Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre
Outrage à la Chambre : fin du financement de la Commission du droit du Canada
Débats, p. 4014-4015
Contexte
Le 3 octobre 2006, Joe Comartin (Windsor–Tecumseh) soulève la question de privilège pour s’opposer à la décision du gouvernement d’éliminer tout le financement destiné à la Commission du droit du Canada. M. Comartin prétend que cette décision porte atteinte aux privilèges collectifs de la Chambre, puisqu’elle se traduira dans les faits par la dissolution de la Commission du droit, ce que seul le Parlement est habilité à faire, par la révocation de la Loi sur la Commission du droit du Canada. Rob Nicholson (leader du gouvernement à la Chambre des communes) fait valoir que le gouvernement a agi dans les règles et qu’il n’est nullement tenu de dépenser de l’argent dans les domaines où il a décidé de ne pas investir. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend la question en délibéré[1].
Résolution
Le Président rend sa décision le 19 octobre 2006. Pour ce qui est de déterminer si le geste du gouvernement respecte les dispositions législatives portant sur la Commission du droit, le Président déclare qu’il n’a pas le pouvoir de statuer sur des questions de droit. Pour ce qui est de déterminer si l’élimination du financement destiné à la Commission du droit constitue une atteinte aux privilèges de la Chambre, le Président conclut qu’aucun des droits collectifs de la Chambre n’a été violé. Il souligne également qu’il relève de la prérogative du gouvernement de gérer les fonds publics et statue que le geste du gouvernement ne porte pas atteinte à l’autorité et à la dignité du Parlement, puisque la Chambre conserve son rôle de surveillance des dépenses publiques par l’entremise de ses comités permanents.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 3 octobre 2006, par le député de Windsor–Tecumseh au sujet de l’élimination du financement de la Commission du droit du Canada.
Je tiens à remercier l’honorable député d’avoir soulevé cette question ainsi que l’honorable députée de London-Ouest, l’honorable leader du gouvernement à la Chambre et l’honorable députée de Vancouver-Est de leurs interventions.
Dans son intervention, le député de Windsor–Tecumseh a exprimé ses craintes relativement à l’annonce qu’a faite le gouvernement, le 25 septembre dernier, d’éliminer le financement de la Commission du droit du Canada, ce qui aura pour effet de dissoudre cet organisme. Il a demandé en vertu de quelle autorité le gouvernement avait agi ainsi sans l’approbation du Parlement, et a soutenu que la Chambre des communes aurait dû adopter au préalable une loi abrogeant la Loi sur la Commission du droit du Canada. Pour étayer ses arguments, il a renvoyé à un précédent remontant à 1993, où le projet de loi C-63, Loi portant dissolution de sociétés et organismes, avait été adopté. Il a conclu en alléguant que le gouvernement avait porté atteinte aux privilèges collectifs de la Chambre.
La députée de London-Ouest est intervenue pour appuyer la question de privilège. Elle a brièvement résumé l’historique et le mandat de la Commission du droit du Canada et a cité plusieurs dispositions de la Loi sur la Commission du droit du Canada. La députée de Vancouver-Est s’est également prononcée en faveur de la question de privilège.
Pour sa part, le leader du gouvernement à la Chambre a soutenu que cette question n’en était pas une de privilège. Il a dit :
[…] le président du Conseil du Trésor et le gouvernement du Canada ne sont pas obligés de continuer à dépenser de l’argent dans des domaines où le gouvernement a décidé de ne pas investir […]
Le problème soulevé par le député de Windsor–Tecumseh est complexe. La question que l’on m’a demandé de trancher comporte deux volets. D’une part, le geste du gouvernement respecte-t-il les dispositions législatives actuelles ayant trait à la Commission du droit du Canada? D’autre part, l’élimination par le gouvernement du financement de la Commission du droit constitue-t-elle une atteinte aux privilèges de la Chambre?
Quant au premier volet, comme mes prédécesseurs et moi-même l’avons souligné à l’occasion de nombreuses décisions, lorsqu’une interprétation juridique s’impose, le Président n’a pas le pouvoir de statuer ou de se prononcer sur des questions de droit. Dans une décision que le Président Lamoureux a rendue le 13 septembre 1971 et qu’on trouve à la page 7740 des Débats de ce jour, il est expliqué clairement que :
Ce n’est pas à la présidence de décider si le gouvernement est tenu de verser certaines sommes aux termes de la loi actuelle. […] Il s’agit d’une question d’interprétation qui se situe bien au-delà des attributions de la présidence.
Par conséquent, en cas de problème juridique, il faut se tourner vers les tribunaux.
Permettez-moi maintenant d’aborder les aspects procéduraux qui relèvent des attributions de la présidence. Le député de Windsor–Tecumseh a soutenu qu’il y a eu atteinte aux privilèges collectifs de la Chambre.
De façon générale, les privilèges collectifs de la Chambre sont divisés ainsi : le pouvoir disciplinaire, la réglementation de ses affaires internes, le droit de s’assurer de la présence et des services des députés, le droit de procéder à des enquêtes, d’assigner des témoins et de réclamer des documents, le droit d’interroger des témoins sous serment et le droit de publier des documents contenant des propos diffamatoires. Dans le cas qui nous occupe, il apparaît évident qu’aucun de ces droits collectifs n’a été violé.
Cela dit, l’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes indique ce qui suit, à la page 52 :
[…] même si elle ne porte atteinte à aucun privilège particulier, toute conduite qui cause préjudice à l’autorité ou à la dignité de la Chambre est considérée comme un outrage au Parlement. L’outrage peut être un acte ou une omission. Il n’est pas nécessaire de faire réellement obstacle au travail de la Chambre ou d’un député; la tendance à produire un tel résultat suffit.
Bref, la présidence doit déterminer si ce geste du gouvernement est perçu comme un outrage à l’autorité et à la dignité du Parlement. Permettez-moi de résumer les paramètres de cette autorité dans la mesure où ils concernent cette question.
Le Parlement autorise, au moyen des budgets des dépenses et des voies et moyens, le montant et l’affectation de toutes les dépenses publiques. Une fois ces sommes affectées par le Parlement, il relève de la prérogative du gouvernement de les gérer. Il est indiqué, à la page 697 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, que :
En tant que pouvoir exécutif, la Couronne est responsable de la gestion de toutes les recettes de l’État, y compris les coûts des services publics.
Bien que la responsabilité de la gestion financière revienne au gouvernement, la Chambre conserve un rôle de surveillance important. Par l’entremise du système des comités permanents, les députés ont l’occasion d’examiner la façon dont le gouvernement administre ces fonds lors de l’étude du budget des dépenses, des rapports de rendement annuels des ministères, des Comptes publics du Canada et des rapports de la vérificatrice générale.
À ces occasions, les ministres peuvent être invités à témoigner devant le comité permanent compétent afin de justifier les dépenses engagées, et le comité peut faire rapport à la Chambre. De plus, dans le cadre de leur responsabilité de surveillance des activités du gouvernement, les comités peuvent inviter les ministres à se présenter pour discuter de certaines décisions administratives.
À la suite de ces enquêtes, les comités sont autorisés à faire rapport à la Chambre de tout commentaire ou recommandation qu’ils souhaitent formuler. La Chambre peut alors traiter de cette question de la façon qu’elle juge indiquée.
Par conséquent, cette surveillance constitue la raison d’être du Parlement et ces activités représentent le mécanisme normal de la Chambre. Ainsi, les députés qui ne sont pas d’accord avec les décisions prises par le gouvernement sur une question particulière peuvent traiter plus en détail de ces décisions. Étant donné que plusieurs possibilités s’offrent au député, la présidence ne peut pas conclure que le geste du gouvernement à l’endroit de la Commission du droit du Canada porte atteinte à l’autorité de la Chambre.
Bien que les députés puissent entretenir de sérieuses inquiétudes quant à la décision de ne plus financer la Commission du droit du Canada, cette décision ne constitue pas une atteinte au privilège. Même si le député de Windsor–Tecumseh peut se sentir lésé, je ne peux conclure de prime abord qu’il y a matière à question de privilège dans le cas présent.
Je remercie le député d’avoir porté cette importante question à l’attention de la présidence.
Certains sites Web de tiers peuvent ne pas être compatibles avec les technologies d’assistance. Si vous avez besoin d’aide pour consulter les documents qu’ils contiennent, veuillez communiquer avec accessible@parl.gc.ca.
[1] Débats, 3 octobre 2006, p. 3526-3529.