Le serment ou l’affirmation solennelle d’allégeance
Chapitre 4La Chambre des communes et les députés
Le serment ou l’affirmation solennelle d’allégeance
Le serment ou l’affirmation solennelle d’allégeance
Avant de pouvoir prendre son siège à la Chambre des communes et de voter, le député dûment élu doit prêter serment ou faire une affirmation solennelle d’allégeance ou de loyauté au souverain et signer le registre d’assermentation (un livre dont les pages portent en en-tête le texte du serment ou de l’affirmation). Quand un député prête allégeance au souverain, il prête aussi allégeance aux institutions représentées par le souverain et notamment au principe de la démocratie. Le député s’engage ainsi à servir les meilleurs intérêts du pays. Le serment qu’il prête, ou l’affirmation solennelle qu’il fait, sert à lui rappeler tout le poids des obligations et des responsabilités qu’il assume.
La Loi constitutionnelle de 1867 fait obligation à tous les députés de prêter et souscrire le serment d’allégeance : « Les membres […] de la Chambre des communes du Canada devront, avant d’entrer dans l’exercice de leurs fonctions, prêter et souscrire, devant le gouverneur général ou quelque personne à ce par lui autorisée […] le serment d’allégeance énoncé dans la cinquième annexe de la présente loi225 ».
Voici le texte actuel du serment : « Je, (nom du député), jure que je serai fidèle et porterai vraie allégeance à Sa Majesté la reine Elizabeth Deux226 ». Plutôt que de prêter serment, le député qui le souhaite peut faire une affirmation solennelle en déclarant simplement : « Je, (nom du député), déclare et affirme solennellement, sincèrement et véritablement que je serai fidèle et porterai vraie allégeance à Sa Majesté la reine Elizabeth Deux227 ».
Historique
Royaume-Uni
Au Moyen Âge, la prestation du serment d’allégeance n’était pas obligatoire au Parlement anglais228. Au XVIe siècle, l’Angleterre vécut des conflits politiques et religieux, particulièrement la scission de l’Église d’Angleterre et la lutte de pouvoir entre les protestants et les catholiques, qui furent à l’origine de la prestation de serment des députés en tant que préalable légal. C’est l’Act of Supremacy adopté en 1563 sous le règne de la reine Elizabeth I qui imposa le premier serment aux députés. Cette loi désignait la souveraine chef de l’Église : avant d’occuper leur siège dans la Chambre des communes, les députés étaient tenus d’affirmer que la souveraine détenait le pouvoir suprême dans tout le royaume pour toutes les affaires d’ordre ecclésiastique et temporel229. En fait, le serment de suprématie avait pour but premier d’empêcher les catholiques romains d’occuper une charge publique. En 1678, on y adjoint une déclaration contre la transsubstantiation dans le but d’empêcher les catholiques romains de siéger au Parlement230.
En 1701, les jacobites, partisans de Jacques II, tentèrent de rétablir le catholicisme en Angleterre. Pour renforcer le protestantisme, les autorités anglaises ripostèrent en instaurant trois serments d’État dans le but d’empêcher les catholiques et les jacobites d’accéder à des charges publiques. En plus de prononcer la déclaration à l’encontre de la transsubstantiation, les députés devaient prêter serment d’allégeance au roi d’Angleterre ; prêter serment de suprématie, lequel dénonçait le catholicisme et l’autorité papale ; et prêter serment d’abjuration, par lequel étaient répudiés tous les droits de Jacques II et de ses descendants au trône d’Angleterre231. Le serment d’abjuration renfermait par ailleurs les mots « au nom de la foi chrétienne », ce qui empêchait les juifs de prêter serment232.
Plus de cent ans plus tard, le Parlement britannique adopta le Roman Catholic Relief Act of 1829, loi abolissant la déclaration contre la transsubstantiation et prescrivant un libellé de serment acceptable aux yeux des membres de l’Église catholique romaine. En 1858, les serments de suprématie, d’allégeance et d’abjuration furent remplacés par un serment unique pour les protestants et, plus tard au cours de la même année, le Parlement britannique adopta une autre loi qui permettait aux juifs de siéger comme députés233. En 1866, le Parlement britannique permit aux députés de faire une affirmation solennelle, dans certaines circonstances. Enfin, en 1888, il autorisa ceux qui s’objectaient à la prestation du serment pour toute raison à faire une affirmation solennelle234.
Canada
Le serment d’allégeance que doivent prêter les députés avant de prendre leur place à la Chambre des communes est d’inspiration britannique ; cependant, le serment que l’on prêtait dans les colonies canadiennes était fort différent du serment antipapauté que prononçaient les députés de la Chambre des communes britannique.
C’est en 1758 que fut élue la première assemblée populaire en Nouvelle-Écosse. Il fut décidé que les lois pénales et électorales alors en vigueur en Grande-Bretagne s’appliqueraient. Ainsi, les catholiques et les juifs n’avaient pas le droit de voter et ne pouvaient briguer les suffrages, et les députés étaient tenus de prêter les trois serments d’État : le serment d’allégeance au roi d’Angleterre, le serment de suprématie dénonçant le catholicisme et l’autorité papale, et le serment d’abjuration, qui répudiait tous les droits de Jacques II et de ses descendants au trône d’Angleterre235. En 1789, l’Assemblée législative révisa les critères donnant qualité d’électeur et interdit toute discrimination pour des motifs d’ordre religieux, accordant ainsi le droit de vote aux catholiques et aux juifs236. Néanmoins, les catholiques n’étaient pas autorisés à siéger à l’Assemblée sans d’abord prononcer la déclaration contre la transsubstantiation ; quant aux juifs, c’est le serment d’abjuration qui les en empêchait. En 1823, l’Assemblée de la Nouvelle-Écosse adopta une résolution qui accordait aux catholiques le droit de siéger à l’Assemblée sans avoir à prononcer la déclaration contre la transsubstantiation. Cependant, les serments d’État s’appliquaient toujours aux non-catholiques237. En 1846, la Nouvelle-Écosse abolit le serment d’État238.
En 1780, l’Assemblée de l’Île-du-Prince-Édouard, la seule autre colonie dotée d’un gouvernement représentatif à l’époque, restreignit le droit de vote aux protestants239. Ce n’est qu’en 1830 que les catholiques obtinrent le droit de voter et de briguer les suffrages240. En 1846, les serments d’État étant remplacés par un seul serment d’allégeance, les juifs obtinrent à leur tour le droit de se présenter comme candidats à une élection241.
Le Nouveau-Brunswick fut fondé à titre de colonie en 1784 et tint sa première élection en 1785. Tous les hommes blancs âgés d’au moins 21 ans qui acceptaient de prêter serment d’allégeance étaient autorisés à voter à cette première élection. Toutefois, le vote des catholiques fut frappé de nullité dès l’année suivante, car l’Assemblée avait résolu que leur vote était illégal et contraire aux lois britanniques. Lorsque la colonie adopta ses premières lois électorales, en 1791, catholiques et juifs se sont vus privés du droit de voter, et donc de se faire élire à l’Assemblée, du fait que les électeurs devaient consentir à prêter les serments d’État. En 1810, catholiques et juifs obtinrent le droit de vote lorsque la colonie remplaça les serments requis pour voter par un simple serment d’allégeance. Toutefois, ce n’est qu’en 1846 que les juifs obtinrent le droit de se présenter comme candidats, une fois abolie l’obligation de prêter les serments d’État pour siéger à l’Assemblée242.
En 1763, lors de la fondation de la province de Québec, le gouverneur reçut l’ordre de convoquer une assemblée dès que les conditions le permettraient. Les élus étaient tenus de prêter les serments d’allégeance, de suprématie et de déclaration contre la transsubstantiation. La province demeura toutefois sans assemblée représentative243. L’Acte de Québec de 1774, adopté par le Parlement britannique, énonçait, entre autres, que les catholiques romains seraient dorénavant dispensés du serment de suprématie et qu’ils pourraient, s’ils désiraient occuper une charge publique, prêter serment d’allégeance244. Le serment d’abjuration empêchait toujours les juifs d’occuper une charge publique. La Loi constitutionnelle de 1791 scinda la province originale de Québec en deux provinces, soit le Bas-Canada et le Haut-Canada. Chacune avait son propre conseil législatif et une assemblée élective ; les députés devaient affirmer leur allégeance au roi avant de siéger au Conseil législatif ou à l’Assemblée245. Les juifs ne pouvaient toujours pas briguer les suffrages, vu l’obligation de prêter serment d’allégeance sur le Nouveau Testament246. En 1832, le Bas-Canada adopta une loi accordant aux juifs les mêmes droits et privilèges que les autres citoyens, une première dans l’Empire britannique247. Quand la Province du Canada fut créée, les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1791 touchant au serment d’allégeance furent reprises dans l’Acte d’Union, 1840248. La Loi constitutionnelle de 1867, adoptée au début de la Confédération, exigeait des sénateurs, des députés et des députés des assemblées législatives provinciales la prestation d’un serment d’allégeance.
Dans la Province du Canada, l’Acte d’Union, 1840249 autorisait l’affirmation solennelle, comme plus tard l’article 5 de l’Acte concernant les Commissions et les Serments d’allégeance et d’office250, adopté en 1867. Toutefois, ces dispositions ne s’appliquaient pas aux membres du Sénat et de la Chambre des communes. C’est seulement en 1905 que les députés purent faire une affirmation solennelle, quand le gouverneur général s’est vu conférer « le pouvoir de recevoir le serment d’allégeance ou la déclaration de personnes qui doivent occuper des postes de confiance au Canada, sous la forme prescrite par une loi adoptée au cours des trente et unième et trente-deuxième années du règne de la reine Victoria, et qui a pour titre : “loi tendant à modifier la Loi sur les serments promissoires” »251.
Assermentation
Après une élection générale ou partielle, le directeur général des élections fait parvenir au Greffier de la Chambre des communes les certificats d’élection des députés dès qu’ils sont disponibles. Dès que le Greffier reçoit un certificat d’élection, les députés dont les noms y sont inscrits peuvent prêter le serment d’allégeance252.
L’article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867 autorise le gouverneur général « ou quelque personne à ce par lui autorisée » à recevoir le serment d’allégeance. Jusqu’au mois d’août 1949, des commissaires étaient nommés à cette fin par décret. Depuis, pour éviter d’avoir à prendre des décrets à nouveau, cette fonction est plutôt confiée d’office au Greffier de la Chambre des communes, au sous-greffier, aux greffiers adjoints, au légiste et conseiller parlementaire, et au sergent d’armes253.
La procédure d’assermentation de la Chambre des communes tient non pas de règles, mais plutôt de la pratique et du précédent. Sauf exception, les députés sont assermentés individuellement plutôt que collectivement254. Le Greffier invite chaque député à prendre rendez-vous, avant l’ouverture de la nouvelle législature, pour être assermenté et signer le registre d’assermentation, registre dont les pages portent en en-tête le texte du serment ou de l’affirmation solennelle d’allégeance. Les députés signent le registre dès qu’ils ont prêté le serment d’allégeance ou fait l’affirmation solennelle d’allégeance conformément à la Loi constitutionnelle de 1867255. Après la cérémonie, les députés se font photographier et reçoivent des documents de procédure ainsi qu’une épinglette de la Chambre des communes256.
La plupart des députés prêtent serment dans le bureau du Greffier ou dans une autre pièce de la cité parlementaire aménagée pour la cérémonie. Leurs invités peuvent assister à la courte cérémonie privée et la prise de photos est autorisée. Les députés qui n’auraient pas été assermentés avant l’ouverture de la nouvelle législature peuvent prêter serment le premier jour de séance. La cérémonie peut alors se dérouler dans la salle de séance, au Bureau, avant l’heure à laquelle les députés doivent se réunir pour l’ouverture de la législature. Toutefois, à ce moment-là, la cérémonie se déroule sans invités et sans prise de photos. Les députés assermentés après le premier jour de séance d’une nouvelle législature le sont dans le bureau du Greffier. Les députés élus lors d’élections partielles prêtent également serment et signent le registre d’assermentation dans le bureau du Greffier.
Si un député ne peut prêter serment ou faire l’affirmation solennelle d’allégeance, ou refuse de le faire, il ne peut prendre son siège à la Chambre et pourrait être privé de ses indemnités de session257. Ainsi, ce sont le serment d’allégeance et l’affirmation solennelle d’allégeance qui permettent à un député d’occuper son siège à la Chambre des communes et de voter258.
Violation du serment d’allégeance
La violation du serment d’allégeance constitue un manquement grave, et si la Chambre jugeait qu’un député avait violé son serment, elle sévirait contre lui259. Même si aucun député n’a jamais été jugé coupable de violation de son serment d’allégeance, le Président a dû, en 1990, se prononcer sur la sincérité de l’affirmation solennelle d’un député260. Le Président Fraser a établi que le Président « n’est pas autorisé à porter un jugement sur les circonstances dans lesquelles, ou la sincérité avec laquelle, un député dûment élu prête le serment d’allégeance. L’importance que revêt ce serment pour chaque député est affaire de conscience et il doit en être ainsi ». Comme le député avait dit très clairement à la Chambre qu’il ne s’était « jamais moqué du Parlement canadien ni de la Reine », le Président a conclu qu’il n’y avait pas eu de violation de privilège puisque la convention veut que la Chambre accepte la parole d’un député. Il a toutefois ajouté que « seule la Chambre peut examiner la conduite de ses membres et elle peut prendre des mesures, si elle décide que des mesures s’imposent261 ». L’affaire en est restée là.
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