Si je ne me trompe, la procédure relative aux bills [projets de loi] d’intérêt privé vise à protéger le public contre l’octroi sans discrimination de pouvoirs spéciaux aux intérêts privés. À mon avis, cette interprétation est incontestable.
La distinction entre loi publique et loi privée nous vient de l’usage britannique1. Les projets de loi d’intérêt privé diffèrent des projets de loi d’intérêt public par leur objet, leur teneur et leur procédure d’adoption. Par définition, l’objet ou le but d’un projet de loi d’intérêt privé est de conférer à une ou plusieurs personnes, ou à un groupe de personnes, des pouvoirs ou avantages spéciaux, ou d’exclure de telles personnes de l’application générale d’un texte de loi. Habituellement, un projet de loi d’intérêt public porte sur une question d’intérêt public, est à l’avantage de la communauté dans son ensemble et est présenté directement par un député. Quant au projet de loi d’intérêt privé, il se rapporte directement aux affaires d’un particulier ou d’un groupe, notamment d’une société, qui est nommé dans le projet de loi ; il vise un but qui ne saurait être atteint au moyen d’une loi générale et il est fondé sur une pétition présentée par un particulier ou un groupe2.
Il ne faut pas confondre les projets de loi d’intérêt privé avec les projets de loi émanant des députés. Les projets de loi d’intérêt privé sont parrainés par de simples députés, mais l’expression « projets de loi émanant des députés » désigne les projets de loi d’intérêt public portant sur une question d’intérêt public et qui sont présentés par des députés ne faisant pas partie du Cabinet.
Les projets de loi d’intérêt privé sont assujettis à certaines règles spéciales dans les deux chambres du Parlement. Comme ces projets de loi demandent au Parlement de se prononcer sur les intérêts de particuliers tout en surveillant les intérêts du public, on dit qu’ils obligent le Parlement à remplir une fonction à la fois judiciaire et législative :
Le Parlement, en passant des bills privés, ne cesse point d’exercer ses fonctions législatives, mais en même temps ces dernières participent jusqu’à un certain degré du caractère judiciaire ; en pareil cas, les parties intéressées sont de véritables demandeurs ; tandis que, d’un autre côté, les individus qui craignent d’être lésés dans leurs droits comparaissent comme défendeurs en la cause. Les formalités en usage dans les tribunaux sont en grande partie observées lorsqu’il s’agit de l’examen des bills privés ; certaines conditions sont exigées, et les intéressés à la passation du bill sont tenus d’en prouver l’accomplissement ; puis s’ils l’abandonnent, et qu’il ne se trouve plus personne d’autre pour le mener à terme, il tombe, quelqu’important qu’il puisse paraître aux yeux de la Chambre3.
Les projets de loi d’intérêt privé peuvent être présentés soit à la Chambre des communes soit au Sénat, bien que la plupart sont présentés au Sénat, où les droits et les frais imposés au promoteur sont moins élevés4. Les projets de loi d’intérêt privé doivent franchir les étapes communes à toutes les mesures législatives ; ils doivent aussi satisfaire à certaines conditions parlementaires qui les distinguent, sur le plan de la procédure, de tous les autres types de projets de loi.
En ce qui concerne ses origines, règles et principes, la procédure des projets de loi d’intérêt privé est unique et a très peu changé depuis 1867. Relativement rares de nos jours, les projets de loi d’intérêt privé ont déjà constitué une partie importante des travaux législatifs de la Chambre. Au début de la Confédération, la Chambre a étudié un grand nombre de projets de loi d’intérêt privé visant à établir des compagnies pour construire et exploiter les chemins de fer et à constituer en personne morale des compagnies interprovinciales, puisque c’était là le seul moyen légal de procéder à la formation de ces sociétés. Les projets de loi d’intérêt privé demandant la dissolution des mariages occupaient aussi une grande partie du temps de la Chambre, car le Parlement détenait la compétence législative exclusive en matière de mariage et de divorce.
De nos jours, la législation d’intérêt privé ne représente qu’un infime pourcentage des travaux de la Chambre5. La plupart des projets de loi d’intérêt privé traitent maintenant de la constitution en personne morale — ou de modifications à des lois constitutives — d’organismes religieux, de charité ou d’autres types, et de compagnies d’assurances, de fiducie et de prêt6. Au cours des dernières années, on a eu recours aux projets de loi d’intérêt privé pour la fusion de compagnies d’assurances et la reconstitution de petites sociétés commerciales qui avaient été dissoutes7. Diverses raisons expliquent la diminution du nombre de projets de loi d’intérêt privé. Principalement, cela est en grande partie attribuable aux changements apportés aux lois d’application générale, comme la Loi sur la dissolution et l’annulation du mariage en 19638 et la Loi sur le mariage (degrés prohibés) en 19909, ainsi qu’aux mécanismes administratifs qu’on trouve maintenant dans des lois comme la Loi sur la Corporation commerciale canadienne10, la Loi sur les corporations canadiennes11 et la Loi sur les banques12.
Depuis, quelques modifications ont été apportées aux règles régissant les projets de loi d’intérêt privé. En juin 1994, la Chambre a levé l’obligation de présenter les pétitions introductives de projets de loi d’intérêt privé dans les six premières semaines d’une session et de présenter les projets de loi eux-mêmes dans les deux semaines suivant un rapport favorable sur la pétition les concernant13. En juin 2005, par le truchement d’une modification à l’article 108(3)a)(iv) du Règlement, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre s’est vu confier le mandat d’examiner les affaires relatives aux projets de loi d’intérêt privé14.
Dans ce chapitre, on expliquera en termes généraux les divers types de projets de loi qui sont jugés d’intérêt privé, on décrira les principes à la base de la procédure d’adoption et la façon dont ils sont appliqués, et on donnera un aperçu des particularités du processus législatif suivi à la Chambre des communes15.
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