Le privilège parlementaire / Droits des députés
Protection contre l’obstruction, l’ingérence, l’intimidation et la brutalité : occupation du bureau parlementaire d’un député
Débats, p. 9245-9246
Contexte
Le 10 mars 2011, John Duncan (ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits et ministre de l’Agence canadienne de développement économique du Nord) soulève la question de privilège, alléguant que la présence non autorisée de Niki Ashton (Churchill), d’une délégation de Sayisi Dene et de plusieurs journalistes dans son bureau de la Colline du Parlement équivalait à une occupation de son bureau et constituait de l’intimidation ou de l’obstruction à l’endroit de son personnel. Le ministre avance que Mme Ashton a facilité l’accès de la délégation de Sayisi Dene à l’édifice abritant son bureau. Le Président indique qu’il repoussera sa décision en attendant que Mme Ashton puisse s’expliquer[1]. Plus tard au cours de la séance, Mme Ashton prend la parole pour répondre aux allégations et soutient qu’elle a simplement essayé d’organiser une rencontre entre le ministre et des électeurs de sa circonscription en visite. Elle ajoute que les aînés ont été invités à s’asseoir dans le bureau en attendant qu’on leur réponde. Elle dit aussi que tout au long de la visite, le ton de la conversation était tout à fait respectueux, comme l’ont confirmé les aînés dirigeant la délégation. Le Vice-président (Andrew Scheer) informe les députés que le Président prendra la question en délibéré[2].
Résolution
Le Président rend sa décision le 25 mars 2011. Il déclare que même si les députés doivent avoir accès aux ministres pour s’acquitter de leurs fonctions parlementaires, il existe une variété de moyens bien connus et tout à fait acceptables d’entrer en contact avec eux. Il réprouve Mme Ashton pour avoir ignoré ces moyens et manqué à la courtoisie qu’on attend habituellement des députés entre eux, tout en faisant l’éloge de l’approche calme et pondérée adoptée par le personnel du ministre pour gérer la situation. Devant l’absence de preuve donnant à penser que le personnel du ministre a été entravé dans l’exercice de ses fonctions, le Président conclut qu’il n’y a pas, de prime abord, matière à question de privilège.
Décision de la présidence
Le Président : À l’ordre, s’il vous plaît. Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 10 mars 2011, par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien au sujet d’une prétendue occupation de son bureau sur la Colline du Parlement.
Je remercie le ministre d’avoir soulevé cette question, ainsi que les députés de Churchill et de Yukon pour leurs interventions.
Dans son intervention, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a affirmé que, le mercredi 9 mars 2011, la députée de Churchill s’est présentée à son bureau, sans invitation, accompagnée d’un groupe de Sayisi Dene et de représentants des médias, et a fait pression sur son personnel pour obtenir une réunion sur-le-champ, malgré son absence. À son avis, il s’agissait d’une manifestation et d’une occupation de son bureau. Après avoir qualifié l’incident de grave abus de confiance et de question sérieuse sous l’angle de la sécurité, le ministre a fait part de ses préoccupations quant au fait que l’incident avait mis ses employés mal à l’aise et les avait empêchés de faire leur travail.
La députée de Churchill a répliqué que la visite n’était qu’une tentative visant à obtenir une réunion avec le ministre et non un événement orchestré dans le but de faire obstruction au travail du bureau du ministre.
Comme s’en souviendront les députés, il est écrit à la page 108 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, ce qui suit :
La présidence a régulièrement réaffirmé que la Chambre se devait de protéger contre toute intimidation, obstruction ou ingérence son droit de bénéficier des services de ses députés.
Il est également mentionné à la même page :
Au fil des ans, des députés ont porté à l’attention de la Chambre des cas où, selon eux, il y avait eu tentative d’obstruction, de nuisance, d’ingérence, d’intimidation ou de brutalité à leur endroit ou à l’endroit de leur personnel ou de personnes qui avaient affaire à eux ou à la Chambre.
Dans le cas qui nous occupe, la présidence doit déterminer si la présence non autorisée de la députée de Churchill, de la délégation de Sayisi Dene et des médias au bureau du ministre constituait de l’intimidation ou de l’obstruction à l’endroit du personnel du ministre. Pour m’aider à trancher, j’ai examiné le rapport rédigé à ce sujet par les services de sécurité de la Chambre des communes, dont les agents se sont rendus sur place après avoir été appelés par le personnel du ministre. Il apparaît clairement à la présidence, au vu des observations et du rapport des services de sécurité, que les personnes occupant le bureau du ministre n’avaient pas été invitées et n’étaient pas autorisées à s’y trouver. En outre, la présidence croit que le personnel du ministre s’est bel et bien senti mal à l’aise, quoiqu’il semble avoir géré la situation avec grâce et aplomb.
Je suis troublé de voir que la députée de Churchill ait pris l’initiative, sans avis préalable, d’amener un groupe au bureau d’un autre député. Que des représentants des médias aient fait partie de ce groupe rend la situation d’autant plus regrettable. Peu importe que la députée de Churchill ait eu de bonnes intentions ou que l’incident ait connu un dénouement heureux, il n’en demeure pas moins qu’il s’agissait d’une présence non autorisée au bureau du ministre qui a mis le personnel du ministre mal à l’aise au point où il a dû demander l’aide des services de sécurité. C’est tout à l’honneur du personnel du ministre — et, il faut le reconnaître, aussi à celui des visiteurs inattendus — que l’incident n’ait pas pris de plus amples proportions et que le ton soit demeuré respectueux.
Il est généralement accepté que les députés ont besoin de communiquer avec les ministres pour s’acquitter de leurs fonctions parlementaires, mais il est tout aussi vrai qu’il existe une variété de moyens bien connus et tout à fait acceptables d’engager de telles communications. On s’attend à ce que les députés fassent usage de ces moyens qui font consensus plutôt que de recourir à d’autres méthodes peu orthodoxes qui mettent des collègues dans des situations intenables. En raison des actions de la députée de Churchill, les invités de celle-ci ont occupé durant près d’une heure le bureau du ministre sans avoir pris rendez-vous au préalable. Il s’agit clairement d’un manquement aux pratiques habituelles que les députés sont censés observer. La présidence est déçue par le manque flagrant de courtoisie de la députée de Churchill, qui est contraire à ce qu’on attend habituellement des députés entre eux. En l’espèce, la situation a été bien gérée, mais il se peut que les résultats ne soient pas toujours aussi heureux.
Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour prévoir l’atmosphère de cirque qui en résulterait si tous les députés se permettaient d’escorter des électeurs, des délégations ou d’autres citoyens, quel que soit le mérite de leur cause ou de leur objectif, au bureau de l’un ou l’autre député de leur choix.
Cela dit, dans le cas présent, et ce en grande partie en raison de l’approche calme et pondérée adoptée par le personnel du ministre pour gérer la situation, peu d’éléments de preuve donnent à penser que le personnel du ministre a été entravé dans l’exercice de ses fonctions. Le ministre lui-même s’est gardé d’exagérer les répercussions de l’incident sur son personnel. Étant donné le seuil très élevé requis pour statuer dans de telles situations, la présidence ne peut pas conclure, dans le cas présent, qu’il y a de prime abord matière à question de privilège.
La présidence s’attend à ce que tous les députés tirent une leçon de cet incident et s’efforceront de maintenir l’intégrité et l’enceinte parlementaire comme milieu de travail où tous les députés se sentent en sécurité et respectés.
Je demande la collaboration active de tous les députés à cet égard, et je les remercie de leur attention.
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[1] Débats, 10 mars 2011, p. 8913-8914.