Le processus décisionnel / Motions et amendements

Motion : motion émanant du gouvernement portant suspension de divers articles du Règlement; recevabilité

Débats, p. 76-78

Contexte

Le 14 décembre 1988, l’hon. Herb Gray (Windsor-Ouest) invoque le Règlement au sujet de la recevabilité d’une motion émanant du gouvernement visant à suspendre l’application de divers articles du Règlement relatifs aux heures et aux jours de séance, au débat sur la motion d’ajournement et à l’étape de l’étude en comité de projets de loi d’intérêt public. Il fait valoir que la motion ne devrait pas être admise parce qu’elle viendrait s’opposer à la récente réforme du Règlement en prolongeant les heures de séance, en ajoutant des jours de séance au calendrier parlementaire fixe établi et en prévoyant l’étude de tous les projets de loi en comité plénier plutôt qu’en comité législatif. Il soutient qu’il s’agit d’une situation potentielle d’abus du pouvoir de la majorité du fait que cette motion concerne tous les projets de loi d’intérêt public et pourrait prendre effet pour toute la durée de la session. D’autres députés prennent également part à la discussion[1]. Le 15 décembre 1988, le Président rend une décision qui traite également d’un autre rappel au Règlement. Les passages relatifs au rappel au Règlement de M. Gray sont reproduits ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président : Les députés se rappellent que, hier, j’ai entendu des exposés sur la motion qui est la première mesure d’initiative ministérielle inscrite au Feuilleton. Les interventions ont porté sur deux questions importantes, et je suis maintenant prêt à me prononcer sur ces deux questions.

À l’appel de l’ordre du jour, hier, le 14 décembre 1988, l’honorable ministre d’État, Conseil du Trésor (l’hon. Doug Lewis) a proposé de présenter la motion inscrite au Feuilleton sous le numéro 1 des [Ordres] émanant du gouvernement. Si cette motion était présentée, débattue et adoptée par la Chambre, elle aurait pour effet de suspendre l’application de divers articles du Règlement relatifs aux heures et aux jours de séance, au débat sur la motion d’ajournement et à l’étape de l’étude en comité des projets de loi d’intérêt public.

Le député de Windsor-Ouest et le député de Kamloops (M. Nelson Riis) ont invoqué le Règlement, à ce moment, pour s’opposer à la motion proposée, soutenant qu’elle n’était pas acceptable sur le plan de la procédure. Ils ont fait valoir, avec d’autres députés, que la motion ne devrait pas être admise, parce qu’elle viendrait s’opposer à la récente réforme du Règlement en prolongeant les heures de séance et en ajoutant des jours de séance au calendrier parlementaire fixe établi récemment. Ils ont également prétendu qu’en prévoyant l’étude de tous les projets de loi en comité plénier, plutôt qu’en comité législatif, cette motion irait aussi à l’encontre de réformes récentes et empêcherait l’audition de témoins à l’étape de l’étude en comité.

On a également fait valoir qu’il s’agissait d’une situation potentielle d’abus du pouvoir de la majorité du fait que cette motion concernait tous les projets de loi d’intérêt public et pouvait prendre effet pour toute la durée de la session. […]

Hier soir et ce matin, j’ai examiné avec le plus grand soin les arguments présentés et j’ai consulté divers précédents et autorités; je suis maintenant prêt à rendre une décision.

Qu’on me permette d’examiner d’abord les divers points soulevés au sujet de la recevabilité de la motion. Dans son rappel au Règlement, le député de Windsor-Ouest s’est reporté à une décision que j’ai rendue au cours de la 33e législature, soit le 13 juin 1988, et qui est rapportée dans le Hansard de cette date à la page 16376. J’espère que la Chambre souffrira que je cite ce qui constitue, à mon sens, l’essentiel de cette décision à l’intention des députés qui n’étaient pas alors parmi nous, ainsi que les téléspectateurs qui suivent nos délibérations. La principale question dont la présidence était saisie à l’époque était la suivante : le gouvernement peut-il présenter une motion visant à suspendre l’application des dispositions du Règlement. Je me suis exprimé en ces termes :

Pour répondre à cette question, il nous faut d’abord consulter les autorités canadiennes.
Premièrement, le Règlement actuel de la Chambre envisage au moins la possibilité de le faire à [l’article] 56(1)o) [devenu depuis l’article 67(1)o)]. D’après cet [article], les motions portant suspension de dispositions du Règlement peuvent faire l’objet d’un débat. Le Règlement ne donne pas de précisions sur la manière dont de telles motions peuvent être adoptées, mais il est sûr qu’elles sont soumises aux dispositions du Règlement concernant l’avis, le débat et les amendements.

Deuxièmement, le commentaire 21 de Beauchesne, cinquième édition, traite d’une façon générale des règles de procédure. Il est ainsi libellé :

Parmi les privilèges dont est investie la Chambre dans son ensemble, aucun n’est plus capital que celui de se fixer à elle-même des règles de procédure et de les appliquer. Sans doute certaines de ces règles figurent-elles à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, mais dans l’immense majorité des cas elles sont constituées par des résolutions de la Chambre qu’il est loisible à celle-ci, à sa diligence, de développer, de modifier ou de rapporter. Il s’ensuit que la Chambre peut passer outre à toutes les prescriptions nées des règles, en toutes circonstances par voie de consentement unanime ou, à l’occasion et par voie de motion, en suspendre l’application pour un temps donné.

Le commentaire 9 de Beauchesne, cinquième édition, nous donne d’autres précisions. Il dit, en effet :

La Chambre vote toutes les règles à la majorité simple […]

La quatrième édition de Beauchesne apporte les précisions suivantes sur le Règlement au commentaire 10 :

Le Règlement peut être suspendu dans un cas d’espèce sans que cela porte atteinte à sa validité, car la Chambre a le pouvoir de supprimer les barrières et les entraves qu’elle s’impose à elle-même par son propre règlement. Elle peut même adopter une motion prescrivant une ligne de conduite incompatible avec le Règlement. […] Une motion de suspension provisoire exige un avis, mais, dans les cas urgents, elle peut se dispenser de cet avis. Toute modification de la procédure régulière peut être mise en vigueur par simple résolution. Voilà un des traits caractéristiques de la procédure britannique, qui n’a pas peu contribué à la souplesse de notre système parlementaire.

De plus, le Règlement a déjà été suspendu plusieurs fois à la Chambre des communes, comme on le voit dans les Journaux du 16 mars 1883, du 1er juin 1898, du 8 avril 1948, du 24 avril 1961 et du 14 mai 1964. Les autorités et notre pratique permettent toutes les deux que le Règlement soit suspendu ou modifié par voie de motion après avis.

Bien des députés ont demandé au Président de trancher cette question en s’appuyant sur l’article 1 du Règlement et sur la pratique parlementaire traditionnelle d’autres gouvernements, lorsqu’elle s’applique.

[…] le commentaire qui figure à la page 212 de la vingtième édition de May mérite d’être répété. Le voici :

Le Règlement n’est pas protégé par une procédure spéciale contre des amendements, des annulations ou des suspensions, que ce soit de façon explicite ou par le truchement d’un ordre contraire à son objet. Il suffit de donner un préavis ordinaire pour la motion nécessaire; et certains règlements prévoient la suspension de leurs propres dispositions par un simple vote, sans amendement ni débat.

La présidence a étudié aussi les commentaires de J. A. Pettifer sur la pratique australienne dans House of Representatives Practice. Il est évident que la Chambre australienne se prononce régulièrement sur ce genre de motions. Son Règlement prévoit expressément une suspension d’application sur préavis. Ces motions peuvent être discutées et amendées et faire l’objet d’un vote à la majorité des voix exprimées. La présidence est peu encline à s’appuyer sur cet usage parce qu’en Australie cet usage se fonde sur un article exprès du Règlement. Mais il fait voir que la suspension d’application du Règlement n’est pas inconnue des autres Chambres du Commonwealth.

Ici se termine l’extrait de ma décision antérieure. J’examinerai maintenant les deux nouvelles objections majeures soulevées par le député de Windsor­Ouest.

Le député a certes tout à fait raison de dire qu’il s’agit d’une motion différente dans la mesure où elle suspend l’application de l’article 78, qui concerne les comités législatifs. La motion du 13 juin suspendait aussi l’application de l’article 10 du Règlement, qui est devenu depuis [l’article] 27(1), en déniant le droit de tout député de présenter une motion tendant à prolonger les heures de délibération. À mon avis, les deux motions portent effectivement suspension de l’application du calendrier parlementaire, mais elles suspendent aussi l’application d’autres articles du Règlement.

Je dois dire au député que je ne puis accepter son argument voulant que la proposition dont nous sommes saisis constitue une modification permanente. Si elle était adoptée, la motion ne modifierait le Règlement que pour la durée de la première session. Il s’agit d’une durée déterminée, conformément au commentaire 21 de la 5e édition de Beauchesne, et il est prévu dans la motion que celle-ci pourra cesser plus tôt d’avoir effet, sur présentation d’une motion d’un ministre après la première sanction royale d’un projet de loi.

L’idée d’étudier des projets de loi en comité plénier n’est certainement pas étrangère à l’usage de cette Chambre. Depuis la réforme de 1968, à la suite de laquelle la plupart des projets de loi étaient renvoyés à des comités permanents, les Journaux abondent de cas de projets de loi étudiés en comité plénier. Depuis l’instauration des comités législatifs, il est arrivé souvent que la Chambre renonce à l’application du Règlement et qu’elle ait recours au comité plénier pour accélérer les travaux. Ce qui différencie la plupart de ces exemples de l’affaire qui nous occupe, c’est que la Chambre procédait par consentement plutôt que par motion; mais, ainsi que je l’ai indiqué plus tôt, qu’on procède par voie de consentement unanime ou de décision majoritaire, les deux façons d’arriver à ces décisions sont valables.

Le député de Kamloops s’est dit d’accord avec une observation que j’ai faite en juin, à savoir que si une autre décision était rendue, en d’autres termes si la Chambre n’était autorisée à procéder que par voie de consentement unanime, elle serait à la merci d’un seul député. Le député a toutefois soutenu, d’autre part que cette manœuvre du gouvernement constituait un abus et usurpait les droits de la minorité. J’ai quelque difficulté à concilier ces deux positions.

Il reconnaît le danger de la « tyrannie par la minorité », mais il s’oppose, au moins dans ce cas-ci, au rôle de la majorité. Si la minorité et la majorité ont l’une et l’autre des droits, elles ne peuvent avoir toutes deux la primauté.

Après avoir soigneusement étudié les arguments des députés de Windsor-Ouest et de Kamloops et ceux du ministre d’État (Conseil du Trésor), je dois faire savoir à la Chambre que je ne suis pas convaincu que la motion figurant au Feuilleton soit fondamentalement différente de la proposition présentée en juin et que, par conséquent, la motion est recevable.

J’ai dit en juin dernier que les cas difficiles constituent souvent de mauvais précédents. Il s’agit d’un autre de ces cas : il ne me plaît pas, en tant que votre Président, de mettre cette question en délibération, mais je créerais un mauvais précédent si je ne le faisais pas. J’ai dit, il y a quelques jours à peine, que j’étais votre serviteur. Je ne puis réécrire ou réinterpréter les règles, sur l’ordre de la majorité ou de la minorité — j’ai toutefois le devoir de veiller à ce que la minorité soit protégée et entendue. […]

F0402-f

34-1

1988-12-15

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[1] Débats, 14 décembre 1988, p. 65-74.