Chapitre 11Les questions
Les questions écrites
Alors que les questions orales sont posées sans préavis sur des sujets considérés urgents, les questions écrites sont inscrites au Feuilleton, après l’avis requis, dans le but d’obtenir du gouvernement des renseignements détaillés volumineux ou techniques concernant « quelque affaire publique176 ». Un avis écrit de 48 heures est exigé pour l’inscription d’une question écrite au Feuilleton177. Un numéro est attribué à chaque question déposée. Les députés ont le droit d’inscrire au plus quatre questions à la fois au Feuilleton178. Les députés peuvent demander que le gouvernement y réponde dans les 45 jours civils, habituellement en inscrivant une phrase en ce sens soit avant soit après le libellé de leur question, ou en l’indiquant au Greffier au moment où ils déposent l’avis de leur question179. Un député peut également indiquer qu’il souhaite recevoir une réponse orale durant les Affaires courantes ; dans un tel cas, on marquera la question d’un symbole distinctif au moment de sa publication dans le Feuilleton des avis180. Ces questions, appelées « questions marquées d’un astérisque », sont peu utilisées. Les députés peuvent marquer d’un astérisque au plus trois des quatre questions qu’ils sont autorisés à faire inscrire à la fois au Feuilleton181.
Historique
Dès 1867, les règles de la Chambre des communes permettaient de poser des questions écrites au gouvernement182. La règle d’alors, qui était pratiquement identique à l’actuel article 39(1) du Règlement, précisait que les questions peuvent être adressées aux députés comme aux ministres, mais on constate que les questions ont été dès le début adressées uniquement aux ministres183. Cet usage, qui s’est maintenu jusqu’à aujourd’hui, et les ajouts occasionnels au Règlement qui traitent de la façon de répondre aux questions inscrites au Feuilleton semblent supposer que ces questions s’adressent à des ministres184.
Le mécanisme exact par lequel le gouvernement répond aux questions écrites au cours des séances quotidiennes de la Chambre a évolué au fil des ans. Entre 1867 et 1975, la rubrique « Questions inscrites au Feuilleton » n’était pas nécessairement appelée au cours de chaque séance pour deux raisons. Tout d’abord, à une certaine époque, la rubrique avait préséance sur l’Ordre du jour certains jours de la semaine seulement ; les autres jours, la Chambre ne se rendait généralement pas à cette rubrique. Plus tard, les règles ne prévoyaient l’appel de cette rubrique que certains jours, comme le lundi et le mercredi. Après 1975, à la suite d’un changement aux règles, la Chambre parvenait quotidiennement à cette rubrique ; de fait, c’était le premier point à l’ordre du jour chaque jour après les Affaires courantes et avant l’appel de l’Ordre du jour185. En juin 1987, on a modifié le Règlement pour ajouter les « Questions inscrites au Feuilleton » à la liste des questions étudiées durant les Affaires courantes186.
Entre 1867 et 1896, lorsqu’une question écrite était mise en délibération, le député qui l’avait fait inscrire au Feuilleton se levait pour la lire et le ministre responsable donnait ensuite une réponse ; aucune question supplémentaire n’était permise. L’échange était imprimé au complet dans les Débats187. Toute question mise en délibération et restant sans réponse était automatiquement rayée du Feuilleton et le député devait la faire inscrire de nouveau s’il souhaitait toujours obtenir une réponse188.
En 1896, la pratique a été modifiée afin de raccourcir la période de temps consacrée à l’étude des questions écrites. Un numéro était attribué à chaque question écrite pour que le député n’ait plus à lire la question au complet lorsqu’elle était appelée189. En 1906, pour écourter le temps consacré à la lecture des longues réponses à la Chambre, une modification a été apportée afin que les questions écrites nécessitant de longues réponses puissent être reportées sans débat à une autre rubrique du Feuilleton comme avis de motion190. À l’époque, les questions qui avaient été mises en délibération, mais auxquelles on n’avait pas répondu pouvaient, à la demande du gouvernement et avec le consentement des députés concernés, demeurer inscrites au Feuilleton et y garder leur rang plutôt que d’en être automatiquement rayées191. En 1910, les règles ont été modifiées afin de permettre aux ministres de faire paraître leurs réponses dans les Débats comme si elles avaient été lues à la Chambre ; les députés qui souhaitaient obtenir une réponse orale à une question écrite pouvaient le faire en marquant leurs questions d’un astérisque. En outre, une nouvelle règle permettait au gouvernement de déposer des réponses longues ou détaillées plutôt que d’en faire la lecture. Ces réponses ont été appelées « ordres de dépôt de documents192 ». Dans la plupart des cas, les documents étaient déposés immédiatement après l’adoption de l’ordre. Ces réponses devenaient des documents parlementaires et n’étaient pas imprimées dans les Débats.
La façon de répondre aux questions écrites a relativement peu changé jusqu’en 1963, lorsque le processus a été une autre fois amélioré afin de permettre à la Chambre d’examiner précisément les questions pour lesquelles le gouvernement était prêt à répondre publiquement. La Chambre pouvait dorénavant examiner seulement les questions auxquelles le gouvernement répondrait ce jour-là, plutôt que de procéder à l’appel de toutes les questions écrites inscrites au Feuilleton. Une fois que cela était fait, le gouvernement demandait que toutes les autres questions demeurent inscrites au Feuilleton193. En 1986, la Chambre a convenu de limiter à quatre le nombre de questions que chaque député pouvait faire inscrire au Feuilleton en même temps194, dont trois pouvaient être marquées d’un astérisque pour qu’elles fassent l’objet de réponses orales195. En même temps, cela a codifié le droit des députés d’exiger une réponse à une question écrite dans les 45 jours civils suivant son inscription au Feuilleton196. En 1991, les règles ont de nouveau été modifiées afin de permettre aux députés dont les questions étaient demeurées sans réponse après le délai de 45 jours de soulever ce sujet au moment du Débat d’ajournement197. En 2001, on a de nouveau modifié les règles afin que l’absence de réponse de la part du gouvernement soit renvoyée au comité permanent concerné à l’expiration du délai de 45 jours198.
Lignes directrices sur les questions écrites
En général, les questions écrites sont assez longues, comportent souvent plusieurs paragraphes et visent à obtenir des renseignements détaillés ou techniques d’un ou de plusieurs ministres ou organismes gouvernementaux. Ce sont à la fois les règles199 et les coutumes de la Chambre qui régissent la forme et le contenu des questions écrites. Plusieurs lignes directrices et restrictions remontent à la Confédération. Au fil des ans et à la suite de décisions de la présidence, la liste des restrictions énumérées dans des ouvrages de procédure s’est considérablement allongée200, alors que d’autres restrictions sont devenues désuètes ou inopérantes. Mis à part une déclaration du Président en 1965 dans laquelle il indiquait que certaines restrictions ne s’appliquaient plus, il n’existe aucune analyse définitive indiquant lesquelles sont toujours valables201. Ainsi, c’est le Greffier qui est devenu dans une très grande mesure responsable de la recevabilité des questions écrites.
Le Greffier, qui agit au nom du Président, dispose de tous les pouvoirs nécessaires pour s’assurer que les questions inscrites au Feuilleton des avis respectent les règles et coutumes de la Chambre202. Pour ce faire, le Greffier applique une série de lignes directrices inspirées du Règlement et de l’usage relatif aux questions orales, dont les lignes directrices sont semblables. Ainsi, une question ne doit pas :
- traiter d’un sujet ne portant pas sur quelque affaire publique ;
- exprimer une opinion ou demander l’opinion du gouvernement ;
- fournir des renseignements à la Chambre ;
- être hypothétique ;
- demander des renseignements qu’on pourrait obtenir par l’entremise d’un avis de motion portant production de documents ;
- soulever des points sous la responsabilité d’autorités qui ne sont pas comptables au gouvernement ni au Parlement ;
- demander des renseignements secrets de nature, comme les décisions et les délibérations du Cabinet ou les avis donnés à la Couronne par des juristes ;
- chercher à obtenir d’un ancien ministre des renseignements au sujet de ce qui s’est passé pendant qu’il exerçait ses fonctions203.
Comme une question écrite vise à obtenir une réponse précise et détaillée, il incombe au député qui fait inscrire une question écrite « de veiller à ce qu’elle soit soigneusement formulée pour susciter les renseignements recherchés204 ». Les questions devant être cohérentes et concises, le Greffier peut ordonner qu’une question soit divisée en deux ou plusieurs questions s’il la juge trop vaste ou si elle contient des sous-questions sans rapport entre elles205. Si une question présente des irrégularités, le Greffier en informe le député qui peut alors la modifier avant de la faire inscrire au Feuilleton des avis206. Le greffier examine les questions écrites pour s’assurer de leur recevabilité sur le plan de la procédure, de leur exactitude grammaticale et orthographique ainsi que de l’uniformité entre les versions anglaise et française. Il n’appartient pas au Greffier de juger du bien-fondé d’une question ou de la capacité du gouvernement à y répondre207.
Retrait d’une question écrite
Un député peut retirer la question écrite qu’il a fait inscrire au Feuilleton en le demandant par écrit au Greffier de la Chambre. Il peut également, en séance, demander au Président de retirer la question208. Les questions inscrites au Feuilleton au nom d’un député qui n’est plus député sont également retirées209.
Les réponses
Les réponses aux questions écrites peuvent être présentées à chaque séance, durant les Affaires courantes, à la rubrique « Questions inscrites au Feuilleton210 ». Un député, habituellement le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre, se lève pour annoncer par leur numéro les questions auxquelles le gouvernement répondra ce jour-là211 ; le texte des questions et des réponses figure dans les Débats de ce jour-là. Ensuite, le secrétaire parlementaire fournit des réponses orales aux questions marquées d’un astérisque212. Normalement, le secrétaire parlementaire demande le consentement de la Chambre pour qu’il soit considéré que le gouvernement a répondu oralement à une question marquée d’un astérisque sans lire à haute voix le texte de la réponse213, et le texte de la question et de la réponse figure dans les Débats214. Le secrétaire parlementaire peut aussi demander le consentement de la Chambre pour déposer un document en réponse à une question ; cela s’appelle transformer une réponse en un ordre de dépôt de document215. Pour ce faire, le Président demande à la Chambre si elle est d’accord216. Si le gouvernement ne peut obtenir le consentement de la Chambre, il choisit soit de ne pas répondre à la question ce jour-là217, soit de demander à un ministre de déposer la réponse, étant donné qu’un ministre n’est pas tenu d’obtenir l’accord de la Chambre pour le faire. Enfin, le secrétaire parlementaire demandera que les autres questions auxquelles on n’a pas répondu demeurent inscrites au Feuilleton et y gardent leur rang. De telles demandes sont présentées et approuvées régulièrement218. Le Président a indiqué qu’étant donné que cette procédure est devenue automatique, la demande ne peut donner lieu à un débat219. Si le gouvernement ne répond à aucune question au cours d’une séance, un représentant du gouvernement, habituellement le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre, doit néanmoins demander que toutes les questions demeurent inscrites au Feuilleton.
Les lignes directrices sur la forme et le contenu des questions écrites s’appliquent également aux réponses fournies par le gouvernement. Aucun argument ou opinion ne doit être présenté et seule l’information nécessaire à la réponse doit être fournie afin que le processus demeure un échange de renseignements plutôt que de devenir une occasion de débat220. Comme c’est le cas pour les questions orales, le gouvernement peut, en réponse à une question écrite, indiquer à la Chambre qu’il ne peut y répondre221. Il est arrivé que le gouvernement fournisse des réponses supplémentaires ou révisées à des questions auxquelles il avait déjà répondu222. Le Président a jugé qu’il n’est pas acceptable pour le gouvernement d’indiquer dans une réponse à une question écrite le temps et les coûts liés à la préparation de la réponse223.
Aucune disposition du Règlement ne permet au Président de contrôler les réponses que le gouvernement donne aux questions. S’il est arrivé à plusieurs reprises que des députés soulèvent une question de privilège à la Chambre concernant l’exactitude des renseignements fournis en réponse à des questions écrites, la présidence n’a jamais jugé qu’il y avait de prime abord atteinte au privilège224. Le Président a jugé qu’il ne lui incombe pas de déterminer si le contenu des documents déposés à la Chambre est exact ou encore « de décider dans quelle mesure un député peut savoir ou non si les renseignements contenus dans un document sont exacts225 ».
Les questions restées sans réponse dans le délai de 45 jours civils
Lorsqu’un député donne avis d’une question, il demande habituellement que le gouvernement y réponde dans un délai de 45 jours, c’est-à-dire 45 jours civils après l’inscription de la question au Feuilleton226. Si une question écrite demeure sans réponse au bout de ce délai227, l’absence de réponse du gouvernement est réputée renvoyée à un comité permanent choisi par le député ayant fait inscrire la question228. L’affaire est désignée comme étant « renvoyée à un comité » dans le Feuilleton. Le président du comité doit alors convoquer une réunion dans les cinq jours de séance suivants, et le comité peut se pencher sur l’absence de réponse de la part du gouvernement et en faire rapport à la Chambre229. Toutefois, le comité n’est pas tenu de faire rapport à la Chambre ou de suivre une procédure particulière pour étudier l’affaire230. Il est arrivé que le secrétaire parlementaire du ministre chargé de déposer la réponse soit invité à comparaître devant un comité pour expliquer les raisons du retard231 ; des représentants de ministères ont aussi comparu232. Si la réponse à la question écrite a été déposée entre-temps ou si le comité a été avisé qu’elle le serait bientôt, l’affaire ne va habituellement pas plus loin233. La question demeure inscrite au Feuilleton comme étant « renvoyée à un comité », ce qui signifie que le député peut inscrire une question supplémentaire, en se limitant toutefois au maximum prescrit de quatre questions « non renvoyées » à la fois.
Si le député ne souhaite pas que la question soit renvoyée à un comité, il peut prendre la parole à la Chambre pendant les Affaires courantes, à la rubrique « Questions inscrites au Feuilleton », et donner avis de son intention de reporter le sujet de sa question au Débat d’ajournement234. On retire ensuite la question du Feuilleton et l’on raye l’ordre de renvoi à un comité. Cette procédure permet aussi au député de faire inscrire une question de plus au Feuilleton.
Même s’il existe, dans le Règlement, une disposition visant à renvoyer à un comité le défaut de réponse du gouvernement à une question écrite dans les 45 jours, rien n’oblige néanmoins le gouvernement à répondre dans ce délai. Les députés s’en sont souvent plaints à la Chambre, mais la présidence leur a toutefois répondu que le Règlement ne lui permettait pas d’ordonner au gouvernement de produire une réponse dans les 45 jours235.
Ordres de dépôt de documents
Dans certains cas, les questions longues et complexes qui exigent la collecte de renseignements auprès de plusieurs ministères ou dont les réponses sont fournies dans un format incompatible ou sont trop longues pour être publiées dans les Débats sont transformées en ordres de dépôt de documents (c’est-à-dire des documents qui doivent être fournis à la suite d’un ordre adopté par la Chambre). Même si la règle précise que c’est un ministre qui doit conclure que la réponse devrait prendre la forme d’un document et qui doit indiquer qu’il est prêt à déposer le document236, dans la pratique, c’est le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre qui en informe la Chambre. Le consentement de la Chambre est demandé et habituellement accordé237. Le document est alors déposé et devient un document parlementaire238. Tous les députés peuvent ainsi le consulter en s’adressant au Greffier, mais il n’est pas publié dans les Débats. Comme c’est le cas avec les réponses aux questions orales, le Président ne juge pas de la qualité ni de l’exactitude des documents déposés en réponse à des questions écrites ; par exemple, il n’est pas nécessaire que le document déposé réponde à toutes les parties de la question initiale239.
Les règles permettent également au Président de transformer une question écrite en avis de motion si le gouvernement le lui demande et s’il estime qu’une question nécessiterait une longue réponse240. Un tel avis de motion ne peut être pris en considération que pendant la période réservée aux Affaires émanant des députés. Cependant, cette règle n’a été invoquée qu’une seule fois241, et, dans une décision rendue en 1989, le Président Fraser a refusé de transformer une question écrite en avis de motion. En choisissant de ne pas donner suite à la demande du gouvernement, le Président a indiqué qu’il ne saurait :
donner effet, pour plusieurs raisons, aux dispositions du paragraphe du Règlement invoqué dans notre contexte actuel sans porter préjudice au droit des simples députés de contrôler pleinement leurs affaires en choisissant eux-mêmes la meilleure façon de rechercher l’information : soit en faisant inscrire des questions au Feuilleton, et peut-être en demandant que le gouvernement y réponde dans le délai de quarante-cinq (45) jours ; soit en présentant un avis de motion qui, s’il est choisi au tirage au sort, sera débattu au cours de l’étude des affaires émanant des députés242.
Le Président a signalé que la règle, adoptée par la Chambre en 1906, n’avait pas été utilisée pendant de nombreuses années et que son application des décennies plus tard irait à l’encontre des réformes qui avaient été apportées depuis à la procédure des questions écrites. Le Président a indiqué que, lorsque le gouvernement répond à une question écrite nécessitant une réponse longue ou détaillée, il peut la transformer en un ordre de dépôt de document, une pratique acceptable et fréquente. La présidence a également souligné que le gouvernement peut refuser de répondre à une question écrite tout en donnant, s’il le souhaite, la raison de ce refus. De la même façon, le gouvernement peut expliquer pourquoi la réponse ne peut être donnée dans le délai de 45 jours.
Incidences de la prorogation sur les questions écrites
La prorogation du Parlement élimine tout ce qui est inscrit au Feuilleton, annulant ainsi toute demande de renseignements sous la rubrique « Questions inscrites au Feuilleton ». Les députés qui souhaitent obtenir ces renseignements doivent présenter de nouveau leurs questions afin qu’elles soient examinées au cours de la nouvelle session243.