Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Outrage à la Chambre : divulgation d’information sur un projet de loi avant sa présentation à la Chambre

Débats, p. 12320.

Contexte

Le 17 mai 2017, Kelly Block (Sentier Carlton—Eagle Creek) soulève une question de privilège concernant la divulgation prématurée alléguée de la teneur du projet de loi C-49, Loi apportant des modifications à la Loi sur les transports au Canada et à d’autres lois concernant les transports ainsi que des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois. Elle soutient que le gouvernement a dévoilé aux médias certains détails tirés du projet de loi avant la présentation de celui-ci à la Chambre. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend la question en délibéré[1]. Le 31 mai 2017, Kevin Lamoureux (secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre) fait valoir que le gouvernement a simplement mené de vastes consultations sur l’examen de la Loi sur les transports au Canada avant la présentation de la mesure législative à la Chambre. Le Président reprend la question en délibéré[2].

Résolution

Le 8 juin 2017, le Président rend sa décision. Il explique que, même si le droit de la Chambre de prendre connaissance en premier des mesures législatives fait partie des plus anciennes conventions, il doit néanmoins s’arrimer à la nécessité, pour le gouvernement, de mener de vastes consultations sur les mesures législatives proposées. Soulignant l’usage de longue date qui consiste à croire les députés sur parole, le Président s’est dit prêt à accepter les assurances données par le gouvernement selon lesquelles il n’a pas donné de détails sur le projet de loi avant sa présentation à la Chambre. En l’absence de preuve démontrant que l’on a empêché les députés d’exercer leurs fonctions parlementaires, le Président décide qu’il n’y a pas, de prime abord, atteinte au privilège.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à me prononcer sur la question de privilège soulevée le 17 mai 2017 par l’honorable députée de Carlton Trail—Eagle Creek au sujet de l’allégation de divulgation prématurée du contenu du projet de loi C-49, Loi apportant des modifications à la Loi sur les transports au Canada et à d’autres lois concernant les transports ainsi que des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.

Je remercie l’honorable députée de Sentier Carlton—Eagle Creek d’avoir soulevé la question, ainsi que le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes et l’honorable député d’Elmwood—Transcona de leurs observations.

Dans ses observations, la députée de Carlton Trail—Eagle Creek a souligné que des détails précis tirés du projet de loi C-49 avaient été dévoilés dans les médias avant que ce projet de loi soit présenté à la Chambre. Elle a comparé ce qui a été dévoilé dans plusieurs reportages le lundi 15 mai 2017 avec le contenu du projet de loi C-49, lequel a été présenté à la Chambre le mardi 16 mai 2017, et elle a allégué que l’exigence de confidentialité — selon laquelle les projets de loi doivent d’abord être présentés à la Chambre — n’a tout simplement pas été respectée et qu’on avait donc porté atteinte aux privilèges des députés.

Selon la députée, il ne s’agissait pas d’une simple fuite accidentelle; cela découlerait plutôt d’une pratique systémique consistant à fournir de l’information aux médias avant la présentation de la mesure législative.

Pour sa part, le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre a affirmé que le gouvernement n’a divulgué aucun détail du projet de loi C-49 de façon prématurée, mais qu’il avait tenu de vastes consultations sur l’examen de la Loi sur les transports au Canada, ce qui est sa prérogative. Il a ajouté que le ministre et son personnel sont bien au fait des exigences de confidentialité et qu’ils ont refusé de faire quelque commentaire que ce soit sur des détails précis du projet de loi lorsque les médias les ont interrogés à ce sujet.

Le droit de la Chambre de prendre connaissance en premier des mesures législatives est l’une de nos plus vieilles conventions. Il faut toutefois que ce droit s’arrime à la nécessité, pour le gouvernement, de mener, avant l’élaboration des mesures législatives, de vastes consultations auprès du public et des intéressés sur diverses questions et politiques. Voici ce que le Président Parent a expliqué le 21 février 2000, à la page 3767 des Débats :

Les députés devraient toujours être les premiers à examiner les projets de loi après leur présentation et leur première lecture, mais en appliquant cette règle, il faut tenir compte du fait que le gouvernement doit consulter des spécialistes et le public lorsqu’il élabore ses propositions législatives.

Dans une décision qu’il a rendue le 1er novembre 2006 sur une question semblable, le Président Milliken a conclu que le gouvernement n’avait pas divulgué de renseignements confidentiels sur le projet de loi ni divulgué le projet de loi même, mais qu’il avait plutôt procédé à des consultations avant de finaliser le texte de la loi en question. Il a également expliqué ce qui suit, à la page 4540 des Débats de la Chambre des communes :

[…] le point de procédure central est le suivant : dès qu’il est donné avis d’un projet de loi, celui-ci doit demeurer confidentiel jusqu’à son dépôt à la Chambre.

En soulignant cette nuance importante, il a établi que consultation et confidentialité pouvaient coexister, mais il a également bien saisi la distinction entre les deux.

Dans le cas qui nous occupe, la présidence doit déterminer si l’information diffusée par divers médias avant le dépôt à la Chambre du projet de loi C-49 est suffisamment détaillée pour prouver qu’il y a eu divulgation du contenu du projet de loi et donc atteinte, à première vue, aux privilèges des députés. Après avoir examiné le projet de loi et constaté les similitudes évidentes entre celui-ci et les renseignements véhiculés par les médias, la présidence reconnaît la gravité de la question soulevée.

Le 19 avril 2016, je me suis prononcé sur une question de privilège semblable et j’ai conclu qu’il y avait, à première vue, matière à question de privilège relativement à la divulgation prématurée du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois pour ce qui est de l’aide médicale à mourir. Dans cette affaire, le gouvernement avait reconnu la divulgation prématurée du projet de loi tout en assurant à la Chambre qu’il ne l’avait pas autorisée et que la situation ne se reproduirait pas. En d’autres mots, tous s’accordaient sur les faits.

Ce n’est pas le cas en l’espèce. Le secrétaire parlementaire a déclaré à la Chambre que le gouvernement n’avait pas communiqué le projet de loi avant son dépôt à la Chambre, mais il a reconnu qu’il avait procédé à de vastes consultations. Par ailleurs, la présidence n’est pas non plus saisie d’une affaire où les médias ont eu droit à une séance d’information formelle, mais pas les députés.

Enfin, l’usage de longue date veut que l’on croie les députés sur parole, et la présidence, vu les circonstances de la présente affaire, est prête à accepter l’explication du secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes.

En l’absence de preuve montrant qu’on a empêché les députés d’exercer leurs fonctions parlementaires en raison de la divulgation prématurée du projet de loi en tant que tel, je ne peux conclure qu’il y a, à première vue, atteinte aux privilèges en l’espèce.

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[1] Débats, 17 mai 2017, p. 11325–11327.

[2] Débats, 31 mai 2017, p. 11763–11764.