Recueil de décisions du Président Peter Milliken 2001 - 2011

Le privilège parlementaire / Droits des députés

Protection contre l’obstruction, l’ingérence, l’intimidation et la brutalité : calomnie à l’endroit d’un député

Débats, p. 765-766

Contexte

Le 3 février 2009, Bill Casey (Cumberland–Colchester–Musquodoboit Valley) soulève la question de privilège au sujet d’un rapport dont un journaliste lui a parlé et selon lequel le Parti conservateur aurait déposé auprès de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) une plainte de détournement de fonds contre lui. (Note de la rédaction : M. Casey avait été expulsé du caucus conservateur et siégeait à titre de député indépendant.) M. Casey soutient que le fait que son nom soit lié à des allégations de vol et de détournement porte atteinte à sa crédibilité et nuit à sa capacité de s’acquitter de ses fonctions de député, surtout qu’on a masqué, dans le rapport, la source et la nature précise de la plainte, mais pas son nom. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend l’affaire en délibéré[1]. Le lendemain, en réponse à une question posée pendant la période des questions, Peter Van Loan (ministre de la Sécurité publique) dit que la GRC a confirmé que le dossier était clos et que les représentants du Parti conservateur ne croient pas qu’il ait fait quoi que ce soit de mal[2].

Résolution

Le Président rend sa décision le 12 février 2009. Il constate que le document a suscité de la confusion en raison des contradictions qu’il contient et des retouches qu’on y a faites pour masquer le nom des plaignants ainsi que la nature de la plainte, alors que le nom de M. Casey a été révélé. Le Président rappelle aussi à la Chambre que le ministre a fait savoir que la GRC avait fermé le dossier et que les représentants du Parti conservateur avaient signalé clairement qu’ils ne croyaient pas que M. Casey ait fait quelque chose de mal. Malgré la gravité de la plainte, affirme-t-il, il ne peut conclure que l’incident a empêché M. Casey d’exercer ses fonctions parlementaires; par conséquent, il statue qu’il n’y a pas, de prime abord, matière à question de privilège.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée par l’honorable député de Cumberland–Colchester–Musquodoboit Valley le 3 février 2009 au sujet d’une enquête de la Gendarmerie royale du Canada sur des accusations de vol et de détournement de fonds qui, à son avis, ont porté atteinte à sa crédibilité et qui, par conséquent, ont nui à sa capacité de s’acquitter de ses fonctions de député.

Je remercie le député de Cumberland–Colchester–Musquodoboit Valley d’avoir soulevé cette importante question, de même que le whip en chef du gouvernement, le député de Windsor-Ouest et le député de Halifax-Ouest pour leurs interventions.

Lorsqu’il a soulevé cette question de privilège, le député de Cumberland–Colchester–Musquodoboit Valley a dit avoir été mis au courant pour la première fois des accusations portées contre lui par un journaliste qui a communiqué avec lui après avoir obtenu copie d’un rapport de la GRC à la suite d’une demande d’accès à l’information, copie que le député a eu l’amabilité de fournir à la présidence.

Il a fait valoir que si le journaliste en question avait décidé de ne pas le mettre au courant du rapport, il n’aurait pas eu la possibilité de se défendre.

L’honorable député a ensuite expliqué qu’une grande partie des renseignements contenus dans ce rapport avaient été édités ou masqués, notamment les noms de ceux qui ont demandé à la GRC de mener une enquête, de même que la nature exacte des allégations. Par conséquent, il ne peut connaître la nature exacte des accusations.

Malgré ces omissions précises, l’honorable député a fait remarquer que son propre nom figurait à la fin du document, et que celui-ci indiquait également que les accusations avaient été portées par des membres du Parti conservateur du Canada. En outre, le rapport faisait mention d’une somme de 30 000 $.

À partir de ces indices, le député en a déduit que la question portait sur le transfert de fonds, qui totalisait également 30 000 $, entre ce qui était, à l’époque, son association de circonscription et les comptes de campagne. Ces transactions financières seraient donc à l’origine de la demande d’enquête sur des allégations de détournement de fonds déposée à la GRC en septembre 2008.

Lors de son intervention, le député a insisté pour dire que ces transferts étaient nécessairement effectués par l’association de circonscription et l’équipe de campagne, qui ont agi indépendamment du député lui-même et des personnes concernées. Elles ont « suivi la lettre et l’esprit de la loi à ce sujet, de même que les règles d’Élections Canada ».

Le député soutient que le rapport aboutit à une conclusion ambiguë, même s’il y est indiqué que rien dans cette affaire ne justifie la poursuite de l’enquête. La possibilité demeure que sa crédibilité et son honnêteté soient mises en doute, ce qui, par conséquent, l’empêche de s’acquitter efficacement de ces fonctions de député.

Dans sa réponse, l’honorable whip en chef du gouvernement a déclaré que l’honorable député de Cumberland–Colchester–Musquodoboit Valley avait fait allusion aux membres d’un parti plutôt qu’à un député en particulier, et que la déclaration du député constituait une affaire personnelle et non une question de privilège.

Les honorables députés de Windsor-Ouest et de Halifax-Ouest ont appuyé les préoccupations exprimées par l’honorable député de Cumberland–Colchester–Musquodoboit Valley. L’honorable député de Windsor-Ouest a signalé à quel point de telles allégations non fondées peuvent entacher l’image publique d’une personne ou de sa contribution à la vie publique au Canada, tandis que l’honorable député de Halifax-Ouest a souligné le danger de porter de fausses accusations.

Bien entendu, la présidence compatit entièrement à la situation du député de Cumberland–Colchester–Musquodoboit Valley. Toutefois, lorsqu’elle se prononce sur des questions de privilège de ce genre, la présidence est tenue d’évaluer si la capacité du député d’exercer ses fonctions parlementaires a réellement été entravée.

Aux pages 91 à 95, La procédure et les usages de la Chambre des communes traite fort longuement de l’importance, dans ce genre de situation, d’établir un lien avec les fonctions parlementaires.

Deux exemples illustrent bien l’importance de ce lien. Dans une décision rendue en 1978, le Président Jerome a rejeté une plainte formulée par un député selon laquelle une poursuite civile intentée contre lui à l’égard de propos qu’il avait d’abord tenus en comité avant de les répéter lors d’une émission radiophonique, l’empêchait d’accomplir ses fonctions parlementaires. En décidant que, de prime abord, la question de privilège n’était pas fondée, le Président a déclaré ce qui suit, le 15 mai 1978, à la page 5411 des Débats de la Chambre des communes :

Il est évident que cette question a gêné d’une certaine manière le député dans l’accomplissement de ses devoirs parlementaires, mais je ne puis accepter que ces difficultés constituent une obstruction ou une intimidation au sens étroit auquel on peut interpréter la protection contre toute molestation […]

Dans un autre cas survenu en 1994, La procédure et les usages de la Chambre des communes, aux pages 94 et 95, explique qu’un député :

[…] avait allégué avoir été victime d’intimidation de la part de médias et avoir fait l’objet de chantage à la suite de reportages journalistiques concernant l’authenticité de ses diplômes. Jugeant que de prime abord, il n’y avait pas là matière à question de privilège, le Président s’est exprimé en ces termes : « Des menaces de chantage ou d’intimidation auprès d’un député ne doivent jamais être prises à la légère. Dans de tels cas, l’essence même de la liberté d’expression est minée ou perd toute sa signification. Sans cette garantie, aucun député ne peut remplir ses fonctions comme il se doit […] Bien que la présidence ne prenne pas à la légère les faits qui ont été soulevés, […] elle ne peut conclure qu’il a fait la preuve qu’il y a eu intimidation et que cela l’empêche de remplir ses fonctions de député. »

La citation qui suit, tirée des pages 91 et 92, résume l’opinion exprimée par la présidence au cours de ces années :

[…] sa décision se fondait principalement sur le fait que l’incident n’était pas directement lié aux fonctions parlementaires du député. Même si elle a souvent reconnu que le député qui soulevait la question de privilège pouvait très bien avoir des motifs légitimes de se plaindre, la présidence a régulièrement conclu que l’incident n’avait pas empêché le député d’accomplir ses devoirs parlementaires.

Comme l’honorable député de Cumberland–Colchester–Musquodoboit Valley l’a signalé, le document a été largement édité pour masquer les noms des personnes concernées, à l’exception du sien qui apparaît toujours dans le nom de fichier du document à la fin du rapport. C’est ce qui a permis aux journalistes de savoir qu’une plainte au criminel avait été déposée contre le député de Cumberland–Colchester–Musquodoboit Valley. Si son nom n’avait pas figuré dans le nom du fichier du document, il est permis de croire que son identité aurait été protégée.

Après l’étude du rapport en question, il nous apparaît que ses auteurs n’ont pas été plus méticuleux — pour ne pas dire qu’ils ont fait preuve d’une négligence incroyable — que ceux qui ont édité le document pour respecter les pratiques usuelles en matière de demandes d’accès à l’information.

Ce rapport contient plus d’une contradiction : tout d’abord, on peut y lire qu’il n’y a pas de motifs suffisants pour justifier la tenue d’une enquête, puis on y mentionne les conclusions de l’enquête. On évoque ensuite la possibilité de reprendre l’enquête pour revenir au point de départ en affirmant qu’aucune enquête ne sera tenue.

Les auteurs du rapport qui l’ont préparé pour sa communication à la suite d’une demande d’accès à l’information ont très soigneusement masqué les noms du plaignant ou des plaignants, mais ont laissé celui du député de Cumberland–Colchester–Musquodoboit Valley dans le nom du fichier à la fin du document. Il y a sans aucun doute lieu de s’inquiéter d’une telle négligence manifeste et de la confusion qui peut s’en suivre. Pour être juste, il convient de rappeler que le 4 février dernier, comme on peut le lire à la page 342 du hansard, le ministre de la Sécurité publique a informé la Chambre que la GRC avait confirmé que « ce dossier était clos » et que « les représentants du Parti conservateur ont également signalé clairement qu’ils ne croyaient pas que le député de Cumberland–Colchester–Musquodoboit Valley avait fait quelque chose de mal ».

Cependant, sans minimiser l’importance de la plainte ou diminuer la gravité de la situation présentée par l’honorable député, il est difficile pour la présidence, en raison de la nature des événements, d’en venir à la conclusion que ces derniers empêchent le député d’exercer ses fonctions parlementaires. En conséquence, je conclus qu’il n’y a pas matière à question de privilège dans le cas présent.

Cela ne change rien au fait que les conséquences de la présente affaire risquent de se faire sentir longtemps. En soulevant cette question devant la Chambre comme il l’a fait, le député de Cumberland–Colchester–Musquodoboit Valley s’est défendu avec vigueur contre ces allégations, expliquant qu’aucun fait ne pouvait laisser croire à une conduite répréhensible de sa part.

Sa plainte est légitime et il a raison de déplorer que « ce rapport existera à tout jamais; [qu’il] ne disparaîtra pas. », et de souligner l’importance fondamentale de la confiance et de la crédibilité pour faire le travail de député.

J’aimerais encore une fois remercier l’honorable député de Cumberland–Colchester–Musquodoboit Valley d’avoir porté cette importante question à l’attention de la Chambre.

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[1] Débats, 3 février 2009, p. 269-272.

[2] Débats, 4 février 2009, p. 341-342.

Pour des questions au sujet de la procédure parlementaire, communiquez avec la Direction des recherches pour le Bureau

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