[Enregistrement électronique]
Le mardi 12 décembre 1995
[Français]
Le président: Je vous en prie, Excellence, veuillez vous asseoir. Au nom des membres du comité, je vous souhaite la bienvenue. Il est rare que nous tenions une réunion dans une salle aussi impressionnante que celle-ci. C'est ce qui s'approche le plus, ici, de Versailles et ce que nous avons de mieux pour tenter d'impressionner nos collègues de France.
[Traduction]
Excellence, c'est très aimable à vous d'être venu rencontrer le comité aujourd'hui pour lui expliquer la politique de la France relativement aux essais nucléaires qu'elle effectue. Vous comprendrez, bien sûr, que le Canada déplore la politique française en matière d'essais nucléaires. D'un autre côté, je pense qu'il serait juste de dire que le Canada a accueilli avec plaisir un certain nombre de mesures très positives qui ont récemment été prises par la France ainsi que par les États-Unis et le Royaume-Uni, notamment: un engagement à une interdiction totale des essais, sans exception aucune; votre annonce que vous signerez, aux côtés des États-Unis et du Royaume-Uni, le Traité de Rarotonga, créant une zone dénucléarisée dans le Pacifique-Sud; et votre récente annonce que vous comptez mettre fin à votre programme d'essais au plus tard à la fin du mois de février 1996.
[Français]
Avant que Votre Excellence ne prenne la parole, j'aimerais, en mon nom personnel et de la part des membres de ce comité, féliciter votre gouvernement pour la libération de vos deux pilotes qui étaient retenus par les Serbes bosniaques et qui ont été relâchés ce matin, je crois. Votre gouvernement doit être félicité de ce que cette opération se soit effectuée en toute sécurité. Nous souhaitons à ces pilotes et à leur famille nos meilleurs voeux pour le temps des Fêtes.
Son excellence Alfred Siefer-Gaillardin (ambassadeur de France): Merci, monsieur le président du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international. Merci à tous les membres de ce comité pour leur accueil et l'occasion qu'ils me donnent de préciser le point de vue de la France sur la reprise des essais nucléaires.
Monsieur le président, je tiens à vous remercier très chaleureusement des propos que vous venez de tenir à propos de la libération de deux pilotes français retenus depuis le 30 août dernier en Bosnie et dont la libération survient, vous le savez, à la veille de la réunion à Paris des États qui seront amenés à signer ou contresigner les accords négociés à Dayton, ce qui permettra, nous l'espérons tous, le retour progressif à la paix en Bosnie et en Croatie.
Monsieur le président, souhaitez-vous que l'on entre directement dans le vif du sujet? Comment souhaitez-vous que l'on procède?
Le président: Je crois que vous avez préparé un exposé. Je vous suggère donc de le faire. Nous aurons ensuite une période de questions. Si j'ai bien compris, vous avez apporté des diapositives. Vous voudrez bien nous faire signe au moment de les projeter à l'écran.
M. Siefer-Gaillardin: Je vous remercie, monsieur le président. Monsieur le président, mesdames et messieurs les parlementaires, j'ai fait remettre à la présidence et à chacun d'entre vous un court dossier reprenant les principaux éléments de la position française sur la reprise des essais nucléaires ainsi que le canevas de l'intervention que je serai amené à faire devant vous.
[Traduction]
Le 30 juin 1995, le président de la République française a annoncé la reprise des essais nucléaires français. Permettez-moi de rappeler ce qu'il a annoncé: un nombre limité d'essais, prenant fin au plus en mai 1996, visant à permettre à la France de faire la transition à la simulation informatisée avec un engagement de ratification du Traité d'interdiction complète des essais d'armes nucléaires (CTBT) en 1996.
Quelles en sont les raisons? Cette décision n'a pas été facile pour la France. Elle ne résulte pas d'un caprice, mais s'appuie bel et bien sur l'observation que voici: sans de tels essais, nous ne serions pas en mesure de garantir la fiabilité des armes stratégiques existantes et nous ne serions pas non plus en mesure de faire la transition à la simulation informatisée. Or, cela s'impose si nous voulons signer le Traité d'interdiction complète des essais d'armes nucléaires au plus tard en septembre 1996. En bref, il nous faut effectuer ces essais nucléaires pour respecter nos engagements internationaux sans abandonner le pivot de notre défense.
Nous avons tenu nos engagements. Comme vous le savez, nous avons adhéré à l'entente visant la prorogation pour une période indéterminée du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires le 11 mai 1995 lors de l'Assemblée générale tenue à New York, sous réserve du respect de la déclaration contenue dans l'entente et voulant que les puissances nucléaires exercent «la plus grande retenue» - et je tiens à souligner cette expression - en matière d'essais nucléaires. Exercer la plus grande retenue ne signifie pas interdire ou suspendre les essais. En prenant l'initiative sans précédent de faire connaître le calendrier de nos essais, nos objectifs et le nombre de ces essais, nous avons respecté cette condition.
Le 23 octobre dernier, le président Chirac a déclaré aux journalistes du réseau CNN que si toutes les données scientifiques compilées correspondaient à nos attentes, il ne nous faudrait que six et non pas sept ou huit essais, pour réaliser nos objectifs. Le ministre de la Défense a ajouté le 6 décembre 1995 que la France envisageait de mettre fin aux essais en février 1996, trois mois plus tôt que prévu au départ.
Enfin, et là encore cela est sans précédent, nous avons été aussi ouverts que possible dans les circonstances lors des essais initiaux. Des journalistes ont été invités à se rendre à Mururoa et à Fangataufa, et il y a également eu des missions de l'Agence internationale de l'énergie atomique et de la Commission de l'Union européenne, même si cela n'est nullement exigé par la loi. Toutes ces précautions expliquent sans aucun doute pourquoi les pays les plus responsables ont compris et parfois appuyé notre décision.
En ce qui concerne le Canada, M. Chirac avait informé le premier ministre du Canada, l'honorable Jean Chrétien, de sa décision imminente avant d'en faire l'annonce, et le Canada a par la suite adopté des positions relativement modérées sur la question. Le ministre des Affaires étrangères, M. Ouellet, a résumé ainsi la position canadienne devant la Chambre des communes le 18 septembre dernier, et je vous cite la traduction du hansard:
- Le Canada a déploré les décisions tant de la France que de la Chine de poursuivre des essais
nucléaires. Cependant, le Canada a mentionné qu'il voulait que la résolution des Nations Unies
qui a récemment été adoptée à l'unanimité, qui prévoit la fin des essais nucléaires pour 1996,
soit respectée par toutes les parties qui ont déjà des forces de frappe nucléaires. Nous avons
exprimé notre satisfaction tant aux Américains qu'aux Français qui ont exprimé leur désir de
respecter cette échéance de 1996.
Permettez-moi de dire que nous avons été quelque peu confus par le vote exprimé par le Canada le 16 novembre à la première commission sur le désarmement des Nations Unies, appuyant une résolution qui non seulement condamnait les essais nucléaires mais, ce qui est plus important, reprochait à la France de ne pas respecter ses engagements internationaux. Nous sommes confus car il est reconnu que cette résolution renferme des déclarations qui ne s'appuient pas sur des preuves. Les références au non-respect par la France du Traité sur la non-prolifération étaient sans fondement, tout comme les déclarations relativement aux supposés risques pour l'environnement.
J'aimerais commencer par vous faire la liste des plaintes qui ont été dirigées contre nous. Elles se répartissent en fait en trois catégories: il y a des préoccupations d'ordre environnemental, des préoccupations relativement à la non-prolifération des armes nucléaires, et, enfin, la question morale de la nécessité du maintien de forces nucléaires stratégiques dans l'après-guerre froide.
Premièrement, on nous reproche de nuire à l'environnement. Cette accusation est sans fondement, et cela a été prouvé. Plusieurs rapports indépendants témoignent de l'innocuité des essais souterrains en ce qui concerne la santé humaine, la faune et la flore et tous les autres composants de notre environnement physique.
J'ai ici un diagramme qui représente les atolls de Mururoa et de Fangataufa. Comme vous pouvez le constater, il y a un puits qui descend de la surface de la mer à l'intérieur du lagon jusqu'à une profondeur de 900 mètres dans la roche volcanique basaltique qui se trouve en dessous des deux atolls. Ce puits, au fond duquel sera mené l'essai, sera complètement hermétique pendant la durée des essais, et aucun tremblement ni aucune radiation ne remontera à la surface.
Vous ne pouvez malheureusement pas voir les couleurs, ce qui serait plus parlant, mais toutes les missions se sont jusqu'ici entendues pour dire que c'était la méthode la plus sécuritaire pour mener ces essais sans qu'il y ait de répercussions sur la surface du lagon ou dans les régions environnantes de Mururoa et de Fangataufa.
Lorsque des rapports de chercheurs français comme Tazieff ou Cousteau viennent appuyer ces faits, tout le monde semble douter de leur indépendance. Cependant, peut-on continuer d'entretenir des doutes lorsque leurs conclusions sont appuyées par des rapports produits par un groupe de chercheurs australiens et l'équipe d'experts néo-zélandaise convoquée à une réunion des ministres de l'Environnement du Pacifique-Sud tenue à Brisbane le 10 août 1995? Nous avons à ce propos remarqué que la presse a très vite laissé tomber cet aspect de la question dès la production d'arguments fondés sur des faits.
Certains journalistes nous ont alors demandé pourquoi nous effectuions ces essais, que nous prétendons être sécuritaires, dans le Pacifique et non pas chez nous. Supposons un instant que nous construisions, en l'espace de six mois et à raison de dépenses s'élevant à plusieurs milliards de dollars, un site d'essais dans le centre de la France et qu'il nous était possible de trouver un site aussi stable et aussi solide que ce que nous offre la roche basaltique de la Polynésie. Dans une telle hypothèse, les essais, aussi étonnant que cela puisse paraître, se dérouleraient à une distance de 4 500 kilomètres de Halifax alors qu'ils ont aujourd'hui lieu à 7 000 kilomètres de Vancouver. J'ajouterai que les deux atolls sont situés à 6 900 kilomètres de Sydney, à 4 500 kilomètres de Oakland, à environ 7 000 kilomètres de Santiago, au Chili, et à près de 7 000 kilomètres de Los Angeles. Tout cela pour vous donner une idée de l'éloignement de l'endroit où s'effectuent ces essais.
Il vous faut également vous rappeler que lors du choix initial du site de Mururoa au début des années 1960, les essais étaient encore atmosphériques, et le site était très loin de tout établissement humain. L'île la plus proche de l'atoll de Mururoa est celle de Tureia, qui compte une centaine d'habitants et qui se trouve à quelque 110 kilomètres.
Il se trouve environ 4 200 habitants dans un rayon de 1 000 kilomètres autour de Mururoa. Il se trouve dans un rayon équivalent autour des sites du Kazakhstan en ex-Union soviétique environ 4 millions d'habitants, et l'on en dénombre près de 7 millions autour des sites du Nevada aux États-Unis d'Amérique.
Les motifs d'ordre environnemental ont donc été abandonnés assez rapidement.
Le débat s'est alors reporté sur autre chose: en décidant de reprendre ses essais nucléaires, la France compromettrait la non-prolifération et le désarmement nucléaire. Ici encore, les faits iraient dans le sens contraire. Notre annonce de la reprise des essais nucléaires était liée à la décision de signer le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires au plus tard en septembre 1996.
Le 10 août, la France a été le premier pays à proposer l'option du seuil zéro, soit une interdiction totale de mener des essais ou des explosions nucléaires, quelle qu'en soit l'importance, ce qui n'avait au départ pas été l'intention claire et manifeste de toutes les puissances nucléaires. Le Canada nous avait félicités pour cette initiative. Nous avons remarqué que la Grande-Bretagne et les États-Unis nous ont vite emboîté le pas. Ce n'est pas une exagération que de dire que nous avons créé une ambiance favorable aux négociations du CTBT et au désarmement nucléaire.
Pour apaiser les craintes des pays du Pacifique, nous avons annoncé, aux côtés du Royaume-Uni et des États-Unis, notre intention de signer le protocole du Traité de Rarotonga.
Enfin, le 15 novembre dernier, à New York, nous avons voté aux côtés du Canada en faveur d'une résolution demandant à tous les États de signer, au plus tard en septembre 1996, un traité d'interdiction définitive des essais nucléaires universel et multilatéral qui soit efficace et dont le respect soit contrôlable. Nous avons également voté en faveur d'une autre résolution relative au désarmement nucléaire visant la suppression totale des armes nucléaires.
Étant donné l'impossibilité de donner des preuves à l'appui de cette deuxième série de critiques, la légitimité même des armes nucléaires a été condamnée, rejetant par la même occasion toute justification du maintien d'armes nucléaires de dissuasion en cette période post-guerre froide. En bref, on nous demande pourquoi nous avons besoin de cette arme terrifiante, étant donné que le mur de Berlin est tombé et que la menace n'est plus.
[Français]
En réponse à ces interrogations, dégageons une première constatation. En dépit des tensions Est-Ouest qui ont caractérisé la guerre froide et malgré l'accumulation des armements nucléaires, la paix a régné en Europe jusqu'à la chute du mur de Berlin. De notre point de vue, ce résultat a été obtenu grâce à la dissuasion nucléaire.
Seconde constatation: la chute du mur de Berlin, si elle a redonné la liberté à nombre de pays amis d'Europe centrale et de l'Est, ce dont nous nous félicitons, et conduit par ailleurs à la désagrégation de l'empire soviétique et n'a pas éliminé les tensions. Le délitement de l'ex-Yougoslavie, les troubles dans le Caucase ont tracé les risques de résurgence des nationalismes les plus déstabilisateurs pour la paix en Europe.
Troisième constatation: personne n'ignore l'apparition à l'échelle mondiale de nouveaux foyers de tensions qui risquent de fragiliser, voire de déstabiliser à l'avenir l'équilibre international actuel.
Quatrième constatation: la fin de la guerre froide n'a pas entraîné comme par miracle la disparition d'arsenaux nucléaires gigantesques ni réduit certaines forces conventionnelles dépassant de très loin celles des démocraties européennes occidentales. J'ai là une seconde fiche, malheureusement pas très lisible, qui permet de voir l'état des arsenaux stratégiques des deux superpuissances en 1990, ce qu'il est prévu approximativement maintenant et ce qu'il est prévu à l'échéance de l'an 2000 et 2003.
Faut-il rappeler en effet qu'à l'issue de la mise en oeuvre des accords START 1, signés en juillet 1991, on comptera encore plus de 6 000 têtes russes et plus de 8 500 têtes américaines?
Faut-il rappeler que les accords START 2 ne sont ratifiés ni par la Russie ni par les États-Unis et que leur mise en oeuvre laissera à la disposition des deux signataires, en l'an 2003, plus de 7 000 armes nucléaires stratégiques?
Faut-il enfin rappeler qu'il convient d'ajouter à ces chiffres de 12 000 à 16 000 armements nucléaires tactiques, en Russie seulement, dont le démantèlement n'est pas actuellement prévu? Les arsenaux nucléaires sont toujours là.
Face à l'instabilité du monde, la France comme le Canada avaient, en 1949, fondé l'Alliance Atlantique avec leurs alliés américains et européens. Je rappelle que l'ultime moyen de défense de l'Alliance Atlantique est l'arme nucléaire et que toute la stratégie de l'OTAN repose sur la dissuasion nucléaire.
Lorsque la France, à son tour, après avoir subi en un siècle le traumatisme de deux invasions et deux occupations de son sol, a décidé de se pourvoir également de l'arme nucléaire, c'est dans le même esprit qu'elle l'a fait, celui de la dissuasion. Le Canada, comme les autres membres de l'Alliance, a d'ailleurs reconnu l'apport des forces françaises, tout comme celui des forces britanniques, à la dissuasion globale de l'Alliance, dans la déclaration d'Ottawa de 1974, renouvelée en 1991 à Rome, au lendemain de la chute du mur de Berlin.
Est-il besoin d'insister sur le caractère exclusivement défensif du concept français de dissuasion: disposer et maintenir à un niveau de suffisance indispensable mais minimal un armement nucléaire stratégique pour assurer, quelles que soient les évolutions, la protection des intérêts vitaux de notre pays et, ultimement, ceux de l'Union européenne?
J'insiste sur le concept d'une dissuasion minimale, car c'est dans cet esprit que la France a réduit depuis 1991, ce qui est passé complètement inaperçu, de 15 p. 100 le nombre de ses armements nucléaires, qui sont aujourd'hui inférieurs à 500.
Plus généralement, la France reconnaît ses propres principes dans les recommandations formulées par le Comité mixte spécial sur la politique de défense du Canada en octobre 1994. Je cite:
- Nous ne pouvons prédire l'avenir.
Nous ne pouvons, en matière de sécurité, nous reposer sur des suppositions concernant la croissance ou la stabilité.
Nous devons être prêts à faire face à l'instabilité, car toute instabilité dans le monde aura des répercussions sur nos intérêts.
- Le Comité ne tient pas pour acquis que la démocratie et l'économie de marché triompheront
partout dans le monde. Nous croyons que les Canadiens doivent être prêts à accepter autant les
mauvaises nouvelles que les bonnes. Cette position est la seule responsable sur un sujet aussi
important que la défense du pays et la sécurité de nos enfants.
Je voudrais conclure en mettant de l'avant les vrais enjeux. La France et le Canada sont deux alliés de longue date, que tout rapproche sur le plan politique, économique, culturel et qui ont un intérêt majeur à collaborer sur la scène internationale. Notre fraternité d'armes en Bosnie, où le Canada vient d'annoncer une participation significative à l'effort, est la plus récente manifestation de cette vieille et active amitié.
Quand nos essais seront achevés, c'est-à-dire dans un peu plus de deux mois à peine, la France apparaîtra plus que jamais comme jouant un rôle à sa mesure dans le contrôle du désarmement. Nous devrons travailler ensemble pour faire que le CTBT, malgré les réticences de certaines puissances nucléaires, soit négocié avec toutes ses conséquences et que, par ailleurs, le désarmement nucléaire s'enclenche complètement entre les deux superpuissances.
Monsieur le président, je vous remercie.
Le président: Merci, monsieur l'ambassadeur. Nous passons aux questions. Monsieur Bergeron.
M. Bergeron (Verchères): Excellence, j'aimerais à mon tour vous remercier d'avoir bien voulu accepter l'invitation qui vous a été adressée par notre président de venir expliquer aux membres de ce comité la politique française concernant la reprise des essais nucléaires.
Vous connaissez sans nul doute l'attachement du Canada et du Québec à la paix dans le monde et au désarmement, et nous connaissons également et sommes sensibles à la volonté française de maintenir une politique de défense indépendante, laquelle repose en grande partie sur sa force de frappe nucléaire. Et nous connaissons également l'attachement indéfectible de la France à la défense de la paix et de la démocratie dans le monde.
Conséquemment, monsieur l'ambassadeur, je me suis interrogé quelques instants lorsque M. le président nous a annoncé la tenue de cette rencontre d'information. J'ai d'ailleurs suggéré à M. le président que nous recevions également l'ambassadeur de la République populaire de Chine pour qu'il puisse à son tour venir expliquer devant ce comité la politique de poursuite des essais nucléaires de la Chine. J'ose espérer que l'ambassadeur de la République populaire de Chine sera tout aussi ouvert que Votre Excellence à l'idée de venir rencontrer les membres de ce comité pour leur expliquer la politique de son pays à cet égard.
Cela dit, Excellence, connaissant l'attachement de la France à la défense de la paix et de la démocratie, nous avons été à même de constater que la France a été, en quelque sorte, victime d'un battage publicitaire et médiatique qui a entraîné un peu partout à travers le monde des réactions de la part des populations des différents pays, particulièrement dans les pays limitrophes ou voisins de l'archipel en question.
D'autre part, vous avez fait état à juste titre des différentes critiques qui vous ont été adressées et vous nous avez souligné un certains nombre d'arguments, trois raisons que j'ai sous les yeux, qui expliquent la reprise par la France des essais nucléaires. La question que je voudrais vous poser, Excellence, concerne ces trois raisons.
Je reprends ces raisons. Vous dites que sans la reprise de ces essais, la France n'aurait pu garantir la fiabilité des armes existantes, qu'elle n'aurait pu assurer la transition des tests informatisés de simulation, et que la reprise de ces essais était essentielle pour la signature du CTBT.
La question que je voudrais vous poser, Excellence, est la suivante. Ces raisons seraient également valables pour d'autres puissances nucléaires, comme les États-Unis ou la Russie, qui pourraient à leur tour invoquer ces arguments pour justifier la reprise d'essais nucléaires. Comment alors éviter que de tels arguments soient à nouveau invoqués par d'autres puissances nucléaires? En quoi la France est-elle dans une situation particulière pour pouvoir invoquer ces arguments et se justifier de reprendre ses propres essais nucléaires?
M. Siefer-Gaillardin: Monsieur le président, je remercie M. le vice-président de sa question.
La réponse est extrêmement simple. La France s'était engagée, au début des années 1990, dans le type d'expériences que nous sommes en train d'achever. En 1992, ces expériences ont été suspendues avant que les données scientifiques aient pu être assemblées pour, d'une part, permettre la simulation par ordinateur des futures armes nucléaires et, d'autre part, pour assurer la fiabilité de celles en notre possession.
Il faut savoir qu'une arme nucléaire a une durée de vie d'environ 20 ans et qu'en l'an 2005, nos armements arriveront à usure et qu'il faudra les remplacer.
Pour permettre le remplacement de ces armes, à partir de l'an 2005, il était indispensable de disposer des éléments scientifiques que nous avions commencé à recueillir au début des années 1990, mais dont la collecte a été brutalement interrompue en 1992, pour les raisons que vous savez. Il était donc nécessaire de procéder à cette reprise.
Pourquoi est-ce que nous nous sentons particulièrement libres de le faire vis-à-vis des deux pays que vous avez mentionnés? C'est que le premier d'entre eux a fait plus de 1 000 expériences, que le second en a mené plus de 700 et qu'à l'heure actuelle, nous en sommes à environ 160. Dans ces conditions, nous n'avons pas pu recueillir l'ensemble des données qui nous étaient nécessaires.
Or, pour pouvoir signer le traité bannissant définitivement tout essai nucléaire et toute explosion nucléaire, il fallait conduire ces tests ou renoncer à l'assurance de sécurité que constitue notre arme de dissuasion.
Voilà la réponse la plus simple que je puisse donner.
[Traduction]
M. Mills (Red Deer): Je vous souhaite moi aussi la bienvenue devant nous, monsieur l'ambassadeur.
J'ai plusieurs question à vous poser, et je vais tenter de les regrouper. Pour compléter ce que vient de dire M. Bergeron, je soulignerai que j'ai lu samedi dans le Manchester Guardian que les États-Unis envisagent d'entreprendre des essais nucléaires car ils ne veulent pas qu'un autre pays prenne de l'avance sur eux. L'exemple que donne la France à des pays comme l'Inde et la Chine est, je pense, très inquiétant.
On m'a dit un certain nombre de choses dans le cadre des discussions que j'ai eues sur cette question. Par exemple, que cela relèverait davantage d'un jeu politique entre l'Allemagne et la France en vue de l'exercice du contrôle militaire à l'intérieur de l'Union européenne.
L'autre chose que j'aimerais vous voir vérifier ou réfuter est que les modèles informatiques d'aujourd'hui sont d'une qualité telle que les essais nucléaires sont davantage un exercice visant à épater la galerie qu'une nécessité en vue du développement de sa capacité nucléaire.
Voilà donc une question. Mais c'est peut-être davantage deux questions mises ensemble.
Je vous inviterais également à vous prononcer sur l'atterrissage à Winnipeg d'appareils transportant du matériel nucléaire en vue de se ravitailler en carburant et sur le niveau de communication qui existait entre vous, votre gouvernement et notre gouvernement pour que cela soit possible.
[Français]
M. Siefer-Gaillardin: Monsieur le président, je remercie l'honorable membre du comité de sa question. Puis-je répondre en français?
Le président: Il y a trois questions.
M. Siefer-Gaillardin: Il y en a trois.
[Traduction]
En ce qui concerne le premier point, vous avez évoqué la Chine et l'Inde. Il y a une différence fondamentale entre la Chine et la France. Nous avions annoncé bien à l'avance le nombre, très limité, d'essais que nous allions mener, leur calendrier et leurs objectifs. La Chine a effectué des essais sans dire quoi que ce soit. Elle a tout simplement déclenché des explosions.
La Chine compte cependant parmi les cinq pays reconnus comme étant des puissances nucléaires par le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Ce n'est cependant pas le cas de l'Inde. En effet, l'Inde est l'un des États membres des Nations Unies qui devraient, selon notre interprétation de la loi, se soumettre au Traité sur la non-prolifération et, bien sûr, au CTBT, une fois le texte final ratifié.
Nous ne pensons pas que notre attitude ait une quelconque pertinence dans le cas de l'Inde, ni d'aucun autre pays qui aurait la capacité technique de devenir une nouvelle puissance nucléaire. Cela irait à l'encontre du Traité sur la non-prolifération.
Deuxièmement, vous avez déclaré que nous menons ces essais par suite d'une certaine rivalité politique entre la France et l'Allemagne. Je ne comprends pas. Nous entretenons avec l'Allemagne des relations d'amitié et de coopération sur tous les fronts, exception faite de la dissuasion nucléaire, et nos rapports avec le Royaume-Uni sont différents. S'ils sont différents, c'est que le Royaume-Uni est déjà une puissance nucléaire.
Ce que nous avons dit, bien au contraire, c'est qu'à l'avenir, une fois constituée l'Union européenne, une fois que celle-ci se sera dotée d'une politique étrangère commune et d'une politique de sécurité commune, nous discuterons alors de l'utilisation qui pourrait être faite des armes de dissuasion européennes qui appartiennent aujourd'hui au Royaume-Uni et à la France. Il s'agira à ce moment-là de déterminer la pertinence de ces armes dans le contexte de la défense de l'Europe de demain, en collaboration étroite avec l'OTAN, c'est-à-dire avec les États-Unis. Il s'agit là d'un point d'interrogation pour l'avenir, et non pas d'un sujet d'actualité politique immédiate.
Troisièmement, en vertu des ententes intervenues entre la France et le Canada, un appareil ne peut survoler le Canada et encore moins y atterrir que s'il y a déclaration de ce qui se trouve à bord de l'appareil. Les avions qui ont récemment atterri au Canada ne transportaient aucune pièce nucléaire. La moindre arme qui se trouve à bord de ces avions - et je veux parler ici des armes que portent les membres de l'équipage - figure toujours sur la liste qui est fournie aux autorités canadiennes. Nous observons religieusement les ententes existantes entre la France et le Canada en matière de droits de survol et d'atterrissage.
Le président: Excellence, avant de céder la parole à M. English, qui est l'intervenant suivant, j'aimerais donner suite à la discussion que nous venons d'entendre. Je ne pense pas que vous ayez répondu à la question au sujet des simulations informatisées.
Je devrais peut-être vous expliquer que notre propre ambassadeur pour le désarmement nucléaire a comparu devant le comité et nous a dit que les essais peuvent d'ores et déjà être effectués par un simulateur. Les membres du comité sont nombreux à se demander pourquoi la France a choisi de faire autrement. S'il est vrai que les essais peuvent être effectués par simulation informatisée, il serait parfaitement scandaleux que l'on procède à des essais qui posent autant de risques pour l'environnement. En fait, cela pourrait être fait par voie de simulation informatisée.
[Français]
M. Siefer-Gaillardin: Tout d'abord, je répète que les essais français n'ont pas créé de risques pour l'environnement et ne créent pas de risques pour l'environnement. Nous serons d'ailleurs, et toute la communauté internationale le sera aussi, je l'espère, fixés définitivement sur l'innocuité de ces essais par une mission de l'Agence internationale de l'énergie atomique, dont le directeur général a donné son accord pour conduire des groupes d'experts dans les deux atolls au lendemain des essais.
À propos de la simulation, il faut savoir que la simulation par ordinateur doit se fonder sur une modélisation préalable de ce à quoi ressemble une explosion nucléaire. Il faut donc construire ce modèle, et pour construire ce modèle, il faut conduire des essais en grandeur nature de manière à ce que, lorsque la simulation entrera en jeu, on puisse comparer ces tentatives de simulation avec le modèle préétabli. C'est ce que les Américains ont fait en conduisant, comme je vous l'ai dit, plus d'un millier d'expériences et c'est ce que nous n'avons pas pu faire en raison de l'interruption prématurée de cette ultime série d'essais français, en 1992.
Le président: N'était-il pas possible que vous partagiez les résultats des tests américains et britanniques pour construire vos propres simulations par ordinateur?
M. Siefer-Gaillardin: D'abord, nos armements nucléaires, c'est nous qui les avons conçus seuls. Techniquement - mais je ne suis pas un technicien - , les deux types d'armement, américain, britannique peut-être et français en tout cas, ne sont pas identiques dans leur méthode de mise à feu et dans leur composition interne.
Comme nous avons dit d'entrée de jeu que nous ne voulions pas créer de nouvelles armes, de nouvelles générations d'armes, mais simplement reconstruire celles que nous avons à échéance de leur péremption, notre modèle est celui qui sera le plus conforme au type d'arme que nous avons. Nous n'avons pas l'intention de nous équiper d'armements américains.
Le président: Merci.
[Traduction]
Monsieur English.
M. English (Kitchener): Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur l'ambassadeur, d'être venu rencontrer le comité et de nous avoir fait un excellent exposé. J'aimerais vous poser quelques questions. J'essaierai de nous ramener à un niveau plus général.
En 1968, lors de la négociation du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le libellé disait ceci:
Désireux de promouvoir la détente internationale et le renforcement de la confiance entre États afin de faciliter la cessation de la fabrication d'armes nucléaires, la liquidation de tous les stocks existants desdites armes, et l'élimination des armes nucléaires et de leurs vecteurs des arsenaux nationaux en vertu d'un traité sur le désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace,
C'était il y a 28 ans. Il y a des États, comme l'Inde, qui ont argué lors des récentes négociations que le fait que les cinq pays désignés dans le texte n'aient pas pris des mesures dans le sens d'une suppression complète des armes nucléaires leur donne le droit de construire des armes nucléaires jusqu'à ce que cet objectif soit atteint.
Bien sûr, la réaction de l'Inde suscite des réactions au Pakistan. L'on pourrait prétendre que les essais menés par la France pourraient entraîner des essais en Chine, etc. Toute la question de la non-prolifération est axée sur une situation où une mesure en entraîne une autre.
Pendant les négociations ayant débouché sur le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, les États représentés - y compris, je pense, la France - se sont engagés à faire preuve de la plus grande retenue jusqu'à la conclusion d'un traité d'interdiction définitive des essais nucléaires. Ne pensez-vous pas que les essais qu'effectuent à l'heure actuelle la France sont contraires à ce principe de «plus grande retenue» et qu'ils pourraient être interprétés comme favorisant le genre de processus que l'on craint depuis 1968, ou en fait depuis 1945?
M. Siefer-Gaillardin: Merci, monsieur le président. Je remercie le député pour sa question.
Je ne suis pas du tout de cet avis.
Encore une fois, première chose: le principe de la plus grande retenue. Le texte ne parle pas d'interdiction ou de suspension d'essais; il dit tout simplement qu'il importe de faire preuve de «la plus grande retenue». Je tiens à répéter que le fait d'annoncer deux mois à l'avance l'établissement d'un programme exhaustif d'essais, en précisant leur nombre, la période sur laquelle ils seraient échelonnés et les objectifs visés, cadre parfaitement avec ce que nous avons signé en mai à New York ainsi qu'avec le principe de l'exercice de «la plus grande retenue».
Deuxièmement, cela ne confère pas de nouveaux droits à un quelconque pays qui n'a pas été reconnu par la communauté internationale, cette même communauté internationale qui a signé le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, et à laquelle appartiennent votre pays et le mien. Cela n'accorde pas à un pays une place ou un rang, ni la capacité de devenir une nouvelle puissance nucléaire. Ce que je dis là vaut, bien sûr, également pour le Pakistan.
Nous disons que certains pays vont peut-être tricher. C'est pourquoi nous avons, avec vous, au sein de la première commission des Nations Unies sur le désarmement, réunie le 16 novembre à New York, signé une résolution - j'essaie de me rappeler le libellé exact - demandant à tous les États de conclure un traité d'interdiction définitive des essais nucléaires qui soit universel, multilatéral et efficace, et dont le respect soit contrôlable, au plus tard en septembre 1996.
Par conséquent, selon nous, le programme d'essais nucléaires français ne devrait faire naître chez aucun pays le désir de joindre les rangs des cinq puissances nucléaires que l'on connaît. Il nous incombe à tous de faire respecter par tous les pays membres des Nations Unies le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires ainsi que le CTBT, lorsque celui-ci sera définitif.
M. English: Vous avez fait état tout à l'heure, et cela à juste titre, des intérêts de la France en matière de sécurité et de l'histoire du XXe siècle, qui est telle que les inquiétudes que l'on peut avoir sont tout à fait fondées. Vous avez évoqué la situation dans les pays de l'Est. Dans votre examen de la défense de la France - il y a, je pense, deux ou trois ans - il était question de problèmes futurs possibles vers le sud étant donné certaines des tensions qui se dessinaient de l'autre côté de la Méditerranée.
Au sujet de préoccupations en matière de sécurité, vous avez également évoqué notre examen de notre politique étrangère, à laquelle plusieurs membres du comité ici réuni ont participé. Nous en avons discuté, et nous n'avons à aucun moment pensé que le Canada, qui aurait pu se procurer des armes nucléaires en même temps que la France mais a choisi de ne pas le faire, avait pensé que les armes nucléaires seraient une force de stabilisation dans cette région. Il y a bien sûr eu le pacte avec les États-Unis. Mais dans le cas des sources de préoccupation vers le sud, pensez-vous que l'existence d'une capacité nucléaire française ajoute quelque chose à la sécurité de la région méditerranéenne?
M. Siefer-Gaillardin: Monsieur le président, en ce qui concerne la sécurité méditerranéenne, encore une fois, je ne suis pas spécialiste en la matière. Je peux néanmoins vous dire qu'une arme nucléaire dissuasive n'a pas pour objet d'être utilisée en tant qu'arme militaire. Je n'ai jamais entendu de stratège ni de président de la République française dire, parlant d'une force de dissuasion dans le contexte d'une interdiction, que cela préviendrait une attaque nucléaire contre la France ou l'Europe à l'avenir. Il n'y a selon moi aucun rapport entre le fait de posséder des armes nucléaires de dissuasion et les mesures à prendre face aux difficultés existant dans la région méditerranéenne.
M. English: Merci beaucoup.
[Français]
Le président: Monsieur Leblanc.
M. Leblanc (Longueuil): Je vous souhaite la bienvenue, monsieur l'ambassadeur.
Vous avez très bien expliqué les raisons pour lesquelles vous avez fait ces essais nucléaires et nous les avons très bien comprises. Toutefois, je me demande comment il se fait que vous n'ayez pas mis en place une stratégie plus claire pour empêcher la vague de protestations qui a déferlé contre vous de partout dans le monde. Ce que vous avez expliqué ici aujourd'hui nous semble passablement clair, mais n'est pas en accord avec les réactions qu'on a vues et entendues depuis que vous avez entrepris ces essais nucléaires dernièrement. J'aimerais que vous expliquiez pourquoi vous avez appliqué cette stratégie du silence au lieu de bien vous expliquer avant, afin de ne pas provoquer ces protestations que vous avez connues par la suite.
En second lieu, il me semble un peu de mauvais goût de faire des essais nucléaires au moment où on parle de démilitarisation. Vous avez bien expliqué que nous n'aviez pas le choix. Mais, quand même, je pense que c'est passablement mal vu dans le monde puisqu'on sait que tout le monde parle de démilitarisation alors que vous faites de nouvelles expériences.
M. Siefer-Gaillardin: Monsieur le président, le candidat Jacques Chirac à la présidence de la République a expliqué dès le mois de janvier de cette année que si les experts, les hommes de science venaient à la conclusion que le maintien d'une force de dissuasion française, à l'avenir, passait par une reprise des expériences nucléaires, il n'hésiterait pas à prendre cette décision. Le candidat Jacques Chirac a répété cela tout au long de la campagne présidentielle en France.
Le 13 juin, le président de la République, après avoir consulté les experts scientifiques et les militaires, a conclu à la nécessité de la reprise de cette ultime campagne d'essais pour conserver à la force de dissuasion française sa fiabilité, son efficacité et sa sécurité.
Depuis lors, monsieur le député, nos explications ont été constantes. Nous n'avons pas été beaucoup entendus, c'est vrai, au contraire de certaines organisations qui, au nom de la défense de l'environnement, défense à laquelle nous souscrivons entièrement, je n'hésite pas à le dire, ont procédé à une immense campagne de désinformation.
Je suis convaincu, cependant, qu'à force d'exposer d'une manière factuelle les éléments de ce dossier, les personnalités responsables sauront de quoi il en retourne. Nous avons par ailleurs constaté que dans l'opinion publique, l'argumentation est très rapidement passée d'une mise en cause de l'environnement, qui n'a pas réussi, à la mise en cause du traité de non-prolifération, qui n'a pas réussi, puis à l'argument actuel, soit la non-légitimité morale de l'arme nucléaire.
Cela montre assez bien qu'il y a certainement une immense confusion dans l'esprit du public, mais aussi encore la possibilité de poursuivre nos explications. C'est la raison pour laquelle je suis avec vous aujourd'hui.
La deuxième question...
M. Leblanc: Eh bien, il me semblait que le temps était un peu mal choisi puisqu'on avait décidé de diminuer les armes nucléaires ainsi que les autres types d'armes. Le temps est un peu mal choisi pour continuer à faire des essais au moment où l'on parle de faire exactement le contraire.
M. Siefer-Gaillardin: Existe-t-il un temps facile pour des décisions difficiles? Je ne le crois pas. Nous étions pris, d'une part, par le calendrier de l'élection présidentielle et, d'autre part, par celui des négociations d'un traité d'interdiction définitive des essais nucléaires, que nous voulons signer. Nous en avons pris l'engagement et ce sera fait.
Voilà! Nous avions six mois, un créneau de six mois. Ce créneau de six mois, nous l'avons utilisé tout en nous rendant compte qu'en effet, cela survenait au lendemain de la reconduction du traité de non-prolifération tout en étant singulièrement proche d'un sinistre anniversaire de l'usage de cette arme que personne ne souhaite voir réutilisée à l'avenir. Mais nous avons l'intime conviction qu'en faisant ces tests, en les pratiquant aujourd'hui, nous mettrons un terme définitif à ces essais par toutes les puissances nucléaires et par tous les pays qui souhaiteraient éventuellement s'en doter.
Je crois qu'on n'a pas assez souligné la proposition française d'une option zéro du futur CTBT, à savoir l'interdiction de tout essai et de toute explosion nucléaire, quel qu'en soit le seuil. C'est zéro. Donc, dans ces conditions, même si la conjoncture internationale n'était pas favorable, dans deux mois, cette affaire sera terminée. Nous serons assurés de la fiabilité, de l'efficacité et de la durabilité de notre arme de dissuasion, et nous pourrons contribuer à la négociation et à la signature d'un traité bannissant l'ensemble des essais nucléaires dans le futur.
Quant aux armements nucléaires, j'ai rappelé tout à l'heure l'énormité de l'arsenal nucléaire existant. Lorsqu'on en parle, neuf fois sur dix, on ne pense qu'à l'armement stratégique, oubliant totalement qu'à côté de lui, il y a un armement tactique au moins équivalent, dont la France n'est pas dotée.
Il y a donc là un énorme effort à faire, et nous saluons ce qui a été fait à l'époque entre le président Bush et le président Eltsine, lorsqu'ils ont signé START 1, puis plus tard START 2, qui n'est ratifié ni par le Parlement russe ni par le Congrès des États-Unis. En tout état de cause, il restera encore globalement - armes stratégiques et tactiques - plus de 20 000 armes nucléaires entre les mains de ces deux puissances, grosso modo divisées par deux entre chacune d'elles.
Je crois que je n'ai pas besoin de faire d'image. Nous sommes très sûrs d'un de nos alliés, qui l'a été depuis le début. Point.
Le président: Merci. Monsieur Caccia.
M. Caccia (Davenport): Je voudrais aussi remercier M. l'ambassadeur Siefer-Gaillardin d'être présent ici aujourd'hui et de faire quelques réflexions sur la présentation qu'il nous a faite.
[Traduction]
Comme vient de l'indiquer M. English, il me semble que l'exposé de cet après-midi fait clairement ressortir un grave problème conceptuel, car il établit un lien entre la sécurité et l'activité ou l'état de préparation nucléaire. Cela rappelle un petit peu les discours que l'on entendait à l'époque reaganienne. Cela rappelle même d'une certaine façon les notions de la guerre froide, même si l'ambassadeur en a traité en choisissant très bien ses mots.
Ce qui est cependant ressorti est un concept daté de la sécurité mondiale. Or, celle-ci exige de plus en plus de réponses sur les plans équité, redistribution des richesses, utilisation durable de nos ressources naturelles - certaines des questions environnementales, si vous voulez - et a pris un virage pour s'éloigner du nucléaire.
Cela est très troublant dans l'esprit de tous ceux qui ont une grande admiration pour l'esprit français, ce qui est le cas des Canadiens mais également, comme on le sait bien, des Australiens, des Néo-Zélandais et des Japonais. Cette admiration est en train, comme vous le savez, de s'évaporer lentement mais sûrement au fur et à mesure que ces essais se poursuivent dans une indifférence totale à l'opinion publique mondiale, à la désapprobation mondiale. Cet état de choses a débouché sur un boycott des produits français de la part de certains, notamment de la Scandinavie et de l'Australie, et je suis certain que l'ambassadeur est tout à fait au courant de cela.
J'aurais espéré que la France, au lieu de dresser des tableaux inspirés par la crainte, comme il le fait à la page 3 de son exposé, montre la voie en matière de suspension d'essais, donnant l'exemple aux autres, comme l'ont déjà fait deux pays détenteurs d'armes nucléaires.
L'ambassadeur a déclaré que les travaux des chercheurs ont débouché sur la conclusion scientifique que les effets ne posent pas de risque environnemental pour la faune, la flore, etc. Cela a été confirmé par des savants français de renom comme Tazieff et Cousteau.
Dans la tradition de la logique cartésienne pure, si ces essais sont si sûrs, pourquoi ne les effectue-t-on pas en France dans une région isolée des Pyrénées? Il s'agit là d'une question tout à fait légitime. Si le gouvernement français est si convaincu qu'il n'y aura pas de conséquences néfastes, et si la communauté scientifique est prête à le confirmer - ce n'est pas une opinion unanime, mais Cousteau et Tazieff méritent tout notre respect - alors il est légitime de demander pourquoi on ne choisit pas d'effectuer ces essais en France.
Troisièmement, pourrait-on savoir qui menace la France? Dans quelle mesure la sécurité nationale de la France serait-elle affaiblie si ces essais n'étaient pas effectués? Pourrait-on nous dire cela? Dans quelle mesure la France serait-elle handicapée si elle n'effectuait pas ces essais? Contre qui la France est-elle en train de se préparer à utiliser des armes nucléaires?
L'ambassadeur nous a dit que ce n'est certainement pas l'Allemagne, car les relations entre les deux pays sont parfaites sauf dans ce domaine. Les relations que la France entretient avec le Royaume-Uni sont quant à elles très bonnes. Ce n'est manifestement pas l'Italie. Ce n'est pas non plus l'Algérie ni l'Afrique du Nord. Ce n'est sans doute pas la Grèce non plus. Est-ce la Russie, ou la Chine?
Nous aimerions savoir qui est l'ennemi, car nous croyons - à tort ou à raison, et sans doute que nous avons tort - que la guerre froide est terminée et que nous nous trouvons aujourd'hui dans une phase de dividendes de la paix. Nous sommes entrés dans une phase où ce genre de dépenses, qui sont considérables, pourraient être utilisées pour favoriser la paix, réduire la pauvreté et supprimer d'autres problèmes qui nous assaillent.
Monsieur le président, je pense avoir utilisé tout le temps qui m'était accordé. Je vous remercie de votre générosité.
Je ne peux conclure qu'en disant qu'il y a ici un très grave problème de conception dans l'approche adoptée par le gouvernement français, et nous ne pensons pas que cela ait été le cas - mais peut-être que nous avions tort - sous le régime du président Mitterrand.
Nous avions l'impression que cette phase dans les essais nucléaires était terminée, que la France adoptait la même position que les Américains et les Britanniques et qu'il n'y aurait jamais plus d'essais, qu'on ne se trouverait jamais dans une situation - aussi embarrassante soit-elle - où entendre la décision que le CTBT serait signé avant septembre 1996 ne serait pas une chose dont on se réjouirait.
À mon sens, il ne s'agit que d'un moyen de gagner du temps de façon à pouvoir boucler les essais. Cela m'ennuie de dire cela, monsieur l'Ambassadeur. J'envisage avec plaisir d'entendre vos réponses ou observations en réaction à certaines de mes questions.
[Français]
M. Siefer-Gaillardin: Monsieur le président, elles sont très nombreuses, les questions. Je vais essayer d'y répondre dans la mesure où je les ai comprises.
Tout d'abord, à propos de la localisation des essais, je souhaiterais rappeler à l'honorable parlementaire que le choix et l'aménagement d'un lieu pour procéder à des explosions nucléaires ne se fait pas comme lorsque l'on va sur un pas de tir essayer un nouveau pistolet, voire un nouveau fusil. En effet, il faut disposer d'un sous-sol qui soit suffisamment solide et ensuite créer autour de cela tout un environnement que l'on ne construit pas du jour au lendemain et qui coûte des millions de dollars.
Il se trouve, et je l'ai expliqué tout à l'heure, que les atolls de Mururoa et Fangataufa ont été choisis à l'époque où la France conduisait encore des expériences à ciel ouvert et qu'il nous avait fallu trouver un lieu particulièrement éloigné de toute zone habitée. J'ai cité des chiffres qui, je pense, sont quand même assez parlants sur les populations vivant dans un rayon de 1 000 kilomètres autour de Mururoa et de Fangataufa.
En revanche, sur l'innocuité de ces essais, ce ne sont pas seulement des experts français qui l'ont constatée. L'honorable parlementaire a bien voulu rappeler le commandant Cousteau et le vulcanologue Haroun Tazieff. Je rappelle, pour ma part, qu'une mission néo-zélandaise conduite par un scientifique de renom de ce pays, le professeur Atkinson, et une mission australienne sont venues sur les sites de nos tests et ont rendu leur rapport sur l'innocuité de ces essais, rapport qui a été présenté au ministre de l'Environnement, à Brisbane, en août 1995. Si les experts français pouvaient être contestables, je pense que l'on peut accorder une certaine confiance aux experts néo-zélandais et australiens.
Deuxièmement, nous étions, je le répète, dans un créneau de temps très court, et c'est la raison pour laquelle nous avons repris les installations existantes de Mururoa et Fangataufa pour y conduire des expériences nucléaires, avec une technologie que nous maîtrisons parfaitement.
Troisièmement, l'honorable député se réfère à une vision, qu'il qualifie d'antique, de la conception de défense. À ce sujet, j'ai deux remarques. Il se trouve que la France est en Europe, à5 000 kilomètres des côtes du Canada, dans un contexte géopolitique qui fait que la France n'est pas, comme le Canada, assise sous le porche protecteur des États-Unis d'Amérique et que, quelle que soit l'excellence des relations avec nos amis américains et quelle que soit par ailleurs la profondeur de la relation transatlantique, l'expérience nous a aussi appris que dans certaines circonstances, personne ne vient à notre secours, sinon nous-mêmes. Ça rejoint une des conclusions du rapport du comité que j'ai lu tout à l'heure et qui émane, entre autres, de vous-mêmes.
Quant à savoir contre qui la France souhaite utiliser ses armements, je crois que la même question mérite d'être posée tout autant à Washington qu'à Moscou, qui disposent d'un armement sans aucune commune mesure avec l'armement de dissuasion minimal de la France.
Encore une fois, et je souhaite le souligner à l'attention de l'honorable parlementaire, l'arme nucléaire française n'est pas une arme destinée à servir. C'est une arme destinée à dissuader. Si par malheur cette arme de dissuasion devait être utilisée, dans un futur que nous ne connaissons pas, ce serait l'échec de la politique de dissuasion.
Voilà ce que je voulais répondre en restant le plus court possible mais en ajoutant quand même un dernier point. La défense d'une nation ne se bâtit pas du jour au lendemain. C'est quelque chose qui se construit à long terme.
La mise au point d'un armement nucléaire est d'environ 10 ans et sa durabilité d'environ 20 ans. Dans le contexte géostratégique d'aujourd'hui, au nom de quel principe voulez-vous priver nos enfants et nos petits-enfants de la sécurité dont nous avons bénéficié depuis 1945 grâce à la dissuasion nucléaire?
Ça ne veut pas dire que nous ne sommes pas en faveur d'une politique de désarmement. Nous l'avons dit et nous l'avons répété: nous avons l'intime conviction que la signature du traité d'interdiction totale des essais nucléaires sera essentielle à la non-prolifération.
Deuxièmement, nous souhaitons ardemment que les accords entre les deux superpuissances sur la réduction de leurs armements stratégiques continue d'être mis en oeuvre et, lorsque le moment sera venu, c'est-à-dire lorsque les niveaux des arsenaux respectifs seront devenus raisonnables, soyez assurés que la France participera à ce mouvement général de désarmement nucléaire.
[Traduction]
Le président: Monsieur Morrison.
M. Morrison (Swift Current - Maple Creek - Assiniboia): Monsieur l'Ambassadeur, ma question comporte deux volets. Premièrement, si j'ai bien compris, le principal objet des essais est de mettre au point des armes de puissance moindre - peut-être de taille plus petite, mais surtout de rendement inférieur - grâce à une technologie plus avancée. Est-ce le cas? Est-ce bien cela?
[Français]
M. Siefer-Gaillardin: Je m'excuse. Je crois ne pas avoir très bien compris.
Le président: Avant que vous répondiez à la question, je ferai remarquer aux membres du comité que la cloche sonne depuis 15 minutes. Nous aurons un vote à 17 h 35. Il nous reste donc cinq ou sept minutes au maximum.
[Traduction]
Monsieur Morrison.
M. Morrison: Avez-vous compris ma question, monsieur?
M. Siefer-Gaillardin: Je crains que non, monsieur.
M. Morrison: Dans la première partie de ma question, je vous demandais s'il est vrai que l'objet de ces essais est de mettre au point des armes moins puissantes, qui sont peut-être plus petites que les armes nucléaires existantes.
[Français]
M. Siefer-Gaillardin: Non. Les essais actuels sont strictement prévus pour assurer la fiabilité des armements existants, pour permettre leur reconstruction éventuelle lorsqu'ils arriveront à péremption et, troisièmement, pour permettre la simulation par ordinateur pour la suite, une fois que nous ne pourrons plus procéder à des essais.
Nous avons exclu, et cela, nous l'avons dit précisément, la conception de nouvelles armes, quelles qu'elles soient.
[Traduction]
M. Morrison: Si c'est le cas, la deuxième partie de ma question est superflue. Vous devez savoir, monsieur l'Ambassadeur, qu'il a été très largement rapporté que vous vouliez faire de la modélisation informatisée, mais que le but premier était de mettre au point des armes plus petites ou moins puissantes. Si ce n'est pas le cas, alors la deuxième partie de ma question n'a plus aucun sens.
Le président: Dans ce cas, la parole est maintenant à M. Patry.
[Français]
M. Patry (Pierrefonds - Dollard): Excellence, bonjour. Je suis très heureux de vous voir ici aujourd'hui parmi nous et je vous remercie des éclaircissements que vous nous apportez. J'ai une très petite question technique. C'est une de mes préoccupations.
Lors des essais nucléaires en 1981, des déchets radioactifs ont été produits et ont été dispersés dans tout l'atoll de Mururoa au cours d'un cyclone. Aujourd'hui, vous nous dites que la France pourrait procéder à deux autres essais nucléaires d'ici deux mois.
Comme ces deux essais auraient lieu au cours de la période des cyclones, c'est-à-dire du mois de décembre au mois d'avril, et que vous avez mis l'accent sur la sécurité des essais actuels, ma question est très simple: est-ce qu'il y a risque que les essais actuels produisent des déchets radioactifs advenant un cyclone?
M. Siefer-Gaillardin: Monsieur le président, aucunement. Ces essais sont menés à 1 000 mètres de profondeur et aucun cyclone ne descend à ces profondeurs.
M. Patry: Parfait. Merci.
[Traduction]
M. Flis (Parkdale - High Park): Monsieur l'ambassadeur, j'aimerais, au nom des Canadiens, vous demander si votre pays, aux côtés du Canada et d'autres nations, honorera son engagement à conclure au plus tard en septembre 1996 un traité universel multilatéral d'interdiction définitive des essais nucléaires, qui soit efficace et dont le respect soit contrôlable.
Le président: Êtes-vous en train de dire oui de la tête, monsieur l'Ambassadeur?
[Français]
M. Siefer-Gaillardin: C'est notre engagement.
[Traduction]
Le président: Merci.
Dans ce cas, il me faut - étant donné le vote - lever la séance.
Excellence, je vous remercie d'être venu comparaître devant le comité.
J'aimerais, pour la gouverne des membres du comité, annoncer que le vote a eu lieu aux Nations Unies. Son Excellence serait peut-être lui aussi intéressé de connaître les résultats du vote sur la motion condamnant les essais: 85 pays ont voté pour, 18 contre, et il y a eu 43 abstentions. Le Canada a voté en faveur de la motion aux côtés du Portugal, de la Belgique, des Pays-Bas et des pays scandinaves.
J'aimerais tout simplement dire, Excellence, que nous vous sommes très reconnaissants d'être venu nous rencontrer ici dans l'esprit de pays allié. Nous nous efforcerons encore davantage de comprendre tout cela, en vue d'en arriver à une interdiction complète des essais, pour le bien de l'humanité tout entière. J'espère que vous transmettrez à votre pays et à votre gouvernement les préoccupations qui ont été exprimées par les députés ici réunis relativement à l'actuel programme d'essais nucléaires de la France.
Je pense que vous aurez compris, par la teneur des questions qui vous ont été posées, les préoccupations qu'ont les députés, et je peux vous assurer que celles-ci sont partagées par la population canadienne dans son ensemble. Merci beaucoup d'être venu nous rencontrer aujourd'hui.
Le comité reprendra ses travaux jeudi, à 9 heures. La séance est levée.