Les règles du débat / Décorum

Langage non parlementaire : retrait de remarques; prêter des intentions

Débats, p. 10583-10584, 10927-10928

Contexte

Le 28 octobre 1987, durant la période des questions, le très hon. Brian Mulroney (Premier ministre), en réponse à une question, déclare ce qui suit : « Je sais que mes collègues libéraux et néo-démocrates ne favorisent pas les intérêts de l'Ouest. » La remarque provoque une vive réaction chez un certain nombre de députés de l'opposition[1]. Il s'ensuit que le Règlement est invoqué et que des questions de privilège sont soulevées à un certain nombre de reprises, toujours à propos de langage non parlementaire ou d'un comportement inacceptable en Chambre.

En particulier, le lendemain, le 29 octobre 1987, l'hon. Don Mazankowski (vice-premier ministre, président du Conseil privé et président du Conseil du Trésor) soulève une question de privilège en soutenant que les propos attribués par le Hansard à l'hon. Edward Broadbent (Oshawa) et à M. Jim Fulton (Skeena) étaient antiparlementaires. Il demande que les deux députés retirent leurs propos et s'excusent afin de préserver la dignité de la Chambre. Après avoir écouté une brève intervention de M. Broadbent, le Président prend l'affaire en délibéré pendant une heure[2]. Plus tard le même jour, après une brève déclaration, M. Broadbent retire ses paroles d'une manière sans équivoque. M. Fulton, malgré l'insistance du Président, refuse de retirer ses paroles. Le Président reporte cette affaire « afin de donner à l'honorable député le temps de réexaminer toute cette question[3] ».

Durant la discussion d'ordre procédural qui suit, un certain nombre d'autres députés, notamment M. Lame Nystrom (Yorkton-Melville), M. Jacques Guilbault (Saint-Jacques), l’hon. Robert Kaplan (York-Centre), M. Nelson Riis (Kamloops—Shuswap) et le très hon. Joe Clark (Yellowhead), soulèvent toute une série de questions. Parmi les interventions les plus sérieuses, notons celles de MM. Nystrom et Guilbault, qui soutiennent que le Premier ministre, par ses remarques, leur a prêté des intentions et a donc contrevenu au commentaire 316 de la cinquième édition de Beauchesne[4].

Finalement, le 30 octobre 1987, M. Fulton soulève sa propre question de privilège. Après avoir signalé qu'on l'avait informé dans la matinée que le Président ne lui accorderait pas la parole durant la période des questions, il indique que cette décision constitue selon lui une atteinte à ses privilèges. Il demande ensuite au Président ce qu'il advient de la question de privilège déjà soulevée par M. Mazankowski [5]

Le 30 octobre, le Président formule certaines remarques afin de clarifier la situation de M. Fulton. Puis, le 18 novembre, il traite des points soulevés dans la discussion d'ordre procédural et tout particulièrement de l'aspect mentionné par MM. Nystrom et Guilbault. Les remarques du Président à ces deux occasions sont reproduites ci-dessous

Décision de la présidence

M. le Président: Hier, le député de Skeena a signalé à la présidence qu'il refusait de retirer des remarques manifestement antiréglementaires, remarques qui ne sont pas permises à la Chambre, qui ne l'ont jamais été et ne le seront jamais, et en disant cela, je pense exprimer l'avis de toute la Chambre. Cela dit, la présidence a le choix entre deux choses : elle peut désigner le député et le renvoyer de la Chambre pendant deux heures. À mon avis, ce n'est pas du tout une mesure disciplinaire.

Deuxièmement, j'ai demandé au député de se rétracter. Je ne lui ai pas fixé de délai pour le faire. J'ajoute que je connais très bien et que je respecte le député de Skeena, non seulement en tant que collègue à la Chambre, mais également sur le plan personnel. J'ai la plus haute estime pour lui. Je pense également comprendre ses sentiments à cet égard. Cependant, les sentiments d'un député ne peuvent pas passer avant les règlements et traditions de la Chambre.

Si le député souhaite bien représenter ses électeurs, il doit auparavant regagner la faveur de la Chambre.

M. le Président: Je voudrais maintenant parler d'un incident qui s'est produit le jeudi 29 octobre et qui revêt une certaine importance pour la Chambre. Ce jour-là, le député de Yorkton-Melville et le député de Saint-Jacques ont demandé à la présidence d'examiner certains propos tenus par le très honorable Premier ministre pendant la période des questions du mercredi 28 octobre. En réponse à une question, le Premier ministre avait dit, et je cite le Hansard, page 10482:

Je sais que mes collègues libéraux et néo-démocrates ne favorisent pas les intérêts de l'Ouest. Cela est chaque jour plus évident.

C'est là une citation exacte de la dernière partie de la réponse du Premier ministre.

Au cours du débat de procédure, la présidence a été invitée à revoir avec soin cette déclaration, en fonction du commentaire 316 de Beauchesne, cinquième édition, selon lequel un député doit s’abstenir « de prêter à un de ses collègues des intentions inavouables ou autres que celles qu'il prétend avoir ».

J'ai eu l'occasion de revoir nos usages et nos précédents ainsi que l'ensemble de la discussion qui a eu lieu pendant cet après-midi difficile du jeudi 29 octobre.

Les propos du Premier ministre visaient les partis d'opposition en général et non un député particulier. Certains trouveront sans doute que la nuance est plutôt mince. D'après mon expérience, à titre de Président de la Chambre, je voudrais dire que beaucoup de députés frisent la limite du tolérable, tant dans les questions que dans les réponses, pendant la période des questions. Aucun parti ne détient un monopole à cet égard. Pas un député ayant une certaine expérience ne niera qu'on touche la limite de très près tant dans les préambules aux questions que dans les observations faites dans le cadre des réponses. Sans être antiparlementaire, ce comportement accroît la difficulté qu'il y a à maintenir l’ordre. En définitive, bien sûr, ce qui cause du désordre à la Chambre pourrait bien un jour être déclaré antiparlementaire.

Cependant, pour me conformer aux décisions rendues par mes prédécesseurs, je déclare que les propos du très honorable Premier ministre ne sont pas contraires à nos règles. Il n'y a pas de doute qu'ils ont suscité de fortes réactions parmi les députés des deux partis d'opposition. Des députés se sont laissé entraîner à employer des termes non parlementaires. Il est clair que certains d'entre eux avaient été sérieusement offensés par la déclaration du très honorable député.

Dans le premier cas, celui de la déclaration du député d'Oshawa, la présidence a repoussé d'une heure l'examen de la question. Le député est alors revenu à la Chambre pour se rétracter par respect pour la présidence et la dignité de la Chambre. Il s'est conformé à nos plus belles traditions.

L’autre cas est celui du député de Skeena. Celui-ci a dit qu'il n'était pas disposé à retirer l'expression non parlementaire qu'il avait employée, étant donné la déclaration du très honorable Premier ministre et sa propre réaction à cette déclaration.

Le vendredi 30 octobre, la présidence a de nouveau invité le député de Skeena à reconsidérer sa position, à réfléchir aux obligations de la présidence et de tous les députés élus. La Chambre des communes ne peut s'acquitter de son travail comme il convient que si les députés respectent les règlements qu'ils se sont eux-mêmes donnés.

Je sais peut-être mieux que quiconque à la Chambre que le député de Skeena est un représentant efficace, qu'il a beaucoup fait pour la Colombie-Britannique, ma province, et qu'il a fort bien représenté ses électeurs. Je crois savoir que le député a une déclaration à faire à la Chambre. Le député de Skeena.

Post-scriptum

Après la décision du Président rendue le 18 novembre 1987, M. Fulton prend la parole afin d'expliquer sa conduite. Il retire les propos qu'il avait tenus et qui ont été jugés non parlementaires par le Président[6].

F0719-f

33-2

1987-10-30

1987-11-18

[1] Débats, 28 octobre 1987, p. 10482.

[2] Débats, 29 octobre 1987, p. 10532-10533.

[3] Débats, 29 octobre 1987, p. 10541-10543.

[4] Débats, 29 octobre 1987, p. 10543-10546.

[5] Débats, 30 octobre 1987, p. 10583.

[6] Débats, 18 novembre 1987, p. 10928.