Le processus législatif / Divers

Adoption : annonce par le gouvernement avant; anticiper une décision de la Chambre

Débats, p. 1617-1618

Contexte

Le 29 octobre 1997, après les Questions orales, Chuck Strahl (Fraser Valley), whip de l’Opposition  soulève une question de privilège au sujet d’un communiqué de presse daté du jeudi 23 octobre 1997 dans lequel était annoncée la composition du comité de mise en candidature chargé de nommer des candidats pour le nouvel Office d’investissement du régime de pensions du Canada. La constitution de ce comité est prévue au paragraphe 10(2) du projet de loi C‑2, Loi constituant l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada, renvoyé au Comité permanent des finances le 28 octobre 1997. M. Strahl soutient que ce communiqué, diffusé avant que la Chambre n’ait adopté le projet de loi, crée un dangereux précédent qui mine l’autorité du Parlement et va à l’encontre des droits et privilèges de tous les députés et plus particulièrement du droit qu’ils ont de dire ce qu’ils pensent des mesures législatives avant leur promulgation. Après avoir entendu l’honorable Don Boudria (leader du gouvernement à la Chambre des communes), le Président déclare qu’il veut examiner le document dont M. Strahl a parlé et reporte sa décision[1].

Résolution

Le 6 novembre 1997, le Président rend sa décision. Il déclare qu’il n’a été porté atteinte à aucun privilège, que le pouvoir conféré à la Chambre de débattre librement des mesures législatives n’a pas été compromis et que les députés n’ont pas été victimes d’obstruction ou d’intimidation. Le Président signale toutefois que l’affaire n’est pas sans importance parce qu’elle a trait au rôle des députés en tant que législateurs. Tout en reconnaissant que le libellé du communiqué peut donner lieu à diverses interprétations, il souligne que la référence au processus législatif est à tout le moins hâtive. Déclarant que cette conception hautaine du processus législatif risque à la longue d’engendrer un manque de respect à l’égard de nos conventions et pratiques parlementaires, il demande au ministre et à ses fonctionnaires ainsi qu’aux autres ministères et agences de ne pas oublier sa décision et de s’en inspirer.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à me prononcer sur la question de privilège soulevée par le député de Fraser Valley le 29 octobre 1997 concernant un communiqué dans lequel était annoncée la composition du comité de mise en candidature afin de nommer des candidats pour le nouvel Office d’investissement du régime de pensions du Canada.

Je remercie l’honorable député de Fraser Valley d’avoir soulevé la question et d’avoir donné à la présidence une copie du document en cause et je remercie le leader du gouvernement à la Chambre pour ses observations sur le sujet.

Le député de Fraser Valley a fait référence à un communiqué daté du 23 octobre, dans lequel le ministère des Finances annonçait la composition du comité de mise en candidature des candidats pour le nouvel Office d’investissement du régime de pensions du Canada. Il a fait remarquer que le paragraphe 10(2) du projet de loi C‑2 constituant l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada prévoit la constitution de ce comité de mise en candidature et a rappelé à la Chambre que le projet de loi avait été renvoyé au Comité permanent des finances seulement le 28 octobre. Le député a argué par conséquent que le ministre des Finances avait créé ce comité aux termes d’une loi qui n’avait pas encore été adoptée par la Chambre, ni étudiée au comité permanent.

Le député a établi un parallèle entre cette affaire et deux autres affaires soulevées à la Chambre concernant deux documents à propos de la TPS. Dans ces affaires, le Président Fraser avait jugé qu’il ne s’agissait pas d’une violation de privilège parce qu’on précisait dans ces deux documents que les renseignements qu’ils contenaient faisaient allusion à des « propositions », ce qui voulait dire que la mesure législative n’avait pas été adoptée.

Selon le député, l’affaire qu’il a soulevée à la Chambre est beaucoup plus grave. Il a argué que, en désignant un comité tel que prévu au paragraphe 10 du projet de loi C‑2, le ministre des Finances avait agi comme s’il était sûr que le projet de loi serait adopté dans sa forme actuelle. De l’avis du député, permettre au gouvernement de mettre en œuvre un projet de loi comme si la Chambre l’avait adoptée crée un dangereux précédent qui, a-t-il précisé, « mine l’autorité du Parlement et va à l’encontre des droits et privilèges de tous les députés d’avoir leur mot à dire sur des mesures législatives avant leur promulgation ».

En réponse aux arguments avancés, le leader du gouvernement à la Chambre a prétendu que le communiqué de presse n’a nullement cherché à influencer la Chambre dans sa décision d’adopter ou de rejeter le projet de loi. Il a ajouté que le geste du gouvernement était simplement une mesure de gestion prudente, tendant à se donner le temps nécessaire pour préparer les nominations définitives à l’Office d’investissement si le projet de loi était adopté.

J’ai examiné attentivement les demandes du député de Fraser Valley et du leader du gouvernement à la Chambre. Je pense qu’il serait peut-être utile de passer les faits en revue.

Le 8 octobre 1997, la Chambre a adopté le projet de loi C‑2 en deuxième lecture et l’a renvoyé au Comité permanent des finances. Le 23 octobre, le ministère des Finances a publié son communiqué et le lendemain, 24 octobre, durant la période des questions, la députée de Calgary—Nose Hill (Diane Ablonczy) a posé une question au sujet de la création du comité chargé de proposer des candidatures et des effets que cela aurait sur le projet de loi à l’étude. Le leader du gouvernement à la Chambre a répondu que le gouvernement prenait tout simplement ses responsabilités et se préparait en vue de l’adoption du projet de loi.

Une des premières choses que doit faire le Président lorsqu’il est saisi de la question de privilège est de voir si elle a été soulevée à la première occasion. Comme je viens de le dire, la députée de Calgary-Nase Hill a posé sa question à la Chambre pendant la période des questions, le lendemain de la publication du communiqué. Elle aurait eu tout le temps voulu pour soulever la question de privilège le jour même de la publication du communiqué, mais le député de Fraser Valley a attendu trois jours complets avant de soulever la question de privilège à la Chambre.

Permettez-moi maintenant de passer à la question de privilège elle-même, afin de déterminer s’il a été porté atteinte à quelque privilège des députés.

Dans le cas présent, la présidence ne peut pas arriver à la conclusion que la liberté d’expression a subi une atteinte puisque les députés auront la possibilité de débattre du projet de loi C‑2 et de proposer des amendements à l’étape de l’étude en comité ou à l’étape du rapport à la Chambre.

On pourrait également se demander si cette action a nui indûment à la tenue du débat au comité ou à la Chambre. À l’instar du Président Fraser dans sa décision du 10 octobre 1989[2] concernant la publicité sur la TPS, je suis d’avis que la Chambre n’a jamais éprouvé de difficultés à exprimer ses opinions au sujet de questions litigieuses. La Chambre est un lieu de débat et d’examen de points de vue divers. Les députés ne travaillent pas en vase clos.

Ils sont toujours au courant des pressions et des facteurs qui se manifestent à l’extérieur de la Chambre. Certains députés trouvent peut-être offensante la mesure qui a été prise, mais on pourrait difficilement dire qu’elle a nui à la tenue du débat.

De même, en examinant le privilège d’immunité contre l’obstruction et l’intimidation, je ne puis conclure qu’aucun député ait été entravé dans l’exercice de ses devoirs parlementaires en raison du geste accompli par le ministère.

Au moment d’examiner toute question de privilège, le Président doit déterminer si, à première vue, il y a des motifs suffisants pour interrompre les travaux de la Chambre afin que celle-ci puisse décider s’il y a vraiment eu atteinte à l’un de ses privilèges ou, de façon plus générale, manque de respect par rapport à son autorité. Dans le cas présent, j’estime qu’il n’y a nullement eu atteinte à un quelconque privilège. En outre, l’autorité de la Chambre quant à sa capacité de débattre librement une question n’a pas été compromise, et il n’y a eu ni obstruction ni tentative d’intimider des députés.

Par ailleurs, la présidence reconnaît que c’est une question qui n’est pas sans importance puisqu’elle a trait au rôle des députés en tant que législateurs, un rôle qu’on ne saurait banaliser. C’est à ce titre que les agissements du ministère des Finances nous laissent songeurs. Le libellé du communiqué de presse peut donner lieu à diverses interprétations, et même si on prétend que ce dont il est question, c’est de la création du comité de mise en candidature et non pas de la mise en œuvre du projet de loi C‑2, il reste néanmoins que l’annonce faite quant à l’établissement du processus législatif est à tout le moins hâtive.

Cette manière hautaine de concevoir le processus législatif risque, à la longue, d’engendrer un manque de respect à l’égard de nos conventions et pratiques parlementaires. De plus, il ne faut pas négliger le fait que c’est du ministère des Finances dont on se plaint.

J’espère que la décision d’aujourd’hui, qui vient au début de cette 36e législature, ne sera pas oubliée par le ministère et ses fonctionnaires et que les ministères et organismes s’en inspireront.

Après avoir mûrement réfléchi à cette affaire, et pour les raisons invoquées, je conclus que la question soulevée par le député de Fraser Valley ne s’apparente pas à une violation de privilège.

Je remercie les députés de leur précieuse participation à cette discussion.

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1997-11-06

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[1] Débats, 29 octobre 1997, p. 1287-1289.

[2] Débats, 10 octobre 1989, p. 4457-4461.