à maintes reprises confirmé ce qui constitue non seulement un droit, mais aussi une attente de la Chambre.

Le 4 octobre 2010, à la page 4711 des Débats de la Chambre des communes, le Président Milliken soulignait ce qui suit :

Le fait que la Chambre des communes ait le droit de prendre connaissance en premier du texte des projets de loi qu’elle étudiera est une pratique bien établie et une convention acceptée.

Cette importante convention a pour objectif de permettre aux députés de remplir efficacement leurs fonctions de législateur. Dans cette affaire inhabituelle — rappelons que la députée concernée avait admis avoir divulgué de façon prématurée des détails de son projet de loi d’initiative parlementaire et qu’il n’y avait donc aucun doute quant à la source de la fuite —, le Président Milliken a cru bon rappeler cette convention, et ce, malgré qu’il n’ait pas conclu que l’affaire constituait, de prime abord, une question de privilège.

Voilà le contexte dans lequel la présidence doit se prononcer sur le bien-fondé de chaque affaire. Après examen, je conclus que les faits en l’espèce sont clairs et non contestés : des détails du projet de loi C-14 ont bel et bien été communiqués par les médias avant que le projet de loi ne soit présenté à la Chambre. Personne n’a prétendu le contraire. Par conséquent, on a directement porté atteinte au droit de la Chambre de prendre connaissance en premier de la mesure législative.

Les députés peuvent être rassurés par le fait que le whip en chef du gouvernement, en l’espèce, a présenté sans réserve ses excuses pour toute divulgation de renseignements confidentiels et qu’il a reconnu le sérieux de l’affaire. Cela étant dit, la présidence estime que la fuite du contenu du projet de loi — ce qui a empêché les députés de prendre connaissance en premier de la mesure législative — a, de prime abord, gêné les députés dans l’accomplissement de leurs fonctions parlementaires. Dans une affaire très semblable, qui a d’ailleurs été citée par le leader à la Chambre de l’opposition, le Président Milliken a déclaré ce qui suit, le 19 mars 2001 à la page 1840 des Débats de la Chambre des communes :

La convention de la confidentialité des projets de loi inscrits au Feuilleton est nécessaire non seulement pour que les députés eux-mêmes soient bien informés, mais aussi en raison du rôle capital que la Chambre joue, et doit jouer, dans les affaires du pays.

Le Président Milliken a conclu qu’il s’agissait, et je cite « [d’]une situation que la présidence ne saurait tolérer. »

Dans la présente affaire, la présidence doit conclure que le droit de la Chambre de prendre connaissance en premier de la mesure législative n’a pas été respecté. La présidence tient compte de la déclaration du whip en chef du gouvernement selon laquelle personne au gouvernement n’avait été autorisé à divulguer des détails précis du projet de loi avant sa présentation. Quoi qu’il en soit, il y a eu divulgation, et ce type d’incident suscite de vives inquiétudes chez tous les honorables députés. C’est pourquoi j’estime qu’il faut prendre toutes les précautions nécessaires pour que les affaires dont la Chambre doit être saisie en premier ne soient pas rendues publiques de façon prématurée.

Par conséquent, je conclus, sur le fondement des précédents, que la présente affaire constitue, de prime abord, une question de privilège, et j’invite le leader à la Chambre de l’opposition officielle à présenter la motion qui s’impose.

Post-scriptum

M. Scheer propose de renvoyer l’affaire devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, et la motion est adoptée à l’unanimité.[3] Le Comité tient une réunion consacrée à la question le 29 septembre 2016[4], mais il n’a pas l’occasion d’en faire rapport avant la dissolution de la 42e législature, trois ans plus tard.

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[1] Débats, 14 avril 2016, p. 2223–2224.

[2] Débats, 18 avril 2016, p. 2363.

[3] Débats, 19 avril 2016, p. 2443–2444.

[4] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Procès-verbal, 29 septembre 2016, réunion no 31.