Le privilège parlementaire / Les droits de la Chambre

Déformation du rôle du Parlement dans les communications gouvernementales concernant un projet de loi : publicité gouvernementale

Débats, p. 8987-8988

Contexte

Après les Questions orales du 4 mars 1997, Gilles Duceppe (Laurier—Sainte-Marie) leader parlementaire de l’Opposition officielle,  soulève une question de privilège relativement à une publicité de Santé Canada où on traitait du projet de loi C-71, Loi réglementant la fabrication, la vente, l’étiquetage et la promotion des produits du tabac, modifiant une autre Loi en conséquence et abrogeant certaines lois, comme s’il s’agissait « d’une Loi » laissant entendre que la Chambre avait déjà adopté la législation. Il demande à l’honorable David Dingwall (ministre de la Santé) de présenter ses excuses à la Chambre. Le Président prend l’affaire en délibéré[1]. Le lendemain, le Président reçoit d’autres commentaires sur le sujet et à nouveau prend l’affaire en délibéré[2].

Résolution

Le 13 mars 1997, immédiatement avant les Affaires courantes, le Président rend sa décision sur la question de privilège. À son avis, rien dans les versions française ou anglaise des annonces parues dans les journaux ne lui donne l’impression que la Chambre avait déjà adopté le projet de loi. Il est incapable d’y voir une intention malicieuse ou une tentative de fausses représentations de la part du gouvernement. Le Président statue qu’il n’y a pas eu de prime abord atteinte aux privilèges de la Chambre.

DÉCISION DE LA PRÉSIDENCE

Le Président : Mes chers collègues, je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée, le 4 mars 1997, par le député de Laurier—Sainte-Marie au sujet d’une publicité de Santé Canada qui a paru dans certains quotidiens.

J’aimerais remercier les députés qui sont intervenus le lendemain sur cette question : le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes (Paul Zed), l’honorable député de Lethbridge (Ray Speaker), le whip en chef du gouvernement (Bob Kilger), les honorables députés de York-Sud—Weston (John Nunziata), de Joliette(René Laurin) et de St. Albert(John Williams).

Dans son exposé, l’honorable député de Laurier—Sainte-Marie prétend qu’une publicité de Santé Canada, qui a paru dans les principaux quotidiens québécois le 4 mars 1997, concernant, et je cite : « La Loi antitabac » est fausse et porte atteinte aux privilèges de la Chambre. Selon lui, la publicité suppose que le Chambre a déjà adopté le projet de loi C-71, alors que ce n’est pas le cas. Du consentement unanime, il a ensuite déposé copie de cette publicité.

J’ai examiné avec soin les annonces en cause. Dans leurs interventions, les honorables députés de Laurier—Sainte-Marie et de Lethbridge ont établi un parallèle entre le cas qui nous occupe présentement et celui qui a fait l’objet d’une décision du Président Fraser, en octobre 1989. Bien qu’il s’agisse dans les deux cas de publicité relative à des dispositions législatives non encore adoptées, il existe certaines différences fondamentales qui rendent la comparaison mal fondée. Avant d’élaborer sur ces divergences évidentes, j’aimerais d’abord, à titre d’information, rappeler à la Chambre les faits entourant l’incident de 1989.

Le 26 août 1989, le ministère des Finances avait fait paraître dans les principaux journaux du pays une annonce au sujet de la taxe sur les produits et services (la TPS). Alors que le projet de loi sur la TPS n’avait pas encore été présenté en première lecture, l’annonce disait ceci:

Le 1er janvier 1991, le régime de la taxe fédérale de vente connaîtra des modifications. Veuillez conserver cet avis. Il explique les modifications apportées et les raisons qui y président.

Le 25 septembre 1989, le chef de l’Opposition de l’époque, le très honorable John Turner, avait soulevé une question de privilège à cet effet en soutenant que l’annonce publiée constituait un outrage au Parlement[3]. Le 10 octobre 1989, aux pages 4457 à 4461 des Débats, le Président Fraser déclarait que l’annonce n’avait pas pour objet de miner la dignité de la Chambre et que, par conséquent, il n’y avait pas eu, prima facie, outrage au Parlement. Il estimait, néanmoins, que l’annonce avait été mal conçue.

De même, dans une affaire récente à l’assemblée législative de l’Ontario, le président Stockwell a examiné une question de privilège concernant la publicité du gouvernement. On prétendait que, même si la loi n’avait pas encore été adoptée par l’assemblée, le ministre des Affaires municipales et du Logement avait fait publier une brochure sur le programme du gouvernement sur la réforme des gouvernements municipaux de la région métropolitaine de Toronto.

Le 22 janvier 1997, le président Stockwell a jugé que les termes de cette brochure étaient très catégoriques et donnaient l’impression que l’adoption de la loi requise n’était pas nécessaire. En conséquence, le président a jugé qu’il y avait, à première vue, atteinte aux privilèges[4].

En me fondant sur les deux exemples que nous venons d’examiner et en portant une attention particulière au texte de l’annonce diffusée par Santé Canada, je suis d’avis qu’il s’agit ici d’une toute autre situation. L’annonce de 1989 visait des dispositions précises du projet de loi sur la TPS et le texte avait été rédigé dans un style relevant plutôt de l’affirmation catégorique.

Pour sa part, la publicité de Santé Canada me paraît avoir, avant tout, un caractère informatif : on y présente certaines constatations au sujet de l’usage du tabac au Québec pour terminer par le slogan « J’appuie la loi anti-tabac—C’est une question de santé ».

Comme il a été mentionné lors des discussions sur cette question, il n’y a rien qui indique que le projet de loi C-71 est adopté ou encore qu’une disposition quelconque entrera en vigueur à une date particulière. Par ailleurs, la version anglaise de la même publicité fait référence à « anti-tobacco legislation ». À mon avis, je ne peux déduire que cette publicité laissait entendre que la Chambre avait déjà adopté le projet de loi C-71.

Dans le présent cas, le rôle de la présidence se résume à déterminer si cette publicité de Santé Canada constitue, prima facie, une atteinte aux privilèges de la Chambre. Tout comme l’honorable député de Joliette, je n’ai pu déceler, et je cite, « d’intentions malicieuses », ni tentative de, et je cite, « fausse représentation » de la part des représentants du gouvernement.

Cette publicité est-elle fausse et a-t-elle eu pour effet de tendre à miner l’autorité de la Chambre aux yeux du public? À la lumière des faits qui m’ont été présentés, j’estime que non et, en l’absence de preuve à cet effet, la présidence se voit dans l’impossibilité de conclure que la publicité en question constitue, prima facie, une atteinte aux privilèges de la Chambre.

Dans une décision rendue, le 12 juin 1996, au sujet d’une publicité gouvernementale relative au projet de loi no 33 sur l’assurance-médicaments, le président de l’Assemblée nationale du Québec, M. Jean-Pierre Charbonneau, avait déclaré, à la page 2094 du Journal des débats :

Les autorités constituées ont pleinement le droit, dans notre système politique, de faire connaître leurs décisions et leurs choix touchant leur champ de compétence.

Je partage l’opinion du président Charbonneau. Le gouvernement a le droit de communiquer avec le public et de l’informer de ses politiques et de ses programmes. En contrepartie, lorsque le gouvernement émet des communications qui contiennent des allusions à des mesures dont la Chambre est saisie, il serait prudent de choisir des mots et des expressions qui ne laissent planer aucun doute quant à la disposition de ces mesures. L’emploi de certains termes ou, pour reprendre les mots utilisés par le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre, « d’expressions courantes qui ne sont pas nécessairement d’une précision totale » peut parfois provoquer des interprétations qui ne sont pas voulues.

Ceux qui ont comme tâche d’approuver le texte des communications pour leur ministre doivent sûrement savoir que les termes utilisés dans le langage parlementaire ont une signification bien précise. En essayant de les éviter ou de les employer pour des fins de publicité, on manque certainement d’égard à l’endroit de l’institution parlementaire et du rôle de ses membres dans le processus législatif. S’il n’y a pas d’ambiguïté dans le choix des termes, le public s’en trouvera mieux servi et la Chambre pourra procéder à ses travaux sans être appelée à régler les difficultés causées par de tels malentendus.

Je remercie de nouveau l’honorable député de Laurier—Sainte-Marie d’avoir porté cette affaire à l’attention de la présidence.

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1997-03-13

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[1] Débats, 4 mars 1997, p. 8593-8594.

[2] Débats, 5 mars 1997, p. 8658-8661.

[3] Débats, 25 septembre 1989, p. 3809-3829.

[4] Assemblée législative de l’Ontario, Procès-verbaux, 22 janvier 1997, p. 2-5.