Recueil de décisions du Président Peter Milliken 2001 - 2011

Les règles du débat / Limitation du débat

Attribution de temps : recours approprié

Débats, p. 1415-1416

Contexte

Le 13 février 2001, Chuck Strahl (Fraser Valley) soulève la question de privilège au sujet de l’adoption d’une motion d’attribution de temps proposée par Don Boudria (leader du gouvernement à la Chambre des communes) relativement au projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi sur l’assurance-emploi et le Règlement sur l’assurance-emploi (pêche). M. Strahl prétend que c’est la deuxième législature d’affilée où le premier projet de loi présenté par le gouvernement fait l’objet d’une attribution de temps après quelques heures de débat seulement, que c’est la 69e motion d’attribution de temps proposée par le gouvernement et que le temps est venu de déclarer que les mesures imposées par le gouvernement sont excessives et peu orthodoxes. Il déclare que le Président peut et devrait intervenir lorsqu’un gouvernement abuse de son pouvoir et des règles de la Chambre et ajoute qu’en n’accordant que le minimum de temps au débat à chacune des étapes d’un projet de loi, le gouvernement empêche l’opposition d’exercer son droit d’exprimer sa dissidence. Il soutient aussi que le Président devrait intervenir pour protéger les droits collectifs des parlementaires contre le recours aux motions d’attribution de temps par le gouvernement pour limiter le débat sur les projets de loi. M. Strahl conclut en déclarant qu’à son avis, le Président possède le pouvoir d’intervenir pour protéger les droits de la minorité et de veiller à ce qu’il y ait un débat d’une durée raisonnable, et exhorte le Président à refuser ou à retarder les tentatives prématurées d’interrompre le débat afin d’éviter que cela devienne une tendance. Après avoir entendu d’autres députés, le Vice-président (Bob Kilger) prend la question en délibéré[1].

Résolution

Le Vice-président rend sa décision le 1er mars 2001. Il déclare que la présidence ne possède aucun pouvoir discrétionnaire lui permettant de refuser de mettre à l’étude une motion d’attribution de temps si toutes les exigences de la procédure ont été respectées, et que personne n’a laissé entendre que le gouvernement avait dérogé à la procédure énoncée dans le Règlement. Il insiste sur le fait que ce sont les règles fixées par la Chambre et non les pouvoirs du Président qui protègent celle-ci contre les abus. Le Vice-président fait remarquer que si les députés ne trouvent plus les règles sur l’attribution du temps satisfaisantes ou acceptables, ils devraient alors les modifier, mais qu’il serait inapproprié que le Président intervienne unilatéralement alors que le Règlement ne lui accorde pas ce pouvoir discrétionnaire. Il signale aussi aux députés que l’article du Règlement sur l’attribution de temps a été invoqué une seule fois au cours de la 37e législature, et que la présidence ne rend aucune décision sur des situations hypothétiques ou des questions purement abstraites. Par conséquent, il conclut que l’affaire ne constitue pas de prime abord une question de privilège.

Décision de la présidence

Le Vice-président : Je vais maintenant statuer sur la question de privilège soulevée par le leader de l’Opposition à la Chambre, le député de Fraser Valley, le 13 février 2001.

À la suite de l’adoption d’une motion d’attribution de temps relativement au projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi sur l’assurance-emploi et le Règlement sur l’assurance-emploi (pêche), le député a soulevé une question de privilège afin d’exprimer sa préoccupation et son désarroi quant au nombre de fois où le gouvernement a eu recours à l’attribution de temps pour interrompre prématurément le débat sur un projet de loi au cours des 35e et 36e législatures, ce qu’il considère comme une tendance qui, à son avis, se poursuivra durant la présente législature.

Le député a fait valoir que le recours du gouvernement à l’attribution de temps constitue un usage abusif de son pouvoir et que le temps est venu « de déclarer que les mesures imposées par le gouvernement aujourd’hui correspondent à des mesures excessives et peu orthodoxes ».

Le député soutient que le Président a le pouvoir de refuser de proposer une motion d’attribution de temps s’il juge que le gouvernement abuse de ses pouvoirs et du Règlement de la Chambre en n’accordant pas suffisamment de temps pour la tenue du débat. Pour conclure, il recommande que le Président se penche sur le degré d’autorité et la marge de manoeuvre dont il dispose afin de décider de ne pas proposer une motion d’attribution de temps, si le temps réservé au débat est insuffisant.

J’aimerais remercier le leader du gouvernement à la Chambre, le leader à la Chambre du Bloc Québécois — le député de Roberval —, le leader à la Chambre du Nouveau Parti démocratique — le député de Winnipeg–Transcona —, le leader à la Chambre du Parti progressiste-conservateur — le député de Pictou–Antigonish–Guysborough —, et le député de St. Albert pour leurs interventions.

La demande présentée à la présidence dans ce cas me place dans une position quelque peu délicate. Il est certes vrai que la présidence exerce son pouvoir discrétionnaire chaque fois qu’elle intervient. Or, cela ne veut pas dire que les décisions sont prises uniquement en vertu des pouvoirs conférés au Président, loin de là.

Il est précisé à la page 570 du manuel intitulé La procédure et les usages de la Chambre des communes, et je cite :

[…] la présidence a statué qu’elle ne possédait aucun pouvoir discrétionnaire lui permettant de refuser de mettre à l’étude une motion d’attribution de temps si toutes les exigences de la procédure avaient été respectées.

Le Président Fraser a déclaré dans une décision sur un cas semblable, figurant à la page 17860 des Débats du 31 mars 1993 :

On oublie parfois que la présidence doit se plier au Règlement adopté par la Chambre. Il n’est donc pas étonnant que certains députés ou même certains électeurs jugent parfois que les règles que nous nous sommes imposées sont pour le moins déraisonnables. Toutefois, il est extrêmement important, à mon avis, que la présidence respecte le Règlement jusqu’à ce que la Chambre se décide à le modifier.

Dans la situation qui a donné lieu à la question que je suis appelé à trancher, personne n’a laissé entendre que le gouvernement avait de quelque façon dérogé à la procédure établie dans le Règlement de la Chambre. Je ne crois pas, dans de telles circonstances, qu’il y ait quelque motif que ce soit qui puisse justifier une intervention de la part de la présidence. La présidence souhaite être très claire sur ce point. Les règles et usages établis par la Chambre en matière d’attribution de temps ne donnent aucune marge de manœuvre au Président sur cette question. Dans la décision à laquelle j’ai déjà fait renvoi, le Président Fraser a indiqué ce qui suit à la page 17861 des Débats du 31 mars 1993 :

Je dois faire savoir à la Chambre que le Règlement est clair. Le gouvernement est tout à fait libre de l’invoquer. Je ne vois aucun moyen légal me permettant d’autoriser unilatéralement une infraction à une règle très claire.

Au moment de rendre cette décision, le Président Fraser faisait face à des arguments très semblables à ceux présentés dans la situation actuelle.

La question du degré d’autorité du Président a été soulevée et on a fait mention de l’usage en vigueur au Royaume-Uni. Le leader du gouvernement à la Chambre a signalé dans ses propos à ce sujet que, dans d’autres parlements, on a plus souvent recours à l’établissement de calendriers pour l’exécution des travaux à la Chambre et en comité. Il se peut que la Chambre ne trouve plus adéquate la règle visant l’attribution de temps. Si tel est le cas, il revient à la Chambre d’examiner la question et, en définitive, de déterminer quelle procédure conviendra le mieux aux circonstances actuelles. Une planification réalisée par consensus pourrait être fort bénéfique non seulement pour mener les affaires de la Chambre, mais aussi pour promouvoir une ambiance de décorum et de respect à cette fin.

Notre système a toujours fonctionné d’après les règles que la Chambre a elle-même établies. Toutefois, il ne convient absolument pas, aux termes du Règlement dans son libellé actuel, que la présidence prenne unilatéralement des mesures sur des questions déjà prévues par le Règlement. Dans les cas où le Règlement confère un pouvoir discrétionnaire au Président, celui-ci a la responsabilité de se servir du Règlement comme guide; sans ce guide, il ne peut prendre de telles mesures. Il ne revient pas non plus à la présidence de fixer le calendrier des travaux de la Chambre.

Ce sont les règles établies par la Chambre et non les pouvoirs du Président qui protègent celle-ci contre les abus, tant du côté du gouvernement que de celui de l’opposition. Le rôle du Président consiste à juger équitablement et objectivement chaque cas qui se présente et, ce faisant, à veiller à ce que les règles soient appliquées de la façon prévue par la Chambre.

Dans une situation semblable qu’il a eu à traiter, le Président Lamoureux a déclaré ce qui suit, selon la page 1398 des Journaux du 24 juillet 1969 :

L’Orateur est un serviteur de la Chambre. On veut peut-être faire de moi le maître de la Chambre aujourd’hui, mais si demain, en d’autres circonstances, je cherchais à me prévaloir de ce privilège, on changerait peut-être alors d’avis. […] Je ne me sens pas en mesure d’assumer cette responsabilité. Il est de mon devoir, je crois, de statuer sur de telles questions conformément aux règles et aux dispositions du Règlement dont les députés eux-mêmes ont confié l’application à l’Orateur.

J’aimerais également signaler à la Chambre que l’article du Règlement relatif à l’attribution de temps a été invoqué une seule fois au cours de cette 37e législature. J’ai indiqué clairement que le recours à cet article du Règlement ne constitue pas une question de privilège. Si d’autres cas se présentent, la présidence les traitera un par un en toute objectivité. Je rappelle à la Chambre que la présidence ne rendra aucune décision sur des situations hypothétiques ou sur des questions purement abstraites.

Encore une fois, je souhaite remercier les députés des arguments qu’ils ont soigneusement formulés à ce sujet. La présidence est consciente de l’importance que les députés des deux côtés de la Chambre attachent à cette question.

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[1] Débats, 13 février 2001, p. 569-576.

Pour des questions au sujet de la procédure parlementaire, communiquez avec la Direction des recherches pour le Bureau

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