Recueil de décisions du Président Peter Milliken 2001 - 2011

Les procédures financières / Travaux des subsides

Phase législative : budget principal des dépenses; Rapport sur les plans et priorités; divulgation avant présentation à la Chambre

Débats, p. 4493-4494

Contexte

Le 27 février 2003, John Williams (St. Albert) soulève une question de privilège et accuse Martin Cauchon (ministre de la Justice et procureur général du Canada) d’outrage au Parlement en raison d’un communiqué diffusé par le gouvernement divulguant des détails sur le financement du Programme canadien des armes à feu. M. Williams souligne que ces détails n’ont pas encore été fournis à la Chambre des communes et présume qu’ils seront inclus plus tard dans le Rapport sur les plans et les priorités du ministère. M. Williams fait aussi référence à une note du Budget supplémentaire des dépenses (B) de 2002-2003 indiquant qu’un montant de 14 098 739 $ a été versé au ministère de la Justice en provenance du crédit 5 du Conseil du Trésor, le crédit pour éventualités. Il affirme que si ces fonds sont effectivement destinés au Programme de contrôle des armes à feu, en remplacement de la demande de fonds initiale que le gouvernement a dû retirer du Budget supplémentaire des dépenses (A) de 2002-2003, le ministre a fait fi de la volonté de la Chambre et a donc commis un outrage au Parlement[1]. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend la question en délibéré. Le lendemain, Don Boudria (leader du gouvernement à la Chambre des communes) intervient pour informer la Chambre que ces fonds avaient servi à des poursuites en matière de drogue et à des litiges concernant les Autochtones, et non pas au Programme de contrôle des armes à feu[2].

Résolution

Le Président rend sa décision le 20 mars 2003. Acceptant l’explication du leader du gouvernement à la Chambre des communes sur l’utilisation des fonds provenant du crédit 5 du Conseil du Trésor, le Président déclare qu’il considère cet aspect de la question comme étant réglé. En ce qui concerne les allégations sur la divulgation prématurée de renseignements, le Président fait remarquer que la pratique à cet égard varie grandement, selon la nature des renseignements et la raison pour laquelle ils sont présentés à la Chambre. Bien qu’il y aurait atteinte au privilège si l’on dévoilait le contenu d’un projet de loi ou d’une ébauche de rapport de comité avant leur présentation à la Chambre, il conclut que le fait de rendre publics certains renseignements pouvant se retrouver plus tard dans le Rapport sur les plans et les priorités d’un ministère ne constitue pas une atteinte au privilège de la Chambre.

Décision de la présidence

Le Président : Avant de passer à l’ordre du jour, je signale que je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée par le député de St. Albert le 27 février dernier au sujet de la divulgation aux médias de renseignements sur le Budget principal des dépenses de 2003-2004, avant que ces renseignements soient présentés à la Chambre.

Je remercie le député de St. Albert d’avoir soulevé cette question, ainsi que le leader du gouvernement à la Chambre et le député de St. John’s-Ouest pour leur contribution à cet égard.

Le député de St. Albert s’est plaint du fait qu’un communiqué du gouvernement fournissait des détails sur la répartition des fonds demandés pour le Programme canadien de contrôle des armes à feu dans le Budget principal des dépenses de 2003-2004. Il a de plus signalé qu’un porte-parole du ministre de la Justice avait dit, selon un reportage du National Post, que ces détails ne seraient fournis à la Chambre qu’à la fin mars. Le député a présumé que ces renseignements seraient inclus dans le Rapport sur les plans et les priorités du ministère de la Justice, communément appelé la partie III du Budget principal des dépenses.

En plus de cette question, le député a porté à l’attention de la présidence une note figurant dans le Budget supplémentaire des dépenses (B) de 2002-2003, qui indique selon lui qu’une avance de fonds de 14 098 739 $, provenant du crédit 5 pour éventualités du Conseil du Trésor, a été accordée au ministère de la Justice. Il a fait remarquer que, si ces fonds avaient été fournis pour combler un déficit dans le financement du Programme d’enregistrement des armes à feu créé par le retrait de la demande de fonds figurant initialement dans le Budget supplémentaire des dépenses (A) de 2002-2003, cela voudrait dire qu’on a fait fi de la volonté du Parlement et qu’il y a outrage.

Pour répondre à ces accusations, l’honorable leader du gouvernement à la Chambre a informé les honorables députés que le ministère de la Justice avait utilisé la somme de 14 millions de dollars avancée sur le crédit pour éventualités du Conseil du Trésor pour des poursuites liées aux drogues et pour des procédures judiciaires concernant les Autochtones.

Dans une déclaration faite au sujet de cette question de privilège le 28 février 2003, le ministre a confirmé que ces fonds faisaient en effet partie de l’augmentation requise pour répondre aux principaux besoins de fonctionnement qu’il avait déterminés, à savoir une charge de travail accrue liée aux poursuites concernant les drogues et aux procédures judiciaires visant les Autochtones.

Compte tenu de l’explication fournie par le ministre, la présidence peut maintenant présumer que cet aspect de la question est réglé.

Les députés qui souhaitent obtenir de plus amples renseignements sur l’utilisation des fonds provenant du crédit pour éventualités disposent de nombreux moyens pour le faire. Par exemple, les députés peuvent, bien sûr, demander des renseignements à ce sujet à la présidente du Conseil du Trésor pendant la période des questions ou lorsqu’elle comparaît devant comité. Ou encore, les députés peuvent poser des questions individuellement aux ministres, au secrétaire parlementaire ou aux hauts fonctionnaires qui comparaissent devant les comités au sujet du budget principal des dépenses et leur demander si le ministère ou l’organisme qu’ils représentent ont eu à obtenir des fonds supplémentaires du Conseil du Trésor au moyen du crédit pour éventualités.

L’autre point qu’a soulevé le député de St. Albert concerne la divulgation prématurée de renseignements. Notre pratique à cet égard varie grandement selon la nature des renseignements et l’objet de leur présentation à la Chambre.

Comme le député l’a signalé, il a été clairement établi dans des décisions antérieures que la divulgation, avant la présentation à la Chambre, de projets de loi dont un avis a été donné constitue une atteinte aux privilèges de la Chambre. À cet égard, j’ai précisé dans la décision que j’ai rendue le 19 mars 2001, consignée à la page 1840 du compte rendu :

La convention de la confidentialité des projets de loi inscrits au Feuilleton est nécessaire non seulement pour que les députés eux-mêmes soient bien informés, mais aussi en raison du rôle capital que la Chambre joue, et doit jouer, dans les affaires du pays.

Par ailleurs, tous les honorables députés sont au courant de l’exigence de confidentialité des rapports des comités avant leur dépôt, qui est énoncée à la page 884 de La procédure et les usages de la Chambre des communes.

Notre pratique garantit également la confidentialité de tous les rapports déposés en vertu d’une loi du Parlement ou d’une résolution de la Chambre, comme le prévoit le paragraphe 32(1) du Règlement. En ce qui concerne les rapports annuels, je renvoie les députés à la déclaration faite par le Président Fraser le 7 mai 1992, figurant à la page 10407 du compte rendu.

Dans le cas présent, les renseignements dont la divulgation est reprochée ont apparemment été rendus publics sous la forme de documents d’information concernant le Budget principal des dépenses. Ce Budget a été déposé à la Chambre en bonne et due forme le 26 février 2003 et il n’a jamais été question de divulgation prématurée de son contenu hors de la Chambre. Le député de St. Albert suppose néanmoins que ces documents d’information pourraient être inclus dans le Rapport sur les plans et les priorités que doit déposer le ministère de la Justice d’ici la fin du mois. Il se fonde sur cette supposition pour alléguer que les renseignements ont été divulgués prématurément, et c’est sur cette allégation que repose l’accusation d’outrage.

Examinons le contexte. Tout d’abord, il importe de reconnaître qu’on a tenté à maintes reprises au fil des ans de réagir aux diverses frustrations éprouvées par les députés au cours de l’examen du Budget principal des dépenses. Certains députés se souviendront de l’époque où, avec ce que l’on appelait communément le « livre bleu » comprenant les parties I et II, soit le Plan de dépenses du gouvernement et le Budget principal des dépenses, le gouvernement déposait les parties III s’y rattachant. Ce Livre bleu supplémentaire de chaque ministère et chaque organisme ventilait en détail tous les crédits énumérés dans le Budget principal des dépenses. Lorsque des députés se sont plaints du fait que les prévisions détaillées des dépenses annuelles les inondaient de renseignements sans pour autant mieux les éclairer au sujet des plans stratégiques sur lesquels ces dépenses étaient censément fondées, le gouvernement a réagi en mettant sur pied le système actuel des Rapports sur les plans et priorités.

La forme actuelle de ces rapports tels qu’ils sont déposés à la Chambre est le fruit d’une longue étude du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre en matière de crédits menée au cours des années 1995 à 1998. Maintenant déposés chaque année, les Rapports sur les plans et priorités sont décrits dans les budgets comme :

[…] des plans de dépenses établis par chaque ministère et organisme (à l’exception des sociétés d’État). Ces rapports présentent des renseignements plus détaillés au niveau des secteurs d’activité et portent également sur les objectifs, les initiatives et les résultats prévus; il y est fait également mention des besoins connexes en ressources pour une période de trois ans. Les RPP contiennent également des données sur les besoins en ressources humaines, les grands projets d’immobilisations, les subventions et contributions, et les coûts nets des programmes.

Les Rapports sur les plans et les priorités détaillent les intentions du gouvernement pour l’exercice en cours ainsi que les deux exercices subséquents. De plus, comme l’a récemment constaté la Chambre, ils renseignent sur les exigences budgétaires de l’exercice en cours, en fonction du budget principal des dépenses, et contiennent également les demandes supplémentaires qui n’ont pas encore été présentées au Parlement. Ils sont étudiés par les comités conformément aux dispositions du paragraphe 81(7) du Règlement. Compte tenu de leur conception récente et des événements survenus dernièrement à la Chambre à leur égard, il pourrait être souhaitable de réexaminer leur forme ou leur présentation.

Dans un certain sens, il est donc raisonnable de conclure que, tout comme pour les rapports annuels des ministères et les rapports de nos comités, le fait de rendre publics les Rapports sur les plans et les priorités avant qu’ils soient dûment déposés à la Chambre constitue une atteinte au privilège. Néanmoins, dans le cas qui a été soulevé, nous ne faisons pas face à une divulgation prématurée du Rapport sur les plans et les priorités du ministère de la Justice, mais uniquement de certains renseignements que l’on suppose en faire partie. Il s’agirait de renseignements qui complètent ceux donnés à la Chambre en bonne et due forme dans le Budget principal des dépenses. Bien que notre procédure soit bien claire à l’égard des documents, nos usages relatifs aux renseignements sont moins bien établis.

Lorsque les renseignements ont directement trait aux décisions que la Chambre peut ou doit prendre quant aux lois ou aux recommandations des comités, il est évident que les droits de la Chambre prévalent et doivent être considérés comme prépondérants. Les autres cas accordent plus de latitude. Par exemple, nous ne nous attendons pas à ce que chacun des renseignements d’un rapport annuel de ministère soit caché au public jusqu’au dépôt du rapport en Chambre. Cela obligerait le gouvernement à fonctionner sous le sceau du secret, ce qui irait à l’encontre de la transparence à laquelle s’attendent tant la Chambre que les Canadiens.

Le Budget principal des dépenses de 2003-2004 est déjà devant la Chambre. Le fait de rendre publics des renseignements supplémentaires visant des montants du Budget qui sont pour leur part déjà publics ne me semble pas être répréhensible. Par ailleurs, il pourrait être mal avisé, pour votre Président, de commenter l’opportunité de mettre à la disposition des médias des renseignements qui ne sont pas, au moins de façon simultanée, mis à la disposition des députés.

Les députés peuvent être d’avis que ces renseignements auraient dû être compris dans le Budget principal des dépenses, ou peut-être déposés en même temps que ce dernier en tant que document séparé. Le Président est conscient du fait que tant la façon dont les documents relatifs au Budget sont déposés à la Chambre que la nature et l’étendue de ces renseignements sont une source constante de préoccupations parmi les députés. Lorsque, en temps opportun, les comités permanents entameront l’étude du Budget principal des dépenses, ils pourront décider de se pencher sur le cas qui nous occupe.

À la lumière de nos usages actuels, je conclus que la simple divulgation des renseignements supplémentaires ne constitue pas une atteinte aux privilèges de la Chambre.

Je tiens à remercier encore une fois le député de St. Albert d’avoir soulevé cette question et de l’intérêt soutenu qu’il manifeste pour le respect des usages qui régissent nos procédures financières.

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[1] Débats, 27 février 2003, p. 4147-4148.

[2] Débats, 28 février 2003, p. 4194.

Pour des questions au sujet de la procédure parlementaire, communiquez avec la Direction des recherches pour le Bureau

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