Les procédures financières / Travaux des subsides
Phase législative : budget principal des dépenses; remise en question du contenu
Débats, p. 1512-1514
Contexte
Le 10 mars 2004, Loyola Hearn (St. John’s-Ouest) soulève une question de privilège au sujet du contenu du Budget principal des dépenses de 2004-2005. M. Hearn soutient que le Budget qui a été déposé par le gouvernement est frauduleux et qu’il induit la Chambre en erreur, parce qu’il ne tient pas compte de la restructuration de certains ministères et organismes annoncée en décembre 2003, ni des véritables prévisions de dépenses du gouvernement pour l’exercice à venir. M. Hearn affirme qu’en conséquence, les comités ne seront pas en mesure d’évaluer correctement la demande de fonds du gouvernement. Il ajoute que Reg Alcock (président du Conseil du Trésor et ministre responsable de la Commission canadienne du blé) a annoncé dans un communiqué que ces changements seront compris dans une version révisée du Budget principal des dépenses qui sera déposée ultérieurement. M. Hearn insiste sur le fait que l’examen des crédits est la clé de voûte du gouvernement responsable et que la Chambre doit pouvoir se fier au contenu du Budget. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend la question en délibéré[1].
Résolution
Le Président rend sa décision le 22 mars 2004. Il commence par énoncer deux exigences qui incombent au gouvernement à l’égard du Budget principal des dépenses : le déposer au plus tard le 1er mars de chaque exercice et demander des fonds uniquement pour les programmes et activités qui ont déjà reçu l’approbation du Parlement. Faisant remarquer que la Chambre n’a pas encore été saisie de la loi requise pour mettre en œuvre la restructuration du gouvernement annoncée en décembre, le Président déclare qu’il serait inacceptable d’anticiper ces changements potentiels dans le Budget. Il rappelle à la Chambre que les prévisions budgétaires ne sont que cela : des prévisions, et que le Budget principal des dépenses reflète la structure du gouvernement qui existe au moment de son dépôt. Il affirme toutefois que tout changement qui s’impose dans les montants ou les utilisations des fonds au cours d’un exercice doit être soumis à l’approbation de la Chambre. Il conclut que le Budget principal des dépenses de 2004-2005 respecte les exigences du Règlement et qu’il est conforme aux usages suivis par la Chambre lors de restructurations précédentes. Par conséquent, il statue qu’il n’y a pas atteinte au privilège.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 10 mars par le député de St. John’s-Ouest au sujet de la version du Budget principal des dépenses de 2004-2005 qui a été déposée.
Je tiens à remercier le député de St. John’s-Ouest d’avoir soulevé cette importante question. Je voudrais aussi remercier le président du Conseil du Trésor, le député de Pictou–Antigonish–Guysborough et le député de Yorkton–Melville de leurs interventions à cet égard.
En soulevant la question de l’état dans lequel le Budget principal des dépenses de 2004-2005 avait été déposé à la Chambre, le député de St. John’s-Ouest a affirmé que le gouvernement avait lui-même avoué que ce Budget ne représentait pas vraiment ses projets de dépenses pour l’exercice à venir. Il a cité un communiqué du 24 février 2004, qui disait :
En raison de l’ampleur des modifications de l’appareil public annoncées en décembre 2003, le gouvernement prévoit de déposer une version révisée du Budget principal des dépenses plus tard durant l’exercice 2004-2005, ce qui permettra aux organisations nouvelles ou restructurées de disposer de suffisamment de temps pour achever les discussions portant sur les ressources, ainsi que pour dresser leurs plans et priorités, de manière à ce que le Parlement puisse étudier les projets de loi de crédits et autoriser les dépenses définitives. De même, cela permettra au gouvernement de solliciter d’autres autorisations de dépenses qui n’étaient pas encore assez définies pour être inscrites dans le budget principal; ces requêtes sont habituellement présentées au Parlement dans le Budget supplémentaire des dépenses, qui est déposé plus tard durant l’exercice.
D’après le député de St. John’s-Ouest, ces propos constituent un aveu, de la part du gouvernement, que la version du Budget principal des dépenses déposée le 24 février 2004 ne correspond pas aux plans des dépenses réelles du gouvernement et qu’elle est donc invalide. Il a ajouté que, par conséquent, les comités chargés d’étudier les prévisions budgétaires ne pourront pas évaluer correctement la demande de fonds du gouvernement, ni bien s’acquitter de ce que tous les députés considèrent comme l’une de leurs fonctions les plus fondamentales.
Le président du Conseil du Trésor a fait remarquer que le gouvernement est tenu, selon le Règlement, de présenter le Budget principal des dépenses à la Chambre au plus tard le 1er mars de chaque année. Cette obligation est prévue au paragraphe 81(4) du Règlement dont le libellé est le suivant :
Au cours de chaque session, le budget principal des dépenses du prochain exercice financier, à l’égard de chaque ministère du gouvernement, est réputé renvoyé aux comités permanents au plus tard le 1er mars de l’exercice financier en cours. Chaque comité en question étudie ce budget et en fait rapport ou est réputé en avoir fait rapport à la Chambre au plus tard le 31 mai de l’exercice financier en cours.
Le président du Conseil du Trésor a précisé que le Budget principal des dépenses avait été déposé dans sa version actuelle afin de permettre au gouvernement de satisfaire à l’obligation prévue au Règlement. Il a ajouté que le gouvernement a non seulement déposé le Budget principal des dépenses dans son état actuel, mais aussi fourni des renseignements additionnels sur ses projets de restructuration et fait part de son intention de présenter un Budget révisé, une fois les changements organisationnels approuvés par voie législative.
Le député de Yorkton–Melville a dit que les alinéas 81(4)a) et b) du Règlement confient au chef de l’Opposition officielle la responsabilité, d’une part, de choisir un budget principal des dépenses pour une étude approfondie en comité et, d’autre part, de désigner, après consultation des chefs des autres partis d’opposition, deux budgets principaux des dépenses pour étude en comité plénier. Il a précisé qu’il serait difficile pour le chef de l’Opposition de s’acquitter de ces responsabilités s’il devait fonder ses décisions sur des prévisions budgétaires qui ne sont que provisoires.
Lorsque cette question a été soulevée, j’ai pris soin d’examiner les archives de la Chambre pour voir quelle avait été notre pratique lors de restructurations antérieures du gouvernement. Je voudrais présenter à la Chambre les résultats de mes recherches. Toutefois, il serait utile, avant de commencer, de présenter deux faits concernant nos procédures établies pour l’étude des prévisions budgétaires.
En premier lieu, comme le président du Conseil du Trésor l’a signalé, l’exigence de déposer le budget principal des dépenses au plus tard le 1er mars de chaque année est une obligation que la Chambre a imposée au gouvernement. Il existe une autre exigence : le gouvernement ne peut demander des fonds que pour les programmes et activités qui ont déjà reçu l’approbation du Parlement. Il ne peut pas inclure dans le budget des demandes de fonds pour les ministères, organismes ou activités qui n’ont pas encore été approuvées par voie législative par le Parlement. Le Président Jerome a déclaré, dans une décision rendue à ce sujet et dont on peut prendre connaissance dans les Journaux du 22 mars 1977, à la page 607 :
J’estime que le Parlement autorise le gouvernement à agir en adoptant des lois et lui alloue l’argent pour financer les programmes autorisés en adoptant une loi portant affectation de crédits. À mon avis, il ne faudrait donc pas qu’un crédit serve à obtenir une autorisation qui doit normalement faire l’objet d’une loi; […]
Le président du Conseil du Trésor a indiqué que le gouvernement entend déposer un projet de loi sur la répartition des biens et des responsabilités entre les ministères. Ce projet de loi n’a pas encore été présenté à la Chambre et celle-ci n’a donc pas encore eu l’occasion d’approuver ou de rejeter les propositions du gouvernement. Il serait donc inacceptable d’anticiper ces changements potentiels dans le Budget principal des dépenses sur lequel se penchent les comités à l’heure actuelle.
En second lieu, j’aimerais attirer l’attention de la Chambre sur un point qui, bien qu’il puisse être élémentaire, est pertinent dans le cas qui nous occupe. Les prévisions budgétaires supplémentaires pour un exercice donné ne sont que cela : des prévisions. Nos règles reconnaissent ce fait en prévoyant expressément le dépôt et l’étude de prévisions supplémentaires tout au long de l’exercice.
Les députés savent qu’il est impossible de prédire des mois à l’avance quels seront exactement les montants et les fins de toutes les dépenses gouvernementales pour l’exercice à venir. Et la Chambre ne voudrait pas non plus priver le gouvernement de la souplesse dont il peut avoir besoin pour réagir au mieux des intérêts des Canadiens dans les différentes situations qui surviennent. En même temps, tout changement qui s’impose dans les montants ou les utilisations des fonds au cours de l’exercice doit être soumis à l’approbation de la Chambre.
J’aimerais maintenant revoir brièvement les usages de la Chambre lors de restructurations gouvernementales antérieures. En 1983, le gouvernement a déposé un projet de loi, la Loi organique de 1983, qui visait, entre autres, à remplacer le ministère de l’Industrie et du Commerce par le ministère de l’Expansion industrielle régionale.
Le Budget principal des dépenses déposé le 22 février 1983, et je renvoie les députés à la page 5628 des Journaux du 22 février 1983, contenait des crédits sous la rubrique du Ministère de l’Industrie et du Commerce. Malgré le fait que le gouvernement déposa un projet de loi pour remplacer ce ministère le 5 mai 1983, soit le projet de loi C-152, Loi organique de 1983, la Chambre approuva quand même le Budget principal des dépenses le 14 juin 1983 sans qui y soit fait mention du nouveau ministère. Je renvoie le député aux pages 6008 à 6028 des Journaux de la même date.
Dans un autre cas, en 1978, dans le contexte d’une restructuration, le gouvernement demanda une autorisation par voie législative pour créer le ministère des Pêches et des Océans. Dans ce cas, il déposa un projet de loi sur la restructuration des ministères le 20 décembre 1978. Il s’agissait du projet de loi C-35, Loi de 1979 sur l’organisation du gouvernement. Je renvoie les députés à la page 274 des Journaux de cette date. Je crois que les députés conviendront que le dépôt d’un tel projet de loi démontre une ferme intention de modifier la structure administrative du gouvernement.
Malgré ce fait, le Budget principal des dépenses de 1979-1980, déposé deux mois plus tard le 19 février 1979, ne contenait aucune mention du ministère des Pêches et des Océans. Les prévisions budgétaires des programmes des pêcheries continuèrent à relever du ministère de l’Environnement, qui en conserva la responsabilité jusqu’à l’entrée en vigueur de la Loi de 1979 sur l’organisation du gouvernement.
Mon examen des dossiers de la Chambre révèle qu’on n’a jamais dérogé à cet usage. Le Budget principal des dépenses reflète la structure du gouvernement qui existe au moment de son dépôt à la Chambre.
Force m’est donc de conclure que le Budget principal des dépenses de 2004-2005, dans sa version actuelle, respecte non seulement les exigences du Règlement et les principes énoncés par le Président Jerome, mais aussi les usages suivis par la Chambre lors de restructurations antérieures du gouvernement.
Par conséquent, je statue que, de prime abord, il n’y a aucune atteinte au privilège de la Chambre dans le cas présent.
J’aimerais une fois de plus remercier le député de St. John’s-Ouest d’avoir soulevé cette question. Étant donné l’importance renouvelée que revêt l’étude des prévisions budgétaires pour les deux côtés de la Chambre, l’attention rigoureuse qu’il porte aux questions de ce genre est bénéfique pour tous les députés.
Certains sites Web de tiers peuvent ne pas être compatibles avec les technologies d’assistance. Si vous avez besoin d’aide pour consulter les documents qu’ils contiennent, veuillez communiquer avec accessible@parl.gc.ca.
[1] Débats, 10 mars 2004, p. 1310-1312.