Recueil de décisions du Président Peter Milliken 2001 - 2011

Le privilège parlementaire / Droits des députés

Liberté de parole : convention relative aux affaires en instance judiciaire; déclarations d’une députée au sujet d’un autre député faisant l’objet d’une enquête criminelle

Débats, p. 5334-5335

Contexte

Le 4 avril 2005, Don Boudria (Glengarry–Prescott–Russell) soulève la question de privilège au sujet de commentaires faits par Diane Ablonczy (Calgary–Nose Hill) plus tôt ce jour-là pendant la période des questions, au sujet d’un député libéral faisant prétendument l’objet d’une enquête criminelle[1]. M. Boudria soutient qu’à partir du moment où des accusations sont portées, il n’est plus indiqué d’en parler à la Chambre, conformément à la convention relative aux affaires en instance. Il soutient aussi qu’en nommant le parti du député, mais pas le député lui-même, elle a visé tous les députés du gouvernement, y compris le Président. Il conclut qu’on ne devrait pas porter de telles accusations à l’intérieur de la Chambre et sans désigner les personnes visées, et que la députée devrait retirer ses commentaires. Mme Ablonczy déclare alors s’être fondée sur un article du Globe and Mail, après quoi le Président prend la question en délibéré[2].

Résolution

Le Président rend sa décision le 20 avril 2005. Il met en garde les députés contre les dommages qu’ils peuvent causer en citant à la Chambre des reportages sur d’autres députés, précisant que l’article ne parle pas d’enquête criminelle, mais dit seulement que les allégations font l’objet d’une enquête. Il ajoute que la convention relative aux affaires en instance ne s’applique pas, étant donné qu’aucune accusation n’a été portée contre le député auquel faisait allusion Mme Ablonczy, et que l’usage parlementaire veut que les députés ne portent pas atteinte à la réputation d’autres députés. À son avis, comme la capacité des députés libéraux d’exercer leurs fonctions parlementaires n’a nullement été entravée, il ne peut trouver, de prime abord, qu’il y a atteinte au privilège. Toutefois, le Président invite le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre à étudier l’application de la convention relative aux affaires en instance.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le lundi 4 avril 2005, par le député de Glengarry–Prescott–Russell au sujet d’une question formulée par la députée de Calgary–Nose Hill au cours de la période des questions du même jour, dans laquelle la députée a dit qu’un député libéral ferait l’objet d’une enquête criminelle.

Je remercie le député d’avoir soulevé cette question. Je remercie également la députée de Calgary–Nose Hill pour son intervention.

Dans son exposé des faits, le député de Glengarry–Prescott–Russell a dit qu’au cours de la période des questions, dans sa question complémentaire adressée au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration au sujet d’une possible affaire d’abus du système de permis de séjour temporaire, la députée de Calgary–Nose Hill a dit qu’un député libéral faisait l’objet d’une enquête criminelle, sans pour autant nommer le député en question. Le député de Glengarry–Prescott–Russell a jugé cela déplacé puisque la remarque mettait « en cause l’ensemble des députés de ce côté-ci » et a demandé à la députée de Calgary–Nose Hill de retirer cette remarque.

Dans sa réponse, la députée de Calgary–Nose Hill a dit que ses propos se fondaient sur un article du Globe and Mail du 31 mars, qu’elle a cité. J’ai moi-même lu cet article et remarqué qu’immédiatement après le texte cité par la députée de Calgary–Nose Hill, un autre article précise d’une part que le député visé nie les allégations à son endroit, et d’autre part que la GRC avait procédé à plusieurs entrevues, mais sans jamais parler au député visé, et qu’elle n’avait pas porté d’accusations.

Il me semble significatif que l’enquête policière en question ne soit même pas allée jusqu’à un entretien avec le député visé par les allégations et que, par la suite, aucune accusation n’ait été portée. Il importe également de noter que l’article ne parle d’aucune enquête « criminelle » à l’égard du député libéral, en ce sens qu’il aurait pu être soupçonné d’avoir commis un acte criminel. Au contraire, l’article dit seulement que les allégations visant le député faisaient l’objet d’une enquête. Il est possible que les allégations aient intéressé la GRC à l’égard d’activités criminelles présumées perpétrées par des personnes autres que le député visé.

Pour ces raisons, j’aimerais que tous les honorables députés soient conscients des dommages qu’ils peuvent causer en citant à la Chambre des rapports des médias au sujet d’autres députés. Tous les députés sont honorables et ont le droit à la fois d’être traités avec respect dans cette Chambre et d’obtenir le bénéfice du doute quant à des allégations aussi sérieuses.

À première vue, la situation qui nous occupe semble être régie par la convention relative aux affaires en instance, qui interdit aux députés de faire le genre de commentaires dont il est ici question. Pourtant, la difficulté, en l’espèce, tient au fait que la situation ne correspond pas aux exigences d’application de cette convention, qui empêche les députés de faire à la Chambre des commentaires sur une affaire qui est devant les tribunaux, puisqu’elle ne s’applique qu’une fois les accusations portées. La députée de Calgary–Nose Hill a parlé d’une enquête criminelle, sans mention d’accusations portées contre le député, et avant que des accusations ne soient portées. De plus, aucune accusation n’a été portée depuis.

À titre de personnalités publiques élues, les députés font souvent l’objet dans les médias de critiques et de commentaires qui peuvent à l’occasion, à tort ou à raison, donner une mauvaise image de leurs actes, ou même porter atteinte à leur réputation. Les règles habituelles de diffamation ne s’appliquent pas, ou s’appliquent dans une moindre mesure, aux députés. On s’attend de nous que nous acceptions de temps à autre des critiques publiques et des commentaires négatifs sur notre personne, si pénible cela puisse-t-il être. Ce principe s’applique également à l’intérieur même de la Chambre. Néanmoins, d’après nos coutumes parlementaires, on s’attend des députés qu’ils n’attentent pas à la réputation d’autres députés. Le fait de dire qu’un député libéral fait l’objet d’une enquête criminelle semble avoir cet effet, même si la députée de Calgary–Nose Hill ne l’a peut-être pas souhaité.

Je ne peux trouver, à première vue, aucune atteinte au privilège dans le cas présent puisque je ne peux voir comment la capacité des députés libéraux d’exercer leurs fonctions parlementaires aurait été entravée. J’encourage néanmoins tous les députés à respecter la courtoisie et les usages habituels de la Chambre, et j’invite également le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre à étudier l’application de la convention relative aux affaires en instance afin de voir s’il ne serait pas également utile qu’elle s’applique lorsqu’une enquête est alléguée ou signalée avant que des accusations ne soient portées. Ce sera un petit surcroît de travail pour le Comité.

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[1] Débats, 4 avril 2005, p. 4625.

[2] Débats, 4 avril 2005, p. 4631.

Pour des questions au sujet de la procédure parlementaire, communiquez avec la Direction des recherches pour le Bureau

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