Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre
Outrage à la Chambre : publicités du gouvernement qui auraient anticipé une décision de la Chambre
Débats, p. 6276-6278
Contexte
Le 15 mai 2008, Jim Karygiannis (Scarborough–Agincourt) et Olivia Chow (Trinity–Spadina) soulèvent des questions de privilège au sujet de publicités achetées dans divers journaux par le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration[1]. M. Karygiannis et Mme Chow avancent que ces publicités, qui portent sur les modifications à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés contenues dans le projet de loi C-50, Loi d’exécution du budget de 2008, présentent de l’information trompeuse qui entrave et compromet les travaux de la Chambre et de ses comités, anticipent une décision de la Chambre et constituent une dépense non autorisée de fonds publics à des fins partisanes; par conséquent, il s’agit selon eux d’un outrage au Parlement. Peter Van Loan (leader du gouvernement à la Chambre des communes) répond que la question de privilège n’a pas été soulevée à la première occasion, que les fonds servant à payer les publicités ont déjà été approuvés par le Parlement, quand la Chambre a adopté les crédits provisoires, que les publicités respectent le processus parlementaire, puisqu’elles énoncent clairement que les mesures sont en train d’être examinées par le Parlement, et conclut que la question relève davantage du débat. Après une autre intervention de M. Karygiannis, le Président prend la question en délibéré[2].
Résolution
Le Président rend sa décision le 29 mai 2008. Il se dit convaincu que M. Karygiannis a respecté les délais pour ce qui est de soulever la question de privilège. Il souligne que le fait de dépenser de l’argent pour ces publicités ne relève pas de la procédure et que les publicités reconnaissent clairement que les mesures évoquées ne sont que de simples propositions que le Parlement examine. À son avis, les publicités ne présentent pas d’information trompeuse sur les travaux de la Chambre et ne présument pas de l’issue des délibérations sur le projet de loi. Par conséquent, le Président conclut qu’il n’y a pas, de prime abord, matière à question de privilège ou d’outrage au Parlement.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 15 mai 2008, par l’honorable député de Scarborough–Agincourt et l’honorable députée [de][3] Trinity–Spadina au sujet de la parution dans les journaux de publicités du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, ayant pour titre « Réduire l’arriéré des demandes d’immigration au Canada ».
Je remercie les honorables députés d’avoir soulevé cette question, ainsi que l’honorable leader du gouvernement à la Chambre des communes pour son intervention.
L’honorable député de Scarborough–Agincourt a porté à l’attention de la Chambre les publicités traitant des modifications proposées à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés que le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration a fait paraître dans les journaux. Il a soutenu que ces publicités faisaient la promotion de certaines modifications à cette Loi qui figurent à l’article 6 du projet de loi C-50, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 26 février 2008 et édictant des dispositions visant à maintenir le plan financier établi dans ce budget.
Comme le savent les honorables députés, ce projet de loi n’a pas encore été adopté par la Chambre ou par le Parlement. L’honorable député de Scarborough–Agincourt a fait valoir que ces publicités et les fonds publics servant à les payer témoignaient du mépris qu’éprouve la ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration envers la Chambre.
Lors de son intervention, l’honorable députée de Trinity–Spadina a également soutenu que ces publicités constituent un outrage au Parlement puisqu’elles répandent des informations trompeuses qui entravent et compromettent les travaux de la Chambre. Elle a comparé la situation à un cas semblable survenu en 1989; le gouvernement de l’époque avait fait paraître dans les journaux des publicités annonçant des modifications à la taxe de vente fédérale, modifications qui n’avaient pas encore été adoptées par le Parlement.
Pour appuyer la thèse de l’outrage au Parlement découlant de l’utilisation de fonds publics pour payer ces publicités, l’honorable députée a cité la décision rendue le 17 octobre 1980 par Madame la Présidente Sauvé au sujet d’une campagne publicitaire présentant la position constitutionnelle du gouvernement.
L’honorable leader du gouvernement à la Chambre des communes a soutenu, pour sa part, que la question de privilège n’avait pas été soulevée à la première occasion puisque les publicités en question ont commencé à paraître dans les journaux le 15 avril dernier. Il a cité à l’appui des extraits des pages 122 et 124 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, selon lesquels le Président doit être convaincu que la question de privilège a été soulevée à la première occasion.
En ce qui concerne l’utilisation de fonds publics, le leader du gouvernement à la Chambre a affirmé que les fonds utilisés ne dépendaient pas de l’adoption du projet de loi C-50, ceux-ci ayant été autorisés en mars dernier, au moment de l’adoption des crédits provisoires.
Il a en outre soutenu que les publicités avaient été rédigées de manière à tenir compte de ce qu’il a qualifié d’argument central de la décision rendue en 1989 par le Président Fraser, soit que :
[…] les publicités produites par le gouvernement ne [doivent] pas laisser entendre qu’une décision a été prise par la Chambre des communes ou par le Parlement alors qu’elle ne l’a pas été.
Signalant que les termes et le ton employés dans les publicités respectaient entièrement les compétences et les privilèges du Parlement puisqu’elles ne présumaient pas que le Parlement se soit déjà prononcé à cet égard, il a cité les publicités en question au soutien de ses dires.
Lorsqu’elle évalue la pertinence d’une question de privilège, la présidence examine toujours le moment où elle a été soulevée à la Chambre, critère important qu’a rappelé le leader du gouvernement à la Chambre. Il est vrai qu’un député qui souhaite soulever une question de privilège doit le faire à la première occasion.
Toutefois, le leader du gouvernement à la Chambre n’a peut-être pas tenu compte d’une nuance importante. En effet, dans certains cas, comme dans le cas présent, ce qui importe n’est pas tellement que le fait reproché se soit produit à un moment précis, mais plutôt que les députés qui portent la question à l’attention de la Chambre le fassent dès que possible après avoir pris connaissance de la situation.
La présidence a toujours agi avec réserve dans de tels cas, vu l’obligation de maintenir un équilibre entre la nécessité d’agir en temps opportun et la responsabilité importante qui incombe aux députés de rassembler les faits et les arguments avant de soulever à la Chambre des questions aussi essentielles.
Dans le cas présent, le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration a posé des questions sur ces publicités à la ministre responsable lorsqu’elle a témoigné devant lui, dans l’après-midi du mardi 13 mai dernier, moins de deux jours avant que la question soit soulevée à la Chambre. Dans ces circonstances, je suis convaincu que les députés de Scarborough–Agincourt et de Trinity–Spadina ont respecté les délais en matière de présentation que prévoit notre procédure pour les questions de privilège.
La présidence doit maintenant décider si la parution des publicités concernant certaines dispositions du projet de loi C-50 a empêché les députés de s’acquitter de leurs responsabilités. À cet égard, les exemples cités par la députée de Trinity–Spadina se sont révélés fort utiles.
Comme l’indiquait le Président Fraser dans la décision rendue le 10 octobre 1989 aux pages 4457 à 4461 des Débats :
Il aurait fallu, pour qu’il y ait entrave, qu’une action quelconque empêche la Chambre ou des députés d’exercer leurs fonctions, ou tende à discréditer si gravement un député qu’elle l’empêche de s’acquitter de ses responsabilités. J’estime que tel n’est pas le cas dans la présente affaire.
Bien que la question de privilège ne lui ait pas paru fondée à première vue, le Président Fraser a exprimé de vives préoccupations à l’égard de la situation, affirmant que la publicité était « répréhensible et qu’on ne devrait pas la répéter ».
Quant au contenu et au coût de ces publicités, Madame la Présidente Sauvé a déclaré ce qui suit, dans une décision rendue le 17 octobre 1980 que l’on retrouve à la page 3781 des Débats de la Chambre des communes :
Le fait que certains députés ont le sentiment d’être désavantagés parce qu’ils n’ont pas les mêmes fonds pour la publicité que le gouvernement, fait qui pourrait constituer un point à débattre sur le plan de la régularité d’action, ne constitue a priori un cas d’atteinte aux privilèges que si la publicité elle-même constitue un outrage à la Chambre, et pour cela, il faudrait quelque preuve qu’il s’agit d’une publication de comptes rendus faux, falsifiés, partiaux ou préjudiciables des délibérations de la Chambre des communes, ou encore une fausse représentation des députés.
Comme je l’ai indiqué au moment où cette question a été soulevée, l’argent dépensé pour ces publicités n’est absolument pas une question de procédure.
Mentionnons, outre ces exemples, le cas survenu en 1997 où une question de privilège a été soulevée au sujet des publicités de Santé Canada parues dans des quotidiens à propos d’une loi anti-tabac qui n’avait pas encore été adoptée par la Chambre. Le Président Parent avait à cette occasion rendu une décision le 13 mars 1997, consignée aux pages 8987 et 8988 des Débats. Selon lui, la publicité ne laissait pas entendre que la Chambre avait déjà adopté le projet de loi C-71 et la question de privilège n’était pas fondée à première vue.
J’ai donc examiné les publicités qui nous préoccupent en gardant ces précédents à l’esprit. Elles contiennent des phrases telles que « le gouvernement du Canada propose des mesures », « Voici quelques-unes de ces mesures importantes, qui doivent être mises en oeuvre » et « Le Parlement s’emploie actuellement à examiner ces mesures ». À mon avis, les publicités reconnaissent clairement que ces mesures n’ont pas encore été mises en place. Je ne peux donc y voir une déclaration mensongère des travaux de la Chambre ou une présomption quant à l’issue des délibérations.
Bien que les honorables députés de Scarborough–Agincourt et de Trinity–Spadina puissent être en désaccord avec le titre et le contenu de ces publicités, il s’agit davantage d’une question de débat que d’une question de procédure ou de privilège. Je dois donc conclure, pour les mêmes raisons que celles avancées par mes prédécesseurs, que le cas qui nous préoccupe aujourd’hui ne constitue pas à première vue une question de privilège ou un outrage au Parlement.
Je remercie de nouveau les honorables députés de Scarborough–Agincourt et de Trinity–Spadina d’avoir porté cette question à l’attention de la Chambre.
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[2] Débats, 15 mai 2008, p. 5922-5924.
[3] Le mot “de” manque dans les Débats publiés.