La Chambre et ses députés / Divers
Ratification de traités internationaux
Débats, p. 2016-2017
Contexte
Le 25 novembre 2002, Stephen Harper (chef de l’Opposition) invoque le Règlement relativement à une motion du gouvernement inscrite au Feuilleton portant ratification du Protocole de Kyoto. M. Harper soutient que la motion doit être jugée irrecevable, parce qu’elle est contraire au droit international de même qu’aux règles et usages canadiens régissant la ratification de traités, du fait qu’elle demande au gouvernement de ratifier un traité avant que la Chambre ait approuvé des dispositions législatives sur sa mise en œuvre. Après les interventions d’autres députés, le Vice-président (Bob Kilger) déclare qu’il n’a rien entendu pouvant l’amener à ne pas autoriser que la motion soit débattue et qu’il rendra sa décision dans les meilleurs délais, bien avant la fin du débat sur la motion. Après quelques rappels au Règlement et questions de privilège, la Chambre met la motion à l’étude[1].
Résolution
Le 28 novembre 2002, le Vice-président rend sa décision. Faisant remarquer que la motion en question se veut une preuve de l’appui accordé au gouvernement pour qu’il ratifie et mette en œuvre le traité, et insistant sur l’absence de règle ou d’usage de la Chambre exigeant l’adoption préalable d’une loi habilitante, le Vice-président déclare que la ratification de traités est une prérogative exclusive de la Couronne, un acte de l’exécutif qui n’est pas subordonné à l’édiction préalable par le Parlement d’une loi de mise en œuvre. Il rappelle aux députés qu’il n’appartient pas au Président d’interpréter les questions constitutionnelles ou juridiques et qu’il ne peut, par conséquent, se prononcer sur la validité constitutionnelle ou la légalité de la motion. Il la déclare donc recevable.
Décision de la présidence
Le Vice-président : Je voudrais maintenant aborder le rappel au Règlement soulevé le 25 novembre dernier par le chef de l’Opposition au sujet de la motion no 9 des Affaires émanant du gouvernement, inscrite au nom du ministre de l’Environnement.
Le député a allégué que la motion demandant au gouvernement de ratifier le Protocole de Kyoto sur les changements climatiques est contraire au Règlement et ne devrait pas être acceptée par la présidence.
Je remercie le chef de l’Opposition d’avoir soulevé la question, ainsi que le leader du gouvernement à la Chambre, le secrétaire parlementaire du ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, le très honorable député de Calgary Centre, le député de Fraser Valley et le député de Kootenay–Columbia pour leurs interventions à cet égard. Dans son intervention, le chef de l’Opposition a fait valoir que, d’après le droit international et la pratique établie au Canada, le gouvernement ne peut ratifier un traité dont la mise en œuvre exige un projet de loi tant que ce projet de loi n’a pas lui-même été adopté par cette Chambre. Il soutient que, pour que le Protocole de Kyoto soit mis en œuvre, le Parlement doit d’abord adopter une loi habilitante, suivie de la ratification du Protocole. Par conséquent, il a demandé à la présidence de considérer cette motion comme contraire au Règlement et de la retirer du Feuilleton.
À mon avis, une grande question fondamentale se dégage du cas qui nous occupe : existe-t-il quelque chose dans la procédure ou les usages parlementaires canadiens qui exige que la motion dont la Chambre est saisie soit précédée de mesures législatives? Autrement dit, en l’absence d’une loi habilitante, le Président doit-il conclure que la motion est contraire au Règlement?
Après avoir examiné très minutieusement les arguments présentés à ce sujet par l’honorable chef de l’Opposition, j’aimerais faire part à la Chambre des points suivants.
En premier lieu, la présidence estime que l’intention qui sous-tend la motion présentée par le ministre de l’Environnement n’est pas, de toute évidence, une ratification du Protocole de Kyoto. Le pouvoir de ratification appartient à la Couronne et non au Parlement ni à la Chambre. La motion permet plutôt la tenue d’un débat à la Chambre sur la ratification du Protocole de Kyoto.
Si la motion était adoptée, cela serait une preuve de l’appui accordé au gouvernement pour qu’il procède à la ratification et à la mise en œuvre du Protocole.
Comme il a été signalé dans les interventions de certains députés au cours des derniers jours, l’une des prérogatives de la Couronne est de conclure des traités sans avoir à obtenir l’approbation du Parlement. Comme l’explique R. McGregor Dawson à la page 205 de l’ouvrage intitulé The Government of Canada :
On peut consulter le Parlement et même lui demander d’approuver des accords et traités internationaux, mais cela se fait essentiellement pour des raisons de commodité et de stratégie politique. La ratification actuelle est strictement un acte de l’exécutif.
Il n’existe aucune exigence légale ou constitutionnelle qui soumet la ratification des accords internationaux à l’approbation du Parlement. Le gouvernement peut choisir de déposer un accord à la Chambre. Il peut aussi décider de présenter des propositions de résolution à la Chambre et au Sénat afin d’obtenir leur approbation à un tel accord. Puis, il dispose d’une troisième option : demander l’approbation de la Chambre pour déposer un projet de loi visant à modifier les lois du Canada en vue de la mise en œuvre de l’accord. C’est sur ce dernier point que je m’attarderai maintenant.
Le chef de l’Opposition soutient que les dispositions législatives nécessaires à la mise en œuvre des dispositions d’un traité doivent être en place avant la ratification. Or, une étude des faits passés semblerait indiquer qu’il peut y avoir des traités qui n’ont pas besoin de mesures législatives pour être mis en œuvre. Il peut aussi arriver que le gouvernement du Canada signe un traité sans jamais le ratifier, ou encore ratifie un traité, mais décide par la suite de ne pas le mettre en œuvre pour une raison quelconque. Le point essentiel à retenir est que la ratification d’un traité est un acte de l’exécutif, une prérogative de la Couronne. La ratification n’est subordonnée d’aucune façon à l’adoption préalable d’une loi de mise en œuvre par le Parlement.
En examinant les archives de la Chambre, on peut constater qu’elle a approuvé, par résolution, l’Accord de 1965 sur le Pacte de l’automobile entre le Canada et les États-Unis sans avoir vu au préalable les dispositions législatives de mise en œuvre. Il se peut qu’un traité, qu’il ait déjà été ratifié ou non par le gouvernement, exige l’édiction d’une loi s’il doit être mis en œuvre de manière à faire partie du droit interne canadien. À cet égard, l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis de 1988 et l’Accord de libre-échange nord-américain de 1993 ont été présentés à la Chambre sous forme d’annexes à des projets de loi de mise en œuvre. Dans chaque cas, le projet de loi précisait que le gouvernement du Canada avait déjà conclu l’accord de libre-échange et le titre indiquait que le projet de loi visait la « mise en œuvre » de cet accord. Chaque projet de loi renfermait des dispositions qui modifiaient les lois fédérales de manière à donner effet à l’accord de libre-échange déjà conclu et figurant en annexe. Rien n’indiquait dans ces projets de loi que le gouvernement demandait au Parlement d’approuver les traités en vue de leur ratification.
La question qui se pose est de savoir s’il faut adopter une loi de mise en œuvre avant la ratification d’un traité. Cela ne semble pas être une règle de procédure ni un usage de notre Chambre.
Prenons un autre exemple. Au cours de la deuxième session de la 36e législature, la Chambre et le Sénat ont adopté le projet de loi C-19, une loi habilitante nécessaire à la promulgation ou à la mise en œuvre des obligations du Canada aux termes du traité intitulé Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Le projet de loi énumérait les nouvelles infractions incorporées au Code criminel et modifiait les lois fédérales relatives à l’extradition et à l’entraide juridique.
Comme je l’ai dit plus tôt, bon nombre d’accords internationaux n’exigent pas de loi habilitante. Les lois habilitantes ou de mise en œuvre ne deviennent nécessaires que lorsque l’accord nécessite la modification des lois canadiennes. Parmi plus de 1 400 accords internationaux conclus par le Canada de 1928 à 1978, seulement 111 ont exigé l’adoption d’une loi habilitante, dont 47 en matière fiscale. De 1979 à 1986, le Canada a conclu 500 autres accords, dont seulement 33 ont nécessité l’adoption d’une loi.
Il convient également de souligner que la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, adoptée à Rio de Janeiro en 1992, a été signée par un ministre et ratifiée par le Canada sans qu’aucune loi habilitante ne soit adoptée.
Lorsque le gouvernement a déposé la semaine dernière son plan de mise en œuvre du Protocole de Kyoto, aucune loi habilitante ne l’accompagnait. On ne peut que conclure que le gouvernement, après avoir consulté ses conseillers juridiques dans les ministères visés, n’a pas jugé utile d’adopter une loi habilitante pour l’instant.
À l’instar de bon nombre de mes prédécesseurs, je réitère qu’il n’appartient pas au Président de se prononcer sur les questions de droit. Dans une décision rendue le 9 avril 1991, le Président Fraser a signalé que :
la présidence n’a pas pour rôle d’interpréter les questions d’ordre constitutionnel ou juridique.
Ce principe a également été clairement posé dans la 4e édition de Bourinot, à la page 180 :
Le Président ne décide d’aucune question d’ordre constitutionnel ni juridique, bien qu’il soit permis de soulever une question de ce genre par rappel au Règlement ou question de privilège.
Il ne revient pas au Président de statuer sur la validité constitutionnelle ou la légalité des mesures présentées à la Chambre. La présidence ne peut présumer que le Protocole de Kyoto exigera l’adoption d’une loi de mise en œuvre. Ce sera peut-être le cas, mais, pour l’instant, ce qu’on demande à la Chambre, c’est d’étudier une résolution demandant au gouvernement de ratifier le traité. Si les députés s’opposent à cette résolution parce qu’aucune loi de mise en œuvre n’a été adoptée, ils pourraient faire valoir cet argument au cours du débat sur la résolution et en tenir compte au moment de voter sur celle-ci.
Bien que le chef de l’Opposition ait soulevé un point intéressant quant à la motion dont la Chambre est saisie, la présidence ne peut que conclure que la pratique au Canada n’étaye pas son argument voulant que la ratification de tous les traités internationaux nécessite l’adoption préalable d’une loi habilitante. Par conséquent, je considère que la motion du ministre de l’Environnement a été présentée à la Chambre selon nos règles.
Note de la rédaction
Voir aussi d’autres décisions du 25 novembre 2002[2].
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[1] Débats, 25 novembre 2002, p. 1826-1829, 1847.