Chapitre 14La limitation du débat
Clôture
La clôture est une procédure qui permet de conclure le débat sur une question donnée par « une décision majoritaire de la Chambre, même si tous les députés qui voulaient prendre la parole ne l’ont pas fait39 ». L’article du Règlement portant sur la clôture40 donne au gouvernement le moyen d’empêcher tout nouvel ajournement du débat sur une question donnée et d’exiger qu’elle soit mise aux voix à la fin de la séance au cours de laquelle la motion de clôture a été adoptée. Mis à part des modifications de forme portant sur l’heure de fin du débat41, la règle est restée à peu près inchangée depuis son adoption en 1913.
La clôture peut viser toute affaire faisant l’objet d’un débat, y compris les projets de loi et les motions. La règle a été conçue pour s’appliquer à un comité plénier42 aussi bien qu’à la Chambre, mais non aux travaux de ses comités permanents, spéciaux, législatifs ou mixtes. Lorsque ces comités étudient des projets de loi, la Chambre peut toutefois utiliser la règle relative à l’attribution de temps43 afin d’imposer une échéance à l’étape de l’examen en comité ou pour forcer un comité à présenter à la Chambre un rapport sur lesdits projets de loi.
Historique
Adoptée à Westminster en 1881 et à la Chambre des représentants de l’Australie en 1905, la règle relative à la clôture ne l’a été à la Chambre des communes du Canada qu’en 191344. L’idée de la clôture avait été discutée à quelques reprises, mais la Chambre n’avait jamais été en mesure d’adopter une règle qui soit satisfaisante à la fois pour le gouvernement et pour l’opposition. À au moins quatre occasions, avant 1913, une opposition vigoureuse et bien organisée avait réussi à retarder l’adoption de mesures législatives du gouvernement45. Des interventions de cette époque témoignent du fait qu’il n’était pas rare de penser qu’une mise aux voix d’une motion ne se ferait pas de sitôt, ni même si elle aurait tout simplement lieu. En 1911, au cours d’un de ces débats prolongés, un député de l’opposition évoqua d’ailleurs la possibilité de « discussions sans fin46 ».
Le chef de l’Opposition Robert Borden, qui allait un jour proposer la nouvelle règle, avait lui-même dit de la règle sur la clôture qu’il « faudrait bien [s’en] garder47 ». Une discussion de près de deux ans sur la politique navale l’a néanmoins convaincu de la nécessité de présenter une motion qui prévoyait, entre autres choses, une règle sur la clôture. Ces modifications, vigoureusement combattues par l’opposition, ont été débattues pendant près d’un mois avant d’être adoptées48. Le gouvernement a immédiatement mis à l’essai la nouvelle règle, quelques jours à peine après son adoption, pendant le débat sur le projet de loi relatif aux forces navales, à l’étape de l’examen en comité plénier49.
Invoquée 11 fois entre 1913 et 1932, la règle sur la clôture ne l’a plus été pendant les 24 années suivantes, jusqu’à la tenue du débat sur le pipeline. En mai 1956, le gouvernement a présenté un projet de loi intitulé Loi établissant la société de la Couronne « Northern Ontario Pipe Line ». Ce projet de loi visait à aider financièrement une société américaine qui construisait alors un pipeline allant de l’Alberta jusqu’au Québec. Au cours des houleux débats entourant cette mesure législative, qui se sont étalés de mai à juin, la clôture a été imposée à chacune des étapes du processus législatif50.
Depuis son entrée en vigueur, la clôture a été utilisée à plus de 80 reprises au total. Elle l’a été pour mettre aux voix plus rapidement une variété de motions51, notamment des résolutions52, des motions visant à modifier le Règlement53 ou ayant pour but de régir les travaux et les heures de séance de la Chambre54 et au rétablissement de projets de loi au Feuilleton au début d’une nouvelle session55 ou à leur examen à une ou à plusieurs étapes56. Elle a également été utilisée afin de mettre fin à un débat sur une question de privilège57.
La règle de la clôture a fait l’objet d’examens et de discussions à de nombreuses reprises, et son abrogation est une question qui refait surface périodiquement58. L’épisode du débat sur le pipeline, largement analysé et commenté, a eu dès le début des répercussions durables sur la perception que les députés pouvaient avoir du fonctionnement de la Chambre59.
En décembre 1957, le nouveau gouvernement Diefenbaker a fait inscrire au Feuilleton un avis de motion portant abrogation de la règle sur la clôture, mais la motion n’a jamais été débattue60. En juillet 1960, le premier ministre Diefenbaker a formulé le souhait « que le comité du Règlement de la Chambre étudie l’opportunité de supprimer le recours à la clôture61 ». Le comité n’y a jamais donné suite. En mars 1962, un autre comité spécial a été chargé d’étudier la procédure de la Chambre et plus particulièrement « d’examiner s’il est souhaitable d’abroger » la règle relative à la clôture62. Le comité n’a pas fait rapport sur la question. Le discours du Trône prononcé en septembre 1962 indiquait que la Chambre serait invitée à abolir la clôture, mais cette proposition est également restée lettre morte63. Au cours de la 30e législature (1974-1979), un sous-comité du Comité permanent de la procédure et de l’organisation a recommandé dans son rapport sur l’emploi du temps qu’un nouvel article inspiré de la règle relative à la clôture de la Chambre des communes britannique soit adopté64, mais cette proposition n’a jamais été recommandée à la Chambre par le Comité permanent.
Le dernier développement significatif est survenu en octobre 2001 lorsque la Chambre a adopté un nouvel article du Règlement prévoyant la tenue d’une période de questions et réponses d’au plus 30 minutes lorsqu’une motion de clôture est proposée65. Cette période, qui vise à augmenter la reddition de comptes ministérielle, constitue une occasion pour le gouvernement de justifier le recours à cette mesure66.
De façon générale, la durée du débat que le gouvernement permet sur une affaire avant de proposer une motion de clôture dépend de plusieurs facteurs, notamment celui de vouloir respecter l’échéancier de ses mesures législatives. Il est arrivé que le Président soit prié de faire usage de son pouvoir discrétionnaire pour refuser de mettre aux voix une motion de clôture selon le motif que la mesure visée n’avait pas été débattue assez longuement. Invariablement, la présidence a refusé d’intervenir dans l’application de l’article, jugeant chaque fois que la présidence n’avait pas ce pouvoir lorsque la règle de la clôture est appliquée correctement67.
Avis de clôture
Avant de proposer une motion de clôture, un ministre doit en avoir donné avis verbalement lors d’une séance antérieure de la Chambre ou d’un comité plénier. Le Règlement ne précise pas le moment où cet avis peut être donné et il existe des précédents divers à cet égard. Par exemple, des avis ont été donnés lorsque la Chambre n’était saisie d’aucune autre question68, lorsque la motion visée par la motion de clôture était à l’étude69 ou encore lorsque la question à l’étude n’avait aucun lien avec l’avis70. Parfois, l’avis a été donné dès le premier jour de débat sur la motion visée71 et tantôt, après un ou plusieurs jours de débat72. Quoi qu’il en soit, le débat sur l’affaire visée par l’avis de clôture doit avoir débuté avant que l’avis puisse être donné73.
Rien n’exige que l’avis de motion soit donné plus d’une fois, mais il est arrivé que des ministres donnent le même avis à plusieurs séances afin de prévenir toute objection voulant que l’avis n’ait pas été donné au cours de la séance précédente74. Par ailleurs, il n’y a pas obligation de proposer la motion même si avis en a été donné ; il y a eu des cas où aucune suite n’a été donnée à l’avis75. À une occasion, le gouvernement a donné avis de la motion de clôture sur quatre projets de loi distincts en même temps : trois projets à l’étape de la deuxième lecture et un à l’étape de la troisième lecture ; cependant, il a fallu présenter quatre motions de clôture distinctes, une pour chaque projet de loi76.
Motion de clôture
Une fois que l’avis a été donné de l’intention de proposer une motion de clôture, la motion peut être proposée au cours d’une séance subséquente, que ce soit le lendemain ou plus tard. La motion de clôture doit être proposée par un ministre, et le débat sur la motion ou le projet de loi visé doit avoir été ajourné au moins une fois avant que la motion de clôture ne puisse être proposée77. Elle doit être proposée immédiatement avant l’appel de l’Ordre du jour portant reprise du débat sur l’affaire visée, soit à la Chambre, soit en comité plénier.
À la Chambre, la motion de clôture se lit simplement comme suit : « Que le débat ne soit plus ajourné ». Dans le cas d’un comité plénier, la clôture peut s’appliquer à une résolution ou à une partie d’un projet de loi comme le titre, le préambule ou les articles et paragraphes, qu’ils soient considérés isolément ou en groupe. Il n’est pas nécessaire que toutes les parties du projet de loi aient été appelées et différées avant que la clôture ne puisse être invoquée78. En fait, les parties du projet de loi qui sont ciblées dans la motion de clôture représentent habituellement celles dont l’étude n’a pas encore été complétée par le comité, soit parce que le débat sur celles-ci n’est pas terminé, soit parce qu’elles n’ont pas encore été abordées ou que le comité a décidé d’en reporter ou d’en réserver l’étude. La motion de clôture exige que l’étude de ces parties soit la première affaire abordée par le comité plénier ce jour-là et qu’elle ne soit plus différée davantage. Autrement dit, la clôture en comité plénier permet que l’étape de l’examen en comité se termine cette séance-là79.
Les motions de clôture ne peuvent être ni débattues ni amendées. Cependant, une fois qu’elles ont été proposées, la Chambre ou le comité plénier procède à une période de questions et réponses d’au plus 30 minutes permettant aux députés de poser de brèves questions au ministre responsable de l’affaire faisant l’objet de la motion de clôture ou au ministre le représentant80.
À la Chambre, à l’expiration de la période prévue pour les questions et réponses ou lorsque plus personne ne désire prendre la parole, le Président met immédiatement la question aux voix : « Que […], le débat ne soit plus ajourné ». Un vote par appel nominal, s’il est demandé, se tient à la suite d’une sonnerie d’au plus 30 minutes81. Si la motion de clôture est adoptée, le débat reprend sur la mesure visée, mais il est soumis aux restrictions imposées par la règle sur la clôture82. Aucun député, pas même le premier ministre ni le chef de l’Opposition, ne peut prendre la parole plus d’une fois ni pendant plus de 20 minutes. Chacune de ces interventions peut également être suivie d’une période de questions et d’observations d’au plus 10 minutes83. Par ailleurs, un député qui a participé au débat sur la motion principale avant l’adoption de la motion de clôture peut prendre la parole à nouveau si un amendement ou un sous-amendement est proposé pendant le débat régi par la motion de clôture. Cependant, un député qui est reconnu pour fin de débat sur la motion principale après l’adoption de la motion de clôture ne peut intervenir dans le débat sur quelque amendement ou sous-amendement proposé subséquemment.
En comité plénier, au terme de la période de questions et réponses, le président du comité plénier met aux voix la motion de clôture. Si celle-ci est adoptée, la résolution, ou une partie précise d’un projet de loi si le comité examine une mesure législative, est immédiatement mise à l’étude84. Dans le cas d’un projet de loi, il s’agira fort probablement d’un de ses premiers articles. Durant le débat qui s’ensuit, comme à la Chambre, aucun député ne peut prendre la parole plus d’une fois ni au-delà de 20 minutes. Si l’étude d’un article se termine et que le débat commence sur l’article suivant, les députés ont 20 autres minutes pour traiter de cet article85.
Toutes les questions nécessaires pour disposer de l’affaire visée par la motion de clôture doivent être mises aux voix au plus tard à 20 heures ou le plus tôt possible après cette heure afin qu’un député qui a obtenu la parole avant 20 heures puisse terminer son intervention86. Aucun député ne peut se lever pour prendre la parole après 20 heures87. À cette heure, ou peu de temps après si un député est en train de compléter un discours88, le Président de la Chambre ou le président du comité plénier met aux voix toutes les questions nécessaires pour disposer de l’affaire visée par la motion de clôture, y compris tout amendement ou sous-amendement89.
À la Chambre, si un vote par appel nominal est exigé, la sonnerie d’appel se fera entendre pendant au plus 15 minutes90. Toutefois, dans l’éventualité où le débat prend fin avant 20 heures, la sonnerie d’appel retentira pendant une période d’au plus 30 minutes91. Les votes par appel nominal peuvent être reportés à une date ultérieure avec le consentement unanime de la Chambre, comme cela se fait à l’occasion92, ou par accord entre les whips de tous les partis reconnus93.
Lors d’une séance durant laquelle une motion de clôture a été adoptée et que l’affaire visée par elle est ensuite mise en délibération et débattue pour le reste de ladite séance, les Affaires émanant des députés sont abordées comme à l’habitude à l’heure prévue par l’ordre quotidien des travaux, le cas échéant94. S’il s’agit d’une journée comprise entre le mardi et le vendredi inclusivement, la Chambre débat de la mesure touchée par la clôture jusqu’aux Affaires émanant des députés et reprend ce débat immédiatement après cette période. Cependant, le Débat d’ajournement est suspendu lors des séances où la clôture est appliquée95. Notons également que les motions visant à prolonger une séance au-delà de l’heure ordinaire d’ajournement quotidien ainsi que les motions d’ajournement du débat et de la Chambre sont irrecevables lorsqu’est débattue une motion sous l’effet de la clôture96.