Recueil de décisions du Président Andrew Scheer 2011 - 2015

Les comités / Travaux des comités

Question préalable irrecevable en comité ; appel à la décision de la présidence

Débats, p. 12179–12180

Contexte

Le 27 février 2015, Peter Julian (Burnaby—New Westminster) invoque le Règlement au sujet des délibérations du Comité permanent de la sécurité publique et nationale lors de sa réunion du 26 février 2015 sur le projet de loi C-51, Loi édictant la Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, modifiant le Code criminel, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois. Lors de cette réunion, la question préalable mettant un terme au débat a été proposée et jugée irrecevable par le président du Comité. Un appel à la décision s’est ensuivi et la décision du président est renversée, causant l’adoption de ladite motion et la fin du débat[1]. M. Julian affirme qu’on ne peut proposer cette motion irrecevable en comité et ainsi faire fi du Règlement, ni infirmer une décision du président prise en conformité avec celui-ci. Il soutient également qu’on ne peut couper court à tout débat et que le Comité doit le poursuivre jusqu’à ce que tous les intervenants désireux de s’exprimer aient pu le faire. Un autre député intervient sur la question. En réponse, Peter Van Loan (leader du gouvernement à la Chambre des communes) fait valoir que face à une situation d’obstruction systématique, le Comité, étant maître de ses propres délibérations, était libre de prendre ses propres décisions et d’annuler la décision du président. Il avance qu’en l’absence d’un rapport du Comité sur les évènements survenus, une intervention du Président irait à l’encontre des pratiques de la Chambre. Le Vice-président (Joe Comartin) prend la question en délibéré[2].

Résolution

Le 23 mars 2015, le Président rend sa décision. Il rappelle que les travaux des comités ont comme caractéristiques fondamentales la souplesse et la fluidité, dans le but de favoriser la coopération entre les membres du comité afin qu’ils puissent trouver leurs propres solutions aux problèmes qui surgissent. Bien qu’il reconnaisse que ces caractéristiques ne doivent pas être utilisées afin de contourner les règles, il précise qu’il n’est pas non plus souhaitable que les travaux des comités se trouvent paralysés par des manœuvres procédurales.

Il souligne ensuite la réticence de la présidence à intervenir dans les travaux des comités étant donné qu’ils sont libres de déterminer eux-mêmes la façon dont ils mènent leurs travaux. Pour cette raison, il indique que la présidence doit s’abstenir d’intervenir à moins que le Comité demande formellement au Président de s’y ingérer par l’entremise d’un rapport. En l’absence d’un tel rapport et selon les circonstances, il conclut qu’il ne peut intervenir et que le Comité conserve sa compétence exclusive sur la conduite de ses travaux, mais rappelle que le Règlement prévoit des avenues pour les situations où les parties ne parviennent pas à s’entendre.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé par le leader à la Chambre de l’Opposition officielle concernant les faits qui se sont produits au Comité permanent de la sécurité publique et nationale le 26 février 2015.

Je remercie le leader à la Chambre de l’Opposition officielle d’avoir soulevé la question, ainsi que le leader du gouvernement à la Chambre des communes et le député de Winnipeg-Nord de leurs observations.

Voici comment le leader à la Chambre de l’Opposition officielle a décrit la séquence des faits. Le député de Northumberland—Quinte West a proposé la question préalable pendant un débat sur un sous-amendement à la motion visant à établir le calendrier des séances pour l’étude du projet de loi C-51, Loi antiterroriste de 2015, et le président du Comité permanent de la sécurité publique et nationale a estimé que la motion sur la question préalable était irrecevable. La décision a été contestée, puis annulée par un vote des membres du Comité. Résultat : une motion irrecevable a été adoptée et a mis fin au débat. Le leader à la Chambre de l’Opposition officielle estime que cette façon de faire est inacceptable, car les règles, les pratiques et les précédents parlementaires n’ont aucunement été pris en considération.

Le leader du gouvernement à la Chambre donne une version des faits quelque peu différente. Il soutient que le député de Northumberland—Quinte West a demandé au président de mettre la question aux voix pour mettre fin à de l’obstruction systématique, car certains membres du Comité ne cessaient de se répéter et manquaient de pertinence. En outre, le leader du gouvernement à la Chambre a souligné que, en vertu des règles de la Chambre, les membres avaient le droit d’annuler la décision du président. Il a également soutenu que les délibérations du Comité permanent de la sécurité publique et nationale devaient continuer de relever exclusivement de celui-ci tant qu’il n’aura pas décidé de faire rapport de l’affaire à la Chambre, étant donné que les comités sont maîtres de leurs travaux et que les Présidents ont toujours été réticents à s’ingérer dans les affaires d’un comité en l’absence d’un rapport de celui-ci.

Il n’est pas rare que des questions portant sur les travaux des comités soient soulevées à la Chambre lorsque les députés, pour une raison ou une autre, ont l’impression qu’il n’y a aucun autre recours. Il va sans dire que les versions des faits sont souvent passablement différentes.

Dans la présente affaire, la présidence est préoccupée par le fait qu’on laisse entendre que les délibérations du 26 février auraient pu compromettre les travaux du Comité et qu’aucune solution jugée acceptable n’a été trouvée, et ce, même si les deux parties ont affirmé qu’elles souhaitaient que le Comité passe à l’étude du projet de loi C-51.

Les travaux des comités admettent une souplesse et une fluidité considérables, et il s’agit là d’un avantage substantiel. En fait, c’est l’une des caractéristiques fondamentales du mode de fonctionnement des comités : cette souplesse facilite et favorise la coopération et elle permet aux membres des comités de trouver leurs propres solutions. Il ne faut toutefois pas se servir de cette marge de manœuvre pour contourner sciemment les règles et les usages.

Voici ce que le Vice-président de l’époque a souligné le 3 juin 2003, à la page 6775 des Débats :

J’ai dit que la Chambre accorde une grande liberté aux comités. Toutefois, bien que les comités aient le droit de mener leurs travaux d’une manière qui facilite leurs délibérations, ils ont en même temps la responsabilité de veiller à l’observation des règles et procédures nécessaires et au respect des droits des députés et du public canadien.

Autre point tout aussi important, il a toujours été admis qu’il n’est pas non plus souhaitable que les travaux des comités soient paralysés par des manœuvres procédurales.

Le travail des comités constitue un élément central du processus législatif. Pour qu’il conserve son intégrité, les députés doivent garder à l’esprit que les règles qui régissent les délibérations sont importantes. C’est pour aider et protéger les députés dans l’exercice de leurs fonctions, tant à la Chambre qu’en comité, que la Chambre a adopté ces règles.

Il serait peut-être utile dans les circonstances de rappeler à la Chambre le principe sous-jacent énoncé à la page 250 de l’ouvrage d’O’Brien et Bosc :

[…] la procédure parlementaire vise à établir un équilibre entre la volonté du gouvernement de faire approuver ses mesures par la Chambre, et la responsabilité de l’opposition d’en débattre sans paralyser complètement le déroulement des travaux.

Comment le Président doit-il trancher lorsqu’une telle situation survient dans un comité? Comme on l’a mentionné, il est écrit ceci à la page 1046 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition :

[...] la présidence est réticente à intervenir dans les affaires internes d’un comité, à moins que le comité en ait fait rapport préalablement à la Chambre.

Il en est ainsi parce que les comités sont libres de déterminer eux-mêmes la manière dont ils mènent leurs travaux. Pour cette raison, on dit souvent des comités qu’ils sont « maîtres de leurs délibérations ». C’est pourquoi l’on dit que les affaires qui surviennent en comité qui nécessitent l’attention de la Chambre doivent être soulevées au moyen d’un rapport établi par le comité lui-même. Ce n’est pas seulement une considération d’ordre technique, mais bien une indication de l’étendue et de l’importance des pouvoirs délégués aux comités par la Chambre.

Depuis longtemps, l’approche adoptée par la présidence dans les affaires portées à son attention se fonde sur le respect du pouvoir qu’ont les comités d’administrer leurs propres affaires, même en temps difficiles. Cela signifie que la présidence doit s’abstenir d’intervenir tant que le comité lui-même ne l’a pas formellement invitée à le faire au moyen d’un rapport sur une affaire donnée. Les Présidents ont toujours veillé à respecter ce partage des pouvoirs.

Le 10 juin 2010, le Président Miliken a déclaré ce qui suit, à la page 3678 des Débats :

En effet, à de multiples occasions, les Présidents ont réitéré la règle d’or selon laquelle les comités sont maîtres de leurs propres travaux et que toute prétendue irrégularité survenant en comité ne peut être examinée par la Chambre qu’après la réception d’un rapport du comité en cause. Les exceptions à cette règle sont extrêmement rares.

Le 13 mars 2012, j’ai déclaré ce qui suit en ma qualité de Président, à la page 6199 des Débats :

Sans rapport du Comité, il n’y a pas grand-chose que la présidence puisse faire en l’occurrence. Cependant, si le Comité communique un rapport à la Chambre, elle étudiera la question.

Puis, le 5 juin 2012, j’ai déclaré ceci, à la page 8860 des Débats :

Toutefois, il appartient au comité de se pencher sur toute violation du protocole ou des règles pouvant se produire dans une séance. […] Si un rapport est présenté dans cette enceinte, la présidence pourra alors se pencher sur la question.

Cela ne veut pas dire pour autant que la présidence soit privée du choix d’intervenir dans les affaires des comités, mais il s’agit plutôt de reconnaître que de telles interventions sont extrêmement rares et ne sont justifiables qu’advenant des circonstances procédurales, et non politiques, très exceptionnelles. Par exemple, dans une décision rendue le 20 juin 1994, pages 5582 à 5584 des Débats, le Président Parent est intervenu dans les affaires d’un comité au sujet de deux projets de loi ayant fait l’objet d’un rapport à la Chambre lorsque le comité avait porté atteinte au droit fondamental de la Chambre de déterminer de la composition des comités et ainsi outrepassé ses pouvoirs.

Le 24 juillet 1969, le Président Lamoureux a déclaré, à la page 4183 des Débats :

Des députés veulent que la présidence […] substitu[e] son jugement à celui de certains députés. Puis-je agir ainsi tout en respectant la tradition au Canada […] selon laquelle l’Orateur n’est pas le maître de la Chambre? L’Orateur est un serviteur de la Chambre. On veut peut-être faire de moi le maître de la Chambre aujourd’hui, mais si demain, en d’autres circonstances, je cherchais à me prévaloir de ce privilège, on changerait peut-être alors d’avis. […] Je deviendrais un héros, je suppose, si je prenais sur moi de juger des situations politiques comme celle-ci et de substituer mon jugement à celui de certains députés […] [Mais] [c]e n’est pas là, je pense, le rôle d’un Orateur dans notre régime de gouvernement.

Compte tenu de l’usage solidement établi dans le Règlement des différends de ce genre, la présidence ne peut conclure en l’espèce à l’existence de motifs justifiant qu’elle se substitue au pouvoir du Comité en s’ingérant dans ses délibérations sur cette affaire tant que celui-ci n’aura pas jugé bon d’en faire lui-même rapport à la Chambre.

Par conséquent, d’ici à ce que le Comité permanent de la sécurité publique et nationale décide de faire rapport de cette affaire à la Chambre, il conserve la compétence exclusive en ce qui concerne la conduite de ses délibérations.

Avant de terminer, je me dois de signaler que le Règlement, dans sa forme actuelle, prévoit des moyens pour les cas où les parties ne parviennent pas à s’entendre dans des circonstances comme celles dont la Chambre est saisie en l’espèce.

Je remercie les honorables députés de leur attention.

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[1] Comité permanent de la sécurité publique et nationale, Témoignages, 26 février 2015, réunion n°51, p. 44–5.

[2] Débats, 27 février 2015, p. 11777–11779, 11800–11804, 9 mars 2015, p. 11856–11857, 10 mars 2015, p. 11951.

Pour des questions au sujet de la procédure parlementaire, communiquez avec la Direction des recherches pour le Bureau

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