Cas non prévus
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- Dans tous les cas non prévus par le présent Règlement ni par un autre ordre de la Chambre, les questions de procédure sont décidées par le Président de la Chambre ou le président des comités pléniers, lesquels doivent fonder leurs décisions sur les usages, formules, coutumes et précédents de la Chambre des communes du Canada et sur la tradition parlementaire au Canada et dans d’autres juridictions, dans la mesure où ils sont applicables à la Chambre.
Commentaire de l’article 1
L’article 1 stipule que dans le cours des délibérations sur les affaires d’intérêt public, lorsque survient une question de procédure qui n’a pas été prévue ou n’est pas visée par le Règlement ou un autre ordre de la Chambre, le Président de la Chambre ou le président des comités pléniers doit fonder sa décision au premier chef sur les usages, formules, coutumes et précédents de la Chambre des communes du Canada, ensuite sur la tradition parlementaire au Canada, puis sur celle des autres juridictions, dans la mesure où elle peut s’appliquer à la Chambre canadienne. Cette disposition ne vise pas les règles codifiées ni le Règlement des autres juridictions, mais uniquement la tradition sur laquelle ceux-ci se fondent.
Historique de l’article 1
Le 6 novembre 1867, jour d’ouverture de la première session de la première législature, la Chambre des communes du Canada a entrepris ses travaux sous le régime des Constitutions, règles et règlements de l’Assemblée législative du Canada. Elle adoptait peu après, le 15 novembre 1867, une motion créant un comité spécial chargé d’aider le Président à établir des règles et règlements pour la Chambre. Le 20 décembre suivant, elle entérinait le rapport du comité, avec modifications, et se dotait ainsi d’une règle destinée à la guider dans les « cas imprévus ». L’article 116 du Règlement de 1867 se lisait comme suit : « Dans tous les cas imprévus, les règles, usages et formalités de la Chambre des communes du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, doivent être suivis. » [1]
Dès la première session de la première législature, il est clairement apparu que la présidence se reposerait largement sur les précédents britanniques pour rendre ses décisions. [2] Les personnes qui occupaient le fauteuil aussi bien que les députés faisaient souvent référence aux règles et coutumes du Parlement du Royaume-Uni pour étayer leurs arguments en faveur ou à l’encontre de l’application d’une règle de procédure. Et, de fait, la Chambre a débattu et adopté des résolutions ayant trait à la procédure [3] et aux fonctionnaires de la Chambre [4] qui se conformaient à l’expérience britannique. Divers comités, lorsqu’ils ont étudié l’à-propos de modifier les règles, ont également fait appel au libellé du Règlement britannique, tant pour faire accepter les modifications proposées que pour souligner les circonstances différentes qui prévalaient au Royaume-Uni et au Canada. [5]
Lorsque la Chambre des communes du Canada a modifié son Règlement en 1876, elle n’a apporté aucun amendement à cet article. Cependant, en juillet 1906, elle en a substantiellement révisé le libellé. [6] D’abord, l’expression « dans tous les cas imprévus » était remplacée par la suivante : « dans tous les cas qui ne sont pas prévus ci-après ou par des ordres de session ou autres ». Ensuite, les mots suivants étaient insérés : « en vigueur le 1er jour de juillet 1867 ». L’instance judiciaire supérieure de la Grande-Bretagne avait en effet décidé que « lorsqu’une règle d’une assemblée législative prescrit que celle-ci adoptera, dans la mesure où elles s’appliquent à ses travaux, les règles, formules et coutumes en usage à la Chambre des communes de la Grande-Bretagne, elle doit être interprétée comme visant uniquement les règles, formules et coutumes qui existaient au moment de son entrée en vigueur ». [7] Quoi qu’il en soit, la Chambre n’avait jamais été régie dans les cas douteux par le Règlement britannique, mais bien par l’usage ou les coutumes de la Chambre des communes.
Même si, au début du XXe siècle, la présidence et les députés avaient manifestement admis qu’il existait d’importantes différences entre la situation de la Chambre canadienne et celle de la Chambre britannique, [8] ils ont continué d’avoir un sens aigu tant des pratiques [9] que des règles de procédure [10] de la Chambre des communes du Royaume-Uni, et d’adopter ou de modifier leurs propres règles en conséquence. [11] En décembre 1909, le Président rendait une importante décision dans laquelle il indiquait clairement qu’il ne considérait pas la Chambre canadienne comme tenue de suivre les ordres de session de la Chambre britannique dans les cas non prévus, et déclarait qu’en l’occurrence, une adhésion à ces ordres « causerait dans une certaine mesure un changement dans les coutumes et usages de cette Chambre à cet égard ». Il ajoutait que puisqu’aucune règle de la Chambre canadienne ne visait l’affaire qu’il devait trancher, il serait souhaitable qu’une disposition formelle soit établie et que la question soit envisagée par la Chambre ou le Comité permanent des privilèges et élections. [12] En mars 1913, un autre débat s’est engagé sur l’application des règles britanniques à la Chambre canadienne lors de l’étude d’une motion portant formation de la Chambre en comité des subsides; la question était de savoir si le Président avait le droit d’occuper le fauteuil alors que la Chambre s’était formée en comité plénier. [13] Tout en adaptant les règles et mécanismes internes en fonction de l’évolution des circonstances, les députés n’en continuaient pas moins de suivre étroitement l’exemple de la Chambre britannique, [14] tandis que la présidence demeurait attentive aux différences de contexte entre les deux Chambres. [15]
En mai 1925, un comité spécial chargé d’examiner le Règlement recommandait la révision du libellé de l’article 1. La suggestion a été réitérée dans le rapport d’un deuxième comité, et adoptée en mars 1927. [16] Dans son rapport, le comité affirmait avoir tenté de clarifier le Règlement de sorte que seules les règles absolument nécessaires soient en vigueur, et que la Chambre puisse se guider « surtout sur les principes généralement suivis dans les assemblées législatives britanniques… ». Ayant examiné le libellé et la portée de l’article 1, le comité déclarait que celui-ci empêchait la Chambre d’accepter, dans les cas non prévus, la coutume suivie en Grande-Bretagne depuis le 1er juillet 1867. Il n’y avait selon lui aucune raison plausible de ne pas accepter les précédents britanniques, dans les cas où il n’y avait pas de précédent canadien, peu importe la date où ils avaient été établis; il estimait l’article 1 trop impératif, en ce qu’il obligeait la Chambre à suivre les règles britanniques en vigueur avant 1867. Il parlait également de la difficulté de suivre les règles du Parlement britannique, car elles ne s’adaptaient pas toujours aux conditions prévalant au Canada, et indiquait qu’accepter comme guides les us et coutumes britanniques permettrait de mieux répondre à toutes les exigences. Le libellé proposé par le comité pour tenir compte de ces préoccupations a été adopté en 1927, et n’a pas été modifié avant février 1986.
De 1927 à 1986, cependant, la présidence a continué de se fonder sur les précédents britanniques dans les « cas non prévus » et de distinguer les pratiques en usage dans les deux pays. [17] Les députés ont continué d’examiner et de débattre les modalités, telles que le renvoi des prévisions budgétaires à des comités spéciaux et les méthodes d’enregistrement des votes, qui n’avaient pas été intégrées aux usages canadiens. [18] On trouve l’indication la plus claire de l’intérêt continu manifesté par la présidence aussi bien que les députés envers la procédure britannique dans le rapport qu’a déposé le Président Fauteux en décembre 1947. Dans son introduction, le Président constatait que la Chambre canadienne avait « fini par établir (…) une méthode parlementaire qui nous est propre et qui, tout en se fondant sur les principes britanniques, demeure nettement canadienne ». Il soulignait également « que, reconnaissant la longue expérience de la Chambre du Royaume-Uni et cherchant à en bénéficier, nous demeurons cependant maîtres absolus de notre propre procédure, qui doit s’adapter à nos circonstances et à nos besoins ». [19] Néanmoins, dans le corps du rapport, lorsqu’il suggérait des révisions au Règlement, il se fondait sur de nombreux exemples britanniques et faisait constamment référence à la façon dont la Chambre du Royaume-Uni procédait à ses travaux. [20]
Il ressort du rapport de 1955 du comité spécial chargé d’examiner le Règlement que l’on prenait de plus en plus conscience que la Chambre canadienne devait adapter sa propre procédure pour tenir compte des pressions de plus en plus fortes qui s’exerçaient sur son emploi du temps et, même si cela allait être le thème central des réformes envisagées tout au long des années 1960, la présidence a continué de se fonder sur la pratique britannique dans les cas non prévus. [21] Les comités spéciaux de la procédure qui se sont succédés durant la décennie 1960 reconnaissaient volontiers l’influence des coutumes britanniques sur leurs travaux et se sont rendus à Westminster pour y acquérir une connaissance de première main des pratiques qui y avaient cours. [22] En outre, un comité spécial de la procédure a également recensé les pratiques en usage dans les autres juridictions parlementaires. [23]
Un cas survenu en juin 1964 montre bien que l’article 1, avec sa référence aux pratiques britanniques, continuait d’être appliqué durant cette période lorsque la Chambre faisait face à des circonstances non prévues. En l’occurrence, la présidence s’est fondée sur l’actuelle pratique britannique relative aux « questions compliquées » pour scinder une motion relative à l’adoption d’un drapeau distinctif pour le Canada, lorsqu’il est devenu manifeste qu’il n’existait aucun précédent clair dans les annales canadiennes régissant la division d’une question complexe et que l’ancien usage britannique avait été supplanté par une pratique plus moderne à la Chambre du Royaume-Uni. [24]
Les Présidents ont continué à faire appel aux pratiques et autorités britanniques pour rendre leurs décisions, et les comités de la procédure ont continué de passer en revue l’expérience britannique tout au long des années 1970 et 1980. [25] En mars 1985, le Comité spécial sur la réforme de la Chambre des communes formulait dans son deuxième rapport une recommandation visant à modifier ce qui avait été le libellé traditionnel de l’article 1. Les membres du comité estimaient que les pratiques de la Chambre canadienne avaient suffisamment évolué pour qu’elle n’ait plus besoin d’être liée par celles d’une quelconque autre assemblée ou d’un autre pays. Ils reconnaissaient par ailleurs qu’il serait utile d’examiner les précédents et les autorités des autres législatures et parlements. Afin de réaffirmer que la Chambre des communes avait la liberté d’adapter sa procédure en fonction de ses propres besoins, tout en maintenant les traditions canadiennes, les membres du comité recommandaient que cet article soit reformulé. [26] À la suite d’un débat sur les modifications proposées au Règlement, déposées par le leader parlementaire du gouvernement, la Chambre a adopté, à titre provisoire, le libellé actuel de l’article 1, le 13 février 1986. [27] Ce libellé est devenu permanent en juin 1987 [28] et n’a pas été modifié depuis, sauf pour remplacer, dans la version française, le terme « Orateur » par « Président de la Chambre », le premier terme étant maintenant vieilli. [29]
Les Présidents disposent maintenant d’une vaste gamme de précédents de la Chambre des communes du Canada desquels s’inspirer dans les cas non prévus [30] mais se sont à l’occasion tournés vers les assemblées législatives des provinces dans les cas où il n’existe aucun précédent. [31] Si les députés continuent de s’intéresser à la procédure britannique, ils étudient toutefois de plus en plus la pratique des provinces et des autres pays du Commonwealth. [32]
Commentaire de l’article 1.1
L’article 1.1 donne à la présidence le pouvoir de modifier l’application des dispositions du Règlement ou des pratiques de la Chambre et de ses comités pour permettre aux députés handicapés de participer pleinement aux délibérations de la Chambre. Il pourrait s’agir, par exemple, d’exempter un député d’avoir à se tenir debout lorsqu’il prend la parole.
Historique de l’article 1.1
Avant même l’adoption de cet article, la présidence et la Chambre ont souvent fait exception aux règles pour permettre aux députés de prendre part aux délibérations malgré une maladie, une blessure ou un handicap. À l’occasion, des députés souffrant d’une blessure à la jambe ont été autorisés à demeurer assis pour prononcer une allocution. [1] La présidence a aussi appliqué de façon moins rigoureuse le code vestimentaire, qui exige normalement que les députés masculins portent un veston et une cravate, pour faciliter les choses aux députés malades ou blessés. [2] Dans un cas, un député a été autorisé à lire des questions à la place d’un autre député qui, bien que présent, était incapable de parler en raison d’une bronchite. [3]
C’est l’élection d’un député quadriplégique, en 2004, qui a entraîné l’ajout de cet article. [4] Le député a été autorisé à intervenir et à voter en demeurant assis dans son fauteuil roulant et à être accompagné d’un assistant dans la Chambre et en comité.