Le privilège parlementaire / Droits des députés
Protection contre l’obstruction, l’ingérence, l’intimidation et la brutalité : nuire à la réputation d’un député; mauvaise utilisation des ressources de la Chambre
Débats, p. 4780-4781
Contexte
Le 22 septembre 2010, Candice Hoeppner (Portage–Lisgar) soulève la question de privilège au sujet d’un communiqué envoyé aux médias par courriel par l’attaché de presse de Michael Ignatieff (leader de l’Opposition officielle). Mme Hoeppner soutient qu’en plus de contenir des commentaires qu’elle qualifie d’attaque à sa réputation, le communiqué constitue une mauvaise utilisation des ressources de la Chambre ayant servi à transmettre de l’information erronée sur un député. Après avoir entendu d’autres députés, le Président réserve sa décision[1].
Résolution
Le Président rend sa décision le 5 octobre 2010. En ce qui concerne la mauvaise utilisation alléguée des ressources de la Chambre, il renvoie à une décision du 12 février 2009[2] et confirme qu’il revient aux députés et non à la présidence de surveiller le contenu des courriels et autres communications électroniques. Il précise aussi que ces communications ne sont pas nécessairement protégées par le privilège et pourraient donc exposer les députés à des poursuites. En ce qui concerne les commentaires ou déclarations formulés à l’extérieur de la Chambre, le Président affirme que ses prédécesseurs ont toujours statué que la présidence n’était pas censée intervenir dans de telles questions. Quant à l’allégation selon laquelle le communiqué aurait terni la réputation de Mme Hoeppner, le Président aborde les précédents qu’elle a cités, en particulier celui traitant des bulletins envoyés dans la circonscription de Sackville–Eastern Shore, où le Président avait conclu qu’il y avait, de prime abord, matière à question de privilège[3]. Il déclare que les deux affaires diffèrent en plusieurs points. Tout d’abord, l’affaire Stoffer concernait des bulletins payés sur un budget central de la Chambre. Ensuite, les bulletins avaient été envoyés dans la circonscription du député lésé par un autre député. Enfin, l’information qui s’y trouvait était inexacte sur le plan des faits, de sorte qu’on y déformait carrément la position du député sur une question donnée. Le Président estime que Mme Hoeppner n’a pas été gênée dans l’exécution de ses fonctions parlementaires et que les arguments présentés ne peuvent l’amener à conclure qu’il y a, de prime abord, matière à question de privilège.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 22 septembre 2010, par l’honorable députée de Portage–Lisgar au sujet d’un communiqué diffusé par courriel par l’attaché de presse du leader de l’Opposition officielle.
Je remercie l’honorable députée de Portage–Lisgar d’avoir soulevé cette question, ainsi que l’honorable leader du gouvernement à la Chambre, l’honorable leader de l’Opposition officielle à la Chambre et l’honorable député d’Outremont pour leurs interventions.
Lorsqu’elle a soulevé sa question de privilège, la députée de Portage–Lisgar a déclaré qu’en plus de renfermer des commentaires qu’elle a qualifiés d’attaque à sa réputation, le communiqué en question constituait une mauvaise utilisation des ressources de la Chambre.
Le leader de l’Opposition officielle à la Chambre a fait valoir que, lues dans leur contexte, les déclarations contenues dans le communiqué présentaient une interprétation raisonnable des propos tenus par la députée de Portage–Lisgar lors d’une entrevue accordée à la radio de la CBC et que, par conséquent, ces déclarations relevaient simplement du discours et du débat public.
J’aimerais d’abord traiter de l’argument avancé par la députée de Portage–Lisgar, selon lequel les ressources de la Chambre avaient été mal utilisées dans cette affaire. Permettez-moi de rappeler à la Chambre que, dans une décision rendue le 12 février 2009, aux pages 713 et 714 des Débats, j’ai déclaré qu’il n’appartient pas à la présidence de contrôler le contenu des courriels et autres communications électroniques. Puis j’ai ajouté ceci :
[Les députés] doivent tenir compte d’un élément important : les communications par Internet et par courriel peuvent ne pas être protégées par le privilège parlementaire et ils peuvent s’exposer à des poursuites pour la diffusion de ce genre de matériel.
Évidemment, dans les cas où le personnel d’un député est en cause, c’est le député qui est ultimement responsable de veiller à ce que les ressources de la Chambre soient utilisées à bon escient.
En ce qui concerne le principal argument mis en avant par la députée de Portage–Lisgar, la présidence tient d’abord à souligner qu’elle prend très au sérieux les questions faisant intervenir la réputation d’un député. Lorsqu’elle est appelée à trancher de telles questions, la présidence applique des principes bien établis. D’ailleurs, on peut lire ceci à la page 111 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition :
Dans ses décisions sur ce type de situation, la présidence examine l’effet de l’incident ou de l’événement sur la capacité des députés de remplir leurs responsabilités parlementaires. Si, de l’avis de la présidence, l’exercice des fonctions parlementaires d’un député n’a pas été entravé, il ne peut y avoir matière à question de privilège de prime abord.
Ainsi, dans une décision rendue le 5 mai 1987, par le Président Fraser, à la page 5766 des Débats et reproduite aux pages 111 et 112 de l’ouvrage d’O’Brien et Bosc, on peut lire ceci :
Tout acte susceptible d’empêcher un député ou une députée de s’acquitter de ses devoirs et d’exercer ses fonctions porte atteinte à ses privilèges. Il est évident qu’en ternissant injustement la réputation d’un député, on risque de l’empêcher de faire son travail. Normalement, un député qui estime avoir été victime de diffamation a le même recours que n’importe quel autre citoyen; il peut intenter des poursuites en diffamation devant les tribunaux avec la possibilité de réclamer des dommages pour le tort qui lui a éventuellement été causé.
Pour étayer son argument, la députée de Portage–Lisgar a fait référence à une décision rendue le 29 octobre 1980 par la Présidente Sauvé, à la page 4213 des Débats. J’invite toutefois les députés à lire très attentivement cette décision, dont voici un extrait :
[…] il me semble que pour être assimilées à un outrage, les démarches ou les déclarations relatives à nos délibérations ou à la participation des députés devraient non seulement être erronées ou inexactes, mais plutôt être délibérément fausses ou inconvenantes et comprendre un élément de tromperie […] Mon rôle, par conséquent, consiste à interpréter les passages du document en question, mais non en fonction de leur substance. Je dois plutôt chercher à découvrir si, de prime abord, ils donnent une interprétation tellement déformée des événements ou des observations qui ont caractérisé nos délibérations qu’on ne peut de toute évidence éviter de les taxer de « faux ».
Les députés remarqueront que, dans cette affaire soulevée en 1980, la Présidente Sauvé s’intéressait à l’interprétation de déclarations faites pendant les délibérations de la Chambre. Or en l’espèce, les déclarations contestées ont été faites lors d’une entrevue avec la presse. Il s’agit là d’une importante différence.
Par le passé, lorsqu’il a fallu déterminer si des observations formulées en dehors de la Chambre constituaient une atteinte au privilège, les Présidents qui se sont succédé ont toujours conclu que la présidence n’était pas censée intervenir dans de telles questions. Je renvoie les députés à La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, page 614.
La Présidente Sauvé a résumé la question de façon très éloquente dans une décision rendue le 12 octobre 1983, à la page 27945 des Débats. Voici ce qu’elle a déclaré :
Les privilèges parlementaires sont limités dans leur application […] Les députés qui se lancent dans un débat public à l’extérieur de la Chambre ne jouissent d’aucune protection spéciale. On ne peut se plaindre d’une atteinte au privilège que si elle se rapporte aux délibérations parlementaires.
Il n’est pas étonnant, à la lumière de cette jurisprudence marquante, que l’on recense très peu de cas où la présidence a conclu qu’il y avait de prime abord matière à question de privilège relativement à une atteinte à la réputation d’un député. La députée de Portage–Lisgar a signalé à la Chambre l’un de ces rares exemples : une décision que j’ai rendue le 19 novembre 2009, à la page 6982 des Débats, au sujet de bulletins envoyés dans la circonscription de Sackville–Eastern Shore.
Même s’il est tentant d’assimiler cette affaire à celle qui nous intéresse aujourd’hui, la première comporte d’importantes différences avec l’espèce, et ce, à plusieurs égards. Tout d’abord, cette affaire concernait des bulletins payés sur un budget central de la Chambre. Puis, les bulletins avaient été envoyés directement à un grand nombre d’électeurs de la circonscription du député lésé, et ce, par un autre député. Enfin, l’information contenue dans ces bulletins était inexacte sur le plan des faits, de sorte qu’on y déformait carrément la position du député.
J’estime que la décision que j’ai rendue le 12 février 2009, aux pages 765 et 766 des Débats, nous sera d’une plus grande utilité. J’avais alors déclaré ceci :
[…] lorsqu’elle se prononce sur des questions de privilège de ce genre, la présidence est tenue d’évaluer si la capacité du député d’exercer ses fonctions parlementaires a réellement été entravée […] Sans minimiser l’importance de la plainte ou diminuer la gravité de la situation présentée par l’honorable député, il est difficile pour la présidence, en raison de la nature des événements, d’en venir à la conclusion que ces derniers empêchent le député d’exercer ses fonctions parlementaires.
Somme toute, à la lumière des arguments présentés relativement à l’affaire qui nous occupe, et compte tenu de la jurisprudence pertinente, je ne puis conclure que la députée a été gênée dans l’exécution de ses fonctions parlementaires. La présidence compatit avec la députée de Portage–Lisgar, mais elle est cependant tenue d’observer de strictes exigences lorsqu’elle tranche des questions de ce genre. En conséquence, je ne peux conclure qu’il y a de prime abord matière à question de privilège.
Les députés noteront que, lorsqu’elle a soulevé sa question de privilège, la députée de Portage–Lisgar a eu l’occasion de rectifier les faits : elle a réussi à dissiper toute impression fausse qui aurait pu subsister quant à sa véritable position sur la question traitée dans le communiqué électronique qui est au centre de cette controverse.
Je remercie les députés de leur attention.
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[1] Débats, 22 septembre 2010, p. 4253-4254.
[2] Débats, 12 février 2009, p. 713-714.