Les procédures financières / Recommandation royale
Initiative de la Couronne en matière financière : projet de loi émanant du Sénat pouvant exiger la dépense de fonds; droit de la Chambre d’accorder des crédits
Débats, p. 8899-8900
Contexte
Le 22 octobre 2003, Jim Abbott (Kootenay–Columbia) invoque le Règlement au commencement du débat sur le projet de loi S-7, Loi visant à protéger les phares patrimoniaux, inscrit au Feuilleton au nom de Gerald Keddy (South Shore), pour contester le bien-fondé du projet de loi[1]. M. Abbott affirme que, puisque le projet de loi pourrait obliger les propriétaires de phares patrimoniaux à engager des dépenses pour les entretenir, la prérogative financière de la Couronne ainsi que la primauté de la Chambre des communes en matière de mesures législatives financières n’autorisent pas qu’un tel projet de loi émane du Sénat. Après avoir entendu l’intervention de Don Boudria (ministre d’État et leader du gouvernement à la Chambre des communes), le Président suppléant (Réginald Bélair) prend la question en délibéré[2].
Résolution
Le Président rend sa décision le 29 octobre 2003. Il déclare que le projet de loi ne nécessite pas de recommandation royale et que, comme il n’exige pas la dépense de deniers publics, il peut bel et bien émaner du Sénat. Il rappelle aussi aux députés que selon les règles de la Chambre, tous les projets de loi prévoyant la dépense de fonds publics, y compris les initiatives parlementaires, doivent prendre naissance à la Chambre et non au Sénat.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé par le député de Kootenay–Columbia qui soutient que le projet de loi S-7, Loi sur la protection des phares patrimoniaux, porte atteinte à la prérogative financière de la Couronne et à la primauté de la Chambre des communes en ce qui concerne les mesures législatives financières.
Je remercie d’abord le député de Kootenay–Columbia d’avoir soulevé cette importante question. Je tiens aussi à remercier le leader du gouvernement à la Chambre pour ses observations à ce sujet.
Je tiens à rappeler à la Chambre que le député de Kootenay–Columbia a précisé au début de son intervention qu’il est en faveur de cette mesure législative. La question soulevée est purement d’ordre procédural et ne traite pas du bien-fondé du projet de loi en tant que politique publique.
Le député de Kootenay–Columbia a signalé que la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit qu’un projet de loi exigeant l’affectation de fonds publics doit être présenté d’abord à la Chambre des communes et être accompagné d’une recommandation royale. Le projet de loi S-7, comme son numéro l’indique, émane du Sénat.
Le député a également cité le passage suivant de la page 711 de La procédure et les usages de la Chambre des communes :
[…] on permet que des projets de loi de députés impliquant des dépenses publiques soient présentés et suivent la filière législative, en supposant qu’un ministre produira une recommandation royale avant la troisième lecture et l’adoption du projet de loi.
L’honorable député a également attiré l’attention de la Chambre sur le libellé de l’article 17 du projet de loi qui se lit comme suit :
Le propriétaire d’un phare patrimonial doit le garder en bon état et l’entretenir de façon à respecter son caractère patrimonial.
Le député a ajouté que, même si aucune disposition du projet de loi n’exige expressément que des dépenses soient engagées, il lui semblait déraisonnable de croire qu’il serait possible d’entretenir des phares sans engager de dépenses.
Dans son intervention, le leader du gouvernement à la Chambre a souligné que le projet de loi n’entraîne aucune dépense de fonds publics. Il a également signalé que cette Chambre a déjà approuvé une mesure législative semblable, la Loi sur la protection des gares ferroviaires patrimoniales, adoptée en 1988. Il a fait remarquer que, pour cette dernière loi, qui joue un rôle semblable à celui que propose le projet de loi S-7, une recommandation royale n’avait pas été nécessaire.
Je dois tout d’abord rappeler à la Chambre qu’il n’appartient pas au Président de se prononcer sur des questions de droit constitutionnel. Cependant, l’article 79 du Règlement exige qu’une recommandation royale accompagne les projets de loi impliquant des dépenses publiques :
La Chambre des communes ne peut adopter des projets de crédits, ou des projets de résolutions, d’adresses ou de lois comportant des affectations de crédits, notamment d’origine fiscale, que si l’objet lui en a été préalablement recommandé par message du gouverneur général au cours de la session où ces projets sont présentés.
Je suis tenu, en tant que Président, de veiller au respect des dispositions du Règlement. Toutefois, il est important de se rappeler que l’exigence d’une recommandation royale se rapporte à la dépense de fonds publics et non simplement au fait que quelqu’un peut, éventuellement, avoir à dépenser des fonds en raison d’une disposition du projet de loi.
Dans le cas présent, je crois que la question est claire. Le député de Kootenay–Columbia et le leader du gouvernement à la Chambre conviennent que le projet de loi n’exige pas immédiatement la dépense de fonds publics. Les fonds qui pourront être nécessaires pour assurer le respect de l’article 17 du projet de loi devront provenir des propriétaires des phares uniquement lorsque ces phares auront été désignés comme phares patrimoniaux.
J’ai examiné le projet de loi et je n’y trouve aucune obligation pour la Commission des lieux et monuments historiques du Canada ou le ministre du Patrimoine canadien de dépenser des fonds publics. Comme aucune obligation de dépenser des fonds publics ne sera créée avec l’adoption du projet de loi S-7, il n’est pas nécessaire d’avoir une recommandation royale.
Par ailleurs, j’aimerais profiter de cette occasion pour corriger la fausse idée que certains honorables députés peuvent se faire de la recommandation royale et des projets de loi d’initiatives parlementaires.
Le passage de la page 711 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, cité par le député de Kootenay–Columbia, précise qu’il faut produire une recommandation royale avant qu’un projet de loi d’un député exigeant des dépenses publiques puisse franchir l’étape de la troisième lecture. Or, cette exigence ne s’applique qu’aux projets de loi émanant des députés au sens strict, c’est-à-dire les projets de loi parrainés par un député de la Chambre des communes.
Bien que le projet de loi S-7 soit considéré dans le cadre des initiatives parlementaires, il s’agit tout de même d’un projet de loi qui a pris naissance au Sénat. Le paragraphe 80(1) du Règlement prévoit ce qui suit :
Il appartient à la Chambre des communes seule d’attribuer des subsides et crédits parlementaires au Souverain. Les projets de loi portant ouverture de ces subsides et crédits doivent prendre naissance à la Chambre des communes, qui a indiscutablement le droit d’y déterminer et désigner les objets, destinations, motifs, conditions, limitations et emplois de ces allocations législatives, sans que le Sénat puisse y apporter des modifications.
Même s’il n’y a aucun motif d’invoquer cette disposition du Règlement dans le cas présent, les députés ne devraient pas oublier que nos règles interdisent la présentation de projets de loi émanant du Sénat qui exigent des dépenses publiques. En effet, les projets de loi d’initiative parlementaire qui exigent une recommandation royale doivent émaner de la Chambre des communes.
Je tiens à remercier le député de Kootenay–Columbia d’avoir soulevé cette question. La primauté de la Chambre des communes en matière de finances et la nécessité de protéger la prérogative financière de la Couronne sont des éléments fondamentaux de notre système de gouvernement parlementaire. En tant que Président, je tiens comme tous les députés à ce que nos règles financières soient rigoureusement respectées.
Note de la rédaction
Voir Débats, 20 juin 2005, pour une décision semblable sur le projet de loi S-14, Loi visant à protéger les phares patrimoniaux.
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[1] Débats, 22 octobre 2003, p. 8620-8621.