CIMM Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 19 juillet 2016
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le 16 juin 2016, le Comité poursuit son étude sur les mesures d'immigration pour la protection des groupes vulnérables.
Veuillez prendre note que, vu la nature délicate de l'étude du Comité et la teneur de certains des témoignages, des participants et auditeurs pourraient être perturbés par ce qu'ils entendront.
Nos témoins aujourd'hui sont M. Michael Bociurkiw, ancien porte-parole de la Mission de surveillance spéciale en Ukraine de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, qui est ici à Ottawa, et, par vidéoconférence, M. Aleksandr Galkin, directeur de l'organisme The Right to Protection, qui est à Marioupol, en Ukraine, ainsi que Mme Iryna Dovhan, M. Gennadii Afanasiev et M. Oleksandr Gryshchenko, qui sont à Kiev, en Ukraine.
Nous allouerons sept minutes à chacun des témoins, en commençant par M. Bociurkiw, qui est ici présent.
Monsieur Bociurkiw, la parole est à vous.
Je tiens à vous remercier, monsieur le président, de même que les membres du Comité, de m'avoir invité à prendre la parole devant vous aujourd'hui. C'est pour moi un honneur de le faire, et aussi un grand plaisir d'être de retour à Ottawa.
J'ai été chargé expressément de traiter de la situation des personnes déplacées à l'intérieur de l'Ukraine et de proposer des recommandations quant aux mesures que le Canada pourrait prendre pour aider les personnes touchées.
Mesdames et messieurs, il y a à peine plus de deux ans, il n'y avait pas de personnes déplacées en Ukraine. Aujourd'hui, l'Ukraine se classe parmi les 10 pays au monde qui comptent le plus grand nombre de personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, souvent désignées par l'acronyme PDIP.
Cette situation résulte essentiellement de deux causes. La première est, bien sûr, l'occupation illégale de la Crimée en mars 2014, qui a entraîné l'exode de milliers de personnes depuis la péninsule vers des secteurs contrôlés par le gouvernement ukrainien. La deuxième cause, il va sans dire, est l'occupation de Louhank et de Donetsk par des individus lourdement armés, qui a amené plus de deux millions d'Ukrainiens à quitter leurs foyers pour gagner des zones plus sûres. Il importe de savoir qu'un grand nombre de ces réfugiés sont des femmes et des enfants.
Mon exposé aujourd'hui porte sur la situation des PDIP de Donbass. Vous avez devant vous une carte de l'Ukraine, sur laquelle les parties foncées représentent les zones où sont réfugiés la plupart des PDIP.
Au cours de mes deux années avec la Mission de surveillance spéciale en Ukraine de l'OSCE, je me suis rendu plusieurs fois à Donetsk et à Louhank pour rencontrer des familles déplacées. Nous les avons rencontrées dans des installations d'accueil, des foyers temporaires, des centres communautaires et même, près de Sloviansk, dans des wagons ferroviaires abandonnés. La plupart ne sont pas parties volontairement, étant obligées d'abandonner leur foyer et leur village à cause de bombardements intenses, tandis que d'autres avaient une crainte légitime de persécution par des groupes de rebelles.
Au début, la plupart des PDIP s'attendaient à pouvoir rentrer chez elles dans quelques semaines ou quelques mois et n'ont donc pas emporté beaucoup de leurs effets, ni de documents d'identification. Cependant, à mesure que le conflit en Ukraine aboutissait, malgré les accords de Minsk, à un blocage, bon nombre de ces personnes se sont résignées au fait qu'elles risquent de ne pouvoir jamais rentrer chez elles.
L'ampleur des dégâts après des mois de bombardements intenses et aveugles est tout à fait inimaginable. Routes, ponts, usines, aéroports, voies ferrées et autres éléments essentiels d'infrastructure ont été lourdement endommagés. Même si la paix devait soudainement s'instaurer, la présence, documentée par l'OSCE, d'une grande quantité munitions non explosées et de mines terrestres rendra très difficile le retour des civils.
Parmi les morts, au nombre de plus de 9 000 jusqu'à présent, on compte des centaines de victimes de mines terrestres. Nous savons aussi que des munitions à dispersion ont été utilisées, y compris par les Ukrainiens, ce qui constitue un danger particulier pour les enfants.
Je fais une brève parenthèse pour rappeler que, parmi ces neuf milliers de morts, il faut compter les 298 personnes, provenant de plusieurs pays, qui ont péri quand le vol MH17 a été intercepté. Je vous exhorte, quand vous aurez un moment, à rappeler à votre souvenir ces victimes parce que cela fera exactement deux ans, le dimanche 17 juillet, que cet avion a été abattu.
Comme je l'ai dit, beaucoup ressentent une crainte légitime à retourner dans les zones contrôlées par les rebelles. Toute PDIP qui a exprimé des critiques à l'endroit des rebelles est à risque. Il existe des exemples bien documentés d'écrivains et d'autres personnes dont les noms figurent dans les dites listes noires des postes de contrôle établis par les rebelles. Pareillement, il y a des cas bien documentés de journalistes et autres personnes qui ont été détenus, qui ont été torturés ou qui sont simplement disparus.
Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme a fait savoir récemment qu'il avait enquêté sur la mort d'au moins 47 personnes dans les zones sous contrôle rebelle. Dans un cas particulièrement troublant, il a recueilli des preuves médico-légales montrant qu'une fillette de six ans, sa mère et sa grand-mère avaient été tuées d'une balle à la tête dans la zone de Louhank occupée par les rebelles. On croit qu'elles avaient été enlevées par des membres cosaques de la soi-disant RPL.
Beaucoup des personnes qui ont quitté leur foyer, leur communauté et leur emploi étaient des professionnels: ingénieurs, journalistes, entrepreneurs. Même si beaucoup d'entre eux ont trouvé un emploi dans les régions contrôlées par le gouvernement ukrainien, bon nombre demeurent en chômage, travaillent à un taux bien en deçà de leur niveau de rémunération antérieur ou ont dû embrasser un métier moins désirable, comme celui de chauffeur de taxi, par exemple.
Bien que l'intégration des PDIP de Donetsk se soit faite relativement sans heurt, cela est en soi extraordinaire vu l'état d'impréparation extrême où était le gouvernement ukrainien pour s'en occuper. Des cas de discrimination à l'endroit de résidents de Donetsk ont été rapportés dans les collectivités et les régions d'accueil. Par exemple, ces PDIP ont éprouvé des difficultés à trouver de l'emploi, du logement, à inscrire leurs enfants à l'école et à ouvrir des comptes bancaires. Le manque de documents d'état civil entraîne des problèmes supplémentaires pour ces PDIP, et on constate une augmentation du nombre d'enfants sans documents d'état civil, ce qui pourrait éventuellement créer un risque d'apatridie.
Il convient que je fasse également mention à ce point-ci que, bien qu'ils ne soient très nombreux, de la situation de certains groupes minoritaires, les Turcs meskhètes par exemple, qui vivent dans des abris temporaires des plus déplorables à Donetsk. Selon certains rapports, il y aurait 2 000 Turcs meskhètes qui ont été forcés de fuir leur foyer en Ukraine depuis le début des combats.
Que peut faire le Canada, mesdames et messieurs? Eh bien, nous devrions, entre autres, encourager les secteurs public et privé à créer plus de possibilités d'internat à l'intention des Ukrainiens déplacés. L'un des aspects très importants de cet effort consisterait, bien entendu, à assouplir les procédures permettant aux jeunes Ukrainiens à voyager au Canada pour profiter de bourses d'études et d'internats et, simultanément, à inciter les établissements universitaires canadiens à offrir plus de places aux Ukrainiens de cette catégorie.
Je ne pense pas qu'il y ait ici qui que ce soit qui conteste la valeur d'un contact direct de jeunes Ukrainiens avec les valeurs, les gens, les collectivités et les institutions du Canada; il y a pourtant beaucoup de jeunes Ukrainiens à qui on a refusé un visa de visiteur au Canada pour des motifs inexpliqués. Je connais le cas, par exemple, d'une jeune Ukrainienne qui avait travaillé dans au moins une mission d'observation des élections en Ukraine et qui est actuellement à l'emploi du gouvernement de l'Ukraine, à qui le visa de visiteur a été refusé. Quelle sorte d'exemple donnons-nous quand des Ukrainiens qui ont travaillé pour notre pays et ont promu nos valeurs se voient récompensés par un timbre « Entrée interdite » dans leur passeport?
Mesdames et messieurs, même s'il n'est pas facile de décrire la situation lamentable des PDIP au moyen de chiffres et de courbes, elle a un visage humain, que j'ai beaucoup vu, qui est très triste. Avec des collègues de l'OSCE, j'ai suivi des PDIP le long de la ligne de contact qui voulaient tellement savoir ce qui était advenu de leur propriété et de leurs biens qu'elles risquaient leur vie pour franchir la ligne de contact afin de voir ce qu'il restait de leur logement bombardé, de retirer quelques précieuses possessions des décombres et de prendre un moment pour retrouver les traits de parents longtemps disparus sur des photos presque complètement détruites par la suie et les intempéries.
En terminant, je veux vous dire qu'à mon entrée en fonction à l'OSCE en tant que porte-parole canadien délégué, notre ambassadeur auprès de l'OSCE à Vienne m'a expliqué comment, dans beaucoup d'institutions multilatérales telles que l'OSCE, Canada exerce une influence bien au-delà de son poids réel, contribuant, par exemple, un nombre élevé de surveillants canadiens à la Mission de surveillance spéciale. S'agissant d'aider l'Ukraine et ses innombrables personnes déplacées, tâchons aussi d'avoir une influence au-delà de notre poids. Pensons en dehors des cadres habituels, soyons novateurs et montrons clairement que nous sommes des gens chez qui l'action est à la hauteur des paroles.
Merci beaucoup.
Je vous remercie, monsieur Bociurkiw.
Je demanderai maintenant à M. Aleksandr Galkin, qui nous parle par vidéoconférence depuis Marioupol, de faire une déclaration de sept minutes.
Monsieur le président, membres du Comité, je suis ravi de l'occasion qui m'est donnée de vous faire connaître la crise humanitaire régionale qui frappe l'Ukraine.
The Right to Protection est un organisme ukrainien à but non lucratif qui travaille en association étroite avec l'ONG mondiale HIAS. Notre organisme protège les droits de la personne des populations vulnérables, les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays, les réfugiés, les apatrides et ceux qui risquent de la devenir.
Selon le ministre ukrainien responsable de la politique sociale, les inscriptions de PDIP provenant du Donbass et de la Crimée atteignaient presque 1,8 million à la fin de juin 2016. Le problème le plus criant auquel sont confrontées les personnes déplacées à l'intérieur de leur pays est celui du logement. Bien que l'État soit légalement tenu de fournir le logement pendant les six mois qui suivent le déplacement, la capacité du logement social et des centres d'accueil collectif est restreinte. Ceux-ci ont réussi à loger seulement de 30 000 à 40 000 des personnes les plus vulnérables.
Un autre problème aigu des PDIP est celui de l'emploi. Dans les régions ayant une forte concentration de PDIP — les zones contrôlées par le gouvernement à Donetsk et à Louhank, par exemple —, le marché du travail était déjà restreint avant le début du conflit. Avec la pression économique accrue résultant de la crise, la situation de l'emploi n'a cessé de se détériorer. La discrimination est courante en milieu de travail, beaucoup d'annonces de poste excluant ouvertement les candidats provenant de Donbass.
De février à la fin de juin 2016, le gouvernement a suspendu sans préavis le paiement de pensions et de prestations sociales à environ 600 000 personnes déplacées à l'intérieur de leur pays et vivant dans les zones non contrôlées par le gouvernement. La suspension prolongée des paiements a eu des conséquences désastreuses sur les personnes n'ayant pas d'autre source de revenu. Selon notre organisme, 85 % des PDIP interrogées ont souffert sensiblement de la suspension de leurs prestations sociales ou de leur pension. Cette situation a eu un effet particulièrement néfaste sur les personnes handicapées et celles à mobilité réduite ou en mauvaise santé. D'après le gouvernement, le paiement des pensions a été rétabli pour environ 80 000 personnes. Cela signifie donc qu'environ 500 000 citoyens ukrainiens qui touchaient auparavant une pension en demeurent privés et vivent probablement en état de pauvreté.
Le gouvernement de l'Ukraine a lié le paiement des pensions, qui est un droit constitutionnel, au paiement de prestations sociales aux PDIP. Les prestations sociales des PDIP équivalent à environ 46 $ canadiens par mois, ce qui est généralement insuffisant pour payer les frais de logement et les autres dépenses, telles que les frais du transport scolaire des enfants.
Les principes directeurs qui s'appliquent aux déplacements intérieurs sont censés assurer le libre mouvement des personnes déplacées durant leur déplacement. Cependant, la liberté de mouvement demeure restreinte en Ukraine. À la fin de juin, il était toujours dangereux de franchir la ligne de contact. Durant la période de chaleur, beaucoup de personnes ont passé des heures à faire la queue sous un soleil torride sans pouvoir se mettre à l'ombre ni s'abreuver. Les journalistes ont rapporté le décès de vieillards qui faisaient la queue près des postes de contrôle à Zaitseve et à Stanytchno-Louhanske.
Des permis électroniques sont nécessaires pour passer aux postes de contrôle qui séparent les zones contrôlées par le gouvernement de celles qui ne le sont pas, mais beaucoup de gens sont incapables de remplir leur demande par Internet, faute de savoir comment s'y prendre ou de trouver un ordinateur.
Dans l'ensemble, les gens qui vivent dans les zones non contrôlées par le gouvernement continuent d'éprouver des difficultés à avoir accès aux services essentiels et à une aide sociale appropriée. Pour recevoir des prestations sociales, les gens doivent déménager dans les zones sous contrôle gouvernemental ou se résigner à franchir périodiquement la ligne de contact. Certaines personnes — par exemple, les chômeurs adultes en âge de travailler et les familles nombreuses — sont de plus en plus vulnérables en raison du manque de prestations sociales et de leur exclusion de l'aide humanitaire.
D'après les investigations, 93 % des PDIP interrogées qui disaient vivre dans les zones non contrôlées par le gouvernement ont souffert considérablement de la suspension du paiement des prestations sociales ou des pensions. La majorité d'entre elles, 79 %, ont dit toucher une pension du gouvernement ukrainien qui constituait leur principale ou leur seule source de revenu.
La situation des gens des deux côtés de la ligne de contact demeure particulièrement précaire. Leur accès à l'aide humanitaire et médicale est entravé pour des raisons de sécurité et à cause de l'interdiction des livraisons par cargo.
Les investigateurs de The Right to Protection rapportent que la situation est critique en ce qui concerne l'accès aux services de santé dans les zones tampons, les petites villes ou les villages à proximité de la ligne de contact. Les PDIP dans les zones rurales de la partie sud de la région de Donetsk-Oblast, ainsi que les habitants des zones tampons, se plaignent de la non-disponibilité de services médicaux. Dans la plupart des villages situés dans la partie sud de la région de Donetsk le long de la ligne de contact, on ne trouve ni établissement médical ni médecin.
En décembre 2015, le Conseil des ministres de l'Ukraine a adopté un programme étatique étendu de deux ans, jusqu'en 2017, dans le but de soutenir l'adaptation sociale et la réintégration des personnes déplacées, accompagné d'un plan d'action complémentaire. Le programme et le plan d'action constituent un cadre pour s'attaquer aux divers problèmes associés aux déplacements intérieurs et en arriver à des solutions durables. Toutefois, du fait de contraintes économiques et financières, aucune affectation budgétaire n'a encore été faite en vue de la mise en œuvre du programme.
À l'origine, le cadre institutionnel dans lequel le gouvernement fonctionnait était compliqué par le fait que plusieurs ministères étaient chargés d'apporter un soutien aux PDIP, mais sans qu'il y ait une réelle coordination entre eux. Le gouvernement de l'Ukraine a créé dernièrement le ministère des Territoires occupés temporairement et des Personnes déplacées. Il est toutefois trop tôt pour évaluer les résultats obtenus par ce ministère.
Je vous remercie de votre attention.
Je vous remercie, monsieur Galkin.
Nous allons maintenant à Kiev, où se trouvent nos trois témoins qui ont été incarcérés un certain temps dans les territoires occupés.
Nous entendrons d'abord le témoignage de Mme Iryna Dovhan.
Madame Dovhan, vous avez la parole.
Mme Iryna Dovhan (à titre personnel) (traduction de l'interprétation):
Bonjour, je m'appelle Iryna Dovhan et je vis dans une petite ville près de Donetsk. Avant les événements qui ont secoué ma région, j'étais propriétaire d'un salon de beauté où je travaillais comme esthéticienne. Lorsque, au printemps et à l'été de 2014, une campagne de propagande a été lancée dans ma région, je suis devenue proactive et j'ai parlé à beaucoup de gens dans mon entourage, en faveur de l’unité du pays soit préservée et en faisant valoir les risques éventuels d'intervention d'un état voisin.
Cependant, les événements évoluaient très rapidement. Il devenait impossible et de plus en plus dangereux de s'exprimer. Dans ma ville, sont apparus des gens en tenue de camouflage. Ils étaient armés et parlaient avec un accent russe caractéristique. Donetsk était tout plein de militaires. Des positions d'artillerie ont été établies. Il y avait de plus en plus d'armes dans la région.
J'ai conduit vers le territoire libre, jusqu'au premier poste de contrôle de l'armée ukrainienne. J'ai rencontré des militaires ukrainiens et leur ai parlé. Leurs uniformes étaient en lambeaux. Ils manquaient de nourriture. Ils n'avaient pas d'articles d'hygiène personnelle. La situation était déplorable. C'était là notre armée, l'armée de mon pays, l'Ukraine.
Rentrée chez moi, je n'ai ménagé aucun effort pour amasser des articles nécessaires aux militaires ukrainiens. D'autres femmes se sont jointes à moi. Grâce à mon entreprise, je connaissais beaucoup de monde. Nous avons commencé à amasser des couvertures, des draps, des vêtements. Nous préparions de la nourriture et, chaque jour, nous prenions des risques pour apporter le tout aux militaires ukrainiens.
De jour en jour, la situation devenait de plus en plus difficile. Lors du dernier voyage, nous avons réussi à obtenir de volontaires à Kiev des tenues de camouflage, que nous avons apportées à la nouvelle position de la brigade que nous aidions. À mon retour, je me suis retrouvée sous le feu. Un obus est tombé dans ma cour. Ma maison a été endommagée. Pendant plusieurs jours, je me suis cachée au sous-sol en compagnie de mes voisins.
Afin d'éviter les risques, j'ai décidé d'envoyer vers les zones libres toutes les notes que j'avais prises concernant les dons en argent que j'avais recueillis pour aider l'armée ukrainienne. Celui à qui j'avais confié ces notes a été appréhendé par les terroristes. Il a été sévèrement battu et, craignant pour sa vie, il a avoué avoir des articles appartenant à une « oukrope », une patriote ukrainienne. Il a donné mon adresse et a dit que j'étais une partisane active de la cause ukrainienne et que j'avais un drapeau ukrainien dans ma voiture.
Des hommes armés sont venus chez moi, en deux camions, pour m’arrêter. C’était des gens de la place, mais aussi des militaires qui parlaient avec un accent russe. Ils sont entrés de force chez moi et m’ont battue. Je leur ai tout de suite donné le code de mon coffre-fort. Ils ont fouillé la maison de fond en comble, pris et saisi tous les objets de valeur, les ordinateurs, les téléviseurs. Ils ont trouvé deux jumelles appartenant à mon mari, ce qui les a amenés à m’accuser d’être éclaireur et orienteur de l’artillerie ukrainienne. On m’a menottée, bandé les yeux, puis emmenée à Donetsk, au bataillon Vostok.
Là-bas, j'ai été soumise à des interrogatoires brutaux parce qu'on voulait que je donne les noms et adresses de ceux qui m'avaient appuyé dans mon aide aux forces armées ukrainiennes. J'ai résisté tant que j’ai pu parce que je comprenais ce que cela aurait signifié pour ces gens-là. On m'a alors livrée à l’unité ossète, qui faisait partie du bataillon Vostok, pour y être interrogée. Ces gens étaient particulièrement cruels et impitoyables. Ils m'ont battue et m'ont déshabillée. Ils ont placé une arme à hauteur de mes oreilles pour faire feu. Ils m'ont menacée de viol. Ils m'ont dit bien des choses que je ne pourrais répéter. Je leur ai donné les noms de certaines personnes sachant qu'elles avaient déjà quitté la ville.
Après que je leur eus tout dit, ils m'ont traînée jusqu'à une place de Donetsk où ils m'ont placée à côté d'un poteau avec un panneau sur lequel il était écrit que j’étais une « tueuse d’enfants » et une « agente des forces punitives ». Des passants me frappaient, des voitures portant des inscriptions « Allahu akbar » s’arrêtaient et on me frappait de nouveau, on a essayé de me tirer dans les genoux. Cela a duré cinq heures environ.
À un moment donné, j'ai entrevu un homme en chemise blanche qui m'a photographiée. C’était un journaliste étranger. Cette photo, qui a été reproduite dans le New York Times, m'a sauvé la vie.
Je suis restée là, sur la place, debout à côté de ce poteau pendant environ cinq heures. Puis, des membres d’un autre groupe ont essayé de s'emparer de moi, mais ceux qui m'avaient capturée les ont repoussés avant de me ramener au quartier du bataillon Vostok. Encore une fois, j'ai été soumise à d'horribles tortures. On m'a frappée à la poitrine. On m'a aspergée de gaz en plein visage. J'étais confinée dans une petite cellule à l'intérieur d'une salle où se trouvaient une dizaine de militaires. J'ai vu d'autres détenus amenés dans cette pièce pour y être battus, puis jetés dans d'autres cellules pour y être de nouveau interrogés.
Je ne peux pas vous raconter toutes les horreurs que j'ai subies pendant cinq jours. Je n'avais rien à manger ni à boire. Encore aujourd'hui, je ne trouve pas la force de raconter tous les détails de ce qui m'est arrivé là-bas.
Je vous remercie.
M. Gennadii Afanasiev (à titre personnel) (traduction de l'interprétation):
Je suis Gennadii Serghiyovych Afanasiev, un prisonnier politique libéré. Je suis né à Simferopol en 1990, juste avant l’accession de l’Ukraine à l’indépendance. J’ai terminé mes études universitaires en droit. J'ai également travaillé comme photographe professionnel. Au moment de l’annexion de la Crimée par la Russie, je procurais de l’aide aux militaires ukrainiens qui se trouvaient en Crimée; j’ai pris part à des protestations contre l’occupation de la presqu’île.
Au début, je n’ai pas adhéré au mouvement du Maïdan à cause de la propagande de la part de la Russie et de la pression médiatique dans la presqu’île, mais j’ai ensuite compris ce qui se passait et je suis devenu un partisan convaincu de ce mouvement.
Le 9 mai 2014, j'ai pris part au défilé du jour de la Victoire à Simferopol en tenant une photo de mon arrière-grand-père, qui fait la fierté de ma famille. Il a combattu pendant la Seconde Guerre mondiale. Tout à coup, des hommes en civil, armés de mitraillettes, m'ont forcé à prendre place dans une voiture. Plus tard, j’ai appris que c’étaient des agents du FSB, le Service fédéral de sécurité de la Russie. Ils m’ont mis un sac sur la tête. Ils m’ont frappé au ventre et à la tête. Ils m’ont posé des questions sur les participants des réunions pro-ukrainiennes. Ils ont menacé de m’amener dans une forêt et de me faire creuser ma propre fosse. Ils m’ont conduit chez moi. Ils ont pris les clés de mon appartement, m'ont conduit à l'intérieur, toujours avec mon sac sur la tête, et m’ont jeté sur le plancher. Ils ont procédé à une perquisition mais, bien sûr, ils n’ont rien trouvé.
Les agents du FSB m’ont ensuite transporté dans une cellule froide, où ils m’ont gardé pendant dix jours, sans me laisser dormir, sans me donner à manger ni à boire. Ils m’ont maintenu enchaîné à une table de fer; ils me frappaient à la tête, notamment avec des gants de boxe pour ne pas laisser de traces. On me mettait un sac de plastique sur la tête, on m’asphyxiait, on se remettait à me battre, on me malmenait et on faisait des blagues méchantes à mes dépens. Mais moi, je gardais le silence. Il se trouve qu’il s’agissait d’un traitement gentil de leur part, car les vraies tortures ont commencé plus tard.
Pendant tout ce temps, je n’ai pas eu d’avocat, je n’avais autour de moi que des enquêteurs venus de Moscou, des costauds venus du Caucase et des agents du FSB. Ils me torturaient, et ils me pressaient de leur dire des choses qu’ils voulaient entendre, mais que j’ignorais.Alors, ils ont commencé à exiger que j’avoue l’essentiel, que j’avoue que le 9 mai j’avais voulu faire sauter le monument de la Flamme éternelle. C’était absurde parce qu’ils m’ont saisi devant une foule au moment où j’avançais, en procession solennelle, vers le monument.
Je dois vous révéler certains détails de ma détention qui ne seront pas agréables à entendre, car les gens doivent savoir ce qui arrive à ceux qui se trouvent illégitimement emprisonnés en Crimée et en Russie; je ne suis pas le seul à l’avoir été. J’ai vu beaucoup d’autres gens passer pendant un peu plus de deux ans. Un traitement aussi cruel n’était pas administré à tous, il était réservé à ceux dont ils avaient besoin ou à ceux qui représentaient un obstacle.
On m’a mis un masque à gaz muni d'un tuyau et on m’a fait respirer du gaz libéré par un robinet situé plus bas; j'ai vomi et j’ai failli m'étouffer dans ce vomi. Lorsque je perdais le contact avec la réalité, on m’ôtait le masque, on me faisait respirer de l’ammoniac et on revenait à la charge. À la suite de ces cruelles tortures, j’ai fini par reconnaître ma culpabilité.
Ils ont ensuite insisté pour que je témoigne contre Oleksandr Koltchenko et Oleg Sentsov. J’ai refusé; ils ont alors attaché des fils électriques à mes organes génitaux et m’ont électrocuté; ils m’ont électrocuté très longtemps. C’est ainsi qu’ils m’ont forcé à signer des papiers qu’ils avaient préparés d’avance.
Pour me forcer à signer l’accord de plaidoyer, ils m’ont pressé, tout nu, contre le plancher, et ils se sont mis à passer un fer à souder à proximité de mon corps, en me disant ce qui arriverait lorsque cet outil chauffé se trouverait au-dessous de moi. Le pire, c’est lorsqu’ils ont menacé d’en faire autant à ma mère. Et cela a fonctionné.
Pendant le procès d'Oleksandr Kolchenko et d'Oleh Sentsov, je suis revenu sur mon témoignage antérieur devant de nombreux témoins et la presse et j’ai parlé de la torture et de la façon dont ils m'avaient extorqué des aveux contre des personnes innocentes que je ne connaissais même pas.
Les agents du FSB, une fois à Rostov, se sont vengés de moi en me passant à tabac dans un centre de détention isolée. Heureusement, grâce à des avocats indépendants et à des défenseurs des droits de la personne, j'ai réussi à faire documenter les traumatismes que j’avais subis, mais aucun des agents responsables n'a été appelé en justice pour ces agissements.
Cependant, la vendetta contre moi se poursuivait. J’ai été transféré dans le goulag de la république des Komis. Le voyage fut très pénible, par une température de 40 à 45 degrés. Les wagons étaient si chauds qu'il a fallu faire appel à un véhicule de pompier pour les refroidir à la lance à incendie. Il n’y avait ni eau ni médecin. Les conditions étaient complètement inhumaines. Je suis tombé gravement malade dans la colonie correctionnelle, dans ce goulag. Mon corps s’est couvert de plaies qui ne se guérissaient pas, et lorsqu’enfin on a commencé à me donner des médicaments, ceux-ci ont provoqué l’inflammation du système digestif.
J'ai été maintenu en cellule d’isolement pendant 2 mois et 15 jours sans pouvoir communiquer avec personne, à l’exception des administrateurs de la prison et du personnel du service de sécurité. J’étais isolé, prisonnier et torturé, chaque jour ressemblant à un nouveau film d’horreur.
Nous pourrions poursuivre notre récit pendant des heures concernant des investigations illégales en Russie et des jeunes hommes et femmes qui étaient à nos côtés. Aux autres Ukrainiens qui se trouvent en captivité en Russie, je n’ai qu’un conseil à donner : il est bien mieux de ne pas s’y trouver du tout, parce qu’il est inutile de compter sur un procès équitable et sur un traitement humaniste.
J’adresse à la communauté internationale un appel et une prière : luttez pour ces prisonniers du Kremlin qui sont encore en captivité, soutenez leurs familles, mais aussi maintenez le régime de sanctions à l’égard de la Russie tant que le Kremlin n’aura pas rempli ses obligations. N’oubliez pas les innocents qui, chaque jour, souffrent dans les prisons russes.
Je vous remercie beaucoup.
Merci, monsieur Afanasiev.
Passons maintenant à Oleksandr Gryshchenko, qui va nous livrer son témoignage.
Je tiens à préciser que des dessins apparaissent sur l'écran. Ce sont ceux de l'artiste Serhiy Zakharov qui a été incarcéré à Donetsk. Sa façon de témoigner consiste à dessiner ce qu'il a vécu.
Monsieur Gryshchenko, vous avez la parole.
M. Oleksandr Gryshchenko (à titre personnel) (traduction de l'interprétation):
Mesdames et messieurs, je m'appelle Oleksandr Gryshchenko. Jusqu'en juillet 2014, j'ai vécu et travaillé dans la ville de Louhansk, dans l'est de l'Ukraine, qui est maintenant occupée par des groupes militaires illégaux. J'étais directeur adjoint de l'hôpital de médecine vétérinaire régional de Louhansk. Le 15 juillet 2014, des militants séparatistes de Louhansk se sont emparés de moi au moment où j’entrais dans le bureau de l'hôpital. Ils m'ont accusé à tort d'avoir essayé d'installer des dispositifs techniques servant au repérage des tirs d'artillerie par les forces armées ukrainiennes. Ils m'ont fouillé. Sur la carte mémoire de mon appareil photo, les séparatistes ont trouvé des photos de manifestations pro-ukrainiennes à Louhansk, manifestations auxquelles j'avais participé, ainsi que des photos des barricades du Maïdan, à Kiev. En voyant ces photos, ils m'ont immédiatement dit qu'ils allaient me fusiller sur place ou au moins me tirer dans les jambes, mais qu'ils ne s'en chargeraient pas eux-mêmes, qu'ils me confieraient à une unité soi-disant spécialisée dans la lutte « contre le terrorisme », dont ils ont tout de suite fait venir des représentants.
On m'a alors amené à l'Université nationale Volodymyr Dahl de l'est de l'Ukraine, qui était occupée par des militants séparatistes appartenant à « l'équipe d'intervention rapide de Batman ». Batman est le surnom de son chef, Oleksandr Oleksandrovich Bednov. Dans le sous-sol du dortoir, transformé en prison, on m'a torturé pour me faire admettre que je travaillais pour l'armée ukrainienne.
On m'a battu à coups de pied et à coups poing, on m'a soumis à des chocs électriques, on m'a étouffé à l'aide d'un sac, on m'a battu à coup de tuyau en plastique, on m'a tordu les doigts et on m'a coupé entre les doigts de la main gauche à l'aide d'une scie chirurgicale. On m'a soumis à d'énormes pressions psychologiques et on m'a arrosé d'une solution chimique inconnue. On m'en a aussi versé dans la bouche. Dans les jours qui ont suivi, il arrivait souvent que les séparatistes viennent dans ma cellule pour m'humilier, pour me rouer de coups de poing et de coups de pied et pour me bastonner sans raison. À l’issue de ces traitements, j’ai eu de multiples hématomes, contusions et des côtes cassées.
Pour me frapper, on a utilisé également un maillet en caoutchouc dur destiné à redresser les tôles d’autos ou à coucher les dalles de pavage. C’est avec ce maillet que le bourreau attitré de ce détachement, surnommé « le Maniaque »”, m’a cassé le sternum.
Pendant que je me trouvais dans ce sous-sol, j’ai été témoin d’humiliations cruelles, de tortures et de meurtres de prisonniers. C’est dans ce sous-sol que j’ai vu, pour la première fois de ma vie, la couleur de la chair humaine qu’on voyait dans les plaies.
J’ai été également témoin de plusieurs viols. Par exemple, sur l’ordre du séparatiste surnommé « le Maniaque », une jeune fille âgée d’environ 15 ans a été expédiée au front en guise de cadeau à d’autres paramilitaires pour satisfaire leurs besoins sexuels. Elle y a été amenée à plusieurs reprises.
Sous mes yeux, on a torturé à mort un homme qui, en état d’ébriété et sans aucune compréhension de l’endroit où il se trouvait, a dit qu’il était « pour l’Ukraine unie ». Outre ce cas, j’ai vu quelques cadavres des détenus qu’on portait hors du sous-sol. Une fois, après une séance de torture et de tabassage, la rate d’un détenu s’est rompue et a provoqué une hémorragie interne. La vie du prisonnier n'a été sauvée que grâce à une splénectomie pratiquée d'urgence dans un hôpital de la ville.
J’ai connaissance d’un cas où un détenu, sous la menace, a été contraint de s’avouer coupable devant la caméra de mener une soi-disant « activité de renseignement et de sabotage ». Cette vidéo a par la suite été diffusée à la télévision russe.
Il y avait beaucoup de militaires russes parmi les militants de l'équipe d'intervention rapide de Batman et ils ne cachaient pas le fait qu'ils venaient de Russie. Il arrivait que certains d'entre eux se retrouvent également en cellules, pour de brèves périodes, pour des infractions différentes, la plupart du temps pour consommation abusive d'alcool. Il arrivait que certains soient presque inconscients à cause de l'énorme quantité d'alcool qu'ils avaient ingurgitée.
Les conditions de détention ne correspondaient à aucune norme sanitaire. Pendant plus d’un mois nous sommes demeurés dans une obscurité quasi complète.
On attrapait des gens et on les jetait en prison sur des accusations absurdes uniquement pour avoir une quantité suffisante de main-d’œuvre gratuite, ainsi que pour les forcer à donner leur argent, leurs biens immeubles, leurs autos ou autres biens aux paramilitaires. Parfois, on embrigadait même des gens avec des blessures graves, avec des extrémités cassées, pour effectuer des travaux forcés.
Souvent, les prisonniers était employés à perpétrer du maraudage, à piller des entrepôts des commerces, à aménager des bâtiments saisis par les paramilitaires.
Pour dissimuler leurs crimes, dont le bruit a commencé à se répandre, Batman a ordonné d’éliminer physiquement ceux des détenus qui étaient restés dans le sous-sol depuis longtemps et qui étaient donc témoins de ces crimes.
Un groupe de prisonniers, dont moi-même, a été transféré dans un autre sous-sol, et on planifiait de jeter des grenades dedans quelques jours plus tard.
Notre libération n’est devenue possible que grâce à l’animosité entre Igor Plotnitski, le chef de la soi-disant République populaire de Lougansk, la LPR, et le commandant de détachement Batman, c’est-à-dire Bednov, qui lui-même aspirait à occuper le poste suprême de la RPL, et grâce à la fuite de l’information concernant les crimes en question, ainsi qu’à un heureux concours de circonstances, que je ne peux décrire en plus de détails faute de temps.
J'ai été retenu prisonnier pendant près de six mois. À l'heure où je vous parle, dans les territoires occupés, des centaines de mes compatriotes sont encore détenus.
Je m’adresse au monde progressiste et j’en appelle à ne pas oublier ces gens-là, à réclamer leur libération par le Kremlin et à ne pas relâcher les sanctions contre la Fédération de Russie qui doit être tenue pleinement responsable des événements qui se déroulent dans les territoires occupés dans l’est de l’Ukraine.
Dyakuyu, merci.
Merci, monsieur Gryshchenko.
Nous allons entamer notre première série de questions. Monsieur Afanasiev, vous avez d'abord été détenu en Crimée. Qui sont ceux qui vous ont torturé? À quelle organisation appartenaient-ils?
Je crois savoir qu'on vous a soumis à des chocs électriques. Si vous le pouvez, pourriez-vous nous décrire certaines des tortures qu'on vous a fait subir? Dans ma première question, je voulais bien sûr parler de l'organisation qui a présidé à ces tortures? Qui étaient ceux qui vous ont torturé?
M. Gennadii Afanasiev (traduction de l'interprétation):
J'ai été détenu par des agents du FSB et d'anciens responsables du SBU, le Service de sécurité ukrainien, qui jadis avaient travaillé pour l’Ukraine, mais qui ont passé du côté de l’occupant. La torture était exécutée sous les ordres des instructeurs de Moscou, l’agent opérationnel Bourdin et son assistant Oleksandr, mais elle était pratiquée par d'anciens agents du SBU et du service secret ukrainien pour démontrer leur loyauté envers le nouveau régime.
On m'a électrocuté au moyen d'un linge mouillé enroulé autour de mes organes génitaux et branché à un fil électrique; à l’aide d’un dispositif qui ressemble à un téléphone de combat, on tourne une manivelle et cela produit du courant qui donne des chocs. C’est une douleur épouvantable, impossible à supporter. C'était extrêmement douloureux. On me mettait nu. On me faisait prendre différentes poses et on me menaçait d’agression sexuelle. Mes tortionnaires passaient une matraque de police sur le corps. Ils ont ensuite pris un fer à souder chauffé et m’ont raconté de façon tordue ce qui allait arriver lorsque le fer à souder me pénétrerait, ce qui se produirait pendant les 20 années où je resterais encore en prison, ainsi ce que les autres prisonniers me feraient après cela. C’était vraiment terrifiant.
Je vous remercie.
Ma question s'adresse à Mme Dovhan.
On nous a parlé de témoignages de tortures sexuelles régulières dans les territoires occupés. Vous en avez parlé vous-même. Dans quelle mesure les tortures sexuelles sont-elles répandues dans les territoires occupés?
Mme Iryna Dovhan (traduction de l'interprétation):
Je ne suis actuellement pas en mesure de vous fournir de preuve, mais je suis au courant de plusieurs faits de violence sexuelle. Le dernier m’a été raconté par des habitants de ma ville, Yassynouvata. L'événement en question s'est produit il y a une dizaine de jours. Une jeune fille de 17 ans a été admise au département de traumatologie de l’hôpital du réseau ferroviaire de Yassynouvata. Ses chevilles et ses poignets étaient couverts de plaies. Elle aurait été menottée. On lui a fait une radiographie; les pieds et les jambes ne présentaient que des luxations, mais selon le traumatologiste, tous les os des poignets n’étaient plus que de menus éclats. De toute sa carrière, ce médecin n’avait jamais rien vu de tel.
Cette jeune fille avait été amenée par le bataillon Vostok. On lui a fait passer des radiographies, puis des membres du bataillon Kalmius sont venus la chercher. Je n'en sais pas plus sur ce qui lui est arrivé. Personne ne le sait. C'est le dernier cas dont j'ai entendu parler, mais je sais qu'il y en a beaucoup d’autres semblables.
Hier, un représentant du HCR nous a dit qu'en 2015, l'Ukraine comptait 800 000 personnes déplacées de plus. Ce nombre vient s'ajouter aux millions de personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, recensées en 2014, au début de l'invasion militaire russe. La petite bande de territoire actuellement occupée dans le Donbass comptait jadis quelque cinq millions d'habitants. Près de 40 % de la population a déserté la région.
Quelles conditions ont présidé et continuent de présider à la désertion de toute cette population d'une région qu'on appelle ironiquement les républiques populaires de Donetsk et de Luhansk? Qu'est-ce qui a occasionné ce déplacement de ces centaines de milliers de personnes?
Il y a deux réponses possibles à cette question. Comme je l'ai récemment dit sur les ondes de CNN, j'ai travaillé dans quelques-unes des pires régions du globe. Je ne sais pas comment je me suis retrouvé là-bas, mais pour l'UNICEF, par exemple, j'ai été dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. En certains endroits de Donetsk, j'ai eu l'impression que les destructions étaient pires qu'à Gaza. C'est à ce point catastrophique. J'ai dressé un relevé partiel des dégâts occasionnés aux infrastructures.
Et puis, les infrastructures essentielles sont hors d'usage en bien des endroits, des deux côtés de la ligne de contact. La mission de surveillance spéciale de l'OSCE en Ukraine a notamment pour rôle de faciliter l'accès. C'est ce qu'ont fait les membres de cette mission, semaine après semaine, pour tenter de faciliter l'accès aux équipes de réparation des deux côtés de la ligne de contact. Cela a bien sûr nécessité un énorme travail de coordination. Il a été possible de réparer un grand nombre d'infrastructures essentielles, surtout les lignes électriques, les conduites d'eau et ce genre de choses. Malheureusement, tout de suite après, ces infrastructures ont été bombardées et de nouveau mises hors service. Tout à l'heure, je déposerai mon relevé auprès de la greffière, mais la mission de surveillance spéciale de l'OSCE a publié un rapport thématique sur les personnes déplacées dans leur pays où vous trouverez un relevé des infrastructures endommagées.
Et puis, il y a la question de l'érosion des libertés. Il y a ce que j'appelle l'institutionnalisation insidieuse par les groupes rebelles. Par exemple, au cours des derniers mois, ils ont établi un nouveau programme russe dans les écoles et de nouvelles procédures d'inscription des entreprises, ils ont introduit le rouble et sont passés au fuseau horaire de Moscou.
À propos de l'érosion des libertés civiles, je vous ai parlé d'un rapport vieux de cinq jours publié par le Haut-Commissariat pour les droits de la personne de l'ONU. On peut y lire — et cela a été repris par la BBC — qu'il règne dans l'est de l'Ukraine un climat d'« impunité généralisée » parce que très peu de personnes ont été tenues responsables pour toute la série d'exécutions sommaires qui auraient eu lieu. Selon le HCR, dans certains cas, il y aurait lieu de parler de crimes de guerre.
Que cela signifie-t-il — et je n'en ai plus pour très longtemps — pour ceux et celles qui vivent encore dans les régions occupées? Beaucoup n'ont pas eu de choix. Ils n'avaient pas suffisamment d'argent pour quitter la région, beaucoup sont peut-être handicapés ou veulent simplement rester chez eux. Nous avons rencontré des personnes âgées qui refusent de se réfugier dans le secteur contrôlé par le gouvernement ukrainien. En revanche, elles passent régulièrement du côté contrôlé par le gouvernement pour aller y chercher leurs chèques de retraite, pour y faire des achats ou pour retirer de l'argent dans les guichets automatiques. N'oublions pas que la plupart des banques sont fermées dans les territoires occupés et que tous ces gens-là doivent faire des allers et retours au péril de leur vie. Ce monsieur vous a également dit que beaucoup de ces personnes doivent attendre des heures, parfois deux jours, pour pouvoir franchir la ligne de contact.
Autrement dit, la vie est un enfer. Comme je le mentionnais, elle me rappelle la situation dans certains des pires endroits du monde. Comme je l'ai dit il y a quelques minutes, le pire serait que la communauté internationale, y compris le Canada, détourne son regard de cette catastrophe humanitaire.
Merci.
Rapidement, j'ai une dernière question pour M. Galkin.
La semaine dernière, j'ai eu la chance de m'asseoir avec MM. Mustafa Dzhemilev et Refat Chubarov. Ils m'ont rapporté que 18 dirigeants des Tatars de Crimée venaient tout juste d'être arrêtés de nouveau. Visiblement, m'a-t-on dit, un plan d'ethnocide des Tatars, peuple autochtone de la Crimée, semble avoir été méthodiquement et méticuleusement mis en place.
Voulez-vous faire un commentaire à ce sujet?
Merci de votre question.
Comme nous travaillons principalement avec les personnes résidant sur les territoires contrôlés par le gouvernement, je crois que M. Afanasiev peut mieux répondre à votre question que moi, s'il le souhaite. Je suis convaincu que MM. Chubarov et Dzhemilev voient juste, mais je serais bien incapable d'ajouter à ce qu'ils ont déjà dit. Les rares missions sur le terrain en Crimée ont rapporté qu'il y a effectivement une dégradation de la situation des Tatars de la péninsule de Crimée. Je n'en sais pas beaucoup plus.
Merci, monsieur le président, et merci à tous nos témoins, en particulier aux trois victimes, d'être venus nous parler aujourd'hui. Nous compatissons à votre situation. Sachez que nous tous, de part et d'autre de la table, ainsi que tous les Canadiens, compatissons de tout coeur avec vous.
Michael, il y a deux ans, il n'existait pas de PDIP, de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays, et voilà que tout à coup, il y en a deux millions. C'est incroyable, cela dépasse l'entendement. Comme vous l'avez dit, tous ces gens qui dorment dans des abris de fortune avec l'idée qu'ils ne réintégreront jamais plus leur foyer, les larmes me montent aux yeux. Je pense à ces personnes et j'ai le coeur qui bat.
Michael, lorsque vous étiez observateur en Ukraine, quelles difficultés avez-vous rencontrées en tant que membre d'une mission de surveillance internationale? J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
Avec plaisir. Pour être tout à fait franc avec vous, je pense qu'il n'y a rien que je puisse vous dire qui n'ait déjà été dit dans les rapports thématiques quotidiens ou hebdomadaires de l'OSCE. Un des obstacles auxquels se heurte la mission de surveillance est la liberté d'accès. Cela vaut pour les deux côtés de la ligne de contact, le côté ukrainien et le côté contrôlé par les rebelles. Évidemment, c'est encore pire du côté des rebelles.
Comme vous le savez, les accords de Minsk exigent que les deux parties retirent leurs armes lourdes de la ligne de contact. Ces armes doivent être déplacées à des distances prescrites et sont censées être stockées dans des entrepôts sous surveillance. Mais le fait est que la mission de surveillance spéciale chargée de vérifier si ces armes s'y trouvent s'est souvent vu interdire l'accès à ces sites d'entreposage. D'ailleurs, l'escalade progressive de la violence à laquelle on assiste en ce moment et depuis quelques semaines est attribuable au fait que cet armement lourd a été remis en place et est utilisé.
L'autre problème, c'est que nous avons eu énormément de difficulté à accéder à la frontière ukraino-russe sous contrôle du mouvement rebelle. Croyez-le ou non, la longueur de la frontière ukrainienne contrôlée par les rebelles atteint presque 500 kilomètres. C'est plus que la distance Ottawa-Toronto. À maintes reprises, on a empêché la mission de se rendre à la frontière. Cette situation est d'autant plus préoccupante la nuit, car de nombreuses lignes ferroviaires traversent la ligne de contact et Dieu sait quel type de matériel y est transporté.
Pour parler d'un point de vue personnel — et c'est peut-être le point de votre question —, je vous avoue que c'est très difficile de travailler là-bas. Comme je l'ai dit, j'ai travaillé dans plusieurs régions du monde, mais la désolation que j'ai vue là-bas... la détresse psychosociale dont beaucoup d'enfants sont victimes pèse très lourd en ce moment. Ça va très mal. Saviez-vous que certaines familles de Donetsk ont passé des semaines dans des abris souterrains sans jamais voir la lumière du jour ni respirer une bouffée d'air frais? Dans la ville de Shyroka Balka, près de Marioupol, les tirs d'obus étaient constants. Maintenant, il n'y a plus personne là-bas, mais beaucoup des habitants de cette ville ont passé des semaines terrés dans un abri. C'est très difficile.
Pour terminer, j'aimerais rappeler, comme je l'ai mentionné, le vol MH17. Je rentre tout juste de Malaisie. J'y étais pour le deuxième anniversaire de cette tragédie. La mission de surveillance spéciale a été la première présence internationale sur les lieux de l'écrasement, 24 heures après que le Boeing ait été abattu. La scène était absolument cauchemardesque. Des groupes rebelles armés nous ont menacés, certains insurgés étaient complètement ivres, d'autres se conduisaient de façon tout à fait odieuse. Nous gagnions un peu plus de terrain de jour en jour et avons finalement réussi à envoyer des experts sur le site, mais très souvent, on nous a bloqués, entre autres lorsque nous avons tenté d'emmener des enquêteurs malaisiens et néerlandais sur les lieux. Pour faire une histoire courte, les Néerlandais qui essayaient de terminer leur enquête criminelle ont eux aussi été bloqués, surtout à Luhansk où on les a empêchés, par exemple, d'effectuer la triangulation des tours de téléphonie cellulaire utilisées par les rebelles.
Ce n'est vraiment pas facile de mener des opérations dans un tel contexte. Je suis heureux que le Canada participe à la mission spéciale pour pouvoir documenter ce qui se passe là-bas et faciliter l'accès.
Qu'attendez-vous du Canada et de la communauté internationale? Quel type d'aide pourraient-ils offrir aux PDIP d'Ukraine, en particulier?
J'aimerais avant tout que le Canada continue d'appuyer la mission de surveillance spéciale. Cette mission joue un rôle crucial. Elle a grandement contribué à alléger les souffrances de part et d'autre de la ligne de contact. En ce moment, nous avons près de 30 observateurs canadiens là-bas. Nous pourrions monter un peu la barre. En outre, le Canada doit maintenir, sinon augmenter, son engagement financier auprès de l'OSCE, qui fait du très bon travail là-bas.
J'ai lancé quelques suggestions, par exemple encourager le secteur privé à offrir davantage de possibilités de stages et de bourses d'études à de jeunes Ukrainiens.
J'ai abordé les problèmes de visa, qui ont été atténués depuis. On m'a dit que la raison pour laquelle le gouvernement précédent avait renforcé les restrictions relatives au visa est qu'il croyait que des personnes de Donetsk et de Luhansk entraient au Canada à titre de visiteurs et ne respectaient pas la durée de séjour autorisé. Cependant, les faits et gestes de quelques pommes pourries ne justifient pas l'imposition d'une restriction généralisée du visa de visiteur pour les ressortissants de l'Ukraine. De fait, c'est plutôt le moment de leur autoriser un accès plus large.
Enfin, parmi ce vaste groupe de PDIP, on compte un grand nombre de professionnels, journalistes, experts en TI, et même des créateurs de mode. Aujourd'hui, j'espérais porter mon nouveau complet fabriqué en Ukraine et dessiné par un designer de Donetsk qui est incarcéré. Malheureusement, Air Canada a perdu mes bagages et je ne peux pas vous le montrer.
Comme nous l'avons tous souligné, beaucoup de professionnels ont du mal à trouver un débouché après avoir quitté leur lieu de résidence. Nous pourrions mettre en place un programme temporaire spécial pour aider les personnes déplacées à l'intérieur du pays, dont les professionnels, à venir au Canada pour acquérir une plus grande expérience tout en participant à la société canadienne.
Nous avons un programme d'emploi outre-mer pour les Philippins, un programme qui cible un pays en particulier. Pourquoi ne pas faire de même pour l'Ukraine, du moins sur une base temporaire?
Tout à fait. Merci.
Ma prochaine question est pour M. Galkin. Vous êtes directeur d'un organisme de bienfaisance appelé The Right to Protection. De votre côté, qu'attendez-vous du Canada? Comment les Canadiens peuvent-ils aider votre organisme?
Vous êtes le directeur du fonds de bienfaisance The Right to Protection. Sous cette perspective, comment envisagez-vous l'aide que le Canada pourrait apporter?
Merci de votre question.
Premièrement, deux ans après le début du conflit, il faut comprendre que le phénomène des personnes déplacées à l'intérieur de l'Ukraine est une crise très atypique. On peut presque parler d'une crise de pensionnés, puisque 65 % des personnes touchées sont des pensionnés, et que les enfants et les mères seules représentent plus ou moins 20 %.
La plupart des PDIP répondent aux critères de vulnérabilité et leur intégration est très ardue. Lorsque nous avons affaire à des personnes en santé, l'intégration se fait beaucoup plus facilement, et dans le cas de personnes capables de survenir à leurs propres besoins, par exemple des jeunes couples âgés de vingt à quarante ans et capables de se déplacer, ils s'intègrent d'eux-mêmes. Le gouvernement sait qu'il est là pour aider ces personnes, sans compter que maintenant, l'aide humanitaire revêt une importance capitale d'un côté comme de l'autre.
Dans les zones contrôlées par le gouvernement, il est plus qu'impératif de mener des efforts d'intégration et cela, de façon globale. Traditionnellement, le gouvernement canadien a fourni de l'aide par l'intermédiaire de l'ACDI, mais comme l'ACDI ne peut plus travailler efficacement en Ukraine, le pays ne reçoit plus d'aide directe du Canada. À mon avis, le gouvernement canadien pourrait envisager d'accroître son aide et son appui.
La société civile a été la plus prompte à intervenir dans la crise. Au cours de ces deux années, la société civile a mis de l'avant...
... de nombreuses sanctions du gouvernement ukrainien, donc la société civile a aussi... Cette société civile est quelque chose de très nouveau...
Monsieur le président, mon dernier commentaire s'adresse à M. Gryshchenko, la première victime qui a témoigné.
J'espère que celui qui vous a fait subir des tortures au moyen, entre autres, de chocs électriques devra un jour répondre de ses actes devant la justice à La Haye.
Merci.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins de nous avoir présenté leurs exposés.
Ma question s'adresse à vous, Michael. Vous avez mentionné certains éléments en lien avec l'appui offert par le Canada. Nous avons beaucoup discuté de la question lors de la série de réunions que nous avons tenues sur les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays. On a évoqué le recours à l'ancien programme dont s'était doté le Canada, celui de la classification des personnes par pays source. Je me demande s'il s'agit d'une option à envisager. J'aimerais savoir ce que vous pensez de ce programme. Serait-il utile dans le cas qui nous préoccupe?
À vrai dire, j'ai passé tellement de temps à l'étranger que je ne connais pas très bien le programme de classification par pays source. Donne-t-il droit à un statut particulier?
Essentiellement, les personnes membres de la catégorie de pays source peuvent présenter une demande depuis leur pays de résidence sans passer par le processus du HCR ou sans recommandation du HCR.
D'accord, je comprends. Je pense que l'idée est excellente. Nous les appelons des « PDIP », mais en fait, ce sont des réfugiés dans leur propre pays. C'est désolant à dire, mais plus le temps passe, plus il semble qu'après ce qu'ont fait les rebelles, ce territoire ne redeviendra plus jamais sous contrôle ukrainien. Le conflit s'enlise. On dirait qu'il est en train de « geler ». Même si le territoire retournait à l'Ukraine, le processus de reconstruction se chiffrerait dans les milliards de dollars, sans compter la nécessité d'entamer un processus massif de réconciliation. Personnellement, c'est ce que j'aimerais qu'il arrive. Comme je l'ai dit, il y a parmi ces PDIP un très grand nombre de professionnels qui seraient un précieux apport, et non un fardeau, pour l'économie canadienne, pour la société canadienne. Nous avons déjà pu constater la formidable contribution apportée au Canada par les réfugiés syriens, je pense que ce serait la même chose. Je pourrais vous donner un tas d'exemples où des gens de différents pays sont partis à l'étranger pour perfectionner leur éducation ou leurs compétences professionnelles, et lorsqu'ils rentrent au pays, ils contribuent énormément à faire changer les choses.
J'aimerais faire une dernière remarque, parce que je pense que cela doit être dit. Comme vous le savez, un Forum des affaires Canada-Ukraine s'est récemment tenu à Toronto. Un des plus graves problèmes qui sévit actuellement en Ukraine est la corruption endémique. Les jeunes gens — j'en connais beaucoup, ce n'est pas un fait anecdotique — ont du mal à s'en tirer et à gagner leur vie. Ils ont tout fait correctement: ils ont une bonne éducation, ils sont instruits et pourtant, ils n'arrivent pas se tailler une place dans la société, à jouer sur un terrain équitable. Raison de plus pour les accueillir chez nous où ils pourront assimiler les valeurs qui sont les nôtres, acquérir de l'expérience de travail, parfaire leur éducation et, au moment propice, retourner au pays pour aider à reconstruire l'Ukraine.
Merci.
Votre autre suggestion portait sur un programme similaire à celui des aides domestiques philippins. Pensez-vous à un programme pour travailleurs étrangers temporaires destiné aux professionnels ou plutôt à un processus d'immigration? J'essaie seulement d'y voir un peu plus clair.
J'aimerais voir la mise en place d'une stratégie d'immigration. J'ai constaté comment la nouvelle vague d'Ukrainiens, comme on dit, s'en tire au Canada. Ils réussissent très bien. Borys en sait certainement plus que moi à ce sujet. Beaucoup d'entre eux contribuent solidement à l'économie canadienne. Je pense qu'effectivement, ce serait une bonne chose, tant d'un point de vie pratique qu'économique. Cela enverrait un bon message à l'Ukraine. Notre premier ministre a été très impressionné par sa récente visite en Ukraine, où il a réaffirmé l'appui du Canada. La mise en place d'un tel programme enverrait au pays un message clair disant que oui, nous vous appuyons et oui, nos portes sont ouvertes. À mon avis, le plus tôt sera le mieux.
Pour ce qui est du processus des réfugiés, envisagez-vous une prise en charge par le gouvernement ou un programme de parrainage privé? Lorsque nous avons abordé le sujet dans le cadre d'autres scénarios, la plupart des groupes proposaient un processus de parrainage par le secteur privé. Qu'en pensez-vous?
La diaspora ukrainienne au Canada est très importante. Pour cette raison, le parrainage par des familles ou par la communauté fonctionnerait très bien. La communauté ukrainienne dispose d'énormément de ressources. La diaspora ukrainienne est l'une des plus actives, si ce n'est la plus active, des diasporas au monde. À mon avis, cela pourrait se faire sans mettre à mal les ressources du gouvernement.
Pour avoir travaillé à l'OSCE, j'ai un esprit très pratique et je pense que du point de vue de la perception du public, tout irait beaucoup mieux si le processus était confié à des Ukrainiens, à des familles ukrainiennes voire à des non-Ukrainiens désireux d'aider l'Ukraine d'une manière ou d'une autre.
Avez-vous une idée du nombre de personnes que cela représenterait et que les gouvernements devraient probablement envisager?
Une chose que j'ai apprise à l'OSCE, c'est de ne pas spéculer, mais comme je ne travaille plus avec eux, je peux avancer quelques hypothèses. Je dirais — mais ce n'est vraiment qu'une supposition —, des dizaines de milliers, autour de 100 000 personnes, probablement. En raison de l'appui du Canada et de la visite du premier ministre, le Canada occupe une place prioritaire dans l'esprit des Ukrainiens.
Brièvement, outre le fait de donner aux Ukrainiens la possibilité de s'installer au Canada de façon temporaire ou permanente, notre pays a toujours joué un rôle de premier plan, par exemple, dans le développement de l'industrie des médias en Ukraine. J'ai oublié de dire qu'en plus des journalistes qui ont dû fuir Donetsk et Luhansk, de nombreuses entreprises médiatiques comme la presse, les chaînes radiophoniques et télévisuelles des régions anciennement occupées pas les rebelles — à Sloviansk, par exemple — ont été entièrement détruites.
Même si ces régions sont revenues sous contrôle gouvernemental, les ressources sont insuffisantes pour que ces médias se relèvent et recommencent à fonctionner. L'aide gouvernementale canadienne pourrait inclure un programme visant à aider les journalistes ukrainiens à perfectionner leurs compétences et à aider quelques-unes de ces institutions médiatiques à se remettre sur pied.
Y a-t-il autre chose que le Canada peut faire conjointement ou en collaboration avec la communauté internationale? Que font les autres pays, et dans quels domaines le Canada peut-il collaborer? L'aide internationale serait, je pense, une option parmi d'autres.
Oui, en effet, l'aide internationale. Lors de mon dernier séjour à Kiev, le message que j'ai reçu de mes collègues — sans les nommer — est que l'Ukraine a besoin d'une aide au développement beaucoup plus substantielle de la part du Canada.
Selon moi, un des domaines dans lesquels le Canada pourrait jouer un véritable rôle de leader est celui de la lutte contre la corruption. Ce rôle pourrait consister, par exemple, à offrir aux fonctionnaires la formation nécessaire pour composer avec ce genre de choses. Le Canada a beaucoup fait pour former des fonctionnaires, des gardes-frontières, et ainsi de suite. Ce rôle doit être maintenu, sinon accru, parce qu'il contribue énormément à aider ces institutions clés à atteindre le niveau de développement attendu d'un État moderne.
L'autre domaine dans lequel nous avons été très actifs — quand je dis « nous », je parle du Canada — et que nous ne pouvons pas laisser aller est celui de la santé publique. Je m'écarte un peu du sujet, mais comme j'ai beaucoup d'expérience dans ce domaine, je vais en parler. Croyez-le ou non, les régions contrôlées par le gouvernement ukrainien sont les régions du monde où le taux de vaccination est le plus bas. Il est inférieur à celui de la Somalie et de pays similaires. Cette situation est largement attribuable à la corruption, mais aussi à l'absence d'expertise nécessaire pour se procurer les vaccins recommandés pour les enfants, par exemple. Le Canada a contribué financièrement à des choses comme l'approvisionnement en vaccins pour enfants, mais c'est le système tout entier qui doit être examiné et réformé.
Au bout du compte, le Canada a joué un rôle très déterminant. Nous avons de grands ambassadeurs au sein de l'OSCE et en Ukraine qui participent à la recherche de solutions pour rétablir la paix en Ukraine. Évidemment, c'est ce que tout le monde souhaite en prenant part aux accords de Vienne et de Minsk. Ce type de participation doit se poursuivre. Nous devons trouver une solution à ce conflit qui a déjà causé trop de morts et obligé le déplacement de trop de personnes.
Merci beaucoup à vous tous. À Michael, et à tous ceux qui se joignent à nous de Marioupol et de Kiev, je voudrais dire duzhe dyakuyu. Merci beaucoup de votre présence.
Ma circonscription à Toronto accueille une partie de la diaspora dont vous parliez, Michael. Le pays, comme vous l'avez justement signalé, compte une forte diaspora ukrainienne dont l'origine remonte à 125 ans. Elle est très bien intégrée, très bien établie et sait faire entendre sa voix. Elle est en communication avec des personnes comme le président, des personnes comme moi à propos des questions qui se posent à elle sur le terrain.
Je voulais pour commencer vous poser une question sur un sujet dont on a beaucoup parlé ici aujourd'hui, à savoir le nombre des personnes déplacées. Les chiffres sont renversants, comme l'a dit M. Saroya. En l'espace de deux ans, c'est presque deux millions de personnes qui ont été mises en mouvement.
Pouvez-vous nous décrire un peu ce mouvement des personnes qui quittent le Donbass, jusqu'où elles pénètrent dans le pays, et l'impact que cela a sur l'infrastructure et les institutions locales dans le reste de l'Ukraine?
D'accord, bien sûr. C'est une excellente question.
On voit sur la carte où la plupart des gens sont allés, mais la plupart veulent rester dans des zones proches du Donetsk et de Luhansk. Nombre d'entre eux sont russophones, surtout dans les oblasts les plus proches de la zone de conflit. Ce sont des régions russophones. Du fait de la proximité, ils peuvent aller et venir pour garder un oeil sur leurs propriétés, leurs terres agricoles, et cetera.
Le problème, c'est que la capacité d'accueil d'un bon nombre de ces oblasts n'est plus à la hauteur. Dès 2014, l'OSCE avait signalé l'insuffisance des capacités des ONG, des groupes de la société civile et des gouvernements des oblasts pour venir en aide aux personnes déplacées. Je ne veux pas être trop dur envers le gouvernement ukrainien, mais il n'était absolument pas préparé à faire face à un afflux aussi massif. N'importe quel gouvernement aurait sans doute été pris de court, mais il lui a fallu longtemps pour se ressaisir.
Je peux vous dire que des villes comme Marioupol et Dnipropetrovsk où une bonne part de ces personnes déplacées s'est rendue, ont dit, en gros, « Complet! Nous ne pouvons pas aider davantage de gens. » Il faut que deux choses se produisent. La première, c'est qu'il faut continuer d'aider les centres d'accueil des personnes déplacées. La deuxième, c'est qu'il faut leur trouver des logements permanents. Nombreux sont ceux qui ont des enfants et qui sont arrivés sans rien ou presque, il faut donc que ce processus d'intégration se renforce.
L'autre chose dont je peux vous parler, à part les besoins de logement dont je parlais — j'ai signalé le manque de documents d'état civil —, c'est que les droits politiques gagneront aussi en importance dès lors que ces personnes sont appelées à séjourner durablement dans des zones contrôlées par le gouvernement ukrainien. Des élections arrivent, il faut également les intégrer sur ce plan-là.
Enfin, on a beaucoup parlé de leurs franchissements fréquents de la ligne de contact. Mis à part le fait qu'ils sont retenus par les deux parties aux postes de contrôle, pendant des heures, parfois obligés de passer la nuit, si l'on immobilise des masses de gens le long de la ligne de contact soumise à de nombreux tirs artillerie, on les met en danger. Je crois que chaque mois, le nombre de civils qui franchissent la ligne de contact, avoisine les 100 000.
Aux tirs d'artillerie s'ajoute le danger des mines. Aucun des deux camps n'a pleinement tenu ses engagements de signaler l'emplacement de ces mines. C'est une responsabilité qu'ils se doivent d'assumer.
Je voudrais vous poser une question, Michael, et aussi, monsieur Galkin à Marioupol, à propos de ce que vous disiez concernant ce que j'appellerais les « soutiens à la société civile ». Étant donné que malheureusement, comme vous l'avez dit, la situation sur le terrain n'est pas prête de changer, et que les gens ne retourneront pas dans le Donbass, alors soit ils resteront en Ukraine, soit ils iront ailleurs. Vous avez mentionné différentes choses. L'une des choses dont on m'a parlé, sur le front de la santé — vous avez parlé de santé publique —, il y a des gens du Congrès ukrainien du Canada qui sont venus me voir pour me dire qu'il nous fallait soutenir ces personnes déplacées à cause de la guerre contre les séparatistes russes, en faisant en sorte que les mécanismes de soutien au Canada soient couplés avec les mécanismes mis en place en Ukraine, concernant par exemple le soutien médical et la formation pour des médecins du travail et physiothérapeutes. Cela m'a été suggéré par Renata Roman du Congrès ukrainien du Canada.
Vous avez parlé des médias, mais est-ce qu'il existe des passerelles pas seulement pour les étudiants — et je reviendrai aux étudiants —, mais aussi pour les personnels enseignants et les universitaires ici au Canada et leurs homologues en Ukraine pour aider à reconstruire une partie de cette infrastructure de la société civile? Est-ce que vous pourriez nous en dire un mot?
Oui. Je serai bref pour que d'autres puissent intervenir également.
Les raisons ne manquent pas de critiquer l'Ukraine. Mais il y a aussi des raisons d'espérer. Et la société civile est l'une d'entre elles, bien sûr — une société civile très forte. Elle n'a rien perdu de sa vitalité en Ukraine; cependant, elle a besoin de soutien, parce que les ressources sont très rares dans certains secteurs.
Les connexions internationales, en particulier celles avec le Canada, sont très importantes. Notre ambassadeur en Ukraine, Roma Waschuk, la dernière fois que j'ai parlé avec lui, a évoqué les éléments de coopération qui existent entre l'hôpital Sunnybrook de Toronto et l'hôpital pour les enfants de Lviv, dans l'ouest de l'Ukraine. Cela a permis de renforcer considérablement les capacités de cet hôpital.
Comme je l'ai déjà signalé, le domaine des médias constitue un autre grand domaine de coopération. Le problème que nous avons ici au Canada, c'est que nous avons de grandes idées, nous créons de grandes entreprises dans le domaine des TI, mais après elles ne réussissent pas à mobiliser suffisamment de fonds pour financer la deuxième étape, celle de la croissance et — devinez quoi? — elles finissent par partir aux États-Unis. J'aimerais savoir s'il y a des domaines à explorer dans ce secteur, susceptibles d'aider nos entreprises canadiennes à survivre et à prospérer davantage encore.
Les domaines à explorer sont nombreux. je ne pense pas que ce soit le rôle du gouvernement uniquement. Il y a peut-être moyen d'encourager le secteur privé à soutenir cet effort. Pour ma part, j'ai encouragé mon propre premier ministre provincial, Christy Clark, à envisager de monter une mission commerciale en Ukraine pour explorer ces liens et les autres gouvernements provinciaux devraient, je crois, faire de même.
Je pense que la conclusion d'un accord commercial aidera beaucoup à cet égard.
Monsieur Galkin, pourriez-vous nous dire quelques mots du soutien qu'il convient d'apporter à la société civile pour sensibiliser l'opinion à ce qui se passe en Ukraine, peut-être du soutien à apporter aux institutions au Canada ou aux institutions en Ukraine? Quelles sont vos idées là-dessus?
Merci pour votre question.
Tout d'abord, la société civile a grandement besoin d'un soutien technique parce que la plupart du soutien accordé par les donneurs internationaux prend la forme de prestations fournies par des organisations internationales ou celles de l'ONU. De sorte que la société civile est un peu coupée de ce soutien. Par exemple, l'équipe humanitaire du pays est composée d'organisations internationales et d'organisations de l'ONU.
La société civile a également besoin de certaines compétences. Elle a besoin de formation. Par exemple, lorsqu'on parle de médias et d'information, la plupart des organisations de base n'ont pas la moindre idée de la façon de formuler leurs messages pour un public cible en termes de médias. Je pense qu'il y a un grand besoin de stratégie d'information du côté du gouvernement qui n'a pas de stratégie pour ce qui est de la rédaction des messages concernant les personnes déplacées, ni de ce qu'il convient de faire pour sensibiliser davantage la population à leur situation.
En termes de santé, les besoins en matière d'assistance psychosociale restent très importants.
Je voudrais poursuivre dans la veine des questions concernant le soutien à apporter à la société civile en matière d'infrastructure, plus généralement en termes d'infrastructure sociale en Ukraine, afin d'aider à résoudre certains de ces problèmes. Le Canada offre depuis quelque temps une assistance à l'Ukraine dans le cadre de l'opération UNIFIER. Je sais qu'elle a permis notamment de former des troupes ukrainiennes dans le domaine des explosifs et de leur neutralisation, de la formation de la police militaire, de la formation médicale, de la formation en matière de sécurité des vols, et de la modernisation de la logistique. Cette opération a-t-elle contribué à améliorer les conditions de vie des civils ukrainiens?
C'est une excellente question. C'est le genre d'assistance, je crois, dont les effets tardent à se manifester, à se matérialiser, et je ne parle pas uniquement de l'Ukraine, mais des nombreux pays dans lesquels j'ai travaillé, en particulier pour l'UNICEF. Ce qui importe, c'est de ne pas avoir en vue les gains à court terme, mais les gains à long terme.
De nouveau, je profère le gros mot commençant par C, corruption en Ukraine, et je crois que le Canada peut apporter une aide à deux niveaux dans ce domaine. D'une part, en exerçant une pression politique. Pour que la corruption disparaisse réellement en Ukraine ou qu'elle diminue, si l'on peut dire les choses comme ça, il faut exercer une pression politique. Par ailleurs, et je ne sais pas si le premier ministre en a parlé durant sa dernière visite, mais Joe Biden, lors de sa visite antérieure, n'a pas mâché ses mots pour dire aux Ukrainiens qu'ils devaient s'attaquer à ce problème.
L'autre aspect concerne la formation pratique. Il est très important d'apporter un soutien aux organisations qui surveillent la corruption et les libertés civiles. Je signale ceci parce que, de nouveau, quantité de pays dépensent beaucoup pour la formation et ce genre de choses, mais si la corruption généralisée persiste, il sera difficile, je crains, de récolter les fruits de ces efforts. Je répète que cette observation m'est inspirée par ce que j'ai vu dans d'autres pays également.
Je pense que notre ambassade en Ukraine, en particulier sous notre ambassadeur Waschuk, a fait un excellent travail pour dresser la carte des secteurs où notre intervention peut avoir le maximum d'effet utile. Il a beaucoup parlé, par exemple, du secteur des technologies de l'information, en plein essor, en particulier dans l'ouest de l'Ukraine, qui est en affaires avec des sociétés de classe internationale, y compris Canadian Tire, croyez-le ou non. Il nous faut aider ces secteurs à survivre et à se développer autant que l'on peut.
Je profite du temps qui me reste pour vous poser une question concernant l'opération UNIFIER dont le renouvellement doit être décidé en 2017. Pensez-vous que cette mission est utile et que le gouvernement canadien devrait la prolonger? Vous avez dit qu'il fallait un certain temps pour que les effets de ce genre d'initiative deviennent perceptibles. Est-ce que vous recommanderiez la prolongation de cette mission?
Oui, absolument.
Notre assistance à l'Ukraine a été très ciblée, je crois, et nous n'essayons pas d'intervenir tous azimuts. D'après tout ce que j'ai pu observer, nous avons ciblé des secteurs très prometteurs, parmi lesquels, je le répète, le secteur des TI, parce que de nombreux Ukrainiens ont une expertise en la matière.
Je vous donnerai un exemple, rapidement, que j'emprunte au forum des affaires Canada-Ukraine, sur l'étalagisme. Il est unique au monde dans son genre. Une entreprise de l'ouest de l'Ukraine a mis au point une table interactive pour les restaurants où les clients peuvent venir et commander des mets. Ils peuvent composer leur propre menu et ce genre de choses. En fait, le premier ministre s'est vu offrir l'occasion de la tester lorsqu'il était à Toronto. Le problème, c'est qu'ils n'ont pas les moyens de mobiliser des fonds pour lancer l'entreprise ou assurer son développement et se positionner sur le marché mondial. C'est là, je pense, un autre domaine où notre intervention peut être payante.
Vous avez parlé de la corruption, il s'agit évidemment d'un problème très important en ce qui concerne les rapports du Canada avec l'Ukraine. Avant les élections fédérales de 2015, la Chambre des communes a adopté à l'unanimité les motions demandant que le gouvernement du Canada adopte la législation Magnistsky et des sanctions. La Chambre est actuellement saisie d'un projet de loi. Pensez-vous qu'il est important que le Canada envoie un message fort et unitaire à cet égard, en réponse aux problèmes que vous avez mentionnés?
Je pense que nous devons nous montrer très fermes lorsque nous parlons au gouvernement, et pas simplement au gouvernement de l'Ukraine, mais aux autres gouvernements également, lorsqu'il existe un problème grave de corruption. Je ne citerai pas de nom; vous savez de quels pays il s'agit. Pour une raison ou une autre, c'est un problème dont il est difficile de se défaire. Il est endémique dans le système judiciaire, l'appareil de répression et dans quantité d'autres domaines.
Nous devons ne pas perdre de vue non plus que cette culture de corruption est sans doute héritée pour l'essentiel de l'époque soviétique. On ne peut espérer l'écarter d'un revers de la main, mais je pense qu'aujourd'hui, alors que l'administration du président Poroshenko est en place depuis longtemps, on aurait pu obtenir davantage de résultats.
Je voudrais mentionner très rapidement...
Pendant le temps qu'il me reste, pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de la législation Magnitsky et du soutien du Canada en la matière?
Soutien subordonné à l'obtention de résultats visibles... Je pense que lorsque les législateurs estiment que tous les leviers politiques ont été actionnés, il convient alors d'examiner les autres outils permettant d'amener un gouvernement à respecter les normes internationales. Je ne suis pas un fervent partisan du recours à ce type d'outil, mais si nous estimons avoir épuisé tous les moyens à notre disposition, alors il faut le faire.
En quelques mots, je suis désolé d'avoir oublié de le signaler. L'autre grand rôle qu'a joué le Canada, bien sûr, concerne les missions d'observation des élections. Il est très important de continuer à dégager les ressources et le personnel nécessaires pour surveiller la conduite des élections dans toute l'Ukraine.
Merci, monsieur le président.
Tout d'abord, je souhaite remercier tous ceux qui comparaissent devant ce comité. Cela a été très utile, cet examen des différents aspects de la situation en Ukraine et des moyens pour le Canada d'apporter une assistance.
Michael, vous avez parlé de cette culture d'impunité généralisée. Vous avez souligné que selon diverses organisations internationales, la situation frôle le crime de guerre. Nous avons entendu des témoins raconter les atrocités auxquelles ils ont été soumis.
Cela nous amène au travail étonnant que vous faites pour suivre l'évolution de la situation, cataloguer toutes les atrocités qui sont perpétrées depuis deux ans. La question est celle de la justice transitionnelle. Pensez-vous que la justice de transition ait un rôle à jouer? Le Canada, compte tenu de ses compétences en la matière, doit-il soutenir cela? D'autant que, puisqu'un catalogue des atrocités a été établi, on pourrait penser que ces compétences pourraient être mises utilement à contribution. Naturellement, on ne peut pas recourir à la Cour européenne des droits de l'homme, mais il doit y avoir d'autres voies de recours qui méritent d'être examinées. Je dis cela parce que s'il n'y a pas d'obligation de rendre des comptes, s'il n'y a pas un semblant de justice, toute la notion de réconciliation restera lettre morte. Selon vous, quels devraient être la portée de la justice de transition et les meilleurs moyens de la mettre en oeuvre?
Tout d'abord, je dois faire très attention à ce que je dis, parce que même si je ne participe pas à la mission spéciale de surveillance, j'ai d'anciens collègues qui continuent d'y travailler. Je dois respecter certaines limites dans ce que je dis, pour des raisons de sécurité.
Vous avez parlé de réconciliation. Comme cette énorme communauté de personnes déplacées séjourne toujours plus longtemps dans les communautés d'accueil... et, entre parenthèses, nombreux sont ceux qui se sont rendus en Ukraine de l'Ouest. Les gens de Lviv, par exemple, ont fait un travail magnifique, ils les ont accueillis, acceptés, reçus à bras ouverts. Mais le temps viendra sans doute où une espèce de processus de réconciliation devra être mis en place pour aider les différentes parties à surmonter leurs différends.
Le Canada devrait encore faire autre chose pour encourager le gouvernement à agir dans ce sens. Je crois qu'en 2014, une série de tables rondes a été organisée en Ukraine. Des gens des deux camps ont été invités à prendre la parole. Je crois que cela a été très utile. Il y en a eu quatre ou cinq, je crois, puis le gouvernement a laissé tomber l'idée. Mais ce genre de processus, de tables rondes volantes, où les gens des différentes parties peuvent s'exprimer, parler de leurs différences et des moyens de les dépasser, me semble très important.
Merci.
Monsieur Galkin, permettez-moi de revenir sur la question de la justice transitionnelle et la contribution que le Canada pourrait apporter dans ce domaine.
Oui. Différentes organisations interviennent très activement sur le terrain et s'efforcent, au mieux de leurs capacités, de cataloguer toutes les atrocités qui se produisent. Nombre d'entre elles estiment que la justice de transition devrait être prise très au sérieux.
Je me demande si ce domaine vous est familier et si, compte tenu des obstacles qui empêchent que la Cour européenne des droits de l'homme ne soit saisie, si vous avez d'autres voies de recours à suggérer.
Si vous parlez, par exemple, des rapports d'Amnistie internationale, l'année dernière, sur les traitements inhumains imputables aux deux camps en cause dans le conflit, nous croyons que l'Ukraine doit signer le Statut de Rome de manière à être un signataire responsable du côté d'un des camps en conflit également, mais le gouvernement ne semble guère disposé à le faire. Par ailleurs, ces rapports ne sont pas très bien reçus dans l'opinion, parce qu'ils font ressortir des aspects négatifs et sapent en partie la mythologie du gouvernement ukrainien.
Je suis d'avis qu'il convient de soutenir vigoureusement la justice pour la période de transition. Le gouvernement du Canada doit également examiner les moyens de faire pression sur le gouvernement de l'Ukraine ou plaider auprès de lui pour que la justice soit rendue.
Merci.
Je voudrais remercier tous les témoins pour leurs témoignages et leurs commentaires. Je voudrais remercier en particulier les trois témoins de Kiev qui ont subi d'horribles atrocités durant leur incarcération dans les territoires de l'Ukraine sous invasion militaire. Merci beaucoup.
Nous allons suspendre nos travaux pour deux minutes pour permettre au prochain groupe de travail de prendre place.
Content de vous revoir.
Dans le second groupe de travail, comparaissent aujourd'hui devant nous Chantal Desloges, de Desloges Law Group, et Janet Dench, du Conseil canadien pour les réfugiés, qui comparaît par vidéoconférence de Montréal. Par vidéoconférence également, de Winnipeg, Brian Dyck, président de l'Association canadienne des signataires d'entente de parrainage de réfugiés.
Soyez les bienvenus, et nous commencerons par Mme Desloges, vous disposez de sept minutes pour votre déclaration d'ouverture, je vous en prie.
Merci beaucoup de votre invitation à m'adresser à vous aujourd'hui, et merci à tous de consacrer votre temps dans vos circonscriptions cet été à l'examen de cette question réellement importante.
Je suis avocate spécialisée dans les questions d'immigration et de réfugiés et je travaille dans ce domaine, à un titre ou un autre, depuis 1994. Je suis spécialiste agréée par le Barreau du Haut-Canada en droit des réfugiés et de l'immigration.
En général, le programme de réinstallation des réfugiés du Canada fait l'envie du monde entier. De nombreux pays prennent ce programme de réinstallation pour modèle et envisagent d'en adopter différents éléments à leurs propres fins. Nous avons d'excellents résultats dans ce domaine, et je suis très fière de nous, mais je pense que l'on peut toujours faire mieux.
Quels sont, à mon avis les principaux problèmes dans le cas particulier des communautés de minorités? Eh bien, tout d'abord, ces personnes déplacées ne sont absolument pas prises en compte dans notre programme canadien de réinstallation. Cela tient à la définition, sur le plan juridique, de ce qu'est un réfugié selon la Convention, tant en droit international qu’en droit canadien. Pour présenter une demande, il faut se trouver en dehors du territoire dont on possède la nationalité. Cette exigence date de l'époque où la Convention a été rédigée, en 1951, c'est-à-dire après la Deuxième Guerre mondiale, qui était un type de conflit complètement différent de ceux que l'on voit aujourd'hui.
Le second problème tient au fait que nombre de ces communautés de minorités, très vulnérables se trouvent physiquement dans des lieux inaccessibles sans prendre de risques, inaccessibles du moins pour le HCR. Cela crée un problème qui découle du fait que nous avons tout bonnement renoncé à sélectionner nous-mêmes les réfugiés et confié le soin au HCR de le faire à notre place.
Le HCR est une organisation merveilleuse. Je l’admire énormément. Toutefois, elle a ses propres limites, qu’elle reconnaît volontiers, et franchement parlant, les Canadiens ne l’ont pas choisie pour prendre ce genre de décisions concernant ce qui est meilleur pour nous. Le HCR n’a pas et ne peut tout simplement pas avoir une présence partout où l’on a besoin de lui dans le monde, et il se heurte à ses propres contraintes logistiques et financières. Il n’a pas non plus de mandat pour s’occuper des personnes déplacées. De sorte que, là encore, le groupe des personnes déplacées se trouve entièrement livré à lui-même.
J’ai lu le rapport que Rainbow Railroad a envoyé au Comité. Ils passent par les mêmes frustrations que celles décrites par bien des témoins que vous avez entendus plus tôt aujourd’hui et hier, causées par les longs retards et la lenteur des procédures du HCR et le fait que les gens vivent dans des conditions dangereuses et doivent attendre des années pour avoir un entretien avec le HCR.
Qu’il me soit permis de dire également que la meilleure chose qu’on puisse faire selon moi, pour les minorités vulnérables dans le monde, c’est d’éradiquer l’EI — quoi qu’il en coûte. Cela devrait être l’une des principales priorités de notre société.
De façon plus immédiate, toutefois, notamment dans le contexte de l’immigration, nous pouvons prendre diverses mesures au plan national. Par exemple, débarrasser les particuliers souhaitant parrainer un réfugié de la paperasse qui les entrave, permettrait à la collectivité des parrains de venir en aide aux personnes qu’elle souhaite aider. Cela a très bien marché par le passé pour des communautés spécifiques, caractérisées par leur appartenance religieuse ou ethnique ou leur orientation sexuelle. Autorisez les Canadiens à décider pour eux-mêmes qui ils veulent parrainer, et autorisez les Canadiens à faire ce qu’ils disent vouloir faire en le finançant de leur poche.
Le plafonnement des parrainages privés pour les signataires d'entente de parrainage constitue aussi un problème majeur. Ce n’est pas seulement l’existence de ces plafonds, c’est leur imprévisibilité, qui ne permet pas aux signataires d'entente de savoir, d’une année sur l’autre, combien de personnes ils vont pouvoir parrainer.
Il me semble également raisonnable d’établir des distinctions entre les groupes de personnes, non pas pour exercer une discrimination contre ceux qui ne sont pas jugés prioritaires, mais pour tenir compte de la simple réalité que certains groupes sont spécifiquement visés et soumis à des traitements horribles par leurs persécuteurs. Si les persécuteurs eux-mêmes établissent ces distinctions, il est logique que notre réponse soit proportionnée. Tout réfugié redoute à juste titre d’être persécuté, mais tous ne sont pas victimes de génocide. Tous les réfugiés n’ont pas été arrachés à l’esclavage sexuel. On parle de pommes et d‘oranges.
La véritable égalité ne veut pas toujours dire qu’il faut traiter les gens exactement de la même façon. Il faut parfois traiter les groupes différemment pour qu’ils soient égaux. Tous les réfugiés ont besoin de protection, mais tous n’ont pas besoin d’être réinstallés de façon permanente. Certains de ces groupes de minorités ne pourront jamais retourner chez eux, même après la fin de la guerre. À la différence de nombreux groupe de personnes déplacées d’aujourd’hui qui pourront rentrer chez eux, une fois la guerre finie. Une grande partie de la majorité musulmane, par exemple, pourra rentrer chez elle et souhaitera le faire en fait.
Nous devons également nous interroger et chercher à comprendre pourquoi bon nombre de pays arabes voisins, certains très riches, ne font pas davantage pour protéger leurs propres coreligionnaires et les gens issus d’une culture et d’un contexte similaire aux leurs. Une toute petite minorité de pays du Moyen-Orient supportent plus que leur juste part de ce fardeau.
L’erreur du gouvernement précédent est de n’avoir pas agi assez vite et à une échelle suffisante en réponse à la crise des réfugiés du Moyen-Orient. Le chiffre global des admissions est comparativement faible. La plupart ont bénéficié de parrainages privés, un tout petit nombre de l’assistance du gouvernement, assortie de longs délais de traitement.
Quels sont les outils juridiques et administratifs dont nous disposons pour nous attaquer à ces problèmes? Le premier consiste à recourir plus largement aux dispositions à caractère humanitaire de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour couvrir les où les gens ne sont pas en dehors de leur pays d’origine — par exemple, les personnes déplacées — et les gens qui ne sont pas reconnus par le HCR. Cela couvrirait les personnes qui ne peuvent pas, pour quelque raison que ce soit, avoir accès à l’enregistrement auprès du HCR ou à ses camps.
Un exemple. J’avais deux ou trois dossiers pour lesquels j’avais précédemment demandé l’application de l’article 25 H et C donnant un pouvoir discrétionnaire au ministère de l’Immigration, et le bureau de Winnipeg chargé de les traiter n’avait pas la moindre idée de la façon de traiter une demande de ce genre dans le contexte d’un parrainage pour un réfugié. Ça me semblait incroyable, mais c’était vrai: ils ne savaient pas comment faire usage de ce pouvoir discrétionnaire prévu par la loi. C’est pourquoi, si nous devons recourir plus amplement à l’article 25, il faudra prendre une directive spéciale à l’intention des agents des visas et des agents des bureaux intérieurs de l’immigration concernant l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire et les paramètres qui l’encadrent.
En second lieu, il faudra lever les plafonds imposés aux signataires d'ententes de parrainage, ou du moins mieux les gérer. Les parrains privés sont très excités en ce moment, et leur enthousiasme les prédispose à mettre la main à la poche. Il faut leur lâcher la bride. Les laisser parrainer autant de personnes qu’ils sont prêts à soutenir financièrement.
De plus, pour ce qui est des dispenses d’entrevue pour des groupes comme les yézidis, qui ont témoigné ce matin, pourquoi ne pas les dispenser de l’entrevue avec les services de CIC? Tout le monde sait que ce sont des réfugiés. Ce sont des réfugiés prima facie. Ils ont seulement besoin de passer l’examen de contrôle médical et de sécurité. Pourquoi faire une entrevue avec chacun d’entre eux? Ça ne cause pas seulement des retards, cela crée aussi une situation qui rend difficile d’envoyer des agents canadiens des visas dans ces différentes régions sans risque pour leur sécurité.
J’ai abordé en fait la question dans une entrevue, il n’y a pas si longtemps, avec le personnel d'IRCC. Ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas déroger aux entrevues. Ils doivent leur faire passer l’entrevue pour des questions de sécurité. Cela ne me semblait pas très logique, puisque chaque immigrant au Canada, quelle que soit la catégorie dont il relève, doit passer un contrôle de sécurité. La vaste majorité des gens qui immigrent au Canada ne doivent pas passer une entrevue personnelle pour un contrôle de sécurité. Cela ne tient pas debout. Lorsque j’ai suggéré que les entrevues pourraient se faire par Skype ou par vidéoconférence, on m’a dit que non, cela n’irait pas, parce que ça ne permettrait pas de juger convenablement de la crédibilité des gens. Cela est intéressant, parce que, bien souvent, les recours des réfugiés au Canada se font par vidéoconférence. Pourquoi cela convient-il pour les demandes présentées au Canada, mais pas pour celles présentées en dehors du Canada? Cela pourrait permettre de résorber une bonne partie des dossiers en attente.
Enfin, il y a le recours plus systématique aux permis de résidence temporaires aux termes de l’article 24 de la LIPR pour les cas urgents comportant un risque immédiat. On en délivre parfois, mais avec beaucoup de parcimonie, je trouve. Un recours plus large à cet instrument pourrait être très utile. Les premiers rapports sur les attaques contre les communautés yézidies, par exemple, remontent au mois d’août 2014. En conjonction avec le Bureau pour les réfugiés de l’Archidiocèse de Toronto, qui a témoigné hier, je crois, et One Free World International, qui doit témoigner demain, je crois, j’ai contribué à la rédaction d’une proposition pour CIC. C’était au début de l’année 2015 sous le gouvernement précédent. Cette proposition portait sur un projet de réinstallation, un projet à petite échelle pour des femmes ayant survécu à l’esclavage sexuel aux mains de l’EI appartenant à la communauté de la minorité yézidie. Mes compétences se limitent strictement au domaine juridique. Je ne sais rien de la logistique de ces choses-là.
Il n’a été donné aucune suite à cette proposition malgré de nombreuses relances. Elle a été présentée de nouveau lorsque le nouveau gouvernement est arrivé au pouvoir avec le nouveau ministre, et de nouveau aucune suite malgré de nombreuses relances. La seule fois où cette proposition a reçu un tant soit peu d’attention, c’est après la dernière séance de ce comité, qui a discuté de questions similaires. Il semblerait qu’elle soit maintenant dans la bonne voie, et je voudrais juste remercier le Comité et vous féliciter pour votre travail, parce qu’il fait la différence.
Merci.
Merci beaucoup. Je suis ici pour représenter le Conseil canadien pour les réfugiés, qui est un regroupement d'organisations comptant 180 membres dont un bon nombre se consacre à la réinstallation.
Permettez-moi tout d'abord de vous féliciter pour avoir mis l'accent sur les réfugiés vulnérables. Le programme canadien de réinstallation devrait viser à répondre de manière efficace aux besoins des réfugiés vulnérables dans le monde. Par le passé, le Canada a parfois eu recours à des critères économiques pour sélectionner les réfugiés admis à s'installer au Canada ce qui n'est pas approprié. La réglementation en matière d'immigration continue d'exiger des personnes qui souhaitent s'installer au Canada qu'elles soient en mesure de le faire par leurs propres moyens.
J'aurais quelques commentaires à faire à propos des personnes déplacées. Alors que les réfugiés, par définition, ont fui leur pays d'origine, les personnes déplacées sont déplacées à l'intérieur même de leur pays. La distinction n'est pas simplement d'ordre géographique. Du point de vue juridique, ceux qui sont à l'extérieur de leur pays doivent compter sur la communauté internationale, alors que quelqu'un qui se trouve dans son pays est en droit de s'attendre que son propre gouvernement le protège. Pour cette raison, les personnes déplacées ne sont généralement pas prises en considération en vue d'une réinstallation, solution réservée aux personnes ayant besoin qu'un autre pays leur fournisse une protection et un logement permanent.
Le droit international suppose que les personnes exposées à des persécutions chercheront une protection dans leur propre pays. Les personnes qui demandent le statut de réfugié au Canada se voient régulièrement priées d'expliquer pourquoi elles ne pouvaient pas se rendre ailleurs dans leur pays pour échapper à la persécution. On parle à ce sujet de l'alternative de la fuite interne.
Dans certains cas, les personnes déplacées n'obtiennent aucune protection de leur propre gouvernement parce que le gouvernement soit ne veut pas, soit ne peut pas offrir cette protection. Dans ces cas, la personne peut avoir besoin d'une protection internationale, mais c'est en raison du manque de protection disponible et non pas parce qu'elles sont déplacées.
À l'heure actuelle, la réglementation canadienne sur l'immigration exclut de la réinstallation quiconque se trouve dans son pays d'origine. Cela n'a pas toujours été le cas. Avant octobre 2011, le Canada avait une catégorie de pays source. Cela permettait la réinstallation de personnes qui se trouvaient encore dans leur pays d'origine.
Le CCR reconnaît que le recours à la réinstallation pour des personnes qui se trouvent toujours dans leur pays d'origine soulève de nombreux problèmes d'ordre politique et diplomatique avec le pays en question. Des problèmes de sécurité pour les officiels canadiens qui sont chargés de traiter les dossiers, de même que pour les personnes concernées. Et de sérieux problèmes également pour identifier une organisation capable de sélectionner les candidats à la réinstallation, étant donné que cela ne fait pas partie du mandat du HCR. Le CCR s'est opposé à l'élimination de la catégorie de pays source. Nous souhaitions réformer le système pour qu'il marche bien et nous restons sur la même position.
Je souhaiterais maintenant faire un commentaire concernant l'équité. Le CCR partage le sentiment d'horreur du Comité à propos des abus des droits de l'homme subis par les yézidis, ainsi que par de nombreuses autres minorités ethniques et religieuses. En même temps, nous devons être attentifs lorsqu'on cible des groupes spécifiques, parce que cela peut compromettre l'équité du traitement. Il y a bien souvent des individus vulnérables exposés à des risques extrêmes qui ne rentrent pas dans un groupe spécifique, mais qui méritent tout autant d'être pris en considération de manière prioritaire. On ne peut pas dire à quelqu'un qui est exposé au danger qu'il ne sera pas pris en considération pour une réinstallation simplement en raison de sa religion ou de son origine ethnique. À cet égard, nous prenons note des efforts peu honorables du Canada ces derniers temps pour tenter d'introduire un biais dans la sélection des réfugiés que lui envoie le HCR. Le principe de non-discrimination est un principe fondamental qui doit être scrupuleusement respecté.
La question de l'équité retient tout particulièrement l'attention du CCR et de ses membres à un moment où toute l'attention se porte sur les réfugiés syriens. De nombreux individus et organisations leur apportent un soutien généreux. Cette aide est bienvenue, mais si toute l'aide va aux réfugiés syriens, il y a là une injustice à l'égard des autres réfugiés. En particulier, la réponse du Canada en matière de réinstallation n'a pas été positive pour les réfugiés africains. C'est pourquoi nous estimons important de mettre au point des politiques et des programmes qui soient réellement équitables envers tous les réfugiés sans privilégier des nationalités ou des groupes ethniques particuliers.
Nous sommes également préoccupés par la politisation du système de sélection des réfugiés. Les décisions ne doivent pas dépendre du pouvoir de négociation des différents groupes, de leur capacité d'avoir l'oreille du ministre ou d'attirer l'attention des médias. Nous constatons que depuis quelques années le programme de parrainage par des particuliers subit l'influence des priorités ministérielles et nous jugeons cela très problématique.
C'est le HCR qui a pour mandat d'identifier les groupes vulnérables admis à la réinstallation. Nous recommandons de laisser l'initiative au HCR dans cette tâche.
Le programme de protection d'urgence est pour nous sujet de préoccupation. parfois des réfugiés vulnérables ont besoin d'être réinstallés rapidement. Le Canada a un programme de protection d'urgence qui devrait permettre de répondre aux besoins des réfugiés vulnérables qui se trouvent exposés à une menace imminente. Le Canada a parfois du mal à tenir les délais dans le cadre de ce programme. Nous souhaiterions voir le Canada tirer profit de l'expérience réussie du traitement rapide des demandes des réfugiés syriens pour trouver le moyen d'accélérer le traitement des demandes de réfugiés lorsqu'existent des besoins urgents de protection.
Je passerai maintenant à d'autres mesures concernant l'immigration. Le Canada peut réagir à des crises mettant en cause les droits de l'homme en ouvrant des possibilités d'immigration à des personnes qui ne relèvent pas strictement de la catégorie des réfugiés. Cela pourrait permettre de résoudre un certain nombre de problèmes juridiques et diplomatiques. Le CCR a recommandé, par exemple, que le Canada offre des permis de résidence temporaires à des Syriens qui ont de la famille au Canada.
Enfin, un mot à propos des solutions de remplacement à la réinstallation. Le Canada peut jouer un rôle important dans d'autres domaines que la réinstallation pour venir en aide à des réfugiés et à des personnes déplacées. Le rapport de l'ONU sur les yézidis comporte une série de recommandations dont aucune, en fait, ne concerne la réinstallation. Les gouvernements peuvent agir sur le plan diplomatique, fournir des financements, défendre les droits des personnes déplacées, et réagir de diverses autres manières. Étant donné que la compétence de notre organisation est dans le domaine de l'immigration, domaine qui relève du mandat de ce comité, nous ne prétendrons pas avoir des recommandations spécifiques à vous faire, mais de nombreuses ONG sont également engagées dans ce domaine et peuvent apporter une contribution.
Merci.
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de m’avoir invité à prendre la parole devant votre comité.
L’Association des signataires d’entente de parrainage de réfugiés du Canada regroupe une centaine de signataires d’entente de parrainage, ou, pour utiliser le nom que nous utilisons, les SEP, qui facilitent le processus de demande et l’établissement de la plupart des réfugiés parrainés par le secteur privé au Canada. En général, les SEP répondent aux personnes qui viennent sonner à leur porte. Ce fait rend notre travail légèrement différent des activités du gouvernement. En règle générale, notre mode de sélection exige que l’on travaille avec un membre de notre communauté qui s’inquiète du sort d’amis ou de proches qui sont des réfugiés. Par conséquent, nous n’examinons pas la structure globale des besoins, mais ce qui se trouve devant nos yeux.
Bien qu’en ce qui concerne la réinstallation de réfugiés, le gâteau soit beaucoup plus gros cette année, et nous en sommes très heureux, et qu’il y a longtemps qu’il n’avait pas été aussi gros, beaucoup de SEP craignent que leur part ne soit coupée en plus petits morceaux et qu’on en donne à d’autres. La question nous préoccupe en raison du plafond fixé depuis 2012 au nombre de nouvelles demandes de parrainage pouvant être présentées par les SEP. Comme vous le savez, le plafonnement a été institué pour faire face aux longues listes d’attente et à l’arriéré de traitement des demandes de parrainage, ce qui constituait effectivement un problème. Parce que les bureaux des visas en Afrique étaient les plus encombrés, ces plafonds ont particulièrement touché les parrainages africains, car ils traitent là de nombreux dossiers déposés depuis longtemps.
De 2012 à 2015, selon mes calculs, approximativement 2 000 Africains ont été parrainés par des Canadiens. Par comparaison, l’année dernière, les SEP ont été en mesure d’offrir de parrainer près de 10 000 Syriens et Irakiens, sans compter les parrainages au Québec, dont nous ne connaissons pas les chiffres, parce qu’on leur a donné la priorité et qu’on n’a pas fixé de plafond pour ces deux cohortes en 2015.
Accorder la priorité à un groupe en particulier a obligatoirement une incidence sur l’ensemble du système canadien de réinstallation et peut entraîner des problèmes ailleurs. Bien que personne ne veuille se lancer dans la magie noire pour comparer les circonstances d’un groupe de réfugiés à celles d’un autre, beaucoup se demandent pourquoi une personne qui attend depuis plus de cinq ans d’être admise devrait continuer d’attendre pendant que d’autres semblent se faufiler devant tout le monde parce qu’on leur a accordé la priorité.
Des motifs impérieux expliquent certainement que certains réfugiés doivent absolument être réinstallés. Le Canada a déjà un système en place à cette fin: le Programme de protection d’urgence, dont on a déjà parlé. Cependant, d’habitude, les SEP veulent que les demandes soient traitées dans l’ordre où elles arrivent dans le système afin que le parrainage soit accessible à tous partout dans le monde. C’est pour cette raison que je crois qu’il est important de nous concentrer sur l’élaboration d’un solide système de réinstallation des réfugiés qui sera en mesure de répondre à la demande et de réagir en même temps aux situations urgentes qui surviennent. Voilà une démarche qui nécessitera une élaboration soignée et une planification des ressources là où elles seront nécessaires et une rationalisation.
En ce qui concerne la réinstallation des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, ou PDIP, le Canada avait bien sûr un programme particulier à cette fin il y a plusieurs années, qui s’appelait la catégorie de personnes de pays source, dont on a déjà parlé. Bien qu’un grand nombre de ces personnes aient été réinstallées au Canada grâce à ce programme au cours des années, ce dernier pose un certain nombre de problèmes, lesquels ont été mis en évidence. Notamment, il était offert dans un petit nombre de pays, il était souvent difficile, voire dangereux d’entrer dans les ambassades désignées et beaucoup de personnes candidates n’étaient pas admissibles, donc le taux de refus était élevé.
J’ai travaillé pour le Comité central mennonite, qui s’occupait un peu du parrainage de PDIP en Colombie parce qu’il avait offert un programme d’aide aux PDIP pendant de nombreuses années dans ce pays-là. En général, les programmes visaient à aider les PDIP à trouver un nouveau milieu de vie au sein du pays, car, la plupart du temps, il suffisait de s’éloigner de la menace pour que celle-ci disparaisse, c’est-à-dire que la menace ne les suivait pas. Par contre, si les menaces de mort persistaient, nous tentions de les aider à mettre en oeuvre le processus et à demander la réinstallation dans certains cas.
Pour diverses raisons, nous ne l’avons pas fait souvent. Le premier choix se posait toujours sur l’intégration locale parce que c’était ce qui marchait le mieux. Nous savions qu’il n’était pas facile de se réinstaller dans un autre pays et la plupart des personnes déplacées ne voulaient pas faire cela. Elles ne veulent pas aller dans un pays comme le Canada. Elles veulent rester près de l’endroit où elles sont. De plus, nous savions que si cette option était celle que nous préconisions, notre personnel ainsi que les personnes et les églises participantes seraient en danger. Nous constations également un nombre croissant de fraudes tentées par des gens qui y voyaient un moyen d’aller au Canada. Il y avait donc des problèmes. Si le Canada s’engage dans un programme de ce genre, je crois qu’il sera important de réfléchir au mode de sélection afin de s’assurer qu’il soit sécuritaire, efficace et juste. Ce ne sera pas chose facile d’y arriver.
Finalement, je pense qu’il ne faut pas oublier que la réinstallation n’est qu’un moyen parmi d’autres de faire face aux déplacements forcés. Je signale que le rapport des Nations unies dont le Comité a fait mention ne parle pas de réinstallation dans ses recommandations. Il met plutôt l’accent sur la guérison des traumatismes et la reconstruction des communautés.
Le Comité central mennonite a travaillé au Moyen-Orient pendant des décennies, et notamment en Irak, en Jordanie, au Liban et en Syrie. Nos partenaires de toutes les confessions sur le terrain ne parlent pas vraiment de réinstallation. Quand on leur a demandé ce qui fonctionnerait le mieux, ils nous ont répondu quelque chose du genre « aidez-nous à tendre la main à nos voisins qui sont dans le besoin ». Ça implique un travail de développement, et surtout ça exige d’oeuvrer au resserrement des liens au sein de cette communauté.
En Irak, par exemple, nos partenaires travaillent auprès des yézidis et des chrétiens et d’autres groupes sur la guérison des traumatismes, phénomène qui s’étend au-delà des frontières religieuses. En Syrie, grâce à des subventions de l’Office of Religious Freedom, ou office de protection de la liberté de religion, des chrétiens et des musulmans ont travaillé ensemble à des projets d’aide et de développement et ont même pris la défense les uns des autres face à la violence. Ce sont de petits gestes, mais ils peuvent être les germes de la paix au lieu de la guerre, guerre qui est souvent exportée dans la région.
Je sais qu’il y a beaucoup de groupes oubliés dans le monde et le Comité les a entendus. Connaître la situation critique de ces gens est très important. Toutefois, il est difficile de décider à qui porter assistance quand on ne peut aider tout le monde. Un grand nombre d’entre nous, les SEP, sont aux prises avec ce dilemme tous les jours et c’est la chose la plus difficile à faire, soit de décider là où nous pouvons aider et là où nous ne pouvons rien faire. Les SEP gèrent cela de diverses manières et ils font leur possible.
Si nous quittons quelques instants la réalité des SEP, il importe que l’ensemble des pays tiennent une discussion sur le meilleur moyen d’utiliser le nombre limité de places disponibles pour la réinstallation des personnes déplacées dans le monde et sur la façon de bien les utiliser. Lorsque vous réfléchirez aux recommandations à formuler, il sera important de ne pas penser uniquement aux personnes qui sont venues vous raconter leur histoire fascinante, aussi importante soit-elle, et de ne pas oublier de penser à la façon dont la réinstallation peut se combiner à d’autres moyens pour oeuvrer auprès des victimes de déplacements forcées.
Je vous remercie beaucoup.
Je veux profiter de l’occasion pour remercier tous les témoins de leur participation aujourd’hui et du travail qu’ils accomplissent pour installer les nouveaux immigrants dans ce pays.
Ma première question s’adresse à Mme Chantal Desloges.
Nous savons tous que les signataires d’entente de parrainage peuvent choisir les réfugiés qu’ils souhaitent parrainer, ce qui représente un moyen pour les personnes auxquelles le Haut-Commissariat pour les réfugiés ou IRCC n’accordent pas la priorité de se réinstaller au Canada.
À votre avis, quel est le meilleur rapport entre le nombre de réfugiés parrainés par le secteur privé et le nombre de réfugiés pris en charge par le gouvernement? Quel pourcentage des immigrants les réfugiés devraient-ils représenter?
Je suis une grande adepte du Programme de parrainage privé de réfugiés et, dans une moindre mesure, de la prise en charge de ces derniers par le gouvernement, bien que je crois que ce volet du programme soit justifié.
Si ça ne dépendait que de moi, je ferais pencher la balance beaucoup plus du côté du parrainage privé parce que la demande est très forte actuellement et que la société canadienne et les contribuables canadiens n’encourent vraiment aucun risque.
Quant au pourcentage général, je ne me sens pas qualifiée pour décider de la composition de la catégorie des réfugiés par opposition à la catégorie de l’immigration économique ou à celle du regroupement familial. J’hésite vraiment à me prononcer là-dessus.
Vous penchez plus du côté des réfugiés parrainés par le secteur privé par rapport à l’ensemble des réfugiés.
En effet.
À mon avis, si le gouvernement doit dépenser de l’argent, il devrait plutôt aider les parrains du secteur privé à effectuer le merveilleux travail qu’ils accomplissent déjà.
Les réfugiés pris en charge par le gouvernement sont habituellement considérés comme plus vulnérables. Qu’en pensez-vous?
Comme je l’ai dit, je n’irais pas jusqu’à affirmer qu’il faut éliminer totalement la catégorie des réfugiés pris en charge par le gouvernement. Je pense que c’est peut-être une bonne idée lorsqu’il est question de programmes ciblés de petite envergure visant des groupes précis. Cependant, je ne dirais pas que ces réfugiés sont nécessairement plus vulnérables que les autres, mais que les réfugiés parrainés par le secteur privé jouissent d’un meilleur soutien local après leur arrivée au Canada.
En quoi la définition juridique du réfugié qui est acceptée à l’échelle internationale, laquelle désigne comme tel la personne qui a traversé une frontière internationale, complique-t-elle la capacité de la communauté internationale d’offrir son assistance à des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays?
C’est en effet un immense problème. Je crois que le problème des personnes déplacées représente le plus important défi de la communauté juridique.
J’hésiterais à remanier la définition d’un réfugié, laquelle tient la route depuis un bon bout de temps. Je pense qu’au lieu d’envisager de changer les choses, on devrait plutôt veiller à ne pas réinventer la roue. Lever les critères applicables dans les bonnes circonstances, et ce en vertu de l’article 25, donnerait le même résultat, sans qu’on soit obligé de procéder à un remaniement législatif.
Je crois néanmoins que vous avez raison de faire ressortir ce point; c’est un très gros problème pour les PDIP.
La prochaine question s’adresse au Conseil canadien pour les réfugiés.
Depuis hier, nous entendons parler de certains groupes de personnes vulnérables, mais vous qui vous inscrivez dans une perspective plus large et qui vous occupez d’un très grand nombre de personnes, pourriez-vous brosser un tableau des différents groupes de personnes déplacées dans le monde et des défis que doivent relever ces groupes?
Un très grand nombre de personnes sont forcées de se déplacer à l’intérieur de leur pays et on les oublie bien souvent à plus d’un titre. C’est très compliqué de répondre aux personnes déplacées. Dans certains pays, elles sont particulièrement vulnérables parce qu’elles restent à l’intérieur des frontières de leur pays et, si leur gouvernement n’a pas la volonté ou la capacité de les protéger, il est alors difficile pour la communauté internationale d’intervenir.
L’ONU, bien sûr, ne peut pas arriver simplement dans un pays et faire ce qu’elle veut. Elle doit obtenir la permission du gouvernement du pays en question. Il y a eu une époque où le HCR attirait vraiment l’attention sur les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et où la communauté internationale essayait un peu de trouver des solutions à ces problèmes, mais ensuite ça a semblé sortir des préoccupations du jour.
Je crois que le nouveau haut-commissaire veut ramener la question à l’ordre du jour et obtenir une plus grande attention. Je pense que si le gouvernement canadien voulait remplir un rôle de leader sur le plan diplomatique afin d’essayer de porter une plus grande attention à la quête de solutions viables pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, ça pourrait représenter une formidable contribution de la part du Canada.
Vous savez que la réinstallation n’est pas la seule solution. En se basant sur les ressources disponibles, à part la réinstallation, que peut faire la communauté internationale pour aider les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays?
Je pense que le gouvernement canadien est mobilisé, sur le plan du financement, par exemple. Les PDIP dépendent beaucoup du soutien de la communauté internationale auquel le Canada peut contribuer, contribue effectivement et pourrait contribuer plus.
Comme je l’ai dit, il y a des façons de s’engager sur le plan diplomatique, de jouer un rôle dans les discussions à l’échelle locale et avec les autres gouvernements et les agences de l’ONU pour demander si, dans d’autres circonstances, il n’y aurait pas des solutions possibles pour ces gens.
Il y a aussi la question de souligner les besoins de protection, parce que, bien sûr, ce qui préoccupe les PDIP, c’est de s’assurer que leurs droits seront bien protégés.
Le Canada peut à la fois soulever ces questions et encourager le gouvernement hôte à respecter les droits de l’homme.
Il peut également soutenir les populations locales, les PDIP elles-mêmes, qui s’organisent pour attirer l’attention sur la façon dont leurs droits sont bafoués. C’est une autre façon pour le Canada d’offrir un certain soutien.
Je vous remercie, monsieur le président.
Je vais prendre quelques instants pour formuler quelques remarques, parce que nous avons entendu beaucoup de témoignages ces derniers jours.
Je peux accepter que l’on critique l’approche de notre gouvernement. Je suis heureuse de le faire. Ce que je peux dire, c’est que nous avons fait de notre mieux sur le plan de… Je pense qu’il était juste d’affirmer que nous allions mettre l’accent sur les minorités vulnérables, persécutées et ethniques. Je n’accepte pas le témoignage que nous venons d’entendre selon lequel nous ne devrions pas faire cela. Je pense qu’il est très facile de s’enliser dans la bureaucratie et je comprends que nous devions agir rapidement dans certaines circonstances.
Il est très difficile de ne pas être ému par les témoignages des personnes en Ukraine, celui de Nadia Murad aujourd’hui.
Par suite de votre commentaire, madame Desloges, je me rends compte qu’il y a des situations où des personnes sont affectées — tout le monde est affecté —, mais il y a aussi des personnes qui sont plus affectées que d’autres.
Je peux accepter la critique. Est-ce que le gouvernement peut se rendre compte du besoin d’agir et de modifier sa position? C’est la question que je pose à l’assemblée.
Il y a plusieurs mois, j’ai fait partie d’un groupe d’invités à la télévision avec un autre député qui se trouve dans cette salle; ce dernier a fait alors la remarque que nous n’hésitons pas à traiter différemment les réfugiés syriens. Quand on a insisté pour en connaître la raison, il n’a pas été en mesure de répondre. Je pense que c’est là où le gouvernement a l’occasion d’agir. Je pense que nous devons bel et bien traiter certains groupes différemment de manière à répondre rapidement aux besoins. Ça ne veut pas dire que le cas d’une personne est plus ou moins intéressant qu’un autre, mais il existe des situations, telles celles que nous ont décrites aujourd’hui de nombreux groupes disparates aux affiliations politiques diverses, où nous devons agir. Je pense que c’est très important et je pense que c’est là un message que nous avons reçu cinq sur cinq. Je pense que nous devons avoir des critères clairs quand nous intervenons dans ces situations.
La remarque affirmant que ce ne sont pas tous les groupes qui sont en mesure de retourner dans leur foyer par la suite est, à mon avis, tout à fait valable. Je pense que, face à une déclaration de génocide, c’est très clair.
Une partie des témoins ont affirmé que le rapport de l’ONU ne traite pas de la réinstallation. C’est complètement faux. À la page 39, alinéa 212g), l’ONU elle-même nous demande d’accélérer le traitement des demandes d’asile des yézidis. D’après ce que j’ai compris, et les experts juridiques ici présents fourniront les précisions nécessaires, un demandeur d’asile désigne une personne qui demande qu’on la mette à l’abri d’un danger et un réfugié désigne une personne à qui on a accordé le droit d’asile. D’affirmer qu’il n’en est pas question, à mon avis, c’est tout simplement incroyable et c’est ne rien comprendre au rapport.
Quant aux remarques sur le parti pris dans les recommandations, je ne souhaite certainement pas que notre processus d’octroi de l’asile devienne politisé non plus, mais je pense que le principe d’assistance aux personnes menacées de génocide, par exemple maintenant, doit être sauvegardé dans notre système d’immigration quand il est question de réfugiés.
Je vais très brièvement demander que l’on commente. On parle beaucoup de la catégorie des personnes de pays source —je pense que c’est ainsi qu’on les appelle. Je sais qu’en 2012, la mise en oeuvre du paragraphe 25.1(2) de la Loi sur l’immigration et de protection des réfugiés a fait suite aux représentations de la communauté qui affirmait que la catégorie des personnes de pays source n’était pas assez flexible et n’offrait pas au ministre une autorité suffisante pour intervenir sur place et aider ces personnes.
La remise en question de la façon dont ça se traduit dans les opérations est justifiée, à mon avis. Je pense que le gouvernement a maintenant l’occasion d’instruire le ministère sur la façon de procéder. J’adorerais connaître vos réactions à ce sujet également.
La remarque sur... et je sais que je gaspille du temps, monsieur le président...
... mais je peux employer mon temps comme je l’entends.
L’autre chose que j’aimerais, c’est qu’on procède à l’examen de notre actuel… Le gouvernement a imposé un plafond, ou plutôt une dispense de l’ancien plafond pour les ressortissants irakiens. Étant donné la désignation de génocide attribuée par les Nations unies et l’aveu du ministre que c’est effectivement en cours, je crois que c’est là l’occasion pour le gouvernement d’effectuer certaines de ces mesures.
Madame Desloges, pendant le temps qu’il me reste — je crois qu’il me reste une ou deux minutes —, j’aimerais que vous fournissiez d’autres informations ou précisions en lien avec ce que je viens de dire.
Je suis d’accord avec M. Dyck. On ne peut pas aider tout le monde. Donc, à un moment donné, on doit fixer des paramètres. On doit établir l’ordre de priorité. En fait, nous avons déjà un ordre de priorité. Si vous vous rappelez du témoignage de M. Casasola hier, il a parlé de la façon dont le HCR choisit les priorités qui seront déclarées comme telles en ce qui concerne la réinstallation. On constitue déjà les priorités. C’est que ce n’est pas nécessairement tout le monde qui sera d’accord avec ces priorités. Ce n’est donc pas une question d’ordre de priorité, c’est une question de façon de faire pour décider des priorités.
Le HCR fait partie d’une très vaste bureaucratie. Essayer de modifier une orientation générale, c’est comme essayer de faire virer de bord le Titanic. Ça ne peut simplement pas se faire aussi rapidement que tout le monde le souhaiterait. Comme je l’ai dit, c’est une organisation extraordinaire et je ne la critique pas. C’est simplement une très grosse organisation.
Considérez le fait que ce n’est qu’en 2007 que le HCR a effectivement admis publiquement que les Irakiens devaient être réinstallés ailleurs. Des personnes étaient la cible de menaces de mort depuis 2003. Ça a pris quatre ans avant que le HCR fasse savoir publiquement qu’il était en faveur de leur réinstallation.
Voilà seulement deux exemples de ce que je veux dire.
Je respecte mon amie Janet Dench, vraiment, mais je ne crois pas qu’il soit question de politisation et ce n’est pas non plus du lobbying. On parle de groupes qui sont menacés de disparition. Il ne s’agit pas de savoir qui crie le plus fort, il s’agit de savoir qui est la cible de ce genre de crimes horribles.
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président, et je remercie tous les témoins.
Je crois que nous avons atteint un point de jonction intéressant dans nos discussions sur les mesures à prendre pour faire face aux crises existantes et répondre aux énormes besoins effectifs.
Sur la question des génocides, on a entendu des témoignages incontestables plus tôt aujourd’hui sur le besoin d’intervenir. Comment s’occupe-t-on de groupes de femmes et d’enfants réduits en esclavage sexuel et qui font face à des situations horribles, par exemple? Les communautés sikhes et hindoues en Afghanistan nous ont également parlé de la situation dans laquelle elles se trouvent. En ce qui concerne la communauté LGBTI, je pense que quelque 63 pays ont déclaré illégales ces orientations sexuelles. Comment aborde-t-on ces situations?
En ce qui concerne la définition d’un ordre de priorité, j’entends effectivement les arguments présentés ici d’iniquité d’un ordre de priorité et de la sélection d’un groupe en particulier. Bien sûr, ne pas agir ainsi signifie également qu’il arrive que des groupes particuliers soient pris pour cible de terribles atrocités sans nom. Comment règle-t-on ces problèmes? Je pense que c’est là la question à laquelle nous devons répondre aujourd’hui.
Le pays source est identifié pour les personnes qui sont à l’intérieur du pays en question et qui n’entrent dans aucune catégorie de candidats à l’émigration. Est-ce qu’une partie de la solution se trouve vraiment dans la récupération de la catégorie des personnes de pays source?
Je me demande si tous les témoins autour de la table peuvent me répondre brièvement. C’est ma première question et j’aimerais avoir de courtes réponses parce qu’on n’a que sept minutes.
On va commencer par Mme Desloges pour ensuite entendre Mme Dench et M. Dyck, dans l’ordre, si ça vous convient.
L’identification du pays source est une possibilité. L’appel à la discrétion de l’agence est une autre option, laquelle ne demanderait pas de modifications législatives.
Oui, je suis d’accord. On a regretté la suppression de la catégorie des personnes de pays source. Des améliorations étaient nécessaires, mais on serait très intéressés à trouver des façons de la rendre viable.
Comme l’a dit Mme Desloges, il y a aussi d’autres mécanismes qui peuvent être utilisés et qui peuvent être plus flexibles, tel le recours au permis de séjour temporaire.
Je ne pense pas avoir grand-chose à ajouter. Je pense que la catégorie posait des problèmes, mais il pourrait y avoir moyen de travailler avec les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays. Je pense qu’il faudrait beaucoup de travail pour arriver à avoir une idée de ce à quoi ça pourrait ressembler sur le plan des divers cadres de travail, du processus de sélection et de l’extraction physique des personnes. Il y a des défis. Assurément, il vaut la peine de réfléchir au moyen d’établir des rapports avec les PDIP en vue de leur réinstallation.
J’invite donc tous les témoins à faire parvenir d’autres mémoires sur cette question à la greffière, soit la nature de la réforme nécessaire et les moyens de relever les défis actuels
La seconde partie de ma question concerne les iniquités qui existent. Face à toutes ces crises qui surviennent, comment trouver une solution viable à une situation qui semble inextricable? Peut-on, par exemple, conserver les priorités générales déjà établies dont le HCR s’occupe déjà? En passant, lorsque le gouvernement a introduit l’initiative visant les réfugiés syriens, il avait déjà fixé l’ordre de priorité: les femmes, les enfants, les familles et la communauté LGBTI.
Le problème qui apparaît maintenant, en particulier, par exemple, dans les catégories qualifiées de prioritaires, tombe sur la communauté LGBTI. Ils n’ont aucun moyen de savoir ce qui se passe. En fait, ils ne savent pas du tout si ça fonctionne pour cette communauté.
On a besoin d’un mécanisme différent pour ces personnes dont la vie est en danger. Que peut-on faire pour les aider à présenter une demande et à entrer dans la catégorie prioritaire? La même question se pose à l’égard des femmes et des filles yézidies et autres groupes.
Je ne nommerai pas tous les groupes qui ont fait une présentation, mais face à cette situation, y a-t-il quelque chose que l’on puisse mettre de l’avant, disons dans les pays sources, pour ces groupes en particulier, des programmes spéciaux que l’on affecterait dans ce cas à tenter de répondre à la crise urgente à laquelle est confrontée aujourd’hui la communauté internationale?
Encore une fois, je vais lancer un tour de table rapide parce que je crois qu’il ne me reste plus beaucoup de temps.
Madame Desloges.
Je pense qu’il y a deux questions distinctes en jeu.
Il y a l’ordre de priorité des réfugiés référés par le HCR, et la manière dont on s’occupe des personnes qui ne répondent pas aux critères fixés. Je crois que tout ce qu’il faut faire pour assurer leur réinstallation, c’est de faire savoir au HCR que nous voulons ajouter ou mettre de côté ces critères particuliers pour une durée déterminée. Tout ce qu’on a besoin de faire, c’est de lui faire savoir que c’est ce genre de personnes que nous voulons accueillir.
Quant à votre autre question concernant le pays source, le problème avec ça, c’est que toutes les personnes en provenance de ce pays sont en fait dans une situation assimilable à celle d’un réfugié. Ça n’aide pas vraiment, si vous essayez de cibler un sous-groupe en particulier. Je pense que l’application de l’article 25 serait plus utile dans de telles circonstances.
J’aimerais souligner la situation en Afrique. Plus du tiers de la population mondiale qui doit faire l’objet d’une réinstallation vit en Afrique, mais elle semble sans cesse discriminée.
Bien sûr, le Comité a entendu le récit de très nombreux cas fascinants, et je suis certaine que nous serions d’accord pour tous leur accorder la priorité. Pourtant, je veux également insister sur le fait qu’il y a d’autres groupes dont vous n’avez pas entendu parler dont l’histoire et la situation justifieraient probablement tout autant leur inscription dans les priorités.
Je veux aussi souligner l’analyse basée sur le sexe. Le Canada a déjà eu la réputation d’être un chef de file dans le domaine de la réinstallation des femmes en danger. Il semble y avoir eu un relâchement de ce côté. Je pense qu’il serait bien que l’on se penche de nouveau sur les formes de persécution et de danger que subissent les personnes, en tenant compte en particulier du sexe de ces personnes.
Je pense que l’une des choses auxquelles on devrait réfléchir, c’est de sortir des cadres que constituent le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration et Affaires mondiales Canada et même envisager d’autres catégories d’immigrants et chercher de nouveaux instruments de résolution de conflits.
Nous pourrions étudier une région en particulier et examiner le conflit qui s’y déroule pour ensuite envisager plusieurs modes de résolution différents. La réinstallation peut en faire partie, et notamment le parrainage privé, mais il faut s’assurer que la solution cadre avec l’ensemble du contexte. Pour y arriver, il faut que les ministères collaborent entre eux, je crois.
Merci. Je vais partager cette période de sept minutes avec M. Virani.
Je vous remercie tous d’être là.
On a entendu beaucoup de témoignages. Je pense que tout le monde conviendra que le problème des réfugiés ne va pas s’atténuer. S’il y a de l’instabilité et des combats dans les zones de conflit, dans les pays déchirés par la guerre, il y aura des réfugiés et la population menacée fuira.
Vous avez parlé d’éliminer l’EI ou Daech. Toutes les personnes dans cette salle vous diront que c’est bien là un objectif, mais il restera toujours des militants qui grimperont les échelons. Il y aura une autre milice. Par conséquent, la sécurité et la stabilité d’un pays sont essentielles. Je pense que la communauté internationale doit travailler très fort là-dessus. Daech n’est pas le groupe suprême de militants qui sème la destruction. Il y en a beaucoup d’autres dans le monde, et notamment au Salvador et au Honduras.
Par ailleurs, je veux parler un peu de la définition d’un ordre de priorité. C’est pour cette raison que nous avons un groupe tiers ou une seconde institution qui s’occupe des plus vulnérables. Ils ont une structure à cette fin. Le Comité a parlé des chrétiens, des musulmans sunnites et des musulmans shiites. Personne n’a mentionné de groupes qui ne pratiquent pas nécessairement une religion. Eux aussi sont très vulnérables. Je pense que le Comité devrait les ajouter à la liste.
J’ai une question pour M. Dyck et Mme Dench. Vous avez parlé des besoins en Afrique. Je veux dire un mot à ce sujet. Vous avez dit que les réfugiés sont abandonnés là et politisés.
J’aimerais entendre d’abord Mme Dench. Pouvez-vous préciser votre pensée à ce sujet?
Le plafonnement dont parlait Brian Dyck a particulièrement affecté les réfugiés d’Afrique. Des restrictions draconiennes ont été imposées au nombre de réfugiés africains qui pouvaient être parrainés. Les délais de traitement ont été particulièrement longs. Les autres contraintes rendent très difficile le succès d’une demande de parrainage soumise par le secteur privé concernant un réfugié africain. Beaucoup de nos membres d’origine africaine nous font part des besoins considérables et criants dans leur région et constatent la réponse diligente du Canada —à juste titre, personne ne conteste cela— à la situation au Moyen-Orient. Ils soulignent l’ampleur des problèmes actuels au Kenya, alors que le gouvernement kényan affirme vouloir fermer les camps de réfugiés et forcer ces derniers à retourner en Somalie, une mesure qui pourrait toucher des centaines de milliers de personnes. Beaucoup de personnes sur place sont évidemment très inquiètes de la situation et ces camps de réfugiés abritent beaucoup de personnes vulnérables. La situation est critique et plusieurs d’entre nous considèrent qu’elle ne reçoit pas l’attention qu’elle mérite.
On peut également parler de la situation en Érythrée, où de très graves violations des droits de la personne sont commises. Le Canada porte une part de responsabilité dans la situation, car des sociétés canadiennes exploitent des mines dans le pays et sont présumées jouer un rôle dans ces abus vis-à-vis des travailleurs dans ces mines.
Je crois donc qu’il faut porter attention à la situation en Afrique et répondre aux réfugiés sur place.
Mme Dench a abordé beaucoup de questions importantes. L’une des choses intéressantes dont nous sommes témoins cette année, c’est l’arrivée d’Africains en grand nombre en raison de la cible de 17 800 réfugiés parrainés par le secteur privé qui a été fixée pour l’année. De très rares dossiers sont nouveaux, mais les entrées sont nombreuses. Pour beaucoup d’entre nous, une page vient d’être tournée et nous avons l’impression que nous aurons l’occasion d’assister à un plus grand nombre de parrainages.
Il y a beaucoup de personnes désespérées en Afrique. Si vous regardez les Érythréens en particulier, ils représentent l’une des populations qui fuient en grand nombre par la Méditerranée. Vous ne faites pas cette traversée à moins d’être au comble du désespoir.
Des personnes au Canada veulent que leurs amis et leurs proches soient près d’elles parce qu’elles sont très inquiètes à leur sujet et elles sont très frustrées que l’on impose des limites à ce qu’elles peuvent faire.
Monsieur le président, j’ai des éclaircissements à apporter et deux brèves questions à poser à Mme Dench.
Dans sa présentation, Mme Rempel a mentionné une entrevue à la télévision. C’est moi qui étais sur le plateau avec elle. Elle a laissé entendre que je n’avais pas répondu à la question de savoir pourquoi le gouvernement avait consacré tant d’efforts à l’établissement de Syriens en priorité.
Voici ce que j’ai déclaré à ce moment-là sur les ondes de CBC et ce que je vais affirmer de nouveau aujourd’hui: la population syrienne est victime de la plus importante crise humanitaire sur le plan international depuis la Deuxième Guerre mondiale. Nous avons entendu dire que, sur les 60 millions de personnes déplacées dans le monde, 12 millions sont des Syriens. C’est ce que j’ai dit ce jour-là. Je suppose que Mme Rempel ne pouvait tout simplement pas s’en rappeler. L’ampleur de la crise est assez évidente aux yeux de notre gouvernement, elle est plutôt évidente aux yeux de la population canadienne, mais il semble qu’elle ne soit pas évidente à ses yeux.
Madame Dench, je vous remercie de votre témoignage. Vous avez qualifié de « peu honorables » les efforts du Canada ces derniers temps, du fait qu’il aurait tenté de déterminer ou de favoriser certains groupes ethniques parmi les réfugiés recommandés par le HCR. Pourriez-vous préciser votre pensée? Parliez-vous des secteurs d’intérêt du gouvernement précédent?
Non, nous parlions de la sélection des Syriens, sachant que le gouvernement canadien s’apprêtait à faire connaître ses engagements en décembre 2014 en rapport avec l’acceptation de réfugiés syriens. Le communiqué a été retardé, parce que, si nous avons bien compris, et ce qui semble avoir été confirmé après coup, le Canada voulait que le HCR accepte qu’il base son choix sur la religion des réfugiés. Un des principes fondamentaux à la base de la protection de réfugiés, c’est que cette mesure vise à protéger contre la discrimination, donc cette demande du Canada était totalement inacceptable. Évidemment, le HCR ne pouvait accepter que le Canada fasse une telle annonce. En tant que Canadiens, nous avions honte que le Canada veuille prendre une telle position, et nous étions heureux que finalement ça n’ait pas été mis en place.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication