Recueil de décisions du Président Peter Milliken 2001 - 2011

Le privilège parlementaire / Droits des députés

Protection contre l’obstruction, l’ingérence, l’intimidation et la brutalité : cadres supérieurs de ministères qui auraient interdit à leurs employés de répondre au sondage électronique d’un député

Débats, p. 3470-3471

Contexte

Le 29 janvier 2003, Jim Pankiw (Saskatoon–Humboldt) soulève la question de privilège au sujet de sa tentative d’utiliser son compte de courriel parlementaire pour sonder les fonctionnaires au sujet de l’impact de la politique de bilinguisme du gouvernement. Il allègue que des cadres supérieurs de ministères ont fait obstacle à son travail de député en interdisant à leurs employés de répondre à son sondage, ce qui constitue à son avis un outrage à la Chambre. Après avoir entendu un autre député, le Président prend la question en délibéré, mais fait remarquer que le député, en raison du volume et de la taille des courriels qu’il a envoyés, a créé des difficultés sans précédent et entravé le fonctionnement des systèmes de la Chambre et du gouvernement. Il ajoute qu’en attendant qu’on adopte des lignes directrices sur la diffusion massive de courriels, il a donné ordre aux fonctionnaires de la Chambre de contacter les députés dont les activités entravent le fonctionnement des systèmes pour leur demander de mettre fin à leurs envois. Il a également donné des instructions aux fonctionnaires pour qu’ils suspendent le compte de courriel des députés refusant d’obtempérer[1].

Résolution

Le 12 février 2003, le Président rend sa décision et affirme qu’il est tout à fait exact que les députés jouissent de certains droits, privilèges et immunités, mais qu’ils sont limités et qu’ils s’appliquent uniquement dans le contexte de l’enceinte parlementaire et des travaux du Parlement. Il déclare qu’étant donné que le sondage du député n’a pas été effectué dans le contexte des travaux de la Chambre ou de l’un de ses comités, le privilège parlementaire ne s’applique pas et, par conséquent, qu’il n’y a pas eu outrage. Il exhorte les députés à respecter les nouvelles directives sur la diffusion massive de courriels et à exercer leurs fonctions de façon à bénéficier de toute l’autorité de la Chambre pour mener des enquêtes.

Décision de la présidence

Le Président : À l’ordre, s’il vous plaît. Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 29 janvier 2003, par le député de Saskatoon–Humboldt au sujet de l’ingérence indue de hauts fonctionnaires, qui auraient entravé l’exercice de ses fonctions de parlementaire.

Je voudrais remercier le député de Saskatoon–Humboldt d’avoir soulevé cette question ainsi que le leader parlementaire du gouvernement de sa contribution à cet égard.

Le député de Saskatoon–Humboldt a déclaré avoir tenté, le 27 décembre 2002, et du 3 au 6 janvier 2003, de sonder l’opinion des fonctionnaires sur l’impact de la politique de bilinguisme du gouvernement. Il a nommé un certain nombre de hauts fonctionnaires de divers ministères qui, selon lui, ont interdit à leurs employés de répondre au sondage ou leur ont indiqué que la confidentialité de leur réponse ne pouvait être assurée. Il soutient que ces gestes constituent de l’ingérence indue dans l’exercice de ses fonctions de parlementaire.

En réponse à ces allégations, le leader parlementaire du gouvernement a indiqué que personne n’avait tenté de porter atteinte au droit à la liberté de parole du député de Saskatoon–Humboldt dans le cadre des travaux parlementaires. De plus, il a souligné que le droit d’un député de procéder à une enquête de son propre chef ne devrait pas être confondu avec le pouvoir d’enquête conféré aux comités de la Chambre. En terminant, le leader parlementaire du gouvernement a fait valoir que la façon dont le sondage a été distribué avait eu un effet perturbateur sur plusieurs des ministères destinataires et leur personnel, et que les gestionnaires de ces ministères ont eu raison de prendre les mesures reprochées.

J’ai examiné les faits pertinents et j’aimerais faire quelques remarques.

En premier lieu, il est tout à fait exact que la Chambre jouit de certains droits et privilèges nécessaires à la poursuite de ses travaux, tant à la Chambre que dans les comités.

Lors de son intervention, l’honorable député de Saskatoon–Humboldt a cité le passage suivant de la page 50 du Marleau et Montpetit, et je cite :

Le « privilège parlementaire » s’applique plutôt aux droits et immunités jugés nécessaires pour permettre à la Chambre des communes en tant qu’institution, et à ses députés en tant que représentants de l’électorat, d’exercer leurs fonctions.

Cet ouvrage précise ensuite ce qui suit, à la page 51 :

La Chambre a le pouvoir d’invoquer le privilège lorsqu’on fait obstacle à l’exécution de ses fonctions ou de celles des députés.

De toute évidence, les gestionnaires de certains ministères ont réagi aux perturbations engendrées par les courriels du député en essayant par divers moyens soit d’empêcher leurs employés d’y répondre, soit de les avertir des risques liés à une réponse éventuelle, soit de limiter de quelque autre façon les répercussions négatives sur leurs travaux et leurs systèmes de courrier électronique. La question qu’il s’agit de trancher consiste à déterminer si ces gestes constituent une entrave à la capacité du député d’exercer ses fonctions parlementaires.

À cet égard, je voudrais encore une fois citer le Marleau et Montpetit à la page 52, où sont énoncées comme suit les limites du privilège parlementaire applicable aux députés :

Le privilège appartient essentiellement à la Chambre dans son ensemble; à titre individuel, les députés ne peuvent l’invoquer que dans la mesure où une atteinte à leurs droits ou des menaces risqueraient d’entraver le fonctionnement de la Chambre. En outre, les députés ne peuvent invoquer le privilège ou l’immunité pour des questions qui ne sont pas liées à leurs fonctions à la Chambre.

Bien entendu, les députés possèdent certains droits, privilèges et immunités — liberté de parole, immunité d’arrestation en matière civile, exemption du devoir de juré, etc. —, mais ceux-ci sont limités et ne s’appliquent que dans leur contexte, ce qui veut généralement dire les limites de l’enceinte parlementaire et les « travaux du Parlement ». Dans la décision de 1971 sur une question de privilège, le Président Lamoureux a fait le commentaire suivant :

À mon avis, le privilège parlementaire ne va pas au-delà du droit de libre parole à la Chambre et du droit d’un député de s’acquitter de ses fonctions à la Chambre en tant que représentant aux Communes.

En exposant son point de vue, le député a fait valoir que les consignes données aux employés par les gestionnaires au sujet de son sondage portent atteinte à son droit d’obtenir de l’information du gouvernement. Les députés ont le droit incontestable de poser des questions au gouvernement et d’obtenir des renseignements de celui-ci afin de s’acquitter de leur responsabilité de surveillance. Cette fonction s’exerce principalement de deux façons : d’une part, par les questions posées au gouvernement pendant la période des questions ou sous forme de questions écrites et, d’autre part, par les enquêtes menées par les comités de la Chambre. Ces deux processus sont entièrement protégés par le privilège parlementaire. Toutefois, cela ne signifie pas que le privilège de demander de tels renseignements s’étend à chaque aspect des activités d’un député.

Dans une situation semblable survenue en novembre 2001, j’ai eu à rendre une décision pour déterminer si l’ordre que le gouvernement avait donné à ses fonctionnaires de ne pas comparaître devant un groupe spécial composé de l’honorable député et d’autres députés constituait une atteinte aux privilèges.

J’ai conclu dans ce cas qu’il n’y avait pas matière à question de privilège et j’ai fait le commentaire suivant, et je cite :

[…] je doute qu’un d’entre nous ait le droit de convoquer un fonctionnaire et d’insister pour qu’il réponde à des questions […] (le député) a lui-même déclaré que le comité qu’il présidait était un groupe spécial de députés. De toute évidence, il ne s’agissait pas d’un comité de la Chambre.

Dans le cas qui nous occupe, je ne peux non plus conclure qu’il y a eu outrage ou atteinte aux privilèges du député. Le sondage de ce dernier aurait bénéficié de l’entière protection du privilège s’il avait été tenu dans le cadre des travaux de la Chambre ou de l’un de ses comités. Mais, étant donné la façon dont le sondage a été distribué et le fait qu’il ne se rapportait pas à des travaux parlementaires, le privilège ne s’applique pas.

Je demande instamment au député de Saskatoon–Humboldt et aux autres députés d’explorer les autres options d’ordre parlementaire dont ils peuvent se prévaloir pour exercer leurs fonctions. Ils seront alors en mesure de bénéficier de toute l’autorité de la Chambre pour mener leurs enquêtes.

Je n’ai pas besoin de rappeler à la Chambre les difficultés sans précédent qu’a causées cette diffusion massive de courriels. Les députés recevront sous peu de nouvelles directives applicables à ce genre de communications. Entre-temps, je sais que je peux compter sur l’entière collaboration de tous les députés afin qu’ils respectent ces directives lors de leurs prochains travaux.

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[1] Débats, 29 janvier 2003, p. 2846-2848.

Pour des questions au sujet de la procédure parlementaire, communiquez avec la Direction des recherches pour le Bureau

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