Les règles du débat / Ordre et décorum
Langage non parlementaire
Débats, p. 8307-8308
Contexte
Le 21 mars 2007, Tom Lukiwski (secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes et ministre responsable de la Réforme démocratique) invoque le Règlement au sujet des propos tenus par Pat Martin (Winnipeg-Centre) pendant le débat sur la motion d’adoption du 11e rapport du Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire, le 2 mars 2007. Pendant le débat, M. Martin a appelé Chuck Strahl (ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire) « Il Duce », l’a comparé à Mussolini et a qualifié de « fascisme » ses actions relatives à la Commission canadienne du blé[1]. Le 27 mars 2007, M. Martin répond que ce qui est acceptable dans le langage parlementaire évolue avec le temps et que c’est le comportement du ministre et non le ministre lui-même qu’il a décrit. En outre, il prétend que ses propos n’ont entraîné aucune réaction ni aucun désordre, et que le rappel au Règlement s’est fait bien tardivement, soit 19 jours après les faits. Après avoir entendu d’autres députés, le Président rappelle que la Chambre s’est ajournée le 2 mars jusqu’au 19, et souligne que M. Lukiwski l’avait déjà informé de son intention d’invoquer le Règlement, mais qu’il avait attendu le retour de M. Martin pour le faire. Il se dit convaincu que l’affaire a été soulevée à la première occasion possible et prend la question en délibéré[2].
Résolution
Le Président rend sa décision le 17 avril 2007. Il déclare que même si la réaction immédiate aux propos de M. Martin était plutôt tempérée, il doit tenir compte de leurs effets à long terme. Il insiste sur l’importance d’avoir des délibérations libres et civilisées à la Chambre et exhorte les députés à faire preuve de discernement dans leurs choix de mots. Il statue que les mots de M. Martin étaient non parlementaires et que leur caractère inapproprié n’est en rien tempéré par le contexte dans lequel ils ont été employés. Il demande alors à M. Martin de retirer ses paroles.
Décision de la présidence
Le Président : À l’ordre. Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé par l’honorable secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes au sujet des propos supposément non parlementaires tenus le vendredi 2 mars 2007 par l’honorable député de Winnipeg-Centre.
J’aimerais remercier l’honorable secrétaire parlementaire d’avoir soulevé cette question, ainsi que l’honorable whip en chef du gouvernement, l’honorable député d’Acadie–Bathurst et l’honorable député de Winnipeg-Centre pour leurs interventions.
Le 2 mars 2007, lors du débat sur la motion d’adoption du 11e rapport du Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire, le député de Winnipeg-Centre a appelé l’honorable ministre de l’Agriculture « Il Duce », l’a comparé à Mussolini et a utilisé le terme « fascisme » pour qualifier l’intervention du ministre dans le dossier de la Commission canadienne du blé.
Le 2 mars étant le jour de séance qui précédait immédiatement le congé de deux semaines du mois de mars, le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes a invoqué le Règlement le 21 mars 2007 pour s’élever contre les propos tenus par le député de Winnipeg-Centre. Le secrétaire parlementaire a cité la page 156 de la 6e édition du Beauchesne, qui inclut le mot « fasciste » dans la liste des expressions non parlementaires. Il a poursuivi ainsi, et je cite un extrait de la page 7714 des Débats :
Le régime fasciste a commis des atrocités inouïes au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il est absolument excessif pour un député d’en comparer un autre à un membre du régime fasciste.
Lors de son intervention, le député de Winnipeg-Centre a affirmé qu’il n’avait pas l’intention de traiter le ministre de fasciste, mais plutôt de laisser entendre qu’il avait agi comme l’un d’eux en prenant certaines décisions dans le dossier de la Commission canadienne du blé.
Citant l’extrait suivant de la 6e édition du Beauchesne, page 148 : « Une expression jugée contraire aux usages parlementaires aujourd’hui ne sera pas nécessairement jugée telle la semaine prochaine », il a soutenu que les mots qu’il avait utilisés n’étaient plus aussi « explosifs et chargés d’émotivité » de nos jours. Il a parlé du principe voulant qu’en pareils cas, le Président tienne compte du contexte dans lequel les propos litigieux ont été prononcés et du désordre qu’ils ont ou non semé à la Chambre.
Je me suis alors engagé à examiner toutes les déclarations et interventions pertinentes et à faire part à la Chambre de ma décision sur le sujet.
Je cite le Marleau et Montpetit à la page 503, qui dit ceci : « L’un des principes fondamentaux de la procédure parlementaire est que les délibérations de la Chambre se déroulent à la manière d’une conversation libre et polie. ».
La présidence a souvent rappelé aux honorables députés leur devoir d’exercer leur liberté d’expression de manière responsable tout en faisant preuve de modération dans leur choix de mots.
Dans le cas qui nous occupe, il ne fait aucun doute dans mon esprit que le mot « fascisme » était non parlementaire lorsqu’il a été employé pour qualifier les gestes d’un député et que les comparaisons corollaires du député au « Il Duce » et à « Mussolini » n’ont fait qu’exacerber le problème. Pour parvenir à cette conclusion, j’ai examiné attentivement le contexte dans lequel ces mots ont été prononcés et leur effet immédiat et potentiel sur la capacité de cette Chambre de tenir des délibérations qui se déroulent à la manière d’une conversation libre et polie.
Selon moi, le caractère inapproprié de ces mots n’était en rien atténué par le contexte dans lequel ils ont été employés.
Il est vrai que la réaction immédiate à ces commentaires a été plutôt tempérée, et le député de Winnipeg-Centre a attiré l’attention de la présidence sur ce point. Cependant, pour juger si les remarques faites ont semé le désordre à la Chambre, la présidence ne doit pas se limiter à la réaction immédiate des personnes présentes en Chambre.
Dans une décision rendue le 11 décembre 1991, que l’on retrouve aux pages 6141 et 6142 des Débats, le Président Fraser a rappelé aux députés que des remarques offensantes peuvent avoir un effet débilitant durable sur l’échange équitable d’idées et de points de vue. Toutes les paroles prononcées dans cette enceinte ont une diffusion considérable et instantanée et laissent une impression durable. Bien que les termes offensants puissent être retirés, contredits, expliqués ou faire l’objet d’excuses, l’impression qu’ils laissent n’est pas toujours facile à faire disparaître. Il a poursuivi en disant, et je cite :
Il y a peu de choses plus susceptibles d’empoisonner l’atmosphère de la Chambre que des attaques personnelles en série, puisqu’elles laissent toujours un relent d’animosité et de malaise.
Ce « relent » est le terreau dans lequel prend racine le désordre. Il appartient à la présidence de décourager l’emploi d’un langage de nature si provocatrice qu’il alimente le désordre.
Une fois de plus, j’enjoins les honorables députés de tous les partis à faire preuve de plus de discernement dans le choix de leurs mots. Une maîtrise de soi raisonnable n’est pas un luxe; c’est une contrainte essentielle à la tenue de délibérations civilisées et à la dignité de cette Chambre.
Quelles qu’aient été les intentions du député, je suis convaincu que les termes qu’il a employés étaient provocateurs. Dans les circonstances, je les juge également non parlementaires et je prie l’honorable député de Winnipeg-Centre de retirer ses paroles immédiatement.
Post-scriptum
Tout de suite après la décision du Président, M. Martin intervient pour retirer ses propos offensants[3].
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[2] Débats, 27 mars 2007, p. 7985-7987.