Recueil de décisions du Président Peter Milliken 2001 - 2011

La Chambre et ses députés / Divers

Adoption d’un rapport de comité : se prononcer deux fois sur la même question

Débats, p. 5725-5727

Contexte

Le 2 mai 2005, Tony Valeri (leader du gouvernement à la Chambre des communes) invoque le Règlement pour contester la recevabilité d’un amendement, proposé le 22 avril 2005 par Stephen Harper (chef de l’Opposition), à la motion portant adoption du troisième rapport du Comité permanent des finances sur ses consultations prébudgétaires. Le Vice-président (Chuck Strahl) avait jugé l’amendement recevable[1]. L’amendement aurait eu pour effet de renvoyer le rapport, avec instruction de le modifier de manière à recommander que le gouvernement démissionne pour avoir rejeté certaines recommandations clés du rapport et pour avoir refusé de mettre en œuvre les changements budgétaires demandés. M. Valeri soutient que l’amendement n’est pas conforme, sur le plan de la procédure, aux modalités énoncées à l’article 83.1 du Règlement, que l’amendement pose à la Chambre une question sur laquelle elle s’est déjà prononcée, et que les dispositions provisoires de l’article 66 du Règlement concernant l’adoption des rapports de comité n’ont pas pour but de permettre la mise aux voix de points accessoires par le biais d’amendements. Après avoir écouté d’autres députés, le Président prend l’affaire en délibéré[2].

Résolution

Le 5 mai 2005, le Président rend sa décision sur les trois objections soulevées par le ministre. En ce qui concerne le mandat du Comité des finances d’entreprendre des consultations prébudgétaires en vertu de l’article 83.1 du Règlement, et de l’argument du ministre selon lequel le pouvoir conféré au Comité pour faire rapport des politiques budgétaires du gouvernement est directement lié au cycle budgétaire et que son mandat expire au moment où le gouvernement présente son budget, le Président statue que, contrairement à un comité spécial, qui devrait être reconstitué pour réexaminer son rapport final, le Comité des finances est permanent et peut recevoir des instructions de la Chambre l’obligeant à réexaminer l’un ou l’autre de ses rapports. Par conséquent, l’amendement n’est pas, estime-t-il, contraire aux modalités de l’article 83.1 du Règlement. En ce qui concerne le fait de se prononcer deux fois sur la même question, le Président fait valoir que la Chambre a dû se prononcer sur trois motions distinctes relativement au Comité des finances et au budget : une motion visant à prendre note d’un rapport; une motion pour approuver la politique budgétaire du gouvernement; et une motion pour adopter un rapport. Pour cette raison, il déclare qu’il ne partage pas l’avis du leader du gouvernement à la Chambre, selon lequel la Chambre est appelée à se prononcer une deuxième fois sur la même question. En ce qui concerne la troisième objection du leader du gouvernement à la Chambre, selon laquelle la modification apportée à l’article 66 du Règlement sur l’adoption des rapports de comité n’a pas pour but « de permettre de mettre aux voix des points accessoires par le biais d’amendements », le Président rappelle à la Chambre que le ministre a reconnu que l’amendement visant à renvoyer le rapport au Comité avec instruction était recevable. Il souligne aussi que l’article 66 du Règlement ne fait que prévoir un mécanisme permettant à la Chambre de se prononcer sur les motions d’adoption de rapports de comité et, par voie de conséquence, sur les amendements proposés à ces motions. Il conclut qu’il n’appartient pas à la présidence de se prononcer sur le fond des motions et que son rôle consiste plutôt à déterminer si les règles de procédure ont été respectées, ajoutant qu’il ne trouvait aucun élément de procédure rendant l’amendement irrecevable. Il statue donc que l’amendement est recevable.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé le 2 mai 2005 par le leader du gouvernement à la Chambre des communes au sujet de la recevabilité de l’amendement de la motion proposant l’adoption du troisième rapport du Comité permanent des finances.

J’aimerais remercier l’honorable ministre d’avoir soulevé cette question, ainsi que l’honorable leader de l’Opposition à la Chambre, l’honorable leader du Bloc Québécois à la Chambre et les honorables députés de Glengarry–Prescott–Russell et de Calgary-Sud-Est pour leur contribution à la discussion.

Pour commencer, permettez-moi de situer le contexte de cette question. Le 22 avril 2005, le leader de l’Opposition à la Chambre a présenté une motion proposant l’adoption du troisième rapport du Comité permanent des finances. Ce rapport porte sur les consultations prébudgétaires menées par le Comité des finances en vertu de l’article 83.1 du Règlement.

Au cours du débat sur la motion d’adoption, l’honorable chef de l’Opposition officielle a proposé l’amendement suivant :

Que la motion soit modifiée par substitution, aux mots suivant le mot « Que », de ce qui suit :

Le troisième rapport du Comité permanent des finances, présenté le lundi 20 décembre 2004, ne soit pas agréé, mais renvoyé au Comité permanent des finances avec l’instruction de le modifier de manière à recommander que le gouvernement démissionne du fait qu’il a rejeté certaines recommandations clés du Comité et qu’il refuse de mettre en œuvre les changements budgétaires dont les Canadiens ont besoin.

Le Vice-président a jugé l’amendement recevable et a présenté la question, après quoi le débat a continué au sujet de l’amendement. Lorsqu’il a fait son rappel au Règlement, le leader du gouvernement à la Chambre a très bien présenté le processus qui s’applique aux amendements des motions d’adoption des rapports de comité. Comme le ministre l’a noté à juste titre, notre usage a toujours été de permettre à la Chambre de donner à un comité l’instruction facultative ou impérative de modifier le texte d’un rapport.

L’honorable leader du gouvernement à la Chambre a ensuite soulevé trois objections principales.

Il a tout d’abord dit être préoccupé par le fait que l’amendement débordait le mandat que l’article 83.1 du Règlement confère au Comité des finances. Il a soutenu que le pouvoir du Comité des finances de faire rapport sur la politique budgétaire du gouvernement, conformément à l’article 83.1 du Règlement, est directement lié au cycle budgétaire du gouvernement et que ce mandat expire au moment où le gouvernement présente son budget.

Cet argument a également été avancé par le député de Glengarry–Prescott–Russell. Le ministre a de plus indiqué que l’amendement allait au-delà du calendrier établi dans le Règlement, prolongeant ainsi la période de validité de l’ordre de renvoi du Comité pour ce rapport. Il a conclu en disant que, à tout le moins, l’amendement aurait dû comporter la mention « Nonobstant le paragraphe 83.1 du Règlement ».

En deuxième lieu, le ministre a soutenu que l’amendement est irrecevable car il pose à la Chambre une question qui a déjà été mise aux voix. Il a souligné qu’il y avait eu deux jours de débat sur le contenu du troisième rapport du Comité des finances, présenté le 20 décembre 2004, et qu’aucune motion d’adoption du rapport n’avait été présentée avant le dépôt du budget le 23 février 2005.

Après avoir précisé que le budget avait été adopté le 9 mars, il a fait valoir que l’amendement de la motion d’adoption ordonne au Comité des finances de condamner le gouvernement pour n’avoir pas accepté ses recommandations relatives à la politique budgétaire, alors que la Chambre a en fait déjà approuvé la politique budgétaire du gouvernement. Par conséquent, l’amendement aurait pour effet, selon lui, de demander à la Chambre de se prononcer une deuxième fois sur la même question.

En troisième lieu, le ministre s’est dit inquiet car les récentes modifications apportées au Règlement relativement aux motions d’adoption des rapports de comité n’avaient pas pour objet, et je le cite : « de permettre de mettre aux voix des points accessoires par le biais d’amendements. »

Lors de son intervention sur cette question, le leader de l’Opposition à la Chambre a fait remarquer que l’amendement avait été jugé recevable par le Vice-président le 22 avril dernier et que la motion et l’amendement avaient fait l’objet d’un débat d’une durée d’une heure et dix-neuf minutes. Il a refusé l’argument selon lequel le mandat du Comité des finances aurait expiré et soutient que la motion d’instruction est effectivement recevable puisqu’elle a trait à l’ordre de renvoi du Comité.

L’honorable leader du Bloc Québécois à la Chambre a appuyé les arguments présentés par l’honorable leader de l’Opposition à la Chambre. Il a également soutenu que ce rapport n’était en rien différent de tout autre rapport de comité, contrairement à ce qu’a avancé l’honorable leader du gouvernement à la Chambre. Il a finalement rappelé à la Chambre que, malgré le vote du 9 mars, qui approuvait la politique budgétaire du gouvernement de façon générale, et, compte tenu de certains événements récents, le budget semblait une œuvre en évolution. Il a conclu en disant qu’il était tout à fait acceptable de demander au Comité de réexaminer le rapport.

Le député de Calgary-Sud-Est s’est également penché sur la procédure d’adoption des rapports de comités.

Comme le savent les députés, la procédure applicable aux motions d’adoption des rapports de comités a suscité beaucoup d’attention au cours des dernières semaines. J’ai soigneusement étudié les arguments qui m’ont été présentés et je suis maintenant prêt à traiter des divers points qui ont été soulevés.

Le leader du gouvernement à la Chambre s’est demandé si la durée de l’ordre de renvoi du Comité permanent des finances, prévu à l’article 83.1 du Règlement, se prolongeait au-delà de la présentation des rapports sur la politique budgétaire du gouvernement.

Cet article est le suivant :

À compter du premier jour de séance en septembre, chaque année, le Comité permanent des finances est autorisé à examiner les propositions concernant les politiques budgétaires du gouvernement et à faire rapport à ce sujet. Les rapports ainsi établis peuvent être déposés au plus tard dix jours de séance avant le dernier jour ordinaire de séance, en décembre, tel que stipulé à l’article 28(2) du Règlement.

Bien que le Règlement prévoie un délai pour le dépôt des rapports sur les politiques budgétaires du gouvernement, il ne précise pas s’il est possible de présenter une motion d’adoption du rapport, ni le moment pour le faire.

Le paragraphe 66(2) du Règlement prévoit quant à lui une procédure d’adoption des rapports de comité. Il n’interdit pas la présentation d’une motion d’adoption des rapports déposés aux termes de l’article 83.1 du Règlement, ni n’impose de délai pour présenter de telles motions.

Même si une vérification de nos précédents révèle que nous étudions habituellement la teneur des rapports sur les consultations prébudgétaires au moyen de débats exploratoires, il est arrivé, en 2001, que la Chambre procède à un débat sur l’adoption d’un tel rapport.

Les 1er et 7 novembre 2001, la Chambre a tenu un débat sur une motion du gouvernement portant « Que la Chambre prenne note des consultations prébudgétaires en cours ». Le 26 novembre, le Comité permanent des finances a présenté son dixième rapport (consultations prébudgétaires). Le 10 décembre, le discours du budget a été prononcé; il a fait l’objet d’un débat les 11 et 12 décembre.

Le 13 décembre, la motion d’adoption du dixième rapport du Comité des finances a été présentée et a fait l’objet d’un débat ce jour-là. Ensuite, conformément à nos anciennes règles de procédure, elle a été transférée sous la rubrique Ordres émanant du gouvernement. Le budget a ensuite été débattu le 28 janvier, puis il a été adopté le 29 janvier 2002.

Cet exemple diffère de la situation qui nous occupe aujourd’hui, puisque la motion a été débattue avant que le budget soit adopté. Néanmoins, je mentionne cet exemple pour démontrer qu’à cette occasion aucune objection n’avait été soulevée quant à l’acceptabilité de présenter une motion d’adoption d’un rapport de comité déposé aux termes de l’article 83.1 du Règlement, contrairement à la situation actuelle.

Quant aux préoccupations du ministre concernant l’impossibilité de renvoyer le rapport au Comité des finances parce que son mandat spécifique accordé par l’article 83.1 du Règlement aurait expiré, je crois que, contrairement à un comité spécial qui devrait être reconstitué pour réexaminer son rapport final, le Comité permanent des finances continue d’exister et peut recevoir des instructions de la Chambre l’obligeant à réexaminer l’un ou l’autre de ses rapports. Par conséquent, je ne souscris pas à l’argument voulant qu’il était nécessaire d’inclure la mention « nonobstant le paragraphe 83.1 du Règlement » dans la motion d’amendement.

La deuxième question abordée par l’honorable leader du gouvernement à la Chambre concernait le fait de se prononcer deux fois sur la même question. Selon lui, puisque la politique budgétaire avait déjà fait l’objet d’un débat avant d’être adoptée, il n’était pas nécessaire d’adopter un rapport de comité qui traitait essentiellement de la politique budgétaire.

Le leader du Bloc Québécois à la Chambre nous a rappelé certains événements récents qui laissent croire qu’il y a des discussions permanentes sur le contenu du budget. La façon dont j’interprète les travaux qui se sont déroulés jusqu’à présent à cet égard doit s’appuyer strictement sur la procédure. Dans cette optique, il me semble que l’on a demandé à la Chambre de se prononcer sur trois questions distinctes.

Premièrement, il y a eu un débat exploratoire les 31 janvier et le 1er février derniers. La motion alors devant la Chambre était : « Que la Chambre prenne note du troisième rapport du Comité permanent des finances ». Les députés se rappelleront qu’aucune décision n’a été prise sur la motion.

Deuxièmement, il y a eu un débat sur le budget qui s’est déroulé le 24 février ainsi que les 7, 8 et 9 mars. La motion dont la Chambre était saisie portait : « Que la Chambre approuve la politique budgétaire générale du gouvernement ».

Troisièmement, un débat sur la motion suivante : « Que le troisième rapport du Comité permanent des finances, présenté le lundi 20 décembre 2004, soit agréé » a débuté le 22 avril.

À mon avis, on a demandé à la Chambre de se prononcer sur trois différentes questions : une motion visant à prendre note d’un rapport, une motion portant adoption de la politique budgétaire du gouvernement et une motion portant adoption d’un rapport. Il s’agit là de trois motions différentes qui amènent trois résultats différents. Par conséquent, je ne partage pas l’avis du leader du gouvernement à la Chambre, qui soutient que la Chambre est appelée à se prononcer une deuxième fois sur la même question.

La dernière question soulevée par le ministre se rapporte à la nature ou à l’objet de l’amendement. Il a soutenu que les dispositions provisoires du Règlement relatives à l’adoption des rapports de comités n’avaient pas pour but « de permettre de mettre aux voix des points accessoires par le biais d’amendements ».

L’article 66 du Règlement ne fait que prévoir un mécanisme permettant à la Chambre de se prononcer sur les motions d’adoption de rapports de comité et, par voie de conséquence, sur les amendements proposés à ces motions. Lors de son intervention, le ministre a reconnu que l’amendement visant à renvoyer un rapport au comité avec instructions est recevable. La présidence ne peut trouver dans la procédure aucun fondement qui permettrait de déclarer l’amendement déficient.

En effet, si on se reporte au précédent du 22 juin 1926, qu’ont présenté le leader de l’Opposition à la Chambre et le député de Glengarry–Prescott–Russell et qu’on peut retrouver aux pages 461 et 462 des Journaux de 1926, on constate qu’un amendement contenant des propos clairement préjudiciables au gouvernement de l’époque et qui visait à modifier une motion d’adoption du rapport d’un comité spécial a été présenté avec succès. J’estime que cet exemple n’est pas si différent de l’amendement dont la Chambre est actuellement saisie.

Or, il n’appartient pas au Président de se prononcer sur le fond des motions; le rôle de la présidence est plutôt de déterminer si les règles de procédure ont été respectées lors de la présentation de motions à la Chambre. Si la présidence juge qu’un amendement est recevable, le sort de l’amendement et de la motion d’adoption du rapport repose alors entre les mains de la Chambre.

Après avoir soupesé les arguments invoqués dans le cas présent, je dois souscrire à la décision du Vice-président et statuer que l’amendement est recevable.

Encore une fois, je tiens à remercier le leader du gouvernement à la Chambre d’avoir porté cette question à l’attention de la Chambre.

Post-scriptum

Le 16 mai 2005, la Chambre adopte un ordre spécial pour que le débat sur la motion visant à adopter le troisième rapport du Comité permanent des finances soit réputé avoir été tenu et qu’un vote par appel nominal soit réputé avoir été demandé et reporté au 18 mai 2005[3]. Le lendemain, le vote reporté est de nouveau reporté au 31 mai 2005[4]. Le 30 mai 2005, la Chambre ordonne que l’amendement de M. Harper à la motion visant à adopter le rapport soit réputé rejeté à la majorité et que la motion elle-même soit réputée adoptée majoritairement[5].

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[1] Débats, 22 avril 2005, p. 5461.

[2] Débats, 2 mai 2005, p. 5512-5517.

[3] Journaux, 16 mai 2005, p. 758.

[4] Journaux, 17 mai 2005, p. 764-765.

[5] Journaux, 30 mai 2005, p. 803-804.

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