Chapitre 20Les comités
Historique
Précédents britanniques
Les comités du Parlement britannique existent sous une forme ou une autre depuis le XIVe siècle5. Les précurseurs des premiers comités parlementaires ont été les personnes chargées de vérifier et d’examiner les pétitions6, et la première tâche des comités tels que nous les connaissons a été de rédiger des mesures législatives pour donner suite aux pétitions accueillies favorablement par la Couronne. Dès le milieu du XVIe siècle, les comités faisaient partie des rouages du système parlementaire, modifiant ou améliorant les mesures législatives dont la Chambre des communes avait approuvé le principe. Les comités avaient leurs propres salles de réunion au palais de Westminster et leurs usages revêtaient déjà un grand nombre de leurs caractéristiques modernes, notamment des règles plus souples pour régir les débats, le droit de nommer des sous-comités et celui de convoquer des témoins. La Chambre a cependant toujours pris soin de conserver le contrôle et la responsabilité à l’égard des travaux qu’elle renvoyait aux comités.
À l’époque, on distinguait deux types de comités : les grands comités de 30 à 40 membres et les petits, qui en comptaient 15 au plus. Les grands comités, souvent composés de différentes classes de députés (selon la profession, la région et les fonctions), étaient chargés d’étudier les questions de fond. Au début, ils étaient toujours classés comme des comités « spéciaux », c’est-à-dire des entités créées pour une fin particulière et dissoutes aussitôt leur travail accompli. Avec le temps, certains de ces grands comités ont reçu des ordres de renvoi (mandats) qui valaient pour toute la durée d’une session. À titre de comités « permanents », ils étaient chargés d’un champ de responsabilité, comme l’étude d’une catégorie de projets de loi ou un domaine particulier des travaux de la Chambre7. Au milieu du XVIIe siècle, un système de comités permanents passablement élaboré était en place, et ce système est resté à peu près inchangé pendant les deux siècles qui ont suivi8.
Les comités plus petits, auxquels n’étaient nommés que des députés expressément désignés par la Chambre, ont fini par s’appeler les comités « restreints » (« select » en anglais). Bien que n’importe quel député ait pu assister aux délibérations d’un comité restreint, seules les personnes nommées membres de ce comité par la Chambre pouvaient participer aux délibérations9.
Par contre, dans les grands comités, il est devenu courant qu’on permette à tous les députés présents de prendre part aux échanges. Cette pratique autorisant tous les députés à prendre la parole dans ces comités a évolué, et on a commencé à parler de comités « généraux » ou de « grands » comités. Ultimement, la composition de ces comités est devenue identique à celle de la Chambre même, et ils ont été appelés « comités pléniers10 ». Les grands comités sont devenus l’instance de prédilection pour étudier les « projets de loi de grande préoccupation et surtout les projets de loi levant des impôts ou autres recettes sur les contribuables […] pour qu’il soit possible de tenir des débats plus exhaustifs, car, dans un comité, les députés ont la liberté de parler d’une même question aussi souvent qu’ils le jugent nécessaire […]11 ».
Le Long Parlement révolutionnaire d’Angleterre (1640-1660)12, qui a assumé tous les pouvoirs de l’administration et du gouvernement pour le Commonwealth, a écarté les grands comités et a gouverné au moyen de petits comités. Les comités pléniers semblaient « fort peu commodes », car ils accordaient à l’opposition des droits égaux de participation aux débats13.
À la Restauration14, le Parlement est revenu en 1661 aux grands comités pour les travaux les plus importants et, dès 1700, il était de pratique courante d’étudier les projets de loi en comité plénier après la deuxième lecture15. Au fil des ans, divers comités de réforme ont continué de proposer que les projets de loi soient de nouveau renvoyés aux petits comités, mais la Chambre a préféré la plus grande ouverture que permettait le comité plénier.
Les comités des assemblées des deux Canadas et de la Province unie du Canada
Contrairement à la pratique britannique au XIXe siècle, où la majorité des travaux des comités était confiée à des comités pléniers, les assemblées législatives du Haut-Canada et du Bas-Canada renvoyaient régulièrement les projets de loi pour étude à des comités restreints16. En réalité, le système de comités permanents des deux Canadas, ainsi qu’il a évolué, s’apparentait davantage à la structure de comités des assemblées législatives coloniales américaines et du Congrès des États-Unis qu’à celle du Parlement britannique17. Au cours des années 1830, un système de comités passablement évolué a fait son apparition.
En 1831, le Bas-Canada a commencé à nommer un certain nombre de comités permanents, c’est-à-dire des comités ayant un mandat permanent, au début de chaque session. Un peu plus tard, en 1836, l’Assemblée du Haut-Canada a nommé 12 comités restreints et permanents chargés d’à peu près tous les domaines d’activité du gouvernement, rompant avec la pratique usuelle qui voulait qu’on nomme des comités spéciaux ou ad hoc au gré des besoins18.
Les comités donnaient aux députés des assemblées législatives une certaine indépendance par rapport à l’exécutif et traduisaient leur volonté de s’occuper plus directement des affaires du gouvernement. Pour cette raison, le Conseil exécutif du Haut-Canada a arrêté de nommer des comités permanents après la rébellion de 183719. De la même façon, le gouvernement de la Province unie du Canada (1841-1866) a tout d’abord refusé de créer un système de comités permanents, soutenant que cela compromettrait le principe de gouvernement responsable20.
Évolution du système de comités de la Chambre des communes
La Chambre des communes du nouveau Dominion du Canada a hérité de la Province du Canada les règles régissant ses comités. Elles étaient essentiellement identiques à celles appliquées à l’Assemblée législative du Bas-Canada avant l’Acte d’Union, 184021. Les efforts de réforme, tant avant qu’après la Confédération, ont continué de refléter la volonté de rendre l’Assemblée législative plus efficace ou encore l’interminable lutte en vue de modifier l’équilibre des pouvoirs entre l’assemblée législative et le pouvoir exécutif.
Dans le premier Règlement adopté en 1867, fort peu d’articles traitaient directement des comités permanents ou spéciaux. Le Règlement n’énumérait pas les comités qui devaient être mis sur pied, ne donnait aucune précision sur leurs pouvoirs, leur procédure ou l’autorité de la présidence. Il interdisait cependant à un député qui s’était prononcé contre la question renvoyée à un comité de faire partie de ce comité22. Cette règle, caractéristique de la pratique parlementaire anglaise et britannique depuis au moins l’époque d’Elizabeth 1re, n’a été abrogée au Canada qu’en 195523.
De 1867 à 1906, la liste des comités permanents de la Chambre24 était établie par l’adoption d’une motion à chaque session de chaque législature, d’habitude dans les premiers jours suivant le discours du Trône25. En 1906, la Chambre ajoutait pour la première fois au Règlement une liste des comités « permanents » qui devaient, selon la décision de la Chambre, être constitués à toutes les sessions, même si ces comités n’étaient actifs que lorsque la Chambre leur ordonnait expressément d’étudier une question donnée26. Les comités spéciaux et mixtes, dont le nombre et le mandat variaient d’une année à l’autre, étaient également établis dans le cours de chaque session. Également en 1906, la Chambre a créé un comité de sélection chargé de nommer les membres des comités permanents27.
Vu la taille considérable de la plupart des comités dans les premières années de la Confédération (certains comptaient plus d’une centaine de membres) et la règle fixant le quorum à la majorité des membres, les grands comités avaient beaucoup de mal à rassembler assez de membres régulièrement pour pouvoir siéger et s’acquitter de leurs travaux28. C’est pourquoi, au fil des ans et malgré plusieurs variations, la taille des comités permanents a généralement diminué, si bien que, à la 26e législature, le maximum de membres par comité permanent n’était pas supérieur à 15, et qu’il était de 12 à la 39e législature. Le nombre de membres au sein des comités permanents est passé à 10 au cours de la 41e législature29. De plus, le nombre de comités permanents de la Chambre a sensiblement varié depuis la Confédération : de 10 qu’il était en 1867, il est passé à 25 en 1986, ramené à 17 au cours de la 36e législature, et rehaussé à 24 durant la 39e législature30.
Malgré le fait qu’une structure de comités permanents fut instituée à la Confédération, pendant les 100 premières années, la plupart des comités ne se réunissaient pas d’une session à l’autre et la plupart des travaux de la Chambre se faisaient sur le parquet même de la Chambre, souvent en comité plénier31. À maintes reprises, la Chambre a envisagé de renforcer le rôle des comités permanents, surtout pour l’étude des Budgets des dépenses. À plusieurs occasions, les députés ont exprimé des inquiétudes parce que les Budgets des dépenses ne faisaient pas l’objet d’une étude détaillée à la Chambre et ils ont avancé l’idée que l’étude serait plus efficace si les prévisions de dépenses étaient tout d’abord renvoyées pour examen à des comités permanents ou spéciaux. Une proposition à cet effet a été renvoyée à un comité spécial en février 192532. Le comité n’a pas retenu la proposition, mais on a continué de soulever la question à la Chambre. En juillet 1955, la Chambre adoptait une motion permettant de retirer au Comité des subsides33 l’étude des Budgets des dépenses pour la confier à des comités permanents ou spéciaux34. En 1958, la Chambre ajoutait un Comité permanent des prévisions de dépenses35. En 1964, un Comité spécial de la procédure et de l’organisation proposait également que le Budget principal des dépenses soit automatiquement renvoyé, dès son dépôt, aux comités permanents36.
En 1965, le Règlement a été modifié de façon provisoire pour permettre aux comités permanents d’examiner les prévisions de dépenses37, mais ce n’est qu’en 1968 que la Chambre a accepté une restructuration et une réorientation permanentes du système de comités. Aux termes des nouvelles dispositions du Règlement, le Budget principal des dépenses était déposé et renvoyé aux comités permanents au plus tard le 1er mars de chaque année, le rapport des comités devant être présenté à la Chambre, ou réputé présenté à la Chambre, au plus tard le 31 mai. En outre, il était prévu que tous les projets de loi (autres que ceux découlant des motions des subsides et des voies et moyens) seraient étudiés par un comité permanent après la deuxième lecture38.
En 1982, la Chambre a de nouveau mis sur pied un comité spécial chargé de revoir le Règlement39 et a mis en œuvre de façon provisoire plusieurs de ses recommandations. Parmi les modifications les plus importantes figurent celles prévoyant le renvoi d’office des rapports annuels des ministères, organismes et sociétés d’État aux comités permanents et autorisant les comités à entreprendre de leur propre initiative des études ou enquêtes fondées sur l’information fournie dans ces rapports40. Au début de la législature suivante (1984–88), la Chambre a accepté de conserver les modifications provisoires41 et a chargé un autre comité spécial, le comité McGrath, d’étudier l’efficacité de tous les aspects de la procédure et de l’administration de la Chambre42. Ce comité a recommandé d’élargir la portée des mandats des comités, de leur accorder un large pouvoir leur permettant d’étudier, pour en faire rapport à la Chambre, toute question se rapportant aux ministères qui relèvent de leur compétence ; de créer une structure de comités qui correspond autant que faire se peut à la structure de l’administration publique43 ; et d’établir un comité de liaison regroupant les présidents de tous les comités permanents et les présidents ou vice-présidents appropriés des comités mixtes, chargé d’attribuer les budgets aux comités44. Des modifications provisoires apportées au Règlement en 1986 ont repris la majorité des recommandations du comité concernant les comités, et ces modifications ont été rendues permanentes l’année suivante45.
Il y a eu d’autres modifications d’importance dans le domaine des comités depuis les réformes du comité McGrath. En avril 1991, la Chambre a convenu d’autoriser les comités à diffuser leurs délibérations dans le cadre de lignes directrices arrêtées par le Comité permanent de la gestion de la Chambre46. En 1994, le Règlement a de nouveau été modifié pour autoriser la Chambre à charger un comité d’élaborer un projet de loi et de le déposer, et à renvoyer des projets de loi à un comité avant la deuxième lecture47. Le but visé par ces modifications était de donner aux députés l’occasion de participer à l’élaboration d’une politique avant que le gouvernement n’arrête sa position sur une initiative législative donnée48.
En 2002, la Chambre créait un nouveau comité permanent : celui des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires49. La Chambre donnait ainsi suite à certaines des recommandations contenues dans un rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre intitulé « L’étude des crédits : boucler la boucle du contrôle50 ». Ce dernier plaidait en faveur de la création d’un comité chargé de surveiller et de revoir le processus entourant l’examen des crédits budgétaires par les comités parlementaires. Le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires s’est vu donner un mandat de large portée qui comprend notamment l’étude de l’efficacité, de l’administration et du fonctionnement des ministères et organismes centraux du gouvernement.
Toujours en 2002, le Sénat ayant fait savoir à la Chambre qu’il ne participerait plus au Comité mixte permanent des langues officielles, la Chambre a créé son propre comité sur la question51. De plus, la procédure reliée au mode de désignation des présidents et vice-présidents de comités permanents et spéciaux a été modifiée ; s’il y a plus d’un candidat à l’un de ces postes, l’élection se fait par scrutin secret52. Auparavant, il fallait le consentement unanime des membres d’un comité pour procéder ainsi. Du même souffle, la Chambre codifiait une pratique de longue date voulant que, sauf exception, les présidents des comités permanents soient membres du parti ministériel et que leurs premier et deuxième vice-présidents soient respectivement un député de l’Opposition officielle et un député d’un autre parti de l’opposition53.
En 2005, des changements importants ont été apportés à la procédure reliée au débat entourant l’adoption des rapports de comités permanents ou spéciaux par la Chambre. Cette dernière a notamment limité ces débats à un maximum de trois heures54. En 2007, elle adoptait un tout nouvel article du Règlement prévoyant la suspension des travaux des comités lorsqu’elle convoque ses députés pour un vote par appel nominal55.
En 2015, la Chambre a apporté un certain nombre de modifications au Règlement. Elle a notamment accepté que les membres des comités appartenant à un parti reconnu joignent en appendice des opinions dissidentes ou complémentaires aux rapports de comité sans l’approbation explicite du comité56. La Chambre a également créé le Code de conduite pour les députés : harcèlement sexuel et modifié le mandat du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre afin que ce dernier examine toutes les questions relatives au Code et en fasse rapport57.
En 2017, la Chambre a modifié le Règlement afin de codifier les rôles que peuvent jouer les secrétaires parlementaires et les ministres au sein des comités58. Elle a aussi convenu de créer une exception au droit d’un comité d’en appeler d’une décision du président de comité59. Enfin, la Chambre a modifié provisoirement les échéances entourant l’étude du Budget principal des dépenses et a aussi transformé provisoirement l’étude des crédits provisoires pour qu’elle soit similaire à celles des autres budgets, avec le renvoi en comité d’un Budget provisoire des dépenses60.