Le processus décisionnel / Motions et amendements

Motions : ordre statutaire; avis de motion ultra vires; le Président ne statue pas sur les questions juridiques

Débats, p. 14863-14864

Contexte

Il arrive parfois que le Parlement adopte des lois contenant des dispositions exigeant que la Chambre des communes ou le Sénat tienne un débat si certaines conditions prévues dans la loi sont remplies. On dit alors que ces débats sont tenus conformément à un ordre statutaire. Le 3 décembre 1992, le Feuilleton et le Feuilleton des avis contenait un tel ordre statutaire en vue de la prise en considération d’une motion inscrite aux noms des députés du Parti libéral et présentée conformément au paragraphe 7(2) de la Loi sur les mesures économiques spéciales, chapitre 17, Lois du Canada (1992). La motion proposait de modifier le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant les navires (Haïti) déposé à la Chambre le 8 septembre 1992[1]. La modification proposée aurait eu pour effet d’ajouter un nouvel article au Règlement afin de demander au gouvernement du Canada « d’encourager tous les membres de l’Organisation des États américains et des Nations Unies qui ont pris des dispositions semblables à celles du présent Règlement à les mettre en application[2]. »

Conformément au paragraphe 7(3) de la Loi, la motion devait être prise en considération au plus tard le jeudi 10 décembre 1992 et, conformément au paragraphe 7(4) de la même Loi, le débat sur cette motion devait être d’une durée maximale de trois heures, sans interruption, ou d’une durée maximale supérieure fixée par la Chambre du consentement unanime. À l’expiration du temps prévu pour ce débat, toute question nécessaire pour disposer de la motion devait être mise aux voix sur-le-champ[3].

Le 8 décembre 1992, avant le début de l’examen des Ordres émanant du gouvernement, M. David Dingwall (Cape Breton—Richmond-Est) invoque le Règlement pour demander que M. Jim Edwards (secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes) fasse savoir quand le gouvernement engagera le débat sur l’ordre statutaire figurant au Feuilleton du jour. M. Edwards réplique que l’amendement proposé dans l’ordre statutaire va au-delà des pouvoirs prévus par la Loi concernée. Il soutient que les motions présentées en vertu de l’article 7 de la Loi ne sont autorisées qu’en rapport avec des décrets et des règlements pris en vertu de l’article 4 de la Loi qui ne traite pas des relations entre le Canada et les pays autres que les États faisant l’objet de sanctions. Il croit donc que le projet de modification paraît dépasser le champ d’application du pouvoir de réglementation.

Le Président intervient et informe la Chambre qu’il n’est pas approprié pour le moment de soulever cette question. Il invite le secrétaire parlementaire et les leaders de l’opposition à en discuter et à l’informer ensuite, le plus tôt possible, du moment où il souhaite entamer une argumentation sur la recevabilité de la motion afin qu’il puisse réserver du temps en conséquence pour la discussion[4].

Après les Questions orales, M. Dingwall intervient pour demander à la présidence de se prononcer sur la recevabilité de l’ordre statutaire. Il soutient qu’il n’appartient pas au Président de se prononcer sur la constitutionnalité ou la substance de l’ordre statutaire, et qu’il doit simplement déterminer si l’avis requis a été donné et comment la Chambre doit procéder pour étudier cette question. M. Edwards répond que le projet de modification du Parti libéral va au-delà des pouvoirs prévus par le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant les navires (Haïti) lequel autorise uniquement le gouvernement à rédiger des règlements portant sur les relations entre le Canada et un pays faisant l’objet de sanctions, et non à engager le Canada à adopter une position particulière sur des questions de politique étrangère concernant des pays tiers. Il soutient en outre que si le Président autorisait un débat sur cette question, il donnerait implicitement l’avis juridique que la modification respecte le champ d’application de la Loi[5].

Le Président rend une décision immédiatement. Le texte complet de cette décision est reproduit ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président : Je remercie le député de Cape Breton—Richmond-Est et le secrétaire parlementaire.

Je vais sortir la présidence de la position dans laquelle elle se trouve en rappelant aux députés que le Président n’a jamais eu le pouvoir de décider si un projet de loi ou un amendement présenté à la Chambre des communes est anticonstitutionnel ou non. C’est une question qui relève des tribunaux. Je dois donc respecter cette position.

J’ai écouté attentivement le secrétaire parlementaire, qui a laissé entendre, de façon ingénieuse, que si je n’intervenais pas, je me trouvais à appuyer implicitement un amendement qui peut être ou ne pas être anticonstitutionnel. J’ai certes beaucoup de respect pour l’ingéniosité dont le secrétaire parlementaire a fait preuve en présentant ses arguments.

Toutefois, je crois que je dois respecter la longue tradition qui a été confirmée dans de nombreuses décisions, soit que ce n’est pas à la présidence de décider si un projet de loi ou, comme je l’ai dit plus tôt, un amendement est anticonstitutionnel ou non.

Je tiens seulement à signaler que, si je rendais une décision à cet égard, nous pourrions nous retrouver dans une situation où des députés de l’opposition ou des ministériels pourraient contester la constitutionnalité de toute mesure législative présentée par le gouvernement, et cela mettrait le Président dans la même position qu’un tribunal, ce qui va bien au-delà des pouvoirs qu’on ait jamais envisagé de confier au Président de la Chambre.

Ainsi, nous sommes dans la situation où une motion a été présentée, et nous devons respecter la loi qui dit : « La Chambre saisie de la motion » — et il s’agit ici de la Chambre des communes — « étudie celle-ci dans les six jours de séance suivant sa remise, sauf si l’autre Chambre a déjà commencé l’étude d’une motion visant la même fin », ce qui n’est pas le cas ici.

Voilà la position dans laquelle nous nous trouvons, et c’est à la Chambre de décider ce qu’elle fera d’ici à la fin de la période de six jours prévue dans la Loi. Nous sommes évidemment tenus de respecter cette Loi.

Je crois que c’est le mieux que je puisse faire dans le moment pour aider la Chambre à cet égard.

Post-scriptum

Le débat sur l’ordre statutaire a été tenu plus tard au cours de la journée. La motion a été rejetée avec dissidence[6].

F0408-f

34-3

1992-12-08

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[1] Journaux, 8 septembre 1992, p. 1938.

[2] Feuilleton et Feuilleton des avis, 3 décembre 1992, p. 15 et XI.

[3] Feuilleton et Feuilleton des avis, 3 décembre 1992, p. 15 et XI.

[4] Débats, 8 décembre 1992, p. 14808-14809.

[5] Débats, 8 décembre 1992, p. 14862-14863.

[6] Débats, 8 décembre 1992, p. 14873-14882.