Le privilège parlementaire / Droits des députés
Protection contre l’obstruction, l’ingérence, l’intimidation et la brutalité : ministre accusé d’avoir tenu des propos irrespectueux à l’endroit d’un autre député
Débats, p. 4414-4415
Contexte
Le 19 octobre 2006, Denis Coderre (Bourassa) soulève la question de privilège pour demander à Peter MacKay (ministre des Affaires étrangères) de préciser à quel député s’adressait le commentaire irrespectueux qu’il aurait fait plus tôt pendant la période des questions. Mark Holland (Ajax–Pickering) exige des excuses de la part du ministre, alléguant que le commentaire était dirigé à Belinda Stronach (Newmarket–Aurora). Après avoir entendu d’autres députés, le Président met fin à la discussion[1]. Le lendemain, Mme Stronach soulève la question de privilège pour demander des excuses au ministre au sujet du même commentaire allégué[2]. Le Président informe alors la Chambre qu’il a écouté la bande audio des délibérations de la veille, mais qu’il n’a rien trouvé prouvant que le ministre ait fait un commentaire inapproprié. Le 25 octobre 2006, en réponse à une question posée durant la période des questions, le ministre nie avoir utilisé l’expression non parlementaire alléguée[3]. Plus tard le même jour, Ralph Goodale (Wascana) soulève la question de privilège et soutient qu’il existe des documents publics prouvant hors de tout doute que l’affirmation du ministre est fausse. Il allègue que l’absence persistante de la vérité et le manque de crédibilité du ministre portent atteinte aux privilèges de la Chambre[4]. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend la question en délibéré.
Résolution
Le Président rend sa décision le 30 octobre 2006. Il déclare que pour que la présidence demande à un député de s’excuser ou de retirer des commentaires, il doit y avoir entente sur ce qui s’est passé. Soulignant que le compte rendu officiel ne contient aucune référence au commentaire allégué et que les députés ne s’entendent pas sur ce qui a été dit, il déclare qu’il ne revient pas à la présidence de résoudre le différend. Comme il ne peut conclure que la situation a empêché les députés d’accomplir leur travail ou qu’il y a eu atteinte au privilège de la Chambre, il statue que la question de privilège n’est pas fondée de prime abord. Enfin, il exhorte les députés à faire preuve de retenue dans leurs propos et à éviter les attaques personnelles.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le mercredi 25 octobre 2006 par le député de Wascana au sujet d’observations qu’aurait faites le ministre des Affaires étrangères le jeudi 19 octobre 2006.
J’aimerais remercier l’honorable député d’avoir soulevé cette question, ainsi que l’honorable leader du gouvernement à la Chambre pour sa réponse, car cela me donne l’occasion de clarifier le rôle très restreint qui revient au Président dans de telles situations.
Revenons tout d’abord aux événements qui se sont déroulés jusqu’à présent. Le 19 octobre, le député de Bourassa a invoqué le Règlement et s’est opposé à des observations qui, selon lui, auraient été faites par le ministre des Affaires étrangères. Le député d’Ajax–Pickering lui a donné son appui. Étant donné que je n’avais pas entendu les observations litigieuses, j’ai choisi, comme je le fais habituellement en pareilles circonstances, de vérifier le compte rendu et de faire rapport à la Chambre au besoin.
Le 20 octobre, la députée de Newmarket–Aurora a invoqué le Règlement et, après avoir cité l’article 18 du Règlement, a demandé que lui soient présentées des excuses quant aux observations offensantes et désobligeantes qu’aurait faites le ministre des Affaires étrangères la veille. La présidence a répondu ce qui suit :
[…] je ne connais rien de ces déclarations, car je n’ai pas entendu les observations ni vu les gestes qui auraient été faits.
Mes collaborateurs ont écouté attentivement la bande audio de la période des questions et lu le compte rendu du hansard dont j’ai moi-même pris connaissance et, bien entendu, on ne retrouve pas les mots en question dans l’un ou l’autre de ces documents. Ainsi, je suis incapable de confirmer les affirmations qui ont été faites. Je sais que plusieurs députés affirment avoir entendu ces observations.
Cependant, dans les circonstances, je ne peux rien faire d’autre à ce stade-ci.
Par la suite, le leader de l’Opposition officielle à la Chambre a soulevé une question de privilège sur cette même affaire et a fourni à la présidence des affidavits signés par plusieurs députés qui déclarent avoir entendu les propos offensants.
Entre-temps, comme le sait la Chambre, des extraits sonores des débats du 19 octobre ont été diffusés dans les médias. En fait, la transcription de l’un d’eux m’a été envoyée par la députée de Newmarket–Aurora.
Néanmoins, le 25 octobre dernier, lorsque le leader de l’Opposition officielle à la Chambre lui a demandé de s’excuser, le ministre des Affaires étrangères a répondu :
Je n’ai jamais fait cela. Je n’ai jamais fait d’observations désobligeantes ou discriminatoires envers aucun autre député.
L’honorable député de Mississauga-Sud soutient que la présidence pourrait renvoyer l’affaire au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, afin que celui-ci dégage la vérité de ces affirmations contradictoires. Quelle que soit mon opinion à ce sujet, il revient à la Chambre, et non à la présidence, de renvoyer des questions devant un comité.
Par le passé, lorsqu’un député faisait un commentaire considéré comme non parlementaire ou inapproprié, le Président lui demandait de le retirer ou de le reformuler. L’article 18 du Règlement interdit l’utilisation de langage irrévérencieux ou inapproprié à l’encontre d’un député et, comme le précise le Marleau et Montpetit à la page 522 :
Un député sera prié de retirer toute remarque injurieuse […] dirigée contre un autre député.
Mais un tel geste de la présidence, c’est-à-dire de demander des excuses ou le retrait des commentaires, se justifie lorsque tout le monde s’entend sur ce qui s’est réellement passé, soit parce que l’échange est rapporté dans le compte rendu officiel, soit parce que chacune des parties reconnaît qu’il a eu lieu.
Dans ce cas-ci, le compte rendu officiel ne nous est d’aucune aide et le Président est confronté à des rapports différents — et même opposés — sur les faits en cause : certains députés soutiennent de façon véhémente avoir entendu les propos offensants, alors que le ministre nie les avoir tenus.
Lors de mon examen des précédents, j’ai trouvé une orientation intéressante dans une décision rendue le 12 décembre 1991, par le Président Fraser. Aux pages 6218 et 6219 des Débats, il indique ce qui suit :
Le Président doit résoudre un conflit, mais il en est incapable. Quand les comptes rendus officiels n’étayent pas les allégations, ce n’est pas au Président, j’en suis convaincu, qu’il incombe d’essayer de résoudre le problème. En ce qui me concerne, du point de vue de la procédure et en conformité avec nos usages, l’affaire est close.
Dans le cas présent, j’ai écouté très attentivement les arguments qui m’ont été présentés, en particulier par le député de Wascana, qui soutient :
Il y a donc violation des privilèges des députés en raison […] de l’absence de vérité qui persiste et […] du manque apparent de crédibilité du ministre.
Bien que je convienne avec le député que les circonstances particulières en l’espèce soient très regrettables, je vois mal comment elles empêchent les députés d’accomplir leur travail. Puisque je ne peux voir aucune atteinte au privilège de la Chambre en raison de cette situation regrettable, je ne peux arriver à la conclusion qu’il y a atteinte au privilège à première vue.
Cette conclusion est conforme à celles des Présidents Lamoureux et Jerome qui, dans des décisions rendues respectivement le 8 juin 1970, Journaux, p. 966, et le 4 juin 1975, Journaux, p. 600, ont tous deux cité le passage suivant du commentaire 113 de la 4e édition de Beauchesne :
Les différends qui s’élèvent entre deux députés sur des allégations de faits ne remplissent pas les conditions qui en feraient des atteintes aux privilèges parlementaires.
Le Président Jerome a de plus conclu, le 4 juin 1975, Journaux, p. 601, que les graves désaccords quant aux faits et à leur conséquence ou portée sont des éléments [qui] peuvent être l’objet d’un débat, mais [qui] ne sont pas matière à une question de privilège.
Dans le cas qui nous occupe ici, les propos ont peut-être été tenus, et peut-être pas. Mais il ne revient pas à la présidence de décider où gît la vérité.
Je regrette tout particulièrement que la présidence ne puisse offrir de solution à la Chambre car il semble que cette situation n’améliore pas la réputation de la Chambre des communes et de ses députés. Les députés de tous les partis ont fait observer l’érosion du respect mutuel à la Chambre. Comme l’a mentionné le whip en chef du gouvernement le 20 octobre, il nous incombe à tous de renouveler nos efforts pour maintenir le décorum de notre Chambre.
Je crois que nous aurions tout intérêt à nous rappeler les mots prononcés par le Président Fraser le 11 décembre 1991 :
Il y a peu de choses plus susceptibles d’empoisonner l’atmosphère de la Chambre que des attaques personnelles en série, puisqu’elles laissent toujours un relent d’animosité et de malaise.
J’exhorte tous les députés à faire preuve de retenue dans leurs propos et à éviter les attaques personnelles à l’encontre des autres députés, de façon à éviter de jeter le discrédit tant sur la Chambre que sur eux-mêmes.
Quant à la situation particulière qui a été soulevée, je dois, en droite ligne avec les décisions de mes prédécesseurs, les Présidents Lamoureux, Jerome et Fraser, considérer que l’affaire est close.
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[2] Débats, 20 octobre 2006, p. 4057-4058.