Recueil de décisions du Président Peter Milliken 2001 - 2011

Les affaires émanant des députés / Limitations financières

Recommandation royale : non requise pour un projet de loi prévoyant la négociation d’une entente d’indemnisation

Débats, p. 4372-4373

Contexte

Le 7 décembre 2004, au moment où la Chambre s’apprête à débattre de l’ordre portant deuxième lecture du projet de loi C-331, Loi sur l’indemnisation des Canadiens d’origine ukrainienne, inscrit au nom d’Inky Mark (Dauphin–Swan River–Marquette), la présidente suppléante (Jean Augustine) déclare qu’à première vue, le projet de loi semble nécessiter une recommandation royale, puis invite le parrain du projet de loi et tout autre député intéressé à exposer leur opinion à la présidence[1]. Le 22 février 2005, M. Mark invoque le Règlement en réponse aux doutes de la présidence quant au projet de loi. Intervenant dans ce rappel au Règlement, Dominic LeBlanc (secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes) attire l’attention du Président sur les préoccupations du gouvernement au sujet du projet de loi C-333, Loi de reconnaissance et de réparation à l’égard des Canadiens d’origine chinoise, qui nécessite aussi, soutient-il, une recommandation royale. Le Président prend l’affaire en délibéré[2].

Résolution

Le Président rend sa décision le 21 mars 2005. Il déclare que dans le cas du projet de loi C-331, l’alinéa 2c) prévoit l’établissement d’un musée permanent et que des fonds publics seraient donc nécessaires. Par conséquent, il statue que le projet de loi ne sera pas mis aux voix en troisième lecture, à moins qu’un ministre ne présente d’abord une recommandation royale. Entre-temps, la Chambre et le comité concerné pourraient continuer d’étudier le projet de loi. Dans le cas du projet de loi C-333, l’article 4 prévoit qu’il y aura des négociations avec la communauté chinoise avant le versement d’une quelconque indemnisation, mais n’autorise pas directement la dépense de fonds publics. Expliquant que lorsque le Parlement adopte un projet de loi, soit il affecte des fonds publics, soit il n’en affecte pas, et qu’une recommandation royale n’est pas nécessaire à l’égard de faits qui ne surviendront peut-être jamais, le Président conclut qu’un projet de loi prévoyant simplement la négociation d’une entente fixant une indemnisation n’a pas besoin d’une recommandation royale. Il statue donc que l’article 3 du projet de loi C-333 n’exige pas de recommandation royale et que le projet de loi peut être mis aux voix en troisième lecture.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision au sujet des questions touchant à deux projets de lois émanant de députés, le projet de loi C-331, Loi sur l’indemnisation des Canadiens d’origine ukrainienne, et le projet de loi C-333, Loi sur la reconnaissance et l’indemnisation des Canadiens d’origine chinoise.

Le 7 décembre dernier, à l’ouverture du débat en deuxième lecture du projet de loi C-331, Loi sur l’indemnisation des Canadiens d’origine ukrainienne, j’ai fait part de mes préoccupations au sujet de certaines dispositions de ce projet de loi qui pourraient empiéter sur la prérogative financière de la Couronne. J’avais alors demandé aux députés intéressés d’intervenir relativement à cette question avant que le projet de loi ne fasse l’objet d’un débat.

Le 22 février, l’honorable député de Dauphin–Swan River–Marquette, le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre et l’honorable député de Glengarry–Prescott–Russell sont intervenus relativement à la nécessité d’accompagner ce projet de loi d’une recommandation royale. Le secrétaire parlementaire a également évoqué la nécessité d’accompagner d’une recommandation royale le projet de loi C-333, Loi de reconnaissance et de réparation à l’égard des Canadiens d’origine chinoise, inscrit au nom de l’honorable députée de Durham. La présidence souhaite remercier ces députés d’avoir traité de cette question en profondeur et d’avoir donné à la présidence suffisamment de temps pour étudier leurs arguments.

La question fondamentale qui est soulevée vise à savoir si le projet de loi C-331 exige, sous sa forme actuelle, d’être accompagné d’une recommandation royale. Si c’est le cas, il ne sera pas mis aux voix à la troisième lecture sous sa forme actuelle, à moins qu’un ministre ne présente d’abord une recommandation royale. Si le projet de loi est amendé à l’étape du comité ou à l’étape du rapport, il se peut que la recommandation royale ne soit plus nécessaire, et le vote pourrait alors être demandé.

Les honorables députés se rappelleront peut-être de la décision que j’ai rendue le 24 février dernier à l’égard de la recommandation royale et du projet de loi C-23, Loi constituant le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences et modifiant et abrogeant certaines lois. La question à laquelle j’avais alors répondu était similaire à celle qui nous intéresse aujourd’hui : le projet de loi empiète-t-il sur la prérogative financière de la Couronne? La prérogative financière de la Couronne, qui est un principe bien établi de notre régime parlementaire, réserve au gouvernement le droit de proposer une dépense de fonds publics pour un objet particulier. Cette prérogative de la Couronne est protégée par l’exigence constitutionnelle voulant que toute proposition de cette nature présentée à la Chambre soit accompagnée d’une recommandation royale, tel que l’exigent l’article 54 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l’article 79 du Règlement de la Chambre.

Le projet de loi C-331 doit-il être accompagné d’une recommandation royale ou, en d’autres mots, le projet de loi C-331 contient-il une proposition entraînant une dépense de fonds publics qui constituerait une affectation de crédits ou une autorisation équivalente de dépenser? À mon avis, c’est le cas. En effet, l’alinéa 2c) prévoit que :

c) [Le ministre du Patrimoine canadien] établit, dans les limites de l’ancien camp de concentration situé dans le parc national Banff, un musée permanent  […] 

Il est évident que cet alinéa ordonne l’établissement d’un musée permanent. Par conséquent, il constitue à mon avis une affectation au sens de l’article 54 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de l’article 79 du Règlement; il donne également l’autorisation de dépenser les fonds publics nécessaires et, à ce titre, équivaut à une affectation au sens de ces articles 54 et 79.

L’honorable député a indiqué à la Chambre que ce nouveau musée serait situé dans un édifice existant et que les frais de restructuration seraient couverts par l’indemnisation négociée. Cela n’est pourtant pas précisé dans le projet de loi et, dans les circonstances, la présidence se doit de fonder sa décision uniquement sur le libellé du projet de loi.

Je remercie le député d’avoir expliqué à la Chambre l’intention du projet de loi et je ne doute pas que le député ainsi que d’autres personnes qui appuient cette initiative aient été conscients de la nécessité de minimiser les coûts de ce projet pour les fonds publics, mais il reste que les coûts seraient réels et liés à un objet nouveau et précis, soit un musée sur les Ukrainiens au Canada, situé à Banff, en Alberta. Je dois supposer que les fonds seraient des fonds publics provenant du Trésor. L’obligation exprimée à l’alinéa 2c) ne me permet aucune autre interprétation.

L’honorable secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre a également fait mention de l’article 3, qui, à son avis, devrait lui aussi être accompagné d’une recommandation royale. Cet article 3 indique notamment ce qui suit :

Le ministre du Patrimoine canadien, […] négocie […] une entente fixant une indemnisation convenable en dédommagement des biens que les Canadiens d’origine ukrainienne se sont fait confisquer.

La Chambre se rappellera que, le 7 décembre 2004, à l’occasion de la première décision rendue à l’égard du projet de loi C-331, j’avais conclu que cette disposition n’exigeait pas de recommandation royale. Le secrétaire parlementaire soutient maintenant que la notion d’indemnisation crée une « obligation positive », pour reprendre son expression, de dépenser des fonds publics. Je me suis donc à nouveau penché sur cette question, mais je ne vois rien qui nécessite une recommandation royale.

Si l’expression « obligation positive » signifie que le gouvernement reçoit le mandat de dépenser des fonds publics, alors je m’attends à voir une disposition législative indiquant clairement l’intention d’accorder ces fonds publics.

Le projet de loi prévoit plutôt la conduite de négociations avec la communauté ukrainienne avant que tout versement soit effectué, ce qui sous-entend que le montant de l’indemnisation pourrait ne jamais être déterminé. Par conséquent, il n’est pas possible d’affirmer que ce projet de loi entraînerait une affectation de fonds publics au moment de sa promulgation. Un projet de loi qui affecte des fonds publics, ou une autorisation équivalente de dépenser des fonds publics, doit avoir cet effet au moment même de sa promulgation.

Une fois qu’un projet de loi devant être accompagné d’une recommandation royale est approuvé par le Parlement, rien de plus ne devrait être requis pour procéder à l’affectation. Le fait de soumettre l’affectation à une autre condition hors du contrôle du Parlement équivaudrait, dans les faits, à une délégation par le Parlement à un tiers de ses pouvoirs et responsabilités en matière de crédits. Le Parlement ne peut agir ainsi.

Lorsque le Parlement adopte un projet de loi, soit il affecte des fonds publics, soit il n’en affecte pas. Une recommandation royale n’est pas nécessaire à l’égard de faits qui ne surviendront peut-être jamais et n’est par conséquent pas nécessaire relativement à l’article 3 de ce projet de loi.

Penchons-nous maintenant sur le projet de loi C-333, Loi sur la reconnaissance et l’indemnisation des Canadiens d’origine chinoise, parrainé par la députée de Durham.

Dans ce cas également, le secrétaire parlementaire a soutenu que le projet de loi nécessitait une recommandation royale parce qu’il imposerait au gouvernement une « obligation positive » de dépenser des fonds publics dès le moment où le montant de l’indemnité aurait été négocié et serait inclus dans une entente entre le gouvernement du Canada et le National Congress of Chinese Canadians.

L’honorable secrétaire parlementaire a souligné le contenu du paragraphe 4(1), qui se lit ainsi :

Le gouvernement du Canada négocie, avec le National Congress of Chinese Canadians, une entente portant sur les mesures réparatoires qui doit être soumise à l’approbation du Parlement.

Le secrétaire parlementaire a soutenu que l’entente négociée prévue dans le projet de loi ne diminue en rien l’obligation qu’il imposerait au gouvernement. La présidence ne souscrit pas à ce point de vue.

Pour les mêmes raisons que celles que je viens de donner à l’égard du projet de loi C-331 et de son article portant sur l’indemnisation, il m’est impossible de conclure que le projet de loi C-333 constitue une affectation au sens de l’article 54 de la Loi constitutionnelle de 1867 ou de l’article 79 du Règlement, ni qu’il constitue une autorisation équivalente de dépenser des fonds publics aux termes de ces dispositions.

Donc, en résumé, une recommandation royale sera nécessaire à l’égard du projet de loi C-331, Loi sur l’indemnisation des Canadiens d’origine ukrainienne, inscrit au nom du député de Dauphin–Swan River–Marquette, avant sa mise aux voix en troisième lecture sous sa forme actuelle. La Chambre et le comité peuvent cependant en poursuivre l’étude.

En ce qui concerne le projet de loi C-333, Loi sur la reconnaissance et l’indemnisation des Canadiens d’origine chinoise, inscrit au nom de la députée de Durham, il n’est pas nécessaire d’obtenir une recommandation royale pour négocier une entente fixant une indemnisation. Par conséquent, ce projet de loi peut être mis aux voix en troisième lecture sous sa forme actuelle.

Je remercie les députés d’avoir attendu patiemment que j’aie eu le temps d’examiner la nécessité des recommandations royales.

Comme il lui incombe de veiller à ce que les initiatives des députés soient traitées de façon ordonnée, la présidence continuera d’attirer l’attention de la Chambre sur ceux, parmi les projets de loi des députés se trouvant sur la liste de priorité, qui pourraient nécessiter une recommandation royale.

Si la présidence omet d’identifier un projet de loi précis exigeant une recommandation royale, les députés auront toujours la possibilité de faire part de leurs préoccupations rapidement. De cette façon, la Chambre pourra procéder en toute connaissance de cause à l’étude des projets de loi des députés.

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[1] Débats, 7 décembre 2004, p. 2412.

[2] Débats, 22 février 2005, p. 3834-3837.

Pour des questions au sujet de la procédure parlementaire, communiquez avec la Direction des recherches pour le Bureau

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