Merci beaucoup.
[Traduction]
Merci de m'inviter ici aujourd'hui.
Je commence tout de suite et vous promets de ne pas parler trop longtemps.
Je m'appelle Caroline Rioux. Je suis présidente de l'Agence canadienne des droits de reproduction musicaux Ltée, ou CMRRA.
La CMRRA fait fonction d'agent pour plus de 6 000 maisons d'édition et compositeurs indépendants. Tous ces intervenants représentent plus de 80 000 catalogues d'oeuvres musicales et des millions de chansons, qui constituent une grande partie des oeuvres musicales jouées commercialement et disponibles au Canada.
Nous avons pour rôle d'octroyer des licences pour les droits de reproduction. Nous octroyons des licences pour la reproduction d'oeuvres destinées à être utilisées de nombreuses façons. Au début, la CMRRA octroyait ce que nous appelons des licences mécaniques pour la reproduction d'oeuvres musicales sur des supports physiques, comme les CD, les cassettes et les phonogrammes. Aujourd'hui, nous octroyons également des licences pour la reproduction d'oeuvres musicales aux fins de radiodiffusion ou de distribution par Internet.
Le mode de distribution et de consommation des oeuvres musicales a énormément changé au cours des dernières années, dans la période qui a menée à l'apport de modifications en 2012 à la Loi sur le droit d'auteur et encore beaucoup plus depuis ce temps. Les services de diffusion en continu, comme Spotify et Apple Music, sont apparus, qui ont provoqué un déclin rapide du marché du téléchargement.
Outre cette évolution du marché, certaines exceptions qui ont été apportées à la loi en 2012 ont conduit à une réduction de 30 % des redevances versées par les radiodiffuseurs. La perception du tarif pour la copie à des fins privées a presque disparu, même si la copie à une échelle massive se poursuit grâce aux téléphones intelligents et aux appareils d'enregistrement numérique.
Étant donné cette saignée, les services de diffusion en continu constituent maintenant la plus grande source de redevances. J'aimerais prendre un instant pour parler tout particulièrement de cette situation, parce qu'elle a conduit à des réductions de tarif et à des positions de négociation inéquitables. Nous avons donc besoin de votre aide pour corriger la situation.
M. Pierre Nantel a déclaré jeudi dernier que les maisons d'édition concluent des marchés bizarres à de faibles taux avec les services de diffusion en continu. Il est important de s'attaquer à cette question, je crois, et de dire que ces taux très bas reposent, du moins en partie, sur des décisions prises par la Commission du droit d'auteur du Canada.
Il convient de préciser que le dernier tarif homologué pour la diffusion en continu nous a fait reculer considérablement. En effet, en vertu de ce tarif, nos taux pour la diffusion en continu sont, à ma connaissance, les plus faibles au monde et ils sont bien en deçà des taux du marché. Nous sommes passés d'un taux de 5,18 % à un taux de moins de 1,5 %. De plus, une disposition importante du tarif fixe le droit minimal payable par des services de musique en ligne; ce minimum est de 100 $ par année, quel que soit le nombre de diffusions en continu ou le volume offert par un service de musique.
La commission avait tenu pour acquis que quiconque offre un service de musique attrayant attirerait automatiquement des revenus de publicité considérables et verserait en conséquence des redevances suffisantes pour les titulaires de droits d'auteur. Or, l'expérience nous a révélé que certains de ces services sont heureux de ne tirer aucun revenu de la publicité, parce que la valeur promotionnelle d'un service gratuit est beaucoup plus importante pour eux que la vente d'espaces publicitaires.
En vertu du tarif actuel, de grands services de diffusion en continu ont pu payer beaucoup moins que 0,003 $ par diffusion, comme l'a affirmé M. Nantel dans ses commentaires, la semaine dernière. En fait, il est arrivé qu'on propose un taux aussi bas que un quart de un millième d'un cent par diffusion.
Pire encore, nombre de services avec lesquels nous traitons qui exploitent une plateforme ouverte aux annonceurs se sont mis à prétendre qu'il n'est pas obligatoire de verser des redevances au Canada en raison de l'exception relative aux hébergeurs entrée en vigueur en 2012. Cette situation nous oblige à mener de longues négociations et nous conduit à un taux qui ne correspond pas en bout de ligne à la valeur réelle du droit. La seule solution qui reste est le procès, qui est coûteux, long et d'une issue incertaine. Qui plus est, le seul gain que nous pouvons obtenir en cas de redevances non payées sont les redevances elles-mêmes. Il ne sert donc à rien d'intenter des poursuites judiciaires si les redevances recouvrées servent simplement à acquitter les frais légaux qu'il a fallu engager.
D'autre part, le risque encouru par ces services est bien faible si, en fin de compte, leur responsabilité se limite en fait à payer ce qu'ils auraient dû payer au départ. Certains collectifs peuvent réclamer des dommages-intérêts en vertu de la loi, mais cette option n'est pas accessible à la CMRRA pour ce qui est du droit de reproduction ayant fait l'objet d'une licence en vertu d'un tarif.
Enfin, lorsque ces services sont exploités de l'extérieur du Canada, et bon nombre le sont, nous n'avons pas les outils suffisants pour faire respecter les droits d'auteur. Les fournisseurs de services Internet sont idéalement placés pour mener ce combat, car ils pourraient retirer l'accès aux services qui contreviennent à la loi, mais ils sont réticents à prendre position sur le contenu auquel ils donnent accès, et c'est compréhensible. Nous nous retrouvons donc sans outils véritables pour amener ces services à respecter la loi.
La semaine dernière, Michael Paris de l'Association des cinémas du Canada a affirmé devant vous qu'il n'y a pas de droit sans recours, et j'abonde dans le même sens.
Au nombre des recommandations que nous formulons concernant la réforme de la Loi sur le droit d'auteur figurent plusieurs propositions qui aideraient, selon nous, à faire indemniser équitablement les titulaires de droits d'auteur lorsque leur musique est diffusée en ligne.
Premièrement, nous demandons que le gouverneur en conseil prenne un règlement obligeant la Commission du droit d'auteur à protéger un seuil minimal de valeur par utilisation pour la copie d'oeuvres musicales.
Deuxièmement, nous demandons l'apport d'une modification à l'exception relative aux services d'hébergeurs de façon à préciser que l'exception ne s'applique pas aux hébergeurs qui jouent un rôle actif dans la diffusion ou la présentation d'oeuvres musicales.
Troisièmement, nous demandons de modifier la loi de façon à permettre à tous les collectifs de réclamer des dommages-intérêts pour non-paiement.
Quatrièmement, nous demandons de modifier la Loi sur le droit d'auteur pour autoriser les tribunaux à délivrer des injonctions obligeant les fournisseurs de services Internet et les services hébergeurs à bloquer l'accès aux sites Web qui contreviennent à la loi ou à les empêcher d'apparaître dans les résultats de recherche sans devoir en rendre compte au fournisseur.
De plus, nous vous exhortons à limiter la portée de certaines exceptions au droit d'auteur et, en particulier, à l'exception concernant les copies de sauvegarde qui réduit considérablement et injustement les redevances que doivent payer les stations de radio aux titulaires de droits d'auteur.
Naturellement, nous appuyons l'extension du régime relatif à la copie à des fins privées aux téléphones intelligents et aux tablettes.
Nous fournirons un mémoire beaucoup plus détaillé au Comité, mais, entre-temps, je vous invite à me poser vos questions.
:
Bonjour, madame la présidente, et merci de nous inviter à comparaître devant votre comité aujourd'hui.
Je m'appelle Allan Reid. Je suis président-directeur général de l'Académie canadienne des arts et des sciences de l'enregistrement. Mme Jackie Dean, notre chef des opérations, m'accompagne.
La CARAS est probablement surtout connue parce qu'elle est responsable des prix Juno, des prix dont l'attribution fait chaque année l'objet d'une célébration nationale, ainsi que de MusiCompte, l'organisme de charité orienté vers l'enseignement de la musique au Canada, et du Panthéon de la musique canadienne.
Nous nous occupons principalement de favoriser la formation d'artistes canadiens, de les faire connaître et de les mettre en valeur. La cérémonie de remise des Juno sera diffusée cette année à partir de London; elle sera le point culminant d'une semaine d'activités qui la précédera et au cours de laquelle les talents du Canada seront mis en valeur.
Les prix Juno représentent certes le volet le plus connu de la CARAS et notre principale activité, mais notre organisation s'emploie aussi activement à appuyer les talents émergents au moyen de programmes solides réalisés tous les jours de l'année pour aider les artistes à toutes les étapes de leur évolution.
Je dis souvent que nous ne nous limitons pas à organiser des spectacles de remise de trophées. Le mandat de la CARAS a évolué au cours des dernières années autour de quatre grands axes: éduquer au moyen de notre volet caritatif, MusiCompte; améliorer la formation des artistes au moyen de la classe de maître Allan Slaight des Juno; célébrer les artistes canadiens au moyen des prix Juno et de nos programmes en oeuvre 365 jours par année et rendre hommage à nos idoles, au moyen du Panthéon de la musique canadienne.
Nous épaulons les artistes depuis qu'ils sont dans leur berceau jusqu'à ce qu'ils deviennent un mythe, comme nous nous plaisons à le dire, et c'est le cheminement que nous voulons appuyer. Nous nous employons notamment à militer pour la mise en place d'une bonne infrastructure pouvant permettre de faire avancer l'écosystème musical canadien, qu'on pourrait améliorer avec un certain nombre de changements à la Loi sur le droit d'auteur de façon qu'il soit plus facile pour les musiciens de vivre de leur art.
Vous avez eu la possibilité d'entendre certains grands artistes canadiens à votre comité: Andrew Morrison, des Jerry Cans, qui a en fait illuminé la scène des Juno cette année à Vancouver; Damhnait Doyle, Miranda Mulholland et celui qui a animé la soirée, Bryan Adams, d'Ottawa. Ils ont tous dit une chose très semblable, soit qu'il faut changer la loi, et que, ce faisant, on changera non seulement la vie des artistes mais tout le monde de la musique au complet.
J'ai vu les combats auxquels les musiciens doivent faire face, parce que j'ai construit ma carrière dans l'industrie canadienne de la musique. J'ai dirigé A and R, artistes et répertoire, pour Universal Music pendant 30 ans. J'ai également été directeur général de MapleMusic, une des compagnies de disques indépendantes les plus importantes au Canada. J'ai eu la chance de travailler avec Jann Arden, Sam Roberts, Sarah Harmer et les Tragically Hip. J'ajouterai un détail personnel: je suis également marié à une artiste, une auteure-interprète très talentueuse qui s'appelle Kim Stockwood, originaire de Terre-Neuve. Je connais donc la réalité des artistes et y suis partie prenante chaque jour.
Il importe d'observer que la situation de la CARAS est tout à fait unique. Nous ne sommes pas une compagnie de disques, nous ne sommes pas des auteurs-compositeurs et nous ne sommes pas des éditeurs de musique non plus. Nous ne tirerions aucun avantage financier des changements que vous apporteriez, mais nous sommes le résultat ultime des changements qui seront apportés et de ce qui adviendra dans l'industrie de la musique. Nous voulons veiller à ce que tous les créateurs de musique aient une chance de réussir et qu'ils soient mis en lumière sur la scène des Juno.
Le secteur de la musique est aligné plus que jamais sur ces initiatives qui'il faut mettre en oeuvre relativement à la Loi sur le droit d'auteur pour améliorer la vie de nos créateurs. Nos collègues de Music Canada ont fait un excellent exposé sur l'écart de valeur, soit la différence entre la valeur de la musique des artistes et ce qui est payé aux créateurs pour l'utilisation de leur musique. Cet écart s'est creusé au cours des dernières années et nous devons modifier la Loi sur le droit d'auteur pour que les artistes reçoivent la pleine valeur de leur travail.
Quels sont les changements souhaités dans ce secteur? Je cède la parole à ma collègue, Jackie Dean.
:
Merci beaucoup de nous accueillir aujourd'hui.
Je travaille dans l'industrie canadienne de la musique depuis environ 16 ans. Je suis une comptable publique accréditée, nous savons donc tous maintenant comment mon cerveau fonctionne. Je ne connaissais rien à l'industrie lorsque j'ai commencé à y travailler, mais je suis devenue une ardente défenseure du pouvoir de la musique et de ce qu'elle signifie pour la culture du Canada.
J'ai commencé dans l'industrie alors qu'elle était dans un déclin; j'ai vu la capacité d'un artiste de joindre les rangs de la classe moyenne s'amoindrir. J'ai participé à des études d'impact économique qui ont montré clairement l'écart de valeur ainsi que l'érosion de notre industrie. Je sais que certaines personnes ici sont nouvellement arrivées au Comité et qu'elles n'étaient pas ici lorsque plusieurs de nos collègues du secteur de la musique ont comparu avant la relâche de l'été. Vous ne serez donc pas surpris d'entendre que nous appuyons très fortement les recommandations qu'ils ont formulées.
Nous en avons quatre.
Premièrement, nous demandons au Comité de retirer l'exemption de 1,25 million de dollars pour les redevances payables par les stations de radio. Pendant deux décennies, les stations de radio commerciales ont été exemptées de payer des redevances adéquates pour la première tranche de 1,25 million de dollars tirée de leurs revenus publicitaires. Or, beaucoup de choses ont changé dans le modèle d'affaires des revenus; cette exemption temporaire a eu son utilité et elle devrait maintenant être abolie.
Deuxièmement, la définition d'enregistrements sonores devrait être modifiée dans la Loi sur le droit d'auteur pour permettre aux interprètes et aux compagnies de disques de recevoir des redevances pour l'utilisation de leurs oeuvres dans les pistes sonores utilisées à la télévision et dans les films. Actuellement, le compositeur de l'oeuvre reçoit une indemnisation, mais l'interprète n'obtient rien. Cette omission substantielle coûte aux artistes plus de 45 millions de dollars par année en revenus perdus et il faut la corriger.
Troisièmement, il faut étendre la période de protection du droit d'auteur aux oeuvres musicales pour nous mettre au niveau de nos partenaires étrangers. C'est ce que demandent constamment non seulement des artistes, mais également des organisations comme la CIMA, la CMPA et la SOCAN. En vertu de nos dispositions législatives actuelles, la protection des oeuvres musicales demeure pour une durée de 50 ans après la mort de l'auteur. Or, la plupart de tous les grands partenaires commerciaux, y compris ceux de l'Union européenne et des États-Unis, offrent une protection pour toute la durée de la vie et pendant 70 ans encore pour les auteurs d'oeuvres musicales, ce qui comprend toutes les maisons d'édition, les auteurs et les compositeurs. S'il faisait la même chose, non seulement le Canada se mettrait au même niveau que ses partenaires commerciaux internationaux, mais il permettrait à ces créateurs et à leurs familles de continuer à recevoir une valeur en argent pour leurs travaux.
Enfin, il est temps d'amener le soutien des créateurs au XXe siècle. Le régime de la copie à des fins privées, qui permet aux créateurs d'obtenir directement une indemnisation dont ils ont grand besoin pour les copies faites de leur musique, ne s'applique maintenant qu'aux médias qui sont soit démodés ou obsolètes, comme les CD vierges ou, jusqu'à récemment, les bandes magnétiques en cassette. Il ne faut plus que le régime soit associé à une technologie particulière pour suivre l'évolution des façons dont la musique est copiée maintenant au Canada. Cette importante source de revenus pour plus de 100 000 créateurs de musique disparaîtra bientôt si les changements ne sont pas apportés bientôt.
Je suis certaine que ces quatre changements auront une incidence importante sur notre secteur de la musique, à la lumière du travail que j'ai accompli dans l'industrie et ce que j'y ai vu. Ils permettront de doter le Canada d'une culture musicale dynamique que nous pourrons continuer de célébrer sur la scène des Juno chaque année, et ce, partout au pays.
Comme Canadienne fière, qui crois en tout ce que nous faisons en qualité de chef de file mondial, j'affirme que le Canada peut mieux travailler et qu'il doit le faire.
Je vous remercie de m'avoir écoutée. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
:
Bonjour. Je remercie le Comité de nous entendre aujourd'hui.
Nous savons que le Comité souhaite sincèrement fournir aux créateurs canadiens les moyens pour vivre de leur art. Notre mémoire vise essentiellement à vous mettre en garde contre le fait qu'étant donné que l'industrie est caractérisée par la consolidation des marchés et un déséquilibre entre les artistes et les compagnies de distribution, toute modification proposée à la loi qui ne tient pas compte de ce déséquilibre peut, à long terme, empirer la situation de ceux qui se trouvent à la base de ce secteur. En effet, les artistes ne sont pas toujours détenteurs du droit d'auteur et les dispositions législatives ne les aident pas toujours automatiquement.
Notre mémoire est le fruit du travail d'une équipe de chercheurs composée, outre de moi-même, d'un professeur adjoint de musique de l'Université de l'Alberta; de Brianne Selman, chercheure en communications et programme de bibliothèque en droit d'auteur à l'Université de Winnipeg, qui répondra à vos questions plus tard; de M. Andrew de Waard, docteur en cinéma et en études des médias à l'Université de Californie à Los Angeles et de deux adjoints de recherche, Dan Colussi et William Northlich.
Comme cela a été mentionné, nous travaillons à un projet intitulé « The Cultural Capital project: Digital stewardship and sustainable monetization for Canadian independent musicians », financé au moyen d'une subvention accordée par le Conseil de recherches en sciences humaines. Nous étudions les moyens à mettre en oeuvre pour que les créateurs reçoivent une rémunération équitable et pour stimuler la production d'oeuvres artistiques originales et créatives. Nous voulons parler ici aujourd'hui au nom des utilisateurs de tous les jours et des créateurs indépendants et nous espérons vous présenter un point de vue diversifié.
Naturellement, tous ceux qui se présentent devant vous cherchent à défendre leurs propres intérêts. Aussi formidables que soient les réalisations de n'importe quel secteur des médias dont on vous a parlé jusqu'à maintenant, le succès remporté repose sur la créativité des artistes qui sont eux-mêmes des consommateurs de produits culturels. Les dispositions législatives sur le droit d'auteur créent et maintiennent des monopoles du fait qu'elles créent des droits exclusifs qui ne peuvent être exploités que par les titulaires de ces droits, mais, dès le départ, elles ont également inclus des limites pour ces monopoles de façon à établir un équilibre dans l'intérêt du grand public et à fournir un accès public à la culture et à la connaissance.
Toutefois, les droits d'auteur ont permis à des oligopoles puissants d'amasser des actifs. Les musiciens et les utilisateurs canadiens sont à la merci de compagnies de technologies et de médias non canadiens. Universal, Sony et Warner contrôlent environ 86 % du marché nord-américain de l'enregistrement et de l'édition. Live Nation et AEG monopolisent l'industrie des spectacles et de la vente de billets, alors que iHeartMedia et Cumulus ont acquis la majorité des stations de radio terrestres. SiriusXM fait la loi dans le marché de la radio par satellite et, comme vous le savez peut-être, vient d'acquérir Pandora. Apple, Google, Amazon, Netflix et Spotify en sont venus à dominer le secteur des médias numériques de diffusion en continu.
Une inégalité stupéfiante existe chez les musiciens, et les choses empirent. Les artistes au sommet de l'échelle, qui constituent 1 % du lot, perçoivent 77 % des revenus de la musique enregistrée; les 10 pistes les plus vendues occupent 82 % plus de part du marché que cela était le cas il y a une décennie et elles sont jouées presque deux fois plus dans les 40 stations de radio les plus écoutées. Les plus grosses vedettes occupent plus que jamais toute la place dans les industries de la musique; il faut donc veiller à ce que les créateurs qui appartiennent à la classe moyenne puissent vivre de leur art.
Des profits énormes sont faits dans le monde des médias, mais peu se retrouvent dans les mains des artistes et des interprètes. Dans un rapport récent, Citigroup a révélé que l'industrie américaine de la musique a produit des revenus de 43 milliards de dollars l'an dernier, mais que les artistes n'ont reçu que 12 % de cette somme. En fait, les artistes tirent une bonne part de leurs revenus de grandes tournées, mais cette option n'est accessible qu'à un petit nombre, et elle comporte des difficultés à cause de l'étendue du territoire canadien. La consolidation du marché, jumelée à l'intégration verticale où les promoteurs des tournées appartiennent aux stations de radio, qui, elles, appartiennent aux compagnies de production, a pour conséquence que les créateurs et les utilisateurs ont moins facilement accès à des produits culturels diversifiés, dynamiques et bien rémunérés.
Nous cherchons donc d'autres dispositions qui pourraient protéger les artistes et profiter aux créateurs canadiens.
Comme l'Union européenne, qui se bat contre l'oligopole technologique américain en imposant des amendes et en prenant des dispositions législatives, nous estimons qu'il vaut la peine d'envisager des solutions antitrust pour lutter contre la domination dans le marché ou, à tout le moins, conserver de la place pour les nouveaux joueurs qui y font leur apparition. Nous appuyons les recommandations qui visent à permettre aux créateurs d'exercer un meilleur contrôle sur leurs créations et sur leurs profits.
Nous reconnaissons que nombre de représentants de l'industrie sont favorables à la prolongation à 70 ans de la protection du droit d'auteur fixée actuellement à 50 ans après la mort d'un artiste. Nous appuyons les efforts déployés pour rendre la vie des musiciens financièrement plus viable; toutefois, nous vous recommandons de ne pas laisser cette prolongation de la protection du droit d'auteur occuper toute la place dans votre étude. Nous vous encourageons plutôt à examiner soigneusement la réversion des droits pour limiter les aspects négatifs de la prolongation.
Dernièrement, Bryan Adams s'est prononcé en faveur de la réversion des droits pour que les artistes puissent réclamer la propriété de leurs créations 25 ans après qu'ils l'ont cédée. Cette mesure permettrait de corriger un peu le déséquilibre qui s'est installé entre les artistes et les compagnies de disques, lesquelles exercent souvent des pressions pour que les artistes renoncent à leurs droits d'auteur toute leur vie.
La prolongation de la période de protection du droit d'auteur ne signifie pas grand-chose au regard de la théorie de l'économie culturelle. En effet, un enregistrement sonore produit la plus grande partie de sa valeur commerciale pendant les 10 premières années de sa mise en marché, alors la protection du droit d'auteur étendue à 70 ans après la mort d'un artiste ne présente pas vraiment d'avantages supplémentaires. De plus, elle empêche une sphère publique plus dynamique de profiter du travail d'un artiste après sa mort, au profit des grandes compagnies de disques. En effet, des études ont montré que les oeuvres anciennes tombées dans le domaine public sont davantage commercialisées que des titres semblables assujettis à des droits restreints.
Pour que les créateurs puissent exercer ces droits et d'autres déjà consentis dans la Loi sur le droit d'auteur, il est essentiel de préciser que ces droits ne peuvent être aliénés dans un contrat. Les compagnies de disques, les éditeurs et les plateformes ne devraient pas pouvoir ajouter des clauses à leurs contrats qui ont préséance sur des choses comme les droits moraux des créateurs ou un droit de réversion hypothétique.
Nous convenons que le financement public est et a toujours été capital pour les créateurs indépendants du Canada, mais nous craignons beaucoup que ce fardeau retombe sur les épaules des utilisateurs sous forme d'une taxe pour les téléphones intelligents. Ces appareils servent à de multiples usages; en fait, la plupart du temps, ils servent à des communications nécessaires, et non pas à des activités de piratage.
La réforme du droit d'auteur ne devrait pas imposer des limites superflues à la liberté des utilisateurs et des artistes pour remédier aux problèmes financiers provoqués par un déséquilibre des pouvoirs dans les industries des médias. Nous sommes plutôt favorables aux mesures qui permettraient aux artistes d'obtenir de meilleurs taux de rémunération des services de diffusion en continu et de musique en ligne. Nous vous mettons en garde contre l'optimisme technologique manifesté dernièrement dans les changements apportés au droit d'auteur en Europe dans lesquels on encourage l'application des dispositions législatives au moyen d'un algorithme technologique, ce qui est un instrument extrêmement imprécis à appliquer à la population générale. L'imposition de coûts supplémentaires dans des régimes trop contraignants d'application du droit d'auteur ajoute des obstacles et des coûts encore plus importants pour ceux qui entrent dans le marché.
L'exemple récent de Sony qui a essayé de réclamer la mainmise sur tous les enregistrements de la musique de Bach a montré comment la possibilité de publier un avis dans un régime qui permet aux compagnies de demander unilatéralement la mainmise sur un contenu pourrait avoir une incidence très dommageable sur le public. Les petits créateurs seraient injustement pénalisés par un règlement aussi imprécis. Pour concevoir un système de protection du droit d'auteur équilibré, nul besoin de prendre un marteau quand un coup de scalpel suffit.
Nous voulons terminer en répétant qu'une concentration des pouvoirs crée des déséquilibres et qu'il faut des solutions qui vont au-delà de ceux qui profitent des droits d'auteur.
Nous vous remercions sincèrement d'avoir pris le temps de nous écouter aujourd'hui.
:
Je peux certainement commencer. J'y réfléchissais moi-même dans ma chambre d'hôtel hier.
Lorsque j'ai commencé à travailler à la CMRRA, il y a de très nombreuses années — j'y suis depuis 27 ans —, c'était le marché des CD qui avait cours. Lorsque des produits étaient diffusés sans licence et sans le versement de redevances, j'avais des recours. Je pouvais appeler la compagnie qui gravait les disques, le distributeur, le détaillant et leur dire qu'ils gravaient ou manufacturaient des produits de contrefaçon et que cela n'était dans l'intérêt de personne. Ces gens, ces compagnies, étaient tout aussi coupables de violation du droit d'auteur que la personne qui mettait le produit sur le marché.
Nous obtenions des résultats très rapidement. Les compagnies qui gravaient les disques nous demandaient de voir les licences avant de continuer leur production; ou encore le distributeur ou le détaillant retirait les produits de leurs tablettes. Nous obtenions des résultats très rapidement parce que nous avions des recours. Il y avait des recours tout au long des canaux de distribution.
Or, nous sommes à l'époque du numérique et ces recours n'existent plus. Les principes du droit d'auteur n'ont pas nécessairement changé, mais ils sont beaucoup plus difficiles à appliquer maintenant à cause des exceptions — l'exception consentie aux hébergeurs, par exemple. Lorsque des compagnies adoptent la position selon laquelle elles n'ont pas de responsabilité à ce sujet et que ce n'est pas leur problème, il devient très difficile d'aller à la source du problème.
Sans vouloir prendre trop de temps, je pourrais ajouter qu'à un moment au cours de cette période de transition, l'industrie a, je crois, essayé de relayer la faute au consommateur, qui profitait de ce contenu de façon illicite. Tout le monde estimait qu'il fallait mettre en place quelques mesures de protection pour veiller à ce qu'en qualité de consommateur... vous savez, les gens ne sont pas tous des voleurs parce qu'ils ont téléchargé une chanson d'Internet gratuitement, ou comme on a pu le faire.
Les orientations que nous devons prendre maintenant, soit les changements apportés dernièrement en Europe et dans d'autres parties du monde, et que nous préconisons également, doivent nous amener à trouver une façon pour « arrêter le robinet » et éviter que le consommateur ne soit visé en premier. Il faut obtenir la collaboration de ceux qui exercent le contrôle sur le contenu et nous doter des outils pour qu'ils ne puissent pas se soustraire au versement de redevances.
:
Je poursuis un peu plus sérieusement.
Je vais m'adresser à Mme Rioux.
[Traduction]
Je suis également un nouveau membre du Comité. J'ai une formation en génie.
Quand vous dites qu'il n'y a plus de recours à l'époque du numérique, cela me plaît et me déplaît.
[Français]
On dirait qu'on assiste à une transformation majeure de votre industrie. Les gros poissons semblent bien s'en tirer, mais l'ensemble de l'industrie semble pénalisée. Notre gouvernement conservateur, en 2012, a introduit de nombreuses modifications à la Loi sur le droit d'auteur. Manifestement, depuis ce temps, il y a eu des changements, voire un bouleversement, et on s'attend du gouvernement libéral qu'il exerce un leadership. Présentement, j'ai l'impression qu'on essaie de gagner du temps. C'est agaçant, car nos artistes ont besoin qu'on leur donne les outils nécessaires pour s'adapter aux changements technologiques qui surviennent.
Vous avez dit qu'il fallait s'attaquer au problème à la source.
[Traduction]
Vous avez dit qu'il faut « arrêter le robinet ».
[Français]
Je suis tout à fait d'accord avec vous.
Il y a donc un éléphant dans la pièce, et la meilleure façon de le manger, c'est bouchée par bouchée.
Je vais commencer par la proposition que M. Adams a faite. M. Fauteux et Mme Selman y ont fait allusion, et j'aimerais connaître votre opinion. M. Adams a proposé que les droits d'auteur soient récupérés 25 ans après la signature de l'entente par l'artiste, plutôt que 25 ans après son décès.
J'aimerais, si possible, connaître l'opinion de l'équipe des Juno à ce sujet ainsi que la vôtre, madame Rioux. Êtes-vous favorables à la proposition selon laquelle les droits d'auteur devraient revenir à l'artiste après 25 ans?
:
Merci, madame la présidente.
Merci beaucoup à vous tous d'être ici ce matin.
Il reste à peu près 20 minutes à cette réunion. Il est important de garder à l'esprit que nous n'avons plus beaucoup de temps. Je vais donc poser une question très courte à M. Fauteux et à Mme Selman.
La semaine passée, nous avons reçu entre autres M. Bussières, du Regroupement des artisans de la musique. Il nous a remis un document énonçant les 29 recommandations du Regroupement. Les 11 premières font partie de l'axe 1 et sont des mesures à appliquer immédiatement pour répondre à la situation. Les axes 2 et 3 contiennent des recommandations à plus long terme, en vue de rebâtir le système et de remettre le créateur au centre de celui-ci.
Vous voyez les choses sous l'angle du créateur, et vous avez bien raison. C'est la source même, de la même façon que l'eau est à la source de toutes les boissons gazeuses.
Pourrait-on voir une injustice dans cette entente mystérieuse conclue par toutes les entreprises mondiales d'édition musicale — c'est à cela que je faisais allusion, madame Rioux — selon laquelle chaque écoute sur une plateforme de diffusion en continu rapporte des fractions de cent à l'artiste?
Pourriez-vous me répondre en une minute, s'il vous plaît?
:
D'accord, merci beaucoup.
Je vous pose la question parce que je crois qu'il ne faut pas cesser de nous occuper activement de ce problème.
[Français]
Madame Rioux, vous parliez tout à l'heure de cette question que j'ai posée précisément. Nous nous sommes battus, particulièrement au Québec, pour avoir les droits voisins appliqués aux interprètes et aux producteurs. Un peu de la même manière, actuellement dans certains pays où le droit voisin a été accepté, mais où les lois conséquentes n'ont pas encore été adoptées, l'argent s'accumule. Il y a des endroits où l'on n'a pas encore structuré la redistribution de ces fonds, alors on les accumule. Pourquoi fait-on cela? C'est parce qu'on considère qu'il est juste et bien que les créateurs, les interprètes et les producteurs aient leur juste part. C'est précisément de cela qu'il faut parler.
Je reconnais ce qu'a mentionné mon collègue M. Blainey quant à l'histoire de cette exemption temporaire mais effectivement un peu grotesque accordée aux radiodiffuseurs afin de leur donner un répit dont ils avaient besoin à l'époque. Aujourd'hui, ils n'en ont probablement plus besoin du tout, compte tenu des pourcentages de l'auditoire que détiennent les radios qui sont la propriété de grands groupes. Il faut se rappeler les chiffres. Bien sûr, il y a beaucoup de petites stations indépendantes, mais, en ce qui concerne les pourcentages, elles n'ont pas besoin d'un répit. Cela dit, nous ne sommes pas là pour nous chicaner.
Monsieur Reid, je connais l'ampleur de votre carrière. Vous étiez chez A & M Records. Je crois que, à l’époque, Bryan Adams en était à son deuxième gros album quand il a signé un contrat chez vous. Vous avez vu neiger, vous, au Canada. J'étais chez Sony Music à l'époque où vous étiez chez A & M Records. Vous êtes passé par la suite chez MapleMusic, où vous avez justement récupéré de nombreux artistes que les grosses maisons de production de disques américaines faisant affaire au Canada semblaient de plus en plus ignorer. Je vous en félicite. Je crois que vous avez contribué au succès intéressant de certains artistes qui correspondaient peut-être un peu moins au modèle américain.
Dans le monde de l’audiovisuel, il est facile de se rassurer en se disant que tout va super bien et que des réalisateurs comme Xavier Dolan ou Denis Villeneuve sont la preuve que notre télévision va bien. Cependant, il ne faut pas entrevoir les succès de Drake ou de Justin Bieber comme des assises solides comme du ciment qui démontrent que l’industrie canadienne de la musique se porte super bien. Dans les faits, nous avons besoin de protéger notre marché canadien, et vous en êtes le meilleur exemple. Êtes-vous d’accord?
:
Merci, madame la présidente.
[Traduction]
Merci à chacun de vous d'être ici.
En réponse au point soulevé par M. Reid, non seulement est-ce l'une des choses les plus importantes à certains égards, mais ce que font les artistes pour notre pays est ce qu'il y a de plus important.
Le MIT a fait une analyse vraiment intéressante. Malgré tous les médias que nous avons jamais produits et malgré tout ce que nous avons fait comme Canadiens, notre image dans le monde, c'est aux artistes que nous la devons. En effet, ils occupent les 10 premières places de la liste, devant tous les politiciens, tous les généraux et tous les scientifiques célèbres. Aux yeux du monde, le Canada est synonyme d'art, et les Canadiens sont des artistes.
Voilà qui vous indique de quel côté je me trouve à notre comité. J'ai été le secrétaire parlementaire au Comité au début de son mandat et maintenant, j'y siège en qualité de membre doté d'une voix. J'entends m'en servir.
[Français]
J'aimerais dire à mon collègue M. Blaney que nous n'essayons pas de gagner du temps. Nous faisons du bon travail en prenant le temps qu'il faut pour obtenir une belle révision de la Loi sur le droit d'auteur.
[Traduction]
L'industrie entre dans une nouvelle ère. Avec la diffusion en continu, il me semble que nous sommes passés d'un Web fantastique à un Web tyrannique.
J'ai fait quelques calculs. Pour qu'un artiste gagne 2 400 $ par mois, ce qui représente le salaire minimum en Alberta, où il est de 15 $ de l'heure maintenant, il faut que sa pièce de musique soit choisie 16,5 millions de fois dans YouTube. Dans Spotify, c'est 9,8 millions de fois. Cela n'a pas de bon sens.
Je suis un homme d'affaires. Je veux savoir d'où l'argent va provenir. Nous devons veiller à ce que les artistes soient payés pour leurs oeuvres de façon à pouvoir continuer de produire. C'est ce dont nous avons besoin. Les écosystèmes doivent être soutenus. Ils ont besoin de nutriments. Ils ont besoin de soleil et d'eau. Ils ont besoin d'oxygène. N'importe quelle mesure pour répondre à l'un ou l'autre de ces besoins permettra aux artistes de gagner de l'argent. À l'évidence, ils ont besoin de plus.
Je veux poser une question à chacun de vous. Allons-nous augmenter les revenus de l'industrie dans l'ensemble ou simplement les répartir autrement et, le cas échéant, de quoi cela aura-t-il l'air? Vous avez une minute chacun pour répondre.
Brianne, nous commencerons par vous.