Les comités / Témoins
Témoignages : application du privilège parlementaire; départ d’employés de la Chambre suivant leur comparution devant un comité
Débats, p. 608-610
Contexte
Le 6 février 2001, Roger Gallaway (Sarnia–Lambton) soulève la question de privilège au sujet du départ de deux employés du Bureau du légiste et conseiller parlementaire de la Chambre des communes après leur témoignage devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, dans le cadre de son étude sur la confidentialité du travail du légiste. Lors de leur comparution, le Comité avait adopté une motion garantissant aux témoins qu’ils seraient protégés par le privilège parlementaire[1]. M. Gallaway soutient que le départ des deux employés est le résultat direct de leur comparution devant le Comité et que cela fait douter de l’immunité accordée aux témoins qui comparaissent devant les comités de la Chambre; à cause de cela, plaide-t-il, les employés ne voudront plus témoigner. Chuck Strahl (Fraser Valley) intervient alors pour dire que le Bureau de régie interne de la Chambre devrait s’occuper de faire accroître les ressources des services juridiques. De plus, il prétend que la question relève d’un différend touchant les relations de travail et que ni la Chambre ni ses comités ne devraient en débattre. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend la question en délibéré[2].
Résolution
Le Président rend sa décision le 13 février 2001. Il déclare qu’au moment où les deux employés ont comparu devant le Comité, le différend employeur-employé durait depuis longtemps et persistait encore, et la relation entre les parties était déjà dans un état de détérioration avancé. Le Président affirme donc qu’il ne peut conclure que leur départ est le résultat direct de leur comparution devant le Comité et statue qu’il n’y a pas matière à question de privilège. En ce qui concerne les différends touchant les relations de travail, il souligne qu’en plus d’être légalement tenu de respecter la confidentialité des discussions du Bureau de régie interne, dont il est le président, il a la responsabilité d’assurer l’intégrité du régime des relations de travail, créé par une décision du Parlement, et que la tenue d’audiences spéciales de députés à la Chambre ou en comité risquait de compromettre cette intégrité. Enfin, il déclare que la nécessité d’accroître les ressources des services législatifs est à la base une question administrative qui doit, à ce titre, être réglée par le Bureau. Le Président recommande donc aux députés d’être prudents lorsqu’ils sont appelés à intervenir comme arbitres ad hoc.
Décision de la présidence
Le Président : La présidence va maintenant traiter de la question de privilège soulevée par le député de Sarnia–Lambton le 6 février 2001. La question de privilège concernait le départ de la Chambre des communes de deux conseillers législatifs qui ont témoigné le printemps dernier devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.
Le député a fait valoir que les témoins avaient demandé et obtenu l’assurance du Comité que leurs témoignages seraient protégés et qu’ils seraient eux-mêmes à l’abri de représailles pour avoir témoigné. Il estimait que le départ des deux conseillers est lié directement à leurs témoignages et qu’il y a de ce fait matière à question de privilège.
Avant de poursuivre mon examen, j’aimerais remercier le député de Sarnia–Lambton et tous les députés qui ont participé à la discussion. J’aimerais en particulier attirer l’attention sur les interventions du leader de l’Opposition à la Chambre, le député de Fraser Valley, le whip du Bloc Québécois, le député de Verchères–Les Patriotes, le leader du Parti progressiste-conservateur à la Chambre, le député de Pictou–Antigonish–Guysborough et le député de Pickering–Ajax–Uxbridge.
Dans son intervention, le député de Sarnia–Lambton a retracé la chronologie des événements qui se sont produits à la suite des témoignages des deux conseillers législatifs devant le Comité et a suggéré que cette chronologie est la preuve que ce qu’il appelle un « congédiement brutal » de la Chambre des communes est une conséquence directe de leurs témoignages. C’est pourquoi le député estime qu’il y a présomption d’atteinte aux privilèges.
Je tiens d’abord à préciser que je prends cette question très au sérieux. L’allégation, si elle est fondée, comporte des implications sérieuses non seulement pour les deux intéressés, mais aussi pour l’intégrité du système des comités de la Chambre, ainsi que pour la réputation de la Chambre comme employeur juste et équitable.
Par ailleurs, pour ma part, je suis conscient que dans cette décision je tiens deux rôles différents. En tant que Président de la Chambre, je dois déterminer si le député de Sarnia–Lambton a présenté des arguments convaincants pour établir qu’il y a effectivement matière à question de privilège. Et en tant que président du Bureau de régie interne, qui se trouve à être l’employeur, je suis tenu de respecter la confidentialité des discussions du Bureau de régie interne, en particulier en ce qui concerne les questions de relations de travail qui, par leur nature même, sont entièrement confidentielles.
Cette affaire est particulièrement complexe, car il s’y mêle une question de privilège et une situation compliquée de relations de travail qui date d’avant l’invitation à témoigner devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. S’ajoute à cette situation déjà difficile toute la question de la dotation des postes de conseillers législatifs, sur laquelle bon nombre de députés ont des opinions bien arrêtées. Je vais donc tenter de concilier les divergences d’opinions dans ce cas.
En tant que Président de la Chambre, il est de mon devoir de me faire le gardien des droits et privilèges des députés et de l’institution qu’est la Chambre. Dans la mesure où les privilèges parlementaires s’étendent aux témoins, je me dois aussi de protéger leurs droits et privilèges.
Ainsi, j’aimerais d’abord examiner la question de l’intimidation de témoins comparaissant devant un comité parlementaire. Il est clairement précisé aux pages 862 et 863 du manuel de Marleau-Montpetit intitulé La procédure et les usages de la Chambre des communes que le principe des privilèges parlementaires s’étend aux témoins qui se présentent devant un comité parlementaire. Je cite :
Les témoins qui comparaissent devant un comité jouissent de la même liberté de parole que les parlementaires et de la même protection contre l’arrestation et la brutalité. […] Le fait de soudoyer un témoin ou de chercher de quelque manière que ce soit à le décourager de témoigner à une séance de comité peut constituer une atteinte au privilège. De même, toute intervention auprès de témoins qui ont déjà présenté leur déposition ou toute menace dirigée contre eux peuvent être traitées par la Chambre comme des atteintes au privilège.
Dans l’affaire qui nous intéresse, le député de Sarnia–Lambton a retracé la chronologie des événements et, sur la base de cette chronologie, il avance qu’il y a une relation de cause à effet entre les témoignages des deux conseillers législatifs devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre et leur départ subséquent de la Chambre. Le député signale que les deux témoins avaient demandé et obtenu du Comité l’assurance qu’ils seraient protégés par le privilège parlementaire en cas de représailles par suite de leurs témoignages. Il prétend qu’on aurait fait fi de cette protection et il soutient qu’il y a matière à question de privilège.
Je n’ai pas l’intention de passer en revue la chronologie des événements présentés, mais je tiens à préciser, avec respect, qu’elle est incomplète. Comme peut le révéler un examen des témoignages des deux conseillers législatifs devant le Comité, la relation entre l’employeur et ces employés était déjà, à ce moment, dans un état de détérioration avancé. Si leur comparution devant le Comité était le seul facteur à prendre en compte dans l’examen de cette affaire, il pourrait certes y avoir un argument convaincant pour conclure qu’il s’agit d’un cas de représailles.
Or, la situation est un peu plus complexe. Au moment où les témoignages ont été présentés le printemps dernier, la relation employeur-employé était déjà caractérisée par l’aigreur et la récrimination. Le conflit entre ces conseillers législatifs et la direction durait depuis longtemps et persistait toujours. Il y avait en fait plusieurs questions qui faisaient l’objet de plaintes au moment où les conseillers législatifs ont comparu devant le Comité. Compte tenu de ces circonstances, la présidence doit conclure qu’il n’y a pas matière à question de privilège.
La présidence tient à porter à l’attention de tous les députés l’intervention judicieuse du leader de l’Opposition officielle à la Chambre qui a précisé qu’il fallait éviter de porter un jugement hâtif en n’ayant entendu qu’un seul point de vue dans ce conflit. À la page 309 des Débats, il a affirmé :
Cependant, je vois d’un mauvais œil qu’on soulève des questions de personnel à la Chambre des communes. […] Lorsque ces deux employés de la Chambre ont comparu devant le comité permanent et ont demandé la protection de la Chambre, nous ne savions pas à l’époque qu’il y avait des « griefs en instance » entre la direction et les employés […] En fin de compte, on nous a répété les problèmes qui se posaient et que nous ne pouvions régler faute d’avoir tous les faits en main. […] Nous ne devrions pas traiter un processus de règlement des griefs à une tribune publique, à un comité, ou sur le parquet de la Chambre des communes.
Le leader de l’Opposition à la Chambre, comme tous les autres membres du Bureau de régie interne — et je rappelle aux députés que je faisais également partie de ce Bureau lors de la dernière législature au cours de laquelle cette question a été soulevée — étaient légalement tenus de respecter la confidentialité des discussions sur cette question et toute autre question. Toutefois, nous estimons tous que nous avons une responsabilité particulière à l’égard des relations de travail qui, par leur nature même, doivent demeurer entièrement privées et confidentielles.
Pour traiter cette situation malencontreuse, le Bureau de régie interne s’est inspiré des principes habituels de gestion des ressources humaines et, pour trouver une solution, nous n’avons ménagé aucun effort pour tenter d’en arriver à un règlement juste et équitable avec les parties. Dans l’un des deux cas, un tel règlement a heureusement été possible. Dans l’autre cas, cependant, nous n’avons pu en arriver à une entente et la personne tente maintenant d’obtenir réparation auprès d’un tribunal indépendant, la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Bien qu’une affaire devant la CRTFP ne soit pas, à proprement parler, sous la considération d’un tribunal judiciaire, je recommanderais que nous n’intervenions pas dans ce processus et que nous laissions la Commission en arriver à ses propres conclusions en temps opportun.
De nombreux députés ont été employeurs dans leur vie professionnelle avant d’être élus à la Chambre. Tous les députés sont actuellement eux-mêmes employeurs du personnel qui est à leur service dans leur bureau sur la Colline ou dans leur bureau de circonscription.
Je sais que les députés comprendront, d’après leur propre expérience, que la situation la plus difficile et souvent la plus délicate à laquelle un employeur doit faire face est de traiter avec des employés avec lesquels il y a des incompatibilités insurmontables.
Le Parlement a défini la relation employeur-employé qui doit exister à la Chambre des communes. Les relations de travail sont régies par des lois — la Loi sur le Parlement du Canada et la Loi sur les relations de travail au Parlement — par des conventions collectives avec des agents négociateurs et, dans le cas présent, par des usages assimilables aux normes professionnelles applicables aux conseillers juridiques de l’administration publique fédérale. Dans ce contexte de travail, les employés ont le droit de porter plainte et de se prévaloir du processus de grief qui comprend le droit de porter l’affaire devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Les intéressés ont aussi le droit d’obtenir réparation auprès des tribunaux.
À titre d’employeur officiel à la Chambre, le Bureau de régie interne est toujours conscient de ses responsabilités lorsqu’il lui faut traiter des questions touchant les employés en général ou des cas particuliers d’employés. En ma qualité de président du Bureau de régie interne, j’ai la responsabilité d’assurer l’intégrité du régime des relations de travail et le bon déroulement des procédures établies.
Par conséquent, après un examen attentif de tous les faits, je conclus que toute ingérence dans le système de garanties existantes — qu’elles soient prévues par la CRTFP ou les tribunaux — par le biais d’audiences spéciales de députés à la Chambre ou en comité, constitue, à mon avis, une tentative en vue de compromettre l’intégrité du cadre des relations de travail qui a été créé par une décision du Parlement.
En dernier lieu, j’aimerais dire quelques mots au sujet de la nécessité d’accroître les ressources au sein du Bureau du légiste et conseiller parlementaire. Comme l’ont indiqué les Présidents précédents, il s’agit là d’une question administrative fondamentale qui doit, à ce titre, être réglée par le Bureau de régie interne.
En particulier, j’attire votre attention sur la décision rendue le 23 octobre 1997 au sujet d’une question de privilège semblable soulevée par le député de Sarnia–Lambton. Mon prédécesseur, le Président Parent, a déclaré ce qui suit à la page 1003 des Débats :
Au moment de traiter de questions similaires, mes prédécesseurs ont, à plusieurs reprises, indiqué que celles-ci devraient être portées à l’attention du Bureau de régie interne et qu’elles ne devraient pas être soulevées sur le parquet de la Chambre à titre de rappel au Règlement ou de question de privilège.
J’attache une très grande importance aux préoccupations qu’ont bon nombre de députés au sujet de la question des conseillers législatifs et je tiens à répéter que ces préoccupations ont été portées à l’attention du Bureau de régie interne et que le suivi nécessaire est assuré.
En résumé, la présidence conclut donc qu’il n’y a pas matière à question de privilège dans le cas présent. J’espère avoir réussi à faire la lumière sur ce concours de circonstances complexes et malencontreuses, tout en protégeant la confidentialité des renseignements qui m’ont été confiés en ma qualité de membre du Bureau de régie interne.
En terminant, j’aimerais recommander à tous les députés de faire preuve de prudence lorsqu’ils traitent de questions touchant les relations de travail. Si nous jugeons que les procédures établies pour obtenir réparation ou redressement sont insuffisantes, n’hésitons pas à trouver ce qui fait défaut dans les garanties existantes et à y apporter les correctifs nécessaires. Toutefois, exerçons la plus grande prudence lorsqu’on nous demande d’intervenir à titre d’arbitre ad hoc dans des cas particuliers.
Je remercie les députés de leurs interventions et de leur collaboration dans cette importante affaire.
Post-scriptum
Le 14 février 2001, le Président fait la déclaration suivante pour clarifier sa décision de la veille, qui avait suscité une certaine confusion (sa déclaration est reproduite intégralement)[3] :
Le Président : Étant donné que quelques députés m’ont signalé que la décision que j’ai rendue hier sur la question de privilège soulevée par le député de Sarnia–Lambton suscitait une certaine confusion, j’aimerais apporter des éclaircissements sur-le-champ.
Comme on peut le lire à la page 609 du compte rendu de nos délibérations, j’ai dit :
Pour traiter cette situation malencontreuse, le Bureau de régie interne s’est inspiré des principes habituels de gestion des ressources humaines […]
La suite du texte devrait se lire ainsi :
[…] et, pour trouver une solution, l’administration de la Chambre n’a ménagé aucun effort pour tenter d’en arriver à un règlement juste et équitable avec les parties.
Je remercie les députés de leur attention.
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[1] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Procès-verbal, 30 mars 2000, séance no 33.
[2] Débats, 6 février 2001, p. 308-311.