Recueil de décisions du Président Peter Milliken 2001 - 2011

Le privilège parlementaire / Droits des députés

Liberté de parole : convention relative aux affaires en instance judiciaire; question au Feuilleton laissée sans réponse parce que l’affaire est devant les tribunaux

Débats, p. 9664-9665

Contexte

Le 28 septembre 2005, John Cummins (Delta–Richmond-Est) soulève la question de privilège au sujet de la question écrite Q-151, dont il a donné avis le 17 mai 2005. Il déclare que le gouvernement, en répondant qu’il lui est impossible de répondre parce que l’affaire est devant les tribunaux, retient des renseignements dont il a besoin pour remplir ses fonctions parlementaires et induit la Chambre en erreur. Dominic LeBlanc (secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre) demande ensuite plus de temps pour présenter une réponse officielle, après quoi le Président prend la question en délibéré[1]. Le 29 septembre 2005, M. LeBlanc affirme que le gouvernement n’essayait pas d’entraver le travail de M. Cummins, mais qu’il souhaitait plutôt protéger et respecter l’intégrité et les travaux des tribunaux[2]. Le 3 octobre 2005, M. Cummins intervient de nouveau, alléguant que les députés ont le droit de poser des questions et de recevoir des réponses concernant une affaire en instance, à condition qu’il s’agisse d’une affaire civile dont les tribunaux n’ont pas encore été saisis[3]. Le Président prend la question en délibéré.

Résolution

Le Président rend sa décision le 17 novembre 2005. Il statue que le gouvernement avait le droit de déclarer qu’il ne pouvait répondre à une question, et qu’il n’appartient pas à la présidence de déterminer si le gouvernement interprète correctement la convention relative aux affaires en instance. Par conséquent, il conclut qu’il n’y a pas, de prime abord, atteinte au privilège.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le mercredi 28 septembre 2005, par le député de Delta–Richmond-Est au sujet de la réponse à la question Q-151 au Feuilleton.

Je remercie le député de Delta–Richmond-Est d’avoir soulevé cette question et le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre de ses interventions.

Le député de Delta–Richmond-Est a indiqué que le gouvernement avait répondu à sa question en soutenant qu’il ne pouvait pas fournir de réponse parce que l’affaire abordée était devant les tribunaux. Le député a alors avancé que le gouvernement retenait des renseignements nécessaires à l’exercice de ses fonctions parlementaires et induisait la Chambre en erreur. Il m’a donc demandé de conclure qu’il y avait une question de privilège fondée à première vue.

Le lendemain, le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre a réagi aux allégations du député. Il a indiqué que le gouvernement avait refusé de fournir les renseignements demandés afin de protéger l’intégrité du processus judiciaire. Il a également nié que l’on ait essayé d’entraver le travail parlementaire du député de Delta–Richmond-Est. Le leader adjoint du gouvernement à la Chambre a ensuite déposé une lettre relativement à cette affaire.

Le 3 octobre, le député de Delta–Richmond-Est a encore une fois pris la parole afin de répliquer aux commentaires du secrétaire parlementaire. Lors de cette intervention, il a renvoyé au rapport de 1977 du Comité spécial sur les droits et immunités des députés. Il a cité le passage suivant, tiré du paragraphe 13 de ce document :

Il est clair […] [que] rien ne devrait limiter le droit d’un député de poser des questions concernant toute affaire en instance devant les tribunaux, notamment les questions ayant trait à une affaire civile et ce, tout au moins tant que cette affaire n’a pas encore été entendue.

En dernier lieu, le député a soutenu que le ministre avait l’obligation de justifier tout refus de répondre à une question sous prétexte que l’affaire qu’elle concerne est devant les tribunaux. Il a suggéré que, en l’occurrence, le gouvernement n’avait pas donné de justification suffisante à son refus de répondre, d’autant plus qu’il s’agit d’une affaire au civil non encore instruite.

J’ai examiné les interventions relatives à cette question ainsi que les précédents pertinents. Il ne fait aucun doute que les divergences d’opinions relatives aux réponses à des questions écrites ne datent pas d’hier. Le député de Delta–Richmond-Est a d’ailleurs lui-même soulevé plusieurs questions de privilège à l’égard de questions écrites.

En ce qui a trait aux réponses à des questions écrites, nos usages sont clairs : le gouvernement peut y indiquer ne pouvoir fournir de réponse. À titre d’exemple, je renvoie les honorables députés à la décision rendue par le Président Lamoureux le 5 mai 1971, que l’on retrouve à la page 5515 des Débats et où il indique ce qui suit :

Il est vrai, généralement, qu’on ne doit pas nuire à un député dans l’exercice de ses droits parlementaires, mais je soutiens que ce principe en lui-même n’oblige pas le gouvernement à fournir tout renseignement que pourrait demander un député, verbalement ou par écrit. De fait, de nombreux précédents révèlent que de temps à autre, les ministres ont refusé de répondre à des questions sous prétexte qu’il ne serait pas dans l’intérêt public de le faire.

De plus, comme je l’ai mentionné le 9 février 2005, lorsque le député de Delta–Richmond-Est a soulevé une question similaire, le Président n’a pas le pouvoir d’examiner les réponses du gouvernement aux questions écrites.

Néanmoins, dans le cas qui nous occupe, le député m’a demandé de déterminer si le gouvernement interprétait correctement la convention relative aux affaires en instance.

Il pourrait être utile de décrire brièvement la convention relative aux affaires en instance. Il s’agit d’une convention selon laquelle les députés évitent d’évoquer, au cours des débats, les affaires en instance devant les tribunaux criminels, civils ou d’archives. Cette convention s’applique également aux motions et aux questions écrites ou orales.

Bien que le rôle du Président dans l’application de cette convention n’ait pas été défini dans nos règles, la présidence dispose d’une certaine latitude à cet égard. Par exemple, elle a, à de nombreuses reprises, rappelé la nécessité d’être prudents dans la formulation de commentaires relatifs aux affaires en instance.

En 1977, le Comité spécial sur les droits et immunités des députés avait recommandé que la présidence ne joue qu’un rôle limité au cours de la période des questions à l’égard de la convention relative aux affaires en instance. Cette recommandation est formulée au paragraphe 23 du rapport du Comité spécial, que l’honorable député de Delta–Richmond-Est a cité en partie. Le Comité a déclaré ce qui suit :

Le ministre pourrait refuser de répondre à la question pour un tel motif, eu égard au fait que, de toute manière, le refus de répondre à une question relève de sa prérogative. Le Comité est d’avis qu[e] […] la Présidence devrait s’abstenir d’intervenir en ce qui a trait à l’application de la convention et qu’il incomberait plutôt au député qui pose la question ainsi qu’au ministre à qui elle est adressée de faire preuve de discernement.

Par analogie, ce principe s’applique également aux questions écrites et aux réponses qui leur sont données.

Cela dit, j’adhère aux commentaires qu’a faits la Présidente Sauvé le 16 décembre 1980, et qui ont été cités par les deux députés qui sont intervenus, indiquant qu’il peut exister des situations où le refus de répondre à une question équivaut à empêcher un député de faire son travail. Néanmoins, je ne crois pas que ce soit le cas dans l’affaire qui nous occupe et je reconnais qu’il est dans l’intérêt de la Chambre d’obtenir des réponses aussi complètes que possible aux questions posées.

Le Président Parent a très clairement établi ce principe à l’occasion d’une décision rendue le 9 février 1995, rapportée à la page 9426 des Débats de cette date :

Il incombe à tous ceux qui participent à ce processus, comme demandeurs ou comme fournisseurs de renseignements, c’est-à-dire les députés qui formulent les questions, les fonctionnaires de la Chambre qui les examinent, les personnes qui préparent les réponses et les ministres de la Couronne qui déposent les réponses en Chambre, de veiller à ce que tout soit fait pour que ces échanges demeurent aussi fructueux et utiles que possible.

J’arrive donc à la conclusion que la présidence ne peut décider si le gouvernement a ou non interprété correctement la convention relative aux affaires en instance. Il n’incombe pas non plus à la présidence d’obliger le gouvernement à répondre à une question s’il a indiqué en être incapable parce que l’affaire est devant les tribunaux, comme en l’occurrence.

Par conséquent, je ne puis arriver à la conclusion que la situation soulevée par le député de Delta–Richmond-Est justifie, de prime abord, la question de privilège.

Je remercie le député de sa vigilance soutenue à ce sujet.

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[1] Débats, 28 septembre 2005, p. 8150-8151.

[2] Débats, 29 septembre 2005, p. 8228.

[3] Débats, 3 octobre 2005, p. 8331-8333.

Pour des questions au sujet de la procédure parlementaire, communiquez avec la Direction des recherches pour le Bureau

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