Recueil de décisions du Président Peter Milliken 2001 - 2011

Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Outrage à la Chambre : ministre qui aurait délibérément induit la Chambre en erreur; question fondée de prime abord

Débats, p. 8581-8582

Contexte

Le 31 janvier 2002, Brian Pallister (Portage–Lisgar) soulève la question de privilège, alléguant qu’Art Eggleton (ministre de la Défense nationale) est en situation d’outrage au Parlement pour avoir fait des déclarations contradictoires dans le but délibéré d’induire la Chambre en erreur, en deux occasions distinctes, sur le moment où il avait appris que les troupes canadiennes avaient fait des prisonniers en Afghanistan. Il ajoute qu’à l’extérieur de la Chambre, le ministre a admis aux médias qu’il avait en effet induit la Chambre en erreur, mais qu’il n’avait pas présenté ses excuses à la Chambre. Pour sa part, le ministre déclare qu’il n’a jamais voulu induire la Chambre en erreur en donnant de l’information qu’il croyait alors exacte. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend la question en délibéré[1].

Résolution

Le Président rend sa décision le 1er février 2002. Il se dit prêt à accepter l’affirmation du ministre voulant qu’il n’avait pas l’intention d’induire la Chambre en erreur. Il ajoute, toutefois, que ces déclarations contradictoires, caractérisation que ne conteste pas le ministre, donnaient lieu à deux versions des mêmes faits, une situation méritant que le comité compétent s’y attarde. Il invite donc M. Pallister à présenter sa motion.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée par l’honorable député de Portage–Lisgar au sujet des déclarations faites à la Chambre par le ministre de la Défense nationale. Je tiens à remercier l’honorable député de son exposé, ainsi que l’honorable député de Pictou–Antigonish–Guysborough de ses commentaires.

Je remercie également l’honorable député de Laurier–Sainte-Marie, l’honorable député d’Acadie–Bathurst, le très honorable député de Calgary-Centre et l’honorable député de Lakeland pour leurs interventions, ainsi que l’honorable ministre de la Défense nationale pour sa déclaration.

L’honorable député de Portage–Lisgar soutient que le ministre de la Défense nationale a délibérément induit la Chambre en erreur quant au moment où il a appris que les combattants faits prisonniers en Afghanistan par les troupes canadiennes de la FOI 2 avaient été remis aux Américains. Pour soutenir ses dires, il a cité les réponses qu’a données le ministre lors de la période des questions pendant deux journées consécutives et a fait allusion à certaines déclarations que ce dernier a faites aux médias. D’autres honorables députés se sont portés au soutien de ces arguments et ont cité divers ouvrages parlementaires faisant autorité, dont la 6e édition de Beauchesne et le Marleau Montpetit. À cet égard, je porte à l’attention de la Chambre un extrait d’Erskine May, 22e édition, cité par l’honorable député de Pictou–Antigonish–Guysborough :

Lorsqu’une déclaration trompeuse est faite délibérément, les Communes peuvent agir comme s’il s’agissait d’un outrage. En 1963, la Chambre a statué qu’en faisant une déclaration personnelle renfermant des propos qu’il a plus tard reconnus comme étant faux, un ancien député s’était rendu coupable d’un outrage grave.

Les ouvrages faisant autorité sont unanimes sur le besoin de clarté dans le déroulement de nos délibérations ainsi que sur la nécessité d’assurer l’intégrité de l’information que le gouvernement fournit à la Chambre. De plus, dans le cas présent, comme l’ont souligné les honorables députés, l’intégrité de l’information est d’une importance capitale du fait qu’elle vise directement les règles d’engagement des troupes canadiennes affectées au conflit en Afghanistan, un principe qui est au cœur même de la participation du Canada à la guerre contre le terrorisme.

J’ai étudié soigneusement toutes les interventions qui ont été faites à cet égard ainsi que les rapports et les enregistrements des médias dont il a été fait mention. J’ai également examiné les réponses qu’a données le ministre lors de la période des questions et la déclaration qu’il a faite en réponse aux allégations dont il est question.

En réponse aux arguments présentés par les députés de l’opposition sur la question de privilège, le ministre de la Défense a catégoriquement indiqué ceci, et c’est une traduction : « Je n’ai jamais voulu induire la Chambre en erreur. » Puis, il a expliqué le contexte dans lequel il avait fait les déclarations qui se sont révélées contradictoires par la suite.

Comme l’a souligné l’honorable député d’Acadie–Bathurst, lorsqu’il s’agit de trancher une question de privilège, la présidence en arrive relativement peu souvent à la conclusion qu’il existe une question de privilège fondée de prime abord; il est beaucoup plus probable que le Président qualifie la situation de « désaccord quant aux faits ». Mais dans le cas qui nous occupe, il me semble n’y avoir aucun désaccord quant aux faits; je crois que tant le ministre que les autres honorables députés reconnaissent que deux versions des mêmes faits ont été présentées à la Chambre.

Je suis prêt, comme je me dois de l’être, à accepter l’affirmation du ministre portant qu’il n’avait pas l’intention d’induire la Chambre en erreur. Néanmoins la situation demeure difficile. Je renvoie les honorables députés à la page 67 du Marleau Montpetit :

Il existe toutefois d’autres affronts contre la dignité et l’autorité du Parlement qui peuvent ne pas constituer une atteinte au privilège comme telle. Ainsi, la Chambre revendique le droit de punir au même titre que l’outrage tout acte qui, sans porter atteinte à un privilège précis, nuit ou fait obstacle à la Chambre, à un député ou à un haut fonctionnaire de la Chambre dans l’exercice de ses fonctions […]

En me fondant sur les arguments présentés par les honorables députés et compte tenu de la gravité de la question, j’en arrive à la conclusion que la situation qui nous occupe, dans laquelle la Chambre a reçu deux versions des mêmes faits, mérite que le comité compétent en fasse une étude plus approfondie, ne serait-ce que pour tirer les choses au clair. J’invite par conséquent l’honorable député de Portage–Lisgar à présenter sa motion.

Post-scriptum

M. Pallister propose que la question de privilège soit renvoyée au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, après quoi le débat sur la motion se poursuit jusqu’à l’heure ordinaire de l’ajournement[2]. Le 4 février 2002, la Chambre reprend le débat sur la motion et commence peu après à débattre d’un amendement proposé jusqu’à ce qu’elle adopte une motion d’ajournement du débat[3]. Les 5, 6 et 7 février, la Chambre convient, du consentement unanime, d’ajourner le débat sur la motion de privilège[4]. Plus tard au cours de la séance du 7 février, la Chambre convient, du consentement unanime, de mettre immédiatement aux voix toutes les questions nécessaires pour disposer de la motion de privilège. L’amendement à la motion est rejeté à la suite d’un vote par appel nominal, après quoi la motion principale est agréée avec dissidence[5]. Le 22 mars 2002, le Comité présente son 50e rapport à la Chambre, dans lequel il exonère le ministre[6].

Certains sites Web de tiers peuvent ne pas être compatibles avec les technologies d’assistance. Si vous avez besoin d’aide pour consulter les documents qu’ils contiennent, veuillez communiquer avec accessible@parl.gc.ca.

[1] Débats, 31 janvier 2002, p. 8517-8520.

[2] Débats, 1er février 2002, p. 8582-8588, 8601-8619.

[3] Débats, 4 février 2002, p. 8621-8628.

[4] Débats, 5 février 2002, p. 8680, Journaux, p. 1006; Débats, 6 février 2002, p. 8766, Journaux, p. 1014; Débats, 7 février 2002, p. 8792, Journaux, p. 1018.

[5] Débats, 7 février 2002, p. 8831, Journaux, p. 1019-1020.

[6] Cinquantième rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, présenté à la Chambre le 22 mars 2002 (Journaux, p. 1250).

Pour des questions au sujet de la procédure parlementaire, communiquez avec la Direction des recherches pour le Bureau

Haut de la page