Recueil de décisions du Président Peter Milliken 2001 - 2011

Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Outrage à la Chambre : hauts fonctionnaires du Parlement; gestes et propos du commissaire à l’éthique au sujet de l’enquête sur un député; question fondée de prime abord

Débats, p. 8473-8474

Contexte

Le 26 septembre 2005, Deepak Obhrai (Calgary-Est) soulève la question de privilège, accusant le commissaire à l’éthique, Bernard Shapiro, d’outrage à la Chambre pour avoir enfreint la Loi sur le Parlement du Canada ainsi que le paragraphe 27(4) et l’article (7) du Code régissant les conflits d’intérêts des députés. M. Obhrai soutient que le commissaire a omis, alors que le Code l’exige, de lui donner un préavis écrit raisonnable l’informant qu’il faisait l’objet d’une enquête pour des infractions potentielles au Code, et de l’informer des articles du Code qu’il aurait enfreints. En outre, il allègue que M. Shapiro a parlé de l’enquête à des journalistes, ce qui a entaché sa réputation et nui injustement à l’enquête. Le Président prend la question en délibéré[1].

Résolution

Le Président rend sa décision le 6 octobre 2005. Il souligne que ni la Loi sur le Parlement du Canada ni le Code régissant les conflits d’intérêts des députés ne prévoient de mécanisme permettant aux députés de porter plainte contre le commissaire quant à l’exécution de son mandat, ou au commissaire à l’éthique de se disculper d’une telle plainte. Comme aucun comité ne s’est penché sur l’affaire, déclare-t-il, il hésite à déclarer un haut fonctionnaire du Parlement coupable d’outrage à la Chambre. Il se dit aussi incertain quant au rôle qui lui incomberait dans l’interprétation et l’application du Code. Il fait remarquer que le paragraphe 72.05(3) de la Loi énonce que le commissaire à l’éthique s’acquitte de ses fonctions sous « l’autorité générale d’un comité désigné par la Chambre », à savoir le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. Toutefois, comme le Code était relativement récent à l’époque, et comme il n’existait pas de mécanisme bien défini pour résoudre ce type de différends, il se dit prêt à conclure que la question de privilège est fondée de prime abord, afin de donner à la Chambre l’occasion de se prononcer sur la façon dont elle souhaite procéder. Le Président invite ensuite M. Obhrai à présenter la motion de circonstance.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le lundi 26 septembre 2005 par l’honorable député de Calgary-Est au sujet du travail du commissaire à l’éthique. Je remercie le député d’avoir soulevé cette question et d’avoir fourni un complément d’information.

Dans son exposé des faits, le député de Calgary-Est a soutenu que le commissaire à l’éthique n’avait pas respecté la procédure d’enquête établie dans le Code régissant les conflits d’intérêts annexé à notre Règlement. Plus précisément, le député a prétendu que le commissaire à l’éthique avait omis de lui donner un préavis écrit raisonnable indiquant qu’il faisait l’objet d’une enquête. Il a également déclaré que, en faisant des commentaires sur l’enquête à un journaliste, le commissaire n’avait pas mené son enquête à huis clos.

Finalement, le député a prétendu que les commentaires du commissaire à l’éthique à ce journaliste avaient entaché sa réputation et nui injustement à l’enquête.

Pour ces motifs, il a accusé le commissaire à l’éthique d’outrage à la Chambre et demandé que je conclue qu’il y a eu, à première vue, atteinte à ses privilèges.

Étant donné que tant la fonction de commissaire à l’éthique que le Code régissant les conflits d’intérêts sont relativement nouveaux, je pense qu’il serait utile de se rappeler comment ils ont vu le jour.

Le 31 mars 2004, le projet de loi C-4, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada (conseiller sénatorial en éthique et commissaire à l’éthique) et certaines lois en conséquence, recevait la sanction royale. La Loi créait le poste de commissaire à l’éthique dont le rôle concernant les députés est précisé au paragraphe 72.05(1) de la Loi en ces termes :

[…] s’acquitte des fonctions qui lui sont conférées par la Chambre des communes en vue de régir la conduite des députés lorsqu’ils exercent la charge de député.

Le 29 avril 2004, la Chambre a adopté le 25e rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, qui recommandait que le Code régissant les conflits d’intérêts des députés soit annexé à notre Règlement. Le Code, qui est entré en vigueur au début de la 38e législature, confère plusieurs responsabilités au commissaire à l’éthique.

Je mentionne ces faits afin de souligner que le Code régissant les conflits d’intérêts contient des règles que la Chambre a adoptées pour sa gouverne et que la Chambre a donné au commissaire à l’éthique le mandat d’interpréter et d’appliquer le Code. Toutefois, ni la Loi ni le Code ne prévoient de processus permettant aux députés de porter plainte contre le commissaire quant à l’exécution de son mandat. Par le fait même, il n’existe pas de processus permettant au commissaire à l’éthique de se disculper d’une telle plainte.

En l’absence d’autre recours, le député de Calgary-Est m’a demandé de décider si le commissaire à l’éthique a enfreint deux dispositions précises du Code. La première prétendue infraction se rapporte au paragraphe 27(4) du Code, dont voici le texte :

Le commissaire peut, de sa propre initiative, après avoir donné par écrit au député un préavis raisonnable, faire une enquête pour déterminer si celui-ci s’est conformé à ses obligations aux termes du présent Code.

L’enquête dont le député fait l’objet a débuté en mai 2005, mais il soutient n’avoir été avisé officiellement de la nature des faits qui lui sont reprochés que le 23 août dernier.

De plus, il a soutenu qu’en divulguant aux médias des détails relatifs à l’enquête, le commissaire à l’éthique avait omis de procéder à huis clos. Cette exigence est fixée au paragraphe 27(7) du Code :

Le commissaire procède à huis clos et avec toute la diligence voulue, en donnant au député, à tous les stades de l’enquête, la possibilité d’être présent et de lui faire valoir ses arguments par écrit ou en personne ou par l’entremise d’un conseiller ou d’un autre représentant.

Ces deux allégations sont troublantes en soi et la correspondance qu’a fournie le député renforce ses arguments. La façon dont cette affaire a été menée m’apparaît par conséquent préoccupante.

Cela dit, le rôle qui m’incomberait, le cas échéant, pour veiller à la bonne interprétation et à l’application adéquate du Code, à titre de Président, n’est pas clair. Par exemple, revient-il à la présidence de déterminer ce qui constitue un « préavis raisonnable », ou d’indiquer dans quelle mesure les enquêtes doivent être menées à huis clos? Doit-on s’attendre à ce que la présidence décide ce qu’est la « diligence voulue » ou si le député faisant l’objet de l’enquête s’est vu donner « la possibilité d’être présent et de […] faire valoir ses arguments » ? Une lecture attentive de la Loi et du Règlement me laisse croire que cette responsabilité ne me revient pas.

En effet, le paragraphe 72.05(3) de la Loi précise que le commissaire à l’éthique doit s’acquitter de ses fonctions sous l’autorité générale d’un comité désigné par la Chambre, soit, en l’occurrence, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. Aux termes de l’alinéa 108(3)a)(viii) du Règlement, ce comité a pour mandat « l’examen de toute question relative au Code régissant les conflits d’intérêts des députés et la présentation de rapports à ce sujet ».

Étant donné, comme je l’ai mentionné plus tôt, que le Code est relativement récent, je crois qu’il serait utile, tant pour le Bureau du commissaire à l’éthique que pour la Chambre, que le Comité se penche sur cette question. Cela donnerait l’occasion au commissaire d’expliquer le processus d’enquête, et aux députés de faire part de leurs préoccupations. La présidence espère qu’un tel dialogue entre le Comité et le commissaire à l’éthique clarifiera la question pour tous les intéressés.

Pour résumer, bien que la présidence hésite à conclure, en l’absence d’une étude et d’une évaluation approfondies par le comité responsable, que la conduite d’un mandataire du Parlement constitue un outrage à la Chambre, je suis néanmoins sensible à la demande du député de Calgary-Est, qui cherche à savoir par quels moyens il peut résoudre cette très sérieuse question. La présidence s’inquiète tout particulièrement du fait que l’absence d’un processus clair pour ce genre de situation laisse les députés et le commissaire à l’éthique sans les règles précises auxquelles ils auraient droit dans l’exercice de leur rôle respectif.

Pour ces raisons, et afin de donner à la Chambre l’occasion de se prononcer sur la façon dont elle souhaite procéder dans cette situation très délicate, je conclus que la question de privilège paraît fondée à première vue. J’invite par conséquent le député à présenter sa motion.

Post-scriptum

M. Obhrai propose que la question soit renvoyée au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, et la motion est adoptée[2]. Le 18 novembre 2005, le Comité présente son 51e rapport à la Chambre, dans lequel il conclut que le commissaire a commis un outrage à la Chambre, mais ne recommande aucune sanction[3]. (Note de la rédaction : Le rapport n’a pas été adopté.)

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[1] Débats, 26 septembre 2005, p. 8025-8027.

[2] Débats, 6 octobre 2005, p. 8474, Journaux, p. 1119.

[3] Cinquante et unième rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, présenté à la Chambre le 18 novembre 2005 (Journaux, p. 1289-1290).

Pour des questions au sujet de la procédure parlementaire, communiquez avec la Direction des recherches pour le Bureau

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