[Enregistrement électroniquee]
Le mardi 6 juin 1995
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte. Nous avons devant nous les représentants de l'Office des pommes de terre de l'IPE: Ivan Noonan, directeur général, et Rod Nicholson. Quelle est votre position?
M. Rod Nicholson (Office des pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard): Je suis ici à titre de président de la P.E.I. Potato Dealers Association.
Le président: Vous avez la parole. Vous ferez d'abord une brève présentation et nous passerons aux questions.
M. Nicholson: Bonjour, monsieur le président et messieurs les membres du sous-comité. Merci de nous avoir invités à comparaître devant vous.
Quelles seront les répercussions de l'élimination de la Loi sur les subventions au transport des marchandises dans la Région atlantique et de la Loi sur les taux de transport des marchandises dans les provinces Maritimes, le 1er juillet 1995? La réponse est simple: le coût du transport des pommes de terre vers le Québec et l'Ontario augmentera. Nous ne savons pas encore à combien s'élèvera cette augmentation, mais elle sera probablement de l'ordre de 50 à 70c. par quintal. Pour les fins de la discussion, nous supposerons que ce chiffre est de 60c. par quintal.
Quel sera l'impact d'une augmentation de 60c. par quintal du taux de transport vers le Québec et l'Ontario sur l'industrie de la pomme de terre? Si je ne vendais pas un produit qui peut être très facilement remplacé par un produit cultivé localement ou par les produits de nos voisins américains, nous pourrions ajouter ce coût supplémentaire à notre prix de vente. Mais notre produit peut être facilement remplacé.
Sur les marchés du Québec et de l'Ontario, nous faisons concurrence aux producteurs locaux ainsi qu'aux producteurs du Wisconsin, du Michigan et de certaines régions de l'Ouest. Tous ces producteurs sont prêts à approvisionner le marché et sont en mesure de le faire. Lorsqu'une augmentation de prix touche une seule région, comme une augmentation du taux de fret, cela se produit au détriment de la région en question et à l'avantage de tous ses concurrents.
Qui, dans ce cas, subit l'augmentation du coût? Tous les coûts liés au transport du produit de la ferme au marché sont soustraits du prix du marché et ce qui reste est le prix à la ferme FAB. Si les frais de transport jusqu'au marché augmentent de 60c. par quintal, le prix payé à l'agriculteur diminue de 60c. par quintal.
Si nous voulons maintenir notre présence sur le marché du Haut-Canada, le prix FAB des pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard doit être réduit d'environ 60c. par quintal pour toutes nos pommes de terre, pas seulement celles qui sont destinées à l'Ontario et au Québec. Aucun producteur ne vendrait à l'Ontario ou au Québec si d'autres marchés payaient des prix nettement plus élevés. De même, un acheteur n'irait payer un producteur un prix plus élevé pour un sac de pommes de terre de qualité équivalente qui ne serait pas destiné à la région du Haut-Canada. La seule façon de maintenir le prix pour le producteur est d'abandonner le marché où les prix sont comprimés.
C'est en fait ce qui est arrivé dans le Nord-Est des États-Unis au cours de la dernière saison d'expédition. Les acheteurs pouvaient trouver des pommes de terre moins chères dans le Centre et l'Ouest des États-Unis. Nos producteurs obtenaient des prix plus élevés sur les marchés étrangers et n'acceptaient par les prix inférieurs pratiqués aux États-Unis pour des pommes de terre de table. Par conséquent, le volume de nos expéditions destinées au marché du Nord-Est des États-Unis a diminué considérablement au cours de cette dernière saison. Nous avons abandonné ce marché car nous avions une autre option avec des prix plus élevés. Si ça n'avait pas été le cas, la valeur de notre produit aurait diminué de façon à refléter le marché du Nord-Est des États-Unis.
Le marché du Haut-Canada est le principal débouché des pommes de terre de table de l'Île-du-Prince-Édouard. Nous ne pouvons abandonner ce marché dans le proche avenir sans faire face à de graves difficultés. Nous n'avons pas suffisamment de capacité de transport pour expédier le volume que cela représente vers d'autres régions de l'Amérique du Nord. Nous ne pouvons pas compter sur une autre mauvaise récolte en Europe pour ouvrir des débouchés permanents en Afrique du Nord. Nous devons maintenir nos marchés dans le Haut-Canada.
L'augmentation des coûts de transport, s'ils sont répartis sur l'ensemble de notre production, en supposant un rendement moyen de 260 quintaux l'acre, sera d'environ 15 millions de dollars par an. On s'attend en effet à ce que la production s'étale sur plus de 100 000 acres et que le coût supplémentaire soit d'environ 156$ l'acre... soit le rendement multiplié par 60c. le quintal. Pendant les années rentables, les profits seront réduits d'environ 15 millions de dollars par an. Pendant les années non rentables, les pertes augmenteront d'environ 15 millions de dollars par an.
L'augmentation des frais de transport entraînée par l'élimination de la Loi sur les subventions au transport des marchandises dans la Région atlantique et de la Loi sur les taux de transport des marchandises dans les provinces Maritimes fera en sorte que les producteurs de l'île auront des dépenses supplémentaires équivalentes à leurs autres frais importants engagés pour l'achat de graines, de fertilisants ou de produits chimiques. Le problème, c'est que les concurrents ne subissent pas cette augmentation. C'est une augmentation très importante à absorber tout d'un coup.
Comment le gouvernement peut-il aider notre industrie à s'adapter à l'élimination de ces deux lois pendant la période de transition? Il peut subventionner le transport vers l'Ontario et le Québec à des taux réduits pendant une période de cinq ans. Cela nous donnera le temps de nous adapter et nous aurons une idée plus exacte des effets réels de l'élimination des subventions. Pendant cette période de transition, les subventions devaient être calculées sur la base de tant de cents par quintal et non sur un pourcentage des frais de transport. Cela éviterait certains des abus du passé.
Notre industrie a besoin de temps pour s'adapter au changement. L'industrie du camionnage a également besoin de s'adapter. Notre industrie ne bénéficiera pas d'un fonds d'adaptation administré par les provinces, qui pourrait être utilisé pour améliorer l'infrastructure.
Merci monsieur le président.
Le président: Merci messieurs.
Monsieur Chrétien.
[Français]
M. Chrétien (Frontenac): Combien y a-t-il de producteurs de pomme de terre à l'Île-du-Prince-Édouard?
M. Ivan Noonan (directeur général, Office des pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard): Il y a environ 650 à 700 producteurs, selon la façon dont on décrit une exploitation agricole. Dans certains cas, il y a un père et deux fils qui travaillent ensemble et qui, par certains côtés, constituent une seule et même exploitation agricole, alors que par d'autres, ils peuvent être définis chacun comme agriculteurs individuels. Ils peuvent cultiver leurs propres variétés de pommes de terre et avoir leur propre entrepôt tout en travaillant avec un père ou un frère. Il y a probablement près de 900 producteurs dans certaines régions, mais si l'on se base sur l'enregistrement des exploitations agricoles, je pense que le chiffre est d'environ 650.
M. Chrétien: À l'occasion, je fais l'épicerie avec ma famille et j'observe la fluctuation des prix d'une année à l'autre. J'ai remarqué, l'année dernière, dès le début de l'automne, le prix anormalement élevé des sacs de pommes de terre qui a dépassé 10$ les 50 livres. Hier soir, au Club Price, à Gatineau, le prix était de 8,99$ les 50 livres. Donc, le prix a recommencé à baisser un petit peu.
Plus tôt, vous parliez d'une hausse de 0,50$ à 0,70$ les 100 livres, ce qui fait 0,35$ ou 0,30$ le sac de 50 livres. Je présume que si on augmente les prix des pommes de terre, il doit s'en consommer moins et, s'il s'en consomme moins, dans le cas d'une bonne récolte, vous allez avoir des surplus.
Considérez-vous qu'augmenter de 0,60$ le prix du sac de 100 livres, donc de 0,30$ les 50 livres, pourrait avoir un effet sur la consommation?
[Traduction]
M. Noonan: Les prix que vous avez vus au Club Price - et je ne suis pas certain de la qualité du produit - montrent que vous pouvez acheter 50 livres de pommes de terre d'une certaine variété et d'une certaine taille ce qui déterminerait le prix. Vous pouvez également acheter un sac de 50 livres pour 4,99$ et le même pour 9,99$. En fait, le prix de vente dans les magasins ici ne correspond pas toujours à ce qu'obtient le producteur primaire. Voilà la clé du problème. Ce qui nous préoccupe, c'est que le producteur ne puisse pas obtenir un prix juste en raison de ces problèmes et du supplément de frais que représentent les coûts de transport.
Une des raisons pour laquelle le prix a été élevé au départ cet hiver, c'est que nous avions une importante commande d'exportation vers l'Algérie, et nous avons produit environ 2 millions de quintaux. C'est ainsi que nous avions pu faire certain nombre d'expéditions par bateaux de l'Île-du-Prince-Édouard, de sorte que le prix a augmenté également sur d'autres marchés. Si le prix avait été trop élevé à Ottawa, Toronto ou Montréal... les producteurs locaux ont également pu recevoir un meilleur prix. Si le prix est élevé à l'Île-du-Prince-Édouard, les producteurs d'ici peuvent également augmenter leurs prix. De même, les producteurs du Michigan ont pu nous expédier leur production à un certain prix. Dans ce cas, il est rentable d'importer un produit pour remplacer le nôtre.
Je pense qu'il y a une limite à partir de quoi les gens cesseront de consommer des pommes de terre et se tourneront vers d'autres aliments. Je pense également, comme je l'ai dit, que le prix au niveau du détail ne reflète pas toujours le prix que le producteur reçoit à la ferme.
[Français]
M. Chrétien: Le gouvernement fédéral a prévu 100 millions de dollars, si ma mémoire est bonne, ou 160 millions de dollars pour assurer une transition sur les 10 prochaines années.
Le député de Beauséjour, au Nouveau-Brunswick, et secrétaire d'État au ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire affirmait qu'il y avait eu des rencontres avec les groupes de producteurs agricoles des provinces Maritimes pour voir ce qu'on pouvait faire pour assurer une transition sans trop de dommage. Les producteurs de pommes de terre ont-ils participé à ces rencontres préliminaires? Si oui, où en sommes-nous rendus et, si non, que suggéreriez-vous à part les cinq années de transition pour le Fonds d'adaptation afin que vos producteurs puissent s'adapter à la disparition des subventions au transport?
[Traduction]
Le président: J'aimerais faire une ou deux remarques. Le fonds de rajustement à l'aide au transport des céréales fourragères et l'élimination de l'aide au transport des céréales fourragères, Jean-Guy, se chiffrent à 60 millions de dollars. L'élimination de la Loi sur les subventions au transport des marchandises dans la Région atlantique et de la Loi sur les taux de transport des marchandises dans les provinces Maritimes représente 321 millions de dollars sur cinq ou six ans, je crois. Il s'agit de deux programmes de rajustement différents.
Le comité de M. Robichaud étudie précisément l'aide au transport des céréales fourragères au Québec, dans la région atlantique et en Colombie-Britannique. Je pense qu'on examine également indirectement la question de ces deux lois.
M. Nicholson: Pour répondre à votre question sur ce que le gouvernement pourrait faire précisément pour aider l'industrie pendant la période de transition, il me semble que, étant donné que cette augmentation des frais de transport va se produire d'un seul coup, si rien d'autre n'arrive, le plus utile serait d'augmenter les frais de transport de façon progressive pendant la période de transition. On aurait donc ainsi une augmentation par étape.
C'est ainsi que pour les pommes de terre destinées à l'Ontario et au Québec, si l'augmentation est de 60c., on pourrait avoir un certain allégement la première année, une aide moins importante l'année suivante, et une autre encore moins importante l'année suivante et ainsi de suite, de sorte que nos frais de transport augmenteraient étape par étape. Nous pourrions ainsi nous adapter à l'augmentation, voir quels sont ses effets réels et déterminer si cet effet est approprié et si le gouvernement et tous les autres intervenants peuvent l'accepter.
Personne ne sait quel sera exactement cet effet. Devrons-nous abandonner les marchés de l'Ontario et du Québec? Nous ne pouvons pas répondre à cette question. Nous savons que ce sera difficile, mais nous ne savons pas jusqu'à quel point.
M. Noonan: C'est également le contraire de ce qui se passe dans d'autres secteurs d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, avec le programme d'harmonisation et de recouvrement des coûts. Nous savons que nous allons connaître des temps difficiles et qu'il y aura des réductions. Nous sommes prêts à partager certains des coûts. Si on le fait de façon organisée, on pourra au moins négocier un certain niveau cette année, puis un autre l'année suivante et ainsi de suite, sur une période de trois ou cinq ans, suivant ce qui serait acceptable.
Mais le sevrage brutal, le fait de procéder à une élimination immédiate, va certainement avoir des effets négatifs sur nos ventes et notre capacité à desservir les marchés. En fait, cela permettra sans doute à nos concurrents au sud de la frontière de pénétrer nos marchés plus facilement.
[Français]
M. Chrétien: Votre collègue disait qu'on pourrait éventuellement songer à cesser de vendre en Ontario ou au Québec, ou aux deux endroits. Si je comprends bien, vous iriez trouver d'autres débouchés ailleurs ou vous changeriez de vocation agricole?
[Traduction]
M. Nicholson: Je pense qu'avec le temps il y aura des ajustements. La seule option, c'est d'aller au sud de la frontière. Au cours des dernières décennies, l'axe transport au Canada a été Est-Ouest. Il n'y a pas suffisamment de camions pour nous permettre de pénétrer cet autre marché. Nous ne pourrions pas le desservir s'il nous était acquis demain. À la longue, l'industrie du transport réagirait à l'accroissement de la demande, mais cela prendra plus d'une semaine ou d'un mois.
Si nous pouvons trouver une autre destination, l'industrie du transport s'adaptera. Je pense qu'il y a une possibilité réelle d'ajustement, mais cela prendra du temps. Nous n'avons tout simplement pas la capacité de transport nécessaire.
Une bonne partie de notre produit est transportée vers le Haut-Canada par le CN, grâce à un transport intermodal rail-route, ce qui n'existe pas entre le Canada atlantique et Boston, New York, Philadelphie, Baltimore ou Washington, tout ce corridor. Cela n'existe tout simplement pas.
M. Noonan: Pour ce qui est des nouveaux marchés, nous exportons énormément vers un grand nombre de pays d'Europe, au Vénézuéla, en Argentine, en Uruguay, au Mexique - jusqu'à il y a trois ans, partout dans le monde. Nous recherchons continuellement de nouveaux marchés et nous essayons de créer de nouvelles variétés, afin de remplacer d'autres marchés et pour que tout le monde ne se fasse pas constamment concurrence pour un seul marché.
Grâce à la collaboration d'Agriculture Canada, aux nouvelles variétés que développe le ministère, aux certificats d'obtentions végétales et autres, il y a un certain progrès. Mais je ne peux pas dire que nous allons trouver un nouveau marché aujourd'hui pour les quantités que nous expédions dans le Haut-Canada.
M. Collins (Souris - Moose Mountain): Je vois que vous proposez un programme de diminution des subventions étalée sur une certaine période. Supposons que nous en sommes là. Qu'allez-vous faire, lorsque le programme d'aide va être éliminé? Le gouvernement ne pourra pas vous venir en aide. Que vont faire les producteurs de pomme de terre de l'Île-du-Prince-Édouard?
M. Nicholson: La dure réalité, c'est qu'une fois les pommes de terre plantées, il faut songer à transporter la récolte vers les marchés. C'est une denrée périssable. Elle doit être vendue dans les neuf ou dix mois qui suivent la récolte. Tout le monde s'est rallié maintenant au projet.
Comme le prix dépend du produit, on ne sait pas à l'avance ce que l'agriculteur retirera de sa récolte. C'est une inconnue. En septembre ou en octobre, si la récolte est abondante en Amérique du Nord, le prix sera faible. Et de ce faible prix du marché, que ce soit à Montréal, Toronto ou Ottawa, il faudra déduire les coûts de commercialisation et de transport. Le producteur recevra moins. Cela veut dire qu'il va subir des pertes. Il n'a guère d'option. Il doit vendre; il ne peut garder sa récolte que quelques mois.
Plus longtemps une majorité d'agriculteurs conservent leurs pommes de terre, pire c'est, car on finit par créer un engorgement. Si les acheteurs se rendent compte qu'il y a engorgement, ils paieront encore moins cher. La pression augmente. Le producteur subit des pressions financières pour commercialiser sa récolte. L'année suivante, il recevra moins. Par conséquent, l'exploitant recevra moins d'argent pour sa récolte que ce ne serait le cas autrement.
M. Collins: Compte tenu de la réalité probable de ce scénario, existe-t-il d'autres secteurs d'activité qui vous permettraient de pénétrer le marché? Existe-t-il de nouvelles activités à valeur ajoutée dans lesquelles vous pourriez vous lancer pour compenser le problème auquel vous allez être confronté?
M. Nicholson: L'industrie de la transformation croît très rapidement à l'Île-du-Prince-Édouard. Les Fermes Cavendish, le plus grand transformateur de l'Île-du-Prince-Édouard, a annoncé des plans d'expansion. Le terrain a été préparé, l'équipement est déjà en place et les installations seront construites au cours des 12 prochains mois. Elles seront prêtes pour la récolte de 1996. McCain, qui exploite l'autre grande usine de pommes de terre frites, a annoncé également un projet d'expansion. Là encore, la construction a déjà commencé. Donc, ce secteur est en pleine croissance.
M. Noonan: Les responsables de Small Fry-Humpty Dumpty ont aussi annoncé la construction d'une nouvelle usine dans un proche avenir. Il y a donc bel et bien des activités à valeur ajoutée. Nous ne savons pas quelle est la superficie en acres qui sera cultivée cette année. Ce pourrait être 100 000 acres, c'est-à-dire une augmentation par rapport aux 92 000 actuels. Mais ce pourrait être également 97 000, nous ne le saurons pas tant que les chiffres d'enregistrement ne seront pas connus.
Comme je l'ai dit auparavant, nous déployons beaucoup d'efforts pour trouver de nouveaux débouchés internationaux. Nous allons assister à la conférence latino-américaine au Vénézuéla, à la mi-juillet, à laquelle participeront également le Brésil et d'autres pays des Amériques. Nous ne nous arrêtons pas à Toronto ou Montréal. Nous recherchons activement d'autres débouchés. Comme je l'ai déjà dit, nous sommes sérieux et nous nous rendons compte que nous allons connaître des temps difficiles, c'est pourquoi nous nous démenons.
Cette année, si nous n'avions pas eu le marché algérien - et nous avons établi les prix pour les exploitants jusqu'au Manitoba, de sorte que les pommes de terre du Manitoba ou de l'Alberta sont venues au Nouveau-Brunswick, celles du Maine sont venues à l'Île-du-Prince-Édouard et celles du Nouveau-Brunswick - nous n'opérons donc plus en vase clos. Nous avons même affecté le prix des pommes de terre dans la région de Portage la Prairie. Normalement, s'ils n'ont pas besoin de pommes de terre, on les laisse dans les champs. Un transformateur à loué un hangar à avion, l'a rempli de pommes de terre bon marché, transport compris, et les a envoyées aux usines de transformation du Nouveau-Brunswick.
Il n'y a donc plus d'exclusivité, si j'ose dire. Nos prix semblent toucher tout le monde. Cet hiver, j'ai fait une présentation au congrès de United Fruit à Anaheim en Californie. J'étais le dernier à parler. J'étais presque gêné, comme je l'ai dit lorsque je me suis levé, car tous les autres participants venaient des autres États américains - l'Idaho, l'État de Washington, toutes les grandes régions productrices de pommes de terre - et ils parlaient de 2c. ou 3c., alors que je parlais de 8c., 9c. ou 10c. Je me suis excusé. Mais d'un autre côté, j'ai dit que nous avions connu cette situation, que nous avions fonctionné comme eux, que nous avions reçu ce genre de prix, mais que nous préférions être à notre place qu'à la leur.
Le président: Je me demande bien pourquoi.
M. Collins: Quel genre d'arrangement avez-vous mis en place pour déterminer quelle est la partie qui est destinée à l'exportation et celle qui est dirigée sur le marché de l'Ontario et du Québec? Quel pourcentage est réservé au secteur à valeur ajoutée, c'est-à-dire, disons, la production de chips...?
M. Noonan: Pour ce qui est du secteur à valeur ajoutée, nous nous approchons maintenant des 50 p. 100. Peut-être 46 p. 100, tout dépendant de... ce n'est que dans un an que le principal intervenant va ouvrir cette seconde usine. Mais nous allons probablement viser entre 46 et 50 p. 100. C'est une supposition, mais je ne pense pas me tromper beaucoup.
Vous avez demandé ce qui va se passer plus tard au fur et à mesure que la technologie s'améliore. Il se peut qu'il y ait un autre moyen de transport... qui sait? À mon avis, nous devons essayer d'élaborer un plan à long terme et, avec un peu de chance, de trouver soit une façon d'ajouter de la valeur au produit, soit un moyen de transport moins cher.
Le président: Monsieur Kerpan.
M. Kerpan (Moose Jaw - Lake Centre): Bienvenue, messieurs.
Je comprends ce que vous voulez dire, vous auriez sans doute préféré que l'on supprime progressivement la subvention au transport. Il y a, dans l'Ouest canadien, de nombreux agriculteurs qui seraient d'accord avec vous. Malheureusement, ce n'est pas le cas et bien évidemment, c'est un sujet de discussions que nous ne pouvons pas aborder aujourd'hui. La question que je vous pose est la suivante: que peut faire le gouvernement fédéral pour vous aider à faire la transition? C'est à cela que tout revient. Nous nous rendons compte que les choses vont changer radicalement le 1er juillet dans bien des secteurs de l'industrie agricole et ce, dans tout le pays. Il va falloir s'adapter.
M. Nicholson: Je suppose que le fonds de rajustement pourrait nous aider mais, d'après ce que je crois comprendre, selon les modalités établies, le gouvernement provincial est chargé de l'administrer et va pouvoir utiliser l'argent pour financer des travaux d'infrastructure. Pour parler carrément, je pense que cela servira à construire des routes. C'est tout simplement la solution la plus pragmatique pour les politiciens et j'ai bien peur que ce soit cela qui arrive. Cela ne va pas se traduire par des avantages économiques à long terme pour l'Île-du-Prince-Édouard, ni par des avantages à court ou à long terme pour notre industrie. S'il avait été possible de spécifier que ces fonds étaient destinés à aider ceux qui sont le plus touchés à s'adapter, alors, ç'aurait été épatant.
M. Kerpan: J'habite dans le Centre de la Saskatchewan et il se trouve qu'il y a dans ma circonscription un certain nombre de producteurs de pommes de terre, de fait, très près de chez moi, dans la région de Outlook. Je suis sûr que vous connaissez. Je crois savoir qu'ils ne reçoivent à l'heure actuelle aucune subvention au transport de la part du gouvernement fédéral. Alors, en quoi leurs activités diffèrent-elles des vôtres, dans l'Île-du-Prince-Édouard? La distance à parcourir pour qu'ils puissent mettre leurs produits sur le marché est probablement aussi grande, sinon plus. Leurs activités semblent être rentables. Où est la différence? Quelle logique a-t-on appliquée?
M. Nicholson: La Loi sur les subventions au transport des marchandises dans la Région atlantique et la Loi sur les taux de transport des marchandises dans les provinces Maritimes ont été adoptées il y a bien longtemps, et qui sait quelles étaient les circonstances à ce moment-là? Le secteur manufacturier n'est pas très développé dans l'Est du Canada. C'est dans le Centre que l'on trouve ce genre d'industries et elles doivent distribuer leurs produits dans l'Est. Je suppose que cette législation est le résultat de pressions exercées aussi bien par le secteur manufacturier que par le secteur agricole afin d'assurer un retour à charge pour les compagnies de chemin de fer. C'était une solution tout indiquée pour que les industries du Centre du Canada puissent envoyer leurs produits manufacturés dans l'Est, et pour que l'Est puisse fournir certaines matières premières, entre autres, des produits agricoles, à la région du Haut-Canada.
Nous ne sommes pas ici pour vous demander de revenir sur une décision qui a été prise. Nous voyons bien que l'on ne changera pas d'avis et sans doute qu'à long terme, c'est pour le mieux. C'est simplement que lorsqu'on est habitués à faire face aux conditions du marché en appliquant une certaine série de règles, et que tout d'un coup, il y a un changement radical et que l'on met en place une autre série de règles, il est très difficile de s'adapter immédiatement.
M. Noonan: Savez-vous comment est vendue la récolte dans votre région? Est-ce localement? D'après ce que je crois comprendre, nous sommes probablement la seule province qui ne peut pas vendre... L'Ontario vend toutes ses pommes de terre localement, tout comme le Québec, le Manitoba et n'importe quelle autre province, et d'après ce que je sais, nous sommes pratiquement les seuls pour qui ce n'est pas le cas. Je suppose que c'est l'une des raisons pour lesquelles vous dites que toutes leurs opérations sont rentables. Pas pour nous. Il est évident que notre population n'est pas assez nombreuse pour manger toutes les pommes de terre produites sur 100 000 acres, et c'est probablement une des raisons pour lesquelles chez vous, c'est rentable.
M. Kerpan: Ce que vous dites est juste. C'est tout à fait vrai, je pense.
Le président: De fait, Allan, on peut faire un parallèle entre le blé de l'Ouest et les pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard. Pour nous, c'est tout aussi critique. L'Île-du-Prince-Édouard est le plus gros exportateur de pommes de terre tout comme les Prairies sont le plus gros exportateur de grain. On peut faire un parallèle.
M. Kerpan: C'est à cela que je voulais en venir. Merci beaucoup.
Le président: Je ne sais plus lequel d'entre vous a fait allusion au programme de rajustement et à la façon dont les fonds devraient être répartis. Rod, vous avez dit, il me semble, craindre qu'à l'Île-du-Prince-Édouard, du moins, cet argent soit investi dans la construction de routes. Comment, selon vous, pourrait-on éviter cela? Que devrait faire le gouvernement fédéral pour assurer que les fonds de rajustement servent à verser la plus grosse compensation à ceux qui seront les plus touchés?
Vous n'êtes pas le seul à soulever la question. Bien d'autres nous ont dit que cela les préoccupait de savoir que les 320 millions de dollars seraient, à toutes fins pratiques, donnés par le gouvernement fédéral aux provinces, qui seront alors libres d'utiliser ces fonds à leur gré. Quels mécanismes de contrôle devons-nous mettre en place ou, à votre avis, que devrions-nous faire pour assurer que ceux qui sont le plus touchés recevront une compensation?
M. Nicholson: On peut contrôler cela en allouant une compensation pour le produit destiné au Québec et à l'Ontario - et non pour celui qui est distribué à l'intérieur d'une province ou d'une région - pour le produit dirigé vers l'Ouest, à destination du Québec et de l'Ontario, et en la calculant sur la base de tant de cents par quintal, et non sur la base d'un pourcentage des frais de transport. C'est une méthode de calcul qui a entraîné des abus. Des sociétés affiliées avaient la possibilité de se facturer mutuellement des frais de transport plus élevés et, étant donné que les calculs se faisaient sur la base d'un pourcentage, elles pouvaient ainsi recevoir une subvention par quintal plus importante que celle qui était allouée à l'un de leurs concurrents.
Disons qu'en moyenne, l'augmentation des frais de transport entre l'Île-du-Prince-Édouard et Toronto est de 60c., on pourrait, pour un produit à destination de cette ville, permettre une réduction de 10 cents la première année, de 10c. de plus la deuxième année et de 10c. encore la suivante. Ou bien, pour suivre les fluctuations, on pourrait augmenter les frais de transport de 10c. une année, de 12c. une autre ou de tant une autre année. J'espère que je me fais bien comprendre.
Le président: Vous avez cité, je pense, un chiffre de 156$ par acre. Est-ce à cela que s'élèvent les répercussions financières de l'augmentation des frais de transport? Quelles sont, pour l'agriculteur, les retombées financières de l'augmentation des frais de transport, si l'on part du principe qu'il les assume entièrement - j'espère que non, mais là n'est pas la question. À combien se chiffrent les répercussions financières?
M. Noonan: C'est bien à cela que se chiffrent les répercussions financières sur l'agriculteur, comme vous dites, s'il doit les assumer entièrement. Nous ne pouvons pas savoir avec certitude ce que vont décider les compagnies de transport avant de faire nos premières expéditions et nous sommes donc un peu dans le noir. Certains disent que cela va augmenter de tant. Toutefois, c'est triste à dire, mais c'est vrai, ce n'est qu'au bout d'un mois, après avoir expédié quelques chargements, que nous pourrons savoir ce qui se passe.
Comme nous l'avons dit dans notre mémoire, le prix donné sur le marché est ce avec quoi le producteur doit s'arranger et c'est là-dessus qu'il sera payé. Ce n'est pas le prix payé par le consommateur; c'est celui qui est payé par le grossiste à Toronto, à Montréal, à Ottawa ou ailleurs, moins ce qu'il en coûte pour faire parvenir le produit sur le marché. Cela revient à dire que c'est à la ferme que l'on arrête les comptes. Ce qui reste, une fois payés les frais de transport et les commissions, c'est ce que le producteur reçoit.
Certains disent qu'ils vont ajouter au prix du marché 60c. par quintal ou 30c. par sac de50 livres; cela peut marcher la première fois. Toutefois, si notre produit coûte 30c. de plus que celui du Michigan ou d'ailleurs, tout d'un coup, le marché va être saturé. Nous allons nous mettre à le vendre moins cher à Boston, New York et Philadelphie, car les acheteurs qui sont là-bas vont très vite savoir ce qui se passe, étant donné qu'ils connaissent bien le marché des deux côtés de la frontière. je l'ai déjà dit, nous avons maintenant affaire à un marché mondial.
Le prix à l'exportation affecte celui que les transformateurs paient sur le marché libre. Cela affecte le prix à Toronto. S'ils savent qu'il n'y a pas de navires dans le port de Summerside ou de Charlottetown, ils font quelques appels téléphoniques. On compte 65 courtiers patentés et ils se mettent d'accord pour baisser le prix, étant donné qu'il n'y a aucune exportation au cours de la semaine en question. Le prix au détail ne change pas mais la marge, par rapport à ce que reçoit le producteur, se creuse. C'est comme cela que cela se passe.
Le président: Cela revient à dire que les producteurs de pomme de terre n'ont aucun moyen de répercuter les frais supplémentaires.
M. Nicholson: Non.
Le président: La situation est quelque peu différente dans l'Ouest. Pour revenir à la question dont s'occupe le comité, là-bas, le moyen de transport le plus utilisé, ce sont les chemins de fer. Dans l'Île-du-Prince-Édouard, la seule option, c'est le transport par camion, mais à partir du Nouveau-Brunswick, on a parfois recours au transport intermodal.
Ce que cherche à faire le comité, et c'est même prévu dans la législation, c'est instaurer, au moins, certains moyens de contrôle ainsi que des taux maximaux pour ce qui est de l'Ouest. Pouvons-nous faire quelque chose sur ce plan, pour assurer que le transport par camion ou autre est rentabilisé et que les producteurs puissent tirer profit des économies ainsi réalisées, en disant qu'à notre avis, il est injuste que les producteurs aient à payer tous les frais encourus? Devrait-il y avoir certains moyens de contrôle?
Peut-être devriez-vous nous expliquer comment fonctionne l'industrie du transport par camion, car c'est également un secteur qui est contrôlé par une ou deux sociétés dans les provinces atlantiques. Leur serait-il possible d'imposer de tels tarifs que cela reviendrait à escroquer les producteurs, et doit-on prendre des mesures pour assurer qu'il n'en soit pas ainsi?
M. Noonan: Je ne sais pas s'il existe un système de contrôle adéquat. S'il y en avait eu un en place, les abus que l'on a pu constater dans le passé ne se seraient pas produits.
Disons que le tarif sur un chargement de pommes de terre à destination de Toronto est de 3$ par quintal, mais que c'est facturé à 4$ pour gonfler le pourcentage perçu; voilà le genre d'abus dont mon collègue a parlé plus tôt. Si des mesures de contrôle avaient été en place, on n'aurait jamais pu faire un usage impropre et abusif du système, et les chiffres dont nous disposons maintenant n'auraient jamais pu être gonflés. Nous serions certainement dans une bien meilleure situation. À moins d'établir un maximum quelconque, je ne sais pas comment vous pourriez exercer un contrôle.
Du côté américain, où il n'y a jamais eu de subventions, on peut dire que c'est comme l'eau, le niveau des prix s'est stabilisé tout seul. S'il y a de nombreux camions en partance pour Boston, vous payez 2,75$; s'il n'y en a pas beaucoup, vous payez 3 ou 3,25$. Il est possible de jouer sur les expéditions vers les États-Unis, soit par le biais des taux de change, soit par d'autres moyens. Cela n'est pas possible au Canada.
Même si le nombre de compagnies de transport est limité - les plus grosses sont au nombre de deux, comme vous l'avez laissé entendre - je pense qu'il existe encore aujourd'hui assez de sociétés plus petites, pas nécessairement indépendantes, d'ailleurs. Bien sûr, il se peut qu'elles soient rachetées ou reprises par des sociétés plus importantes, si bien que nous nous retrouverons avec seulement deux ou trois entreprises.
Il faut beaucoup de camions pour transporter notre produit vers l'Ontario et le Québec. Certains jours, lorsqu'on expédie entre 100 et 150 chargements de l'Île-du-Prince-Édouard et que vous essayez de vous faufiler en voiture pour sortir du ferry, on peut se demander s'il y a autre chose que des camions qui circulent sur la route.
À dire vrai, les camionneurs eux-mêmes trouvent que la situation n'est pas rose. C'est particulièrement le cas des propriétaire-exploitants. Il y a des camions à moteur électronique qui sont plus efficaces et les assurances ont atteint un prix fou l'année dernière. Les problèmes ne viennent pas toujours du même côté. Je parle d'expérience, car j'ai travaillé dans ce secteur de l'industrie pendant un ou deux ans.
Je crois que ce n'est pas toujours le secteur du transport qui est coupable. Il y a eu des problèmes par le passé, mais il faut bien dire qu'avec notre produit, il faut un équipement de meilleure qualité et une meilleure réfrigération. Les gens veulent que le produit arrive juste à temps; ils ne veulent plus entreposer quoi que ce soit. Même une tempête de neige sur le Québec peut affecter le marché. Les camions peuvent prendre du retard et ne pas pouvoir livrer leur chargement à Halifax et venir jusqu'à l'Île-du-Prince-Édouard pour recharger avant de retourner à Montréal ou Toronto.
Il y a un certain nombre de facteurs qui peuvent entrer en jeu, mais je ne suis pas sûr des coûts que cela représente. Si vous me dites que cela va me coûter 3$ pour expédier mon produit à Toronto et si je peux trouver quelqu'un qui le fera pour 2,75$, c'est le prix que je vais payer.
Je n'ai rien à proposer de concret pour contrôler les choses à ce niveau. Comme l'a dit Rod, peut-être faudrait-il un bureau central pour la facturation qui verserait un paiement au quintal sur présentation d'une facture qui pourrait être vérifiée auprès de l'Office des pommes de terre ou en se référant aux expéditions effectuées par l'entreprise en question.
Nous avons la chance, ou peut-être devrais-je dire la malchance, d'habiter une île, mais nous pouvons contrôler les expéditions en nous référant à un numéro attribué par l'office. Chaque chargement qui quitte l'Île-du-Prince-Édouard porte un numéro et, pour ce qui est du contrôle, il y a déjà un certain mécanisme en place. Je ne sais pas ce que l'on pourrait y ajouter.
Le président: Avant de donner la parole à quelqu'un d'autre, est-il exact que cette réforme du transport va également affecter le produit fini?
M. Noonan: Oui.
Le président: Je veux parler des produits de McCain et des Fermes Cavendish d'Irving.
M. Noonan: Je pense que c'est la même chose en ce qui concerne les usines de Small Fry et de Humpty Dumpty.
Le président: Savez-vous s'il y a des préoccupations de ce côté-là? De toute façon, c'est le producteur qui va subir les conséquences si l'augmentation des frais de transport des frites vers les marchés du Centre du Canada a un impact sur les 50 ou les 46 p. 100 de la récolte qui sont dirigés vers les entreprises de transformation. Pensez-vous que cela va se répercuter sur les producteurs?
M. Noonan: Oui, je pense, lors des prochaines négociations. À l'heure actuelle, nous opérons dans le cadre d'un contrat de deux ans. La première année vient de se terminer et nous allons entrer dans la deuxième. Les frais de transport augmentent et je suis sûr que cela jouera lors des prochaines négociations. Je pense qu'on nous dira que c'est pour cette raison qu'on ne peut pas nous donner plus d'argent; il va falloir qu'ils fassent plus avec moins, comme tout le monde. Je suppose que la question du produit fini sera réglée, encore une fois, entre le transformateur et le producteur de matières premières.
Le président: Y a-t-il d'autres questions? Monsieur Chrétien.
[Français]
M. Chrétien: Vous allez peut-être trouver ma question très simple, mais j'aimerais, pour enrichir ma culture et pour fins de compréhension dans le futur, que vous me vulgarisiez le processus. Je me souviens très bien qu'il y a environ quatre ou cinq ans, au Téléjournal de Radio-Canada, on relatait qu'il y avait eu une surabondance de pommes de terre et que les prix étaient anormalement bas. Le gouvernement fédéral et celui du Nouveau-Brunswick avaient alors acheté des pommes de terre pour ensuite les enfouir, à l'aide d'un gros bélier mécanique, dans un dépotoir. On avait réussi, en créant une certaine rareté, à faire monter le prix des pommes de terre.
Chez vous, à l'Île-du-Prince-Édouard, comment l'assurance-stabilisation fonctionne-t-elle pour que vos 650 producteurs puissent jouir d'une sécurité du revenu, pour qu'ils ne soient pas toujours à la merci des marchés, pour que les centaines de milliers de dollars qu'ils ont capitalisés soient rentables et pour qu'ils puissent obtenir un salaire décent? Comment cela fonctionne-t-il dans le secteur de la pomme de terre?
[Traduction]
M. Nicholson: Premièrement, il n'existe à l'heure actuelle aucun véritable mécanisme permettant de stabiliser le prix des pommes de terre. Je mets directement mon produit sur le marché et cela fait plus de 10 ans que je le fais, et le marché réagit à l'offre.
Pour essayer d'expliquer brièvement comment cela fonctionne, en quelques mots, comme vous dites, c'est le choix qui motive les acheteurs. Ils choisissent où et auprès de qui ils vont acheter. Plus la quantité de produit disponible est grande, plus ils vont essayer d'obtenir un prix aussi compétitif que possible. C'est l'obligation qu'ils ont vis-à-vis de leurs employeurs. Ils sont chargés d'acheter un produit dont la qualité correspond aux besoins de l'entreprise au meilleur prix, et plus l'offre est grande, plus le prix est bas. Cela n'a absolument rien à voir avec les coûts de production, ni avec les retombées négatives que cela peut avoir sur le producteur. Cela n'est pas pris en considération. Ce n'est pas une chose que l'acheteur prend en compte. Ce n'est pas de son ressort.
Par conséquent, les prix reflètent strictement l'offre. Lorsqu'il y a surabondance, comme c'était le cas, vous l'avez dit, il y a cinq ou six ans - je m'en souviens très bien - les agriculteurs avaient récolté plus de pommes de terre qu'ils pouvaient en expédier. Ils avaient peur. Un vendeur qui a peur va accepter des prix peu élevés et une foule de vendeurs qui ont peur va accepter des prix encore moins élevés. Lorsque se présente un acheteur disposé à prendre une grande quantité, par exemple, dans le cadre d'un programme gouvernemental, tout d'un coup, le vendeur n'a plus peur. Tout d'un coup, une solution s'offre à lui et la peur disparait. Alors, le prix va commencer à monter un peu, car le vendeur envisage sa situation et les solutions qui s'offrent à lui avec un peu plus d'optimisme.
C'est exactement le contraire qui se produit lorsqu'il y a une pénurie, lorsque la production baisse en Amérique du Nord. Tout d'un coup, le vendeur, c'est-à-dire l'agriculteur, reçoit des appels téléphoniques de gens avec qui il n'a pas fait affaire depuis des années. Tout le monde veut traiter avec lui cette année et bientôt, l'agriculteur voit la vie en rose et se dit: j'ai plusieurs solutions pour vendre ma récolte. Peut-être vais-je la vendre maintenant. Peut-être vais-je la garder pendant deux ou trois mois. Sa position de vendeur s'affermit et il demande plus d'argent pour ses pommes de terre. Il se dit: si je les vends maintenant au lieu d'attendre trois mois, je veux que l'on m'en donne tant, et il fixera un prix plus élevé que celui du marché. L'acheteur dit alors à ses employeurs: je peux acheter, mais il faut payer tant; et c'est ainsi que le prix monte, car l'agriculteur est en position de force puisqu'il a diverses solutions.
En bref, c'est ainsi que cela fonctionne. La surabondance fait baisser les prix et la pénurie les fait monter.
[Français]
M. Chrétien: Donc, il n'existe pas de plan tripartite d'assurance-stabilisation, comme cela existe, par exemple, dans les secteurs du porc, du veau ou de l'élevage de bétail.
[Traduction]
M. Noonan: Dans l'Île-du-Prince-Édouard, les producteurs de pommes de terre n'ont aucun plan d'assurance-stabilisation. Je crois que cela existe, ou existait, au Québec, mais pas dans l'Île-du-Prince-Édouard.
Le président: Monsieur Chrétien, vous parliez d'un programme instauré spécialement une année pour se débarrasser d'un excédent. À dire vrai, c'était un beau geste de la part du gouvernement fédéral d'acheter de bonnes pommes de terre, pour une fois.
[Français]
M. Chrétien: Pour un producteur moyen qui voudrait réaliser des bénéfices d'environ 35 000$ avec sa ferme de pommes de terre, à quel prix faudrait-il qu'il vende les pommes de terre à la ferme?
[Traduction]
M. Noonan: Si vous posiez la question à 10 personnes l'une après l'autre, vous obtiendriez 10 réponses différentes. Si je cultive moi-même mes terres avec ma famille, une petite exploitation de 40 à 50 acres, et si je ne compte aucun frais de salaire, à part l'argent que je donne à mon fils les fins de semaine et de petites choses comme cela, alors, mes frais se situeront probablement autour de 1 000$ par acre. Si j'ai une grosse exploitation, mon activité ne sera pas nécessairement plus rentable, car les coûts de gestion à différents niveaux peuvent être plus élevés. Disons que j'ai établi mes frais entre 1 300$ et 1 400$ par acre.
Je ne pense donc pas que l'on puisse donner un chiffre précis. Certains vous diront que leurs pommes de terre leur coûtent 6c. la livre et qu'ils veulent donc qu'on leur paie 7c. la livre. Dans mon cas, la moyenne est 250$ par quintal et je peux partir de cela pour calculer ce que cela me coûte par acre.
Si vous voulez gagner 30 000$, comme vous dites, il serait probablement plus sûr de trouver quelqu'un qui vous versera un bon intérêt et de ne pas nécessairement cultiver vos terres. Les agriculteurs sont des gens dont la foi est grande. Il sont capables de prendre des coups et c'est dans la terre qu'ils investissent. Très souvent, leurs profits sont très maigres, mais parfois, ils s'en tirent très bien. Je n'ai pas le chiffre exact, mais je crois que l'an dernier, l'industrie de la pomme de terre de l'Île-du-Prince-Édouard a injecté environ 150 ou 160 millions de dollars dans l'économie. C'est donc une activité qui n'est pas négligeable.
[Français]
M. Chrétien: Êtes-vous en train de conseiller au président Easter de continuer sa production laitière au lieu de se diriger vers la production de pommes de terre?
[Traduction]
Le président: Je suis sûr qu'il me donne raison.
M. Nicholson: Certainement.
M. Noonan: Je bois mon litre de lait par jour; je fais ma part.
Le président: J'ai une dernière question. Vous avez parlé du transport combiné rail-route assuré par le CN en direction du Haut-Canada; c'est une question qui dépasse un peu le mandat de ce comité, mais il y a beaucoup de changements qui s'annoncent, par exemple, la privatisation du CN et des lignes à l'est de Montréal. Avez-vous des inquiétudes sur ce point ou y a-t-il quelque chose que nous devrions envisager, pour que les liaisons ferroviaires entre l'Est et le Centre du Canada restent un moyen de transport compétitif?
M. Nicholson: Je souhaiterais que cela soit conservé, si c'est cela que vous voulez dire, monsieur le président. L'existence de ce moyen de transport est très important pour nous, non seulement sur le plan du nombre des liaisons, mais aussi parce que l'on peut compter dessus. Les remorques et les tracteurs peuvent entrer dans l'île ou en partir séparément. Les remorques peuvent arriver dans l'Île-du-Prince-Édouard, y rester un jour ou deux et être livrées par d'autres tracteurs. C'est un moyen de rentabiliser les opérations. Lorsqu'une remorque et un tracteur doivent se déplacer ensemble, cela pose certains problèmes. Les camions ne sont pas toujours disponibles lorsque nous en avons besoin et parfois, il n'y en a pas assez.
Le président: En ce qui a trait à l'interfinancement au sein du CN, on semble penser - de fait, c'est une question que j'ai entendu mon collègue de Dauphin soulever - que c'est l'Est contre l'Ouest. Il faudrait que nous obtenions des chiffres et que nous les examinions, mais je pense que sur ce point, il y a peut-être des pressions qui s'exercent. Vous avez dit qu'essentiellement, ce moyen de transport doit être conservé.
M. Nicholson: Oui.
Le président: Quelqu'un a-t-il des observations à faire à ce propos? C'est un point qui a été mentionné auparavant.
M. Collins: Lorsqu'il y aura une liaison permanente, quel impact cela aura-t-il, de votre point de vue, sur tout le processus?
M. Nicholson: C'est surtout le temps de livraison que cela va affecter. On va pouvoir savoir précisément combien de temps cela prend pour qu'un camion arrive dans l'Île-du-Prince-Édouard et en sorte. Je ne pense pas que cela va nécessairement nous permettre de compter sur des moyens de transport plus nombreux, mais cela voudra dire qu'un camionneur saura que lorsqu'il vient dans l'Île-du-Prince-Édouard, il ne va pas être retardé parce que les ferrys sont pleins et qu'il ne peut quitter l'île qu'après six heures d'attente. Il se peut que cela entraîne de petits ajustements périodiques des tarifs.
Le président: Est-ce que cela assurera un meilleur temps de rotation et une meilleure utilisation de l'équipement?
M. Nicholson: Oui.
M. Collins: On pense cependant dans l'Ouest qu'en gros, la stabilisation ou encore... mes amis agriculteurs ont l'impression qu'actuellement, par le biais du système ferroviaire, ils subventionnent le coût du transport de votre produit jusqu'au marché.
M. Nicholson: Il n'y a pas de chemin de fer dans l'Île-du-Prince-Édouard.
M. Collins: Non, mais une fois que vous avez pu mettre vos chargements dans des wagons, on estime en général que, même à partir de Montréal, le coût de ce service ferroviaire dans l'Est est très élevé.
M. Nicholson: C'est un domaine que je connais mal.
M. Noonan: Il y a une certaine évolution en faveur de la privation dans l'Est, du moins dans une partie de cette région. Il n'y a rien à reprocher à la privatisation tant que cela ne crée pas un monopole et que des restrictions ou des prix artificiellement élevés ne sont pas imposés.
Une fois privatisée, une entreprise est libre de choisir celui dont elle va transporter le produit. Si c'est un fournisseur important et que le service n'est pas offert à tous les producteurs, cela entrave l'accès de ces derniers au marché. C'est une façon de procéder et il semble bien que cela se soit produit, comme l'ont laissé entendre deux ou trois grosses sociétés de camionnage. D'autre part, dans le passé, on a abusé des subventions. Nous ne voulons pas recommencer à faire la même chose sous une forme un peu différente.
Le président: Je vous remercie, messieurs, de nous avoir fait part de votre point de vue. Nous en tiendrons le plus grand compte.
M. Althouse, je crois que vous avez un exposé à faire. Après cela, nous passerons aux questions.
M. Vic Althouse, député (Mackenzie): Oui. Je vais essayer de ne pas dépasser 10 à12 minutes.
Je suis venu ici pour évoquer l'avenir de l'agriculture au cours des cinq à 10 prochaines années, ce qui est, je crois, le mandat de votre comité. J'ai hésité à venir, mais j'ai été encouragé à le faire par des personnes avec qui je travaille depuis 40 ans, depuis l'âge de 18 ans, pour vous parler des changements qui se produisent. J'ai aussi été encouragé à le faire parce que j'ai un fils de 28 ans qui essaie de continuer à exploiter notre ferme. Celle-ci devrait normalement être assez prospère, mais étant donné les changements qui se produisent actuellement, la tâche est bien difficile. Tout se ligue contre lui et contre les gens de son âge pour rendre les choses extrêmement difficiles.
J'espère donc que, dans le cadre des règles établies pour ce comité, il sera possible de présenter quelques propositions, tout en sachant fort bien que la situation continue à être examinée sous divers angles. Quatre autres comités étudient ces propositions en vue de leur donner suite. Le Comité des finances, le Comité d'examen des règlements, le Comité des transports, le Comité permanent de l'agriculture et ce sous-comité.
D'une façon générale, j'estime que nous nous trouvons en plein milieu d'une période de changements voulus mais chaotiques baptisés de divers noms: globalisme, nouvel ordre mondial, triomphe du marché, ou chaos économique, selon le point de vue. Au cours des 20 dernières années, le pouvoir économique, qui faisait auparavant l'objet d'une lutte entre l'Est et l'Ouest, est passé aux mains de trois sous-groupes qui cherchent à imposer leur vision du monde. La première, c'est le modèle anglo-américain.
[Français]
M. Chrétien: Monsieur Althouse, cela semble très intéressant et j'aimerais tellement pouvoir vous suivre. N'allez pas trop vite, s'il vous plaît; autrement, je ne pourrai pas comprendre.
M. Althouse: Excusez-moi.
[Traduction]
Monsieur le président, j'essayais de m'en tenir aux 10 minutes.
Le président: Allez jusqu'à 12.
M. Althouse: Toutes mes excuses aux interprètes.
Un des trois sous-groupes fondamentaux qui essaient de s'imposer fait, comme je le disais, la promotion du modèle anglo-américain, c'est-à-dire l'expression extrême du «laissez-faire» destiné à exclure complètement le gouvernement. Cela représente une attitude extrêmement individualiste, mais aussi la tendance à dire «faites ce que je dis mais pas ce que je fais».
Le second est le modèle communal japonais, qui est presque une forme de tribalisme moderne. Il se résume à peu près à ceci: «Tous pour un, un pour tous». Dans ce système, on travaille, on pense et on agit ensemble; on est très axé sur le groupe; on utilise une approche unifiée aux problèmes, ce qui a donné d'excellents résultats. Certaines économies des pays de l'Est, à leur apogée, étaient fondées sur ce type de raisonnement et ont donné d'assez bons résultats pendant la période où elles n'étaient pas remises en question.
Le troisième modèle est l'approche communautaire de l'Europe, qui accepte des façons de faire très différentes. On tolère une large diversité non seulement des cultures, des langues et des traditions, mais aussi des modes de production et des systèmes économiques. Ce modèle est fondé sur les affaires et le travail, les individus et les états, et utilise une démarche coopérative pour régler les problèmes communautaires.
Le Canada a décidé d'utiliser un modèle ultra anglo-américain dans le contexte du globalisme. Du fait de la création prochaine de l'Organisation mondiale du commerce et des déficits budgétaires que nous combattons, la plupart des politiques agricoles interventionnistes du Canada ont été complètement abandonnées.
Comme le prévoit le budget, plusieurs dates importantes vont marquer les cinq prochaines années. Le 1er août, la subvention au transport du grain de l'Ouest, dite subvention du Nid-de-Corbeau, disparaîtra. Cela représente un coût supplémentaire pour les producteurs de ma région qui sera de l'ordre de 10$ à 25$ la tonne. Le 1er janvier 1996, tous les embranchements cesseront d'être protégés. Pour les régions touchées, cela pourra entraîner un coût supplémentaire de transport routier, d'entretien des routes, etc.
La déréglementation du transport du grain doit commencer le 1er août de l'an 2000 et l'on s'attend à ce que cela augmente le coût du transport de 15 à 20 p. 100. Je base ces chiffres sur le fait que cela représente ce qu'il en coûte actuellement de plus pour expédier un wagon de potasse, de soufre ou de charbon par rapport à un wagon de blé. Comme je ne vois pas en quoi pourrait différer le coût réel du transport de la potasse et celui du blé, des produits de ma région, j'en conclus que le coût déréglementé du transport du blé sera aligné sur celui de la potasse.
Cela représente donc deux chocs très importants pour tous les agriculteurs de l'Ouest et trois pour beaucoup d'entre eux - ceux qui sont obligés d'utiliser des voies d'embranchement.
Sur le plan économique, cela fera baisser les valeurs foncières, en particulier dans les régions les plus éloignées des ports. Cela entraînera une dévaluation des exploitations agricoles, le dégagement et la restructuration financière de la dette. Le principal facteur, à mon avis, sera une baisse de la capacité de financement du développement au sein de la région. La restructuration du capital deviendra virtuellement impossible.
Deuxièmement, les zones rurales continueront à se dépeupler, ce qui restreindra les options de diversification, puisque beaucoup d'entre elles sont fondées sur la consommation intérieure. Si la population diminue, la consommation en fait autant et les possibilités de restructuration du capital ou de mise en oeuvre d'idées nouvelles, aussi.
La diversification des produits se poursuivra, mais l'impératif d'exportation devient encore plus fort dans un tel contexte à cause des difficultés liées à la restructuration du capital et à la valeur ajoutée dans la région. Les pressions en faveur de l'exportation de cette production diversifiée seront plus fortes. L'expérience récente montre qu'une telle situation crée ses propres problèmes, car plus vous avez de produits à exporter, plus cela complique le système. La rotation des wagons est ralentie et l'efficience par unité baisse donc dans l'ensemble du système. À cause de cela, l'industrie a encore plus de difficultés à trouver des ressources financières internes et l'intérêt des investisseurs de l'extérieur se fait rare.
Ce pronostic est fondé sur une évaluation des politiques récentes du Canada et sur l'hypothèse que les mêmes politiques continueront à être obstinément poursuivies dans le proche avenir. En résumé, les gens à qui j'ai affaire chez moi ont, dans tout cela, peu de raisons de se réjouir. Le seul espoir est que les prix mondiaux augmentent plus rapidement que les coûts.
Malheureusement, sur le plan mondial, le marché semble s'attendre à ce que les gouvernements continuent à intervenir. Comment interpréter autrement la triste réalité d'une situation dans laquelle les stocks de report mondiaux de grains et d'oléagineux sont très faibles et où les prix de la plupart des produits agricoles stagnent ou diminuent? Si le marché ne s'attendait pas à d'autres interventions gouvernementales, les prix augmenteraient.
En vertu des engagements pris par les États-Unis dans le cadre du GATT, par exemple, ils peuvent allouer jusqu'à 1,22 milliard de dollars canadiens de subventions aux exportations au cours de la prochaine campagne agricole. Ils proposent de réduire leurs subventions intérieures de 5 p. 100 par an. Le Conseil des grains du Canada a calculé que, pour la période de 1985 à 1990, les subventions américaines à l'exportation ont eu pour effet de réduire les recettes d'exportation du Canada de 27,38$ la tonne. La situation n'a guère changé, du côté américain, depuis 1990. Pourtant, rien que dans le budget actuel, les agriculteurs canadiens ont perdu 100 p. 100 de la subvention du Nid-de-Corbeau, 30 p. 100 du filet de sécurité sociale et 20 p. 100 des sommes consacrées à la recherche. Cela aggrave encore la situation désavantageuse des agriculteurs canadiens vis-à-vis de leurs concurrents américains.
Le Canada a décidé de faire siennes les théories anglo-américaines de libre-échange total sans aucune intervention du gouvernement, alors que d'autres pays semblent se contenter de respecter les modestes réductions de subventions convenues dans le GATT.
Le gouvernement a dit à votre sous-comité et aux témoins d'accepter le fait que les agriculteurs canadiens devront s'adapter à un monde sans subvention, et qu'aucune augmentation des fonds engagés dans le cadre du dernier budget n'est possible, ni acceptable. Compte tenu des règles ainsi imposées, il faut aussi faire face à d'autres réalités.
Premièrement, les terres des Prairies si fécondes sont loin de la mer et des marchés. Deuxièmement, dans l'avenir prévisible, la population des Prairies ne pourra pas augmenter assez vite pour consommer la production brute à son niveau actuel ou la transformer. Troisièmement, il n'existe aucun moyen de transport capable de faire concurrence aux chemins de fer. En gros, si le transport par eau d'une tonne de produit coûte 1$, elle coûte 3$ par chemin de fer et 9$ par camion. Lorsque vous vous trouvez à plus de 1 500 kilomètres d'un port, vous n'avez pas d'autres options.
La vente de CN Rail à des investisseurs dont le profit est la seule préoccupation, ne créera pas vraiment de concurrence pour CP Rail. Les deux sociétés continueront simplement à essayer d'atteindre le même objectif - l'optimisation de leur profit net. Cependant, si le CNR est placé sous le contrôle des agriculteurs, son principal objectif sera alors d'établir un lien terrestre qui ira de la ferme au client. C'est le souci du service qui primera alors, pas nécessairement celui du profit.
Comme la survie globale dans un monde sans subvention dépend de la capacité d'une nation de contrôler tous les coûts de la ferme au port, il est essentiel de confier le contrôle de CN Rail aux agriculteurs si nous voulons assurer la survie à long terme de l'agriculture dans l'Ouest du Canada.
Cette formule présente une foule d'avantages. Elle ne coûte pas un sou supplémentaire au gouvernement. Le CN injectera de 1,5 à 2,5 milliards de dollars sur le marché, le premier chiffre étant d'ailleurs jugé plus réaliste par les courtiers. Si la somme de 1,6 milliard de dollars déjà offerte était remise directement, le gouvernement pourrait économiser les frais de courtier, qui sont d'à peu près 5 p. 100.
Ce serait les propriétaires-exploitants qui auraient à résoudre entre eux des questions épineuses telles que l'abandon des embranchements et l'établissement d'un barème. Le dilemme entre, d'un côté, la nécessité de hausser les taxes municipales et provinciales à cause des dépenses accrues pour entretenir les chemins et les routes municipaux et, de l'autre, le maintien des embranchements, pourrait mieux être résolu, puisque la solution adoptée ne se traduirait pas par un simple transfert des coûts à quelqu'un d'autre et à un autre propriétaire. Ce serait les mêmes propriétaires qui auraient à aborder le problème.
Agrandir la base d'actionnaires et inclure, par exemple, les employés de chemin de fer, les communautés du Nord de l'Ontario et d'autres groupes de l'industrie des ressources, s'ils s'y intéressaient, serait une façon de financer les expansions. Cependant, le trafic du grain représente à peu près 40 p. 100 des activités des chemins de fer, donc ce groupe est, de loin, le plus important.
Il y a aussi la possibilité de fusionner avec de nouveaux partenaires, comme B.C. Rail ou d'autres compagnies ferroviaires nord-américaines d'outre-frontières. Cela est plus susceptible d'être favorable aux liaisons à courte distance vu que le mot d'ordre est plutôt «service» que «profit». On n'utiliserait ces lignes secondaires que si cela coûte moins cher que les lignes principales.
La propriété et le contrôle donnent une certaine marge de manoeuvre à long terme pour régler la question des coûts du système entier au moment de la déréglementation, dans cinq ans. Puisque déjà une grande partie des composantes du système appartient aux agriculteurs - c'est-à-dire, les silos ruraux et les silos portuaires - les possibilités de coopération se multiplient de façon significative si l'on ajoute cette dernière composante. Ce serait l'intérêt des propriétaires-exploitants principaux qui prédominerait, et cela pourrait bien résoudre les chicanes actuelles entre divers groupes de propriétaires.
L'aspect le plus important, c'est qu'un tel système ne pourrait pas être remis en question en invoquant les dispositions du GATT ou de l'Organisation mondiale du commerce, puisque le gouvernement n'y participerait d'aucune façon. Et pourtant, les agriculteurs auraient ainsi de multiples possibilités de s'adapter aux changements globaux.
Je veux faire remarquer que les agriculteurs de l'Ouest canadien ont maintenant beaucoup d'expérience au niveau du commerce global, ayant géré quatre coopératives céréalières d'envergure mondiale et d'autres organismes. L'organe de commercialisation qui représente les agriculteurs, la Commission canadienne du blé, se place bien dans ce scénario et pourrait être efficace une fois cet élément important soit mis en place. Si cet élément était placé sous le contrôle des agriculteurs, l'organisme de commercialisation aurait une chance de survivre. Autrement, je vois difficilement quel rôle pourra jouer la Commission canadienne du blé. Mais si non seulement le système de manutention et de livraison, mais aussi le système de marketing sont placés sous le contrôle des agriculteurs, je vois la possibilité de créer un nouveau partenariat qui sera vraiment concurrentiel dans le monde entier. À ce moment-là, les gens comme mon fils, ses amis et ses voisins auront des outils qui leur permettront d'être compétitifs globalement.
Finalement, cette acquisition du CN se solderait par une vraie concurrence au sein du système de commercialisation et de manutention du grain, puisque les utilisateurs du CN, les exploitants de silos coopératifs et portuaires et la Commission canadienne du blé se serviraient de leur propre infrastructure pour exporter... et pour atteindre les marchés. Ils obligeraient donc les entreprises dont l'objectif est de faire des profits à fonctionner avec une efficacité maximale.
Le président: Merci, monsieur Althouse.
Monsieur Chrétien.
[Français]
M. Chrétien: Monsieur Althouse, je ne sais pas si c'est la coutume que des députés viennent témoigner à des comités, mais quoi qu'il en soit, j'apprécie beaucoup votre présence cet après-midi. Dès les premières rencontres que j'ai eues avec vous au Comité permanent de l'agriculture ou encore en relisant, dans le Hansard, de vieux discours que vous aviez faits, j'ai découvert vos connaissances en agriculture, surtout celle de l'Ouest.
Ce qui m'a marqué, parce que vous avez brossé un tableau relativement complet de la politique agricole, c'est lorsque vous avez dit, au début de votre intervention, que vous aviez beaucoup hésité à vous présenter devant le sous-comité. Je vous ai aussi trouvé très pessimiste en parlant de votre fils de 28 ans qui, à moins que l'interprète ait mal choisi le terme, «essayait» la relève sur la ferme. Cela ne me semblait pas vraiment positif. Dois-je comprendre que l'avenir des agriculteurs n'est pas trop rose?
Lorsque je parle d'un avenir pas trop rose, je pense qu'un agriculteur devrait raisonnablement faire le salaire d'un ouvrier spécialisé et, s'il investissait deux millions de dollars sur sa ferme, cela devrait être capitalisé pour autant. L'ouvrier spécialisé part avec une «boîte à lunch» et fait entre 35 000$ et 45 000$. L'agriculteur, par contre, a des biens évalués à plusieurs centaines de milliers de dollars, et parfois même à un ou deux millions de dollars. S'il a de la difficulté à vivre et à gagner sa nourriture pour lui et sa famille, l'avenir est loin d'être rose.
[Traduction]
M. Althouse: C'est vrai que c'est loin d'être rose, mais il reste quand même un peu d'espoir si le gouvernement agit rapidement. Il existe une petite conjoncture favorable. Nous avons jusqu'au mois d'octobre pour armer - permettez-moi d'utiliser pour l'instant des termes militaires - la génération actuelle d'agriculteurs et les préparer aux guerres économiques qui s'annoncent, même si la nouvelle organisation mondiale du commerce est censée gérer beaucoup mieux les règles du jeu.
Si les coûts ne sont pas complètement contrôlés de la ferme au client, la présente génération d'agriculteurs ne pourra pas survivre. Même si la prochaine génération reçoit des fermes qui ne sont pas hypothéquées, il lui sera extrêmement difficile, sinon impossible, de survivre dans l'Ouest canadien avec ces règles-là. J'ai beaucoup réfléchi à ce que je viens de dire.
À l'extrême Nord-Est de la Saskatchewan, la région que je représente et qui est très proche de ma propre ferme, les frais de transport supplémentaires vont s'élever à environ 25$ par tonne à cause de la disparition de la subvention du Nid-de-Corbeau. On peut louer des terres. Cela se loue pour à peu près 20$, 25$ de l'acre. Dans cette région, on produit à peu près, en moyenne, une tonne de blé par acre. Alors, vous pouvez voir que l'avantage de louer disparaît à cause des frais de transport supplémentaires. La terre qui n'assure pas de revenu ne vaut pas grand chose. C'est la valeur de la terre qui nous a servi de capital depuis deux générations - on en arrive maintenant à la troisième - pour pouvoir refinancer, donner de l'expansion aux activités de transformation et établir de nouvelles fermes. Ces possibilités disparaissent avec cette option. C'est pour cela que je suis si pessimiste.
Les chiffres ne changent pas beaucoup dans le cas où les agriculteurs sont propriétaires du CN, mais cela rassurerait les prêteurs de savoir que le contrôle de toute la chaîne de transport est entre les mains des agriculteurs, et qu'ils peuvent peut-être apporter les ajustements nécessaires pour faire face à un ratio d'endettement plus élevé. Les prêteurs accepteront probablement plus volontiers de refinancer ceux qui en ont besoin, c'est-à-dire à peu près tout le monde. Pour moi, cela est donc essentiel si l'on veut continuer à produire des céréales et des oléagineux dans les Prairies. Nous ne pouvons pas faire grand chose d'autre.
L'autre possibilité serait de replanter des herbages et des forêts. Il faut entre 80 et 100 ans pour faire pousser une forêt dans notre climat. L'industrie du boeuf est déjà excédentaire parce que l'Argentine, parmi les plus grands exportateurs potentiels du monde, vient de se voir accorder le droit d'exporter du boeuf suite à la disparition de la fièvre aphteuse dans ce pays. Donc, il ne reste pas beaucoup de choix sauf de continuer à produire des céréales, des oléagineux et des légumineuses et à les exporter.
[Français]
M. Chrétien: Si, demain matin, Vic Althouse occupait le fauteuil de Ralph Goodale en tant que ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, quelles sont les trois modifications qu'il souhaiterait mettre en vigueur d'ici octobre 1995 pour redonner espoir aux agriculteurs?
[Traduction]
Le président: En deux minutes ou moins, monsieur Althouse.
M. Althouse: D'abord, il faudrait convaincre le ministre des Transports et le Cabinet que la privatisation du CN devrait se faire en allouant des actions aux agriculteurs en lieu et place de versements en espèces, et que les agriculteurs devraient contrôler entièrement la compagnie. Ils devraient avoir le pouvoir d'élire les administrateurs et de contrôler les opérations de la compagnie. Deuxièmement, les agriculteurs devraient contrôler la Commission canadienne du blé, même si le gouvernement nomme une ou deux personnes au nouveau conseil d'administration. Troisièmement, le gouvernement devrait continuer à garantir les ventes de produits agricoles à l'exportation aussi longtemps que possible.
Le président: Par l'entremise de la SEE et de la Commission canadienne du blé?
M. Althouse: Oui, par l'entremise de la Commission canadienne du blé et de la SEE.
Le président: Madame Cowling.
Mme Cowling (Dauphin - Swan River): Je vous remercie monsieur le président.
J'aimerais savoir d'abord quels sont les faits ou les documents à l'appui des déclarations que vous nous avez faites.
M. Althouse: En grande part, cette information est disponible un peu partout. Mon évaluation de la globalisation fait suite à la lecture d'une douzaine de livres, depuis un an et demi ou deux ans, ainsi que de notes documentaires pour me préparer aux discussions sur le GATT pendant les quatre ou cinq dernières années, le temps que ces pourparlers ont duré. Pour le reste, ce sont des déductions assez raisonnables et logiques, à mon avis, sur ce qui peut arriver, suite à une longue période d'observation.
Mme Cowling: J'ignore qui au juste M. Althouse représente. Représentez-vous un groupe d'individus? Est-ce votre opinion personnelle?
M. Althouse: C'est moi-même que je représente ici.
Mme Cowling: D'accord.
Je trouve que certains de vos commentaires... D'un côté, vous vous préoccupez énormément de la rentabilité de l'industrie. Par contre, vous dites que les agriculteurs devraient recevoir la somme de 1,6 milliard de dollars sous forme d'actions du CN. Je crois que le gouvernement a effectivement l'intention de leur donner ces actions de manière à leur permettre de s'adapter à la transition et d'assumer les coûts supplémentaires de transport.
Ne pensez-vous pas que la somme en question devrait être versée directement aux agriculteurs afin que ceux-ci, habitués depuis tant d'années à prendre eux-mêmes leurs décisions, puissent continuer à le faire, et soient en mesure d'assumer les coûts et d'utiliser l'argent qui leur sera alloué? Ce que vous faites, si j'en juge d'après vos commentaires, c'est que vous liez les mains des agriculteurs qui vont devoir assumer ces coûts additionnels.
M. Althouse: Ma réflexion sur la question est fondée sur le fait qu'il me serait difficile d'être plus proche de l'agriculteur moyen que je ne le suis. J'ai 58 ans, ce qui est aujourd'hui l'âge moyen des agriculteurs de l'Ouest du Canada. La plupart d'entre eux attendent impatiemment le moment de vendre leurs biens et d'abandonner le secteur. Cela signifie que la moitié d'entre eux sont plus âgés que moi, et l'autre moitié, plus jeunes. Cela signifie que la moitié d'entre eux, au moins, prendront l'argent et s'en iront.
Dans la région où je vis, au cours des trois ou quatre derniers mois de l'hiver, six exploitations agricoles solidement établies ont été mises sur le marché. Il n'y a pas eu la moindre offre d'achat, ni même la moindre manifestation d'intérêt. Cela signifie que les gens de ma génération, comme moi, seront obligés de garder leurs fermes jusqu'au moment où on les reprendra parce qu'ils n'auront pas payé la banque ou n'auront pas versé les taxes municipales. Notre seul recours est donc d'être suffisamment bien armés pour ce long combat.
Je crois que nous n'avons pas la moindre chance de nous en tirer. Si, à court terme, nous acceptons l'argent... Ceux d'entre nous qui ne feront pas partie des heureux qui auront pu s'en aller, courons tous à la faillite. Cette formule nous donne la possibilité de survivre au cours des cinq prochaines années. Je dis cela parce que la situation empire. La déréglementation se fera sentir au bout de quatre ou cinq ans. Le 1er août de l'an 2000, nous subirons le second choc.
Si la récolte est bonne cette année - espérons qu'elle le sera - cette somme de 1,6 milliard de dollards suffira à peine à couvrir le coût supplémentaire du transport. Il est toujours plus facile de payer lorsque la récolte a été assez bonne, mais cette somme n'ira pas très loin.
Mme Cowling: Il est probablement très facile de se montrer très critique à l'égard du gouvernement lorsqu'on n'a pas de responsabilité à assumer, mais je crois que ce que je veux...
M. Althouse: Je ne critiquais pas. Sous le gouvernement précédent, il y a eu des paiements de 1,1 milliard de dollars et de 1,2 milliard de dollars. Les agriculteurs de l'Ouest n'en ont jamais vu la couleur, car l'argent est allé directement de la poste à la banque, et si cela a permis de changer quelques chiffres, les chances de survie à long terme ne s'en sont pas trouvées améliorées.
Mme Cowling: Je vais poser la même question que Jean-Guy Chrétien. Je suis fermement convaincue qu'il y a beaucoup d'optimisme au sein de la communauté agricole. Je crois que les gens sont prêts à aller de l'avant. Les agriculteurs ont toujours été des optimistes et ils font remarquablement bien leur travail.
Étant donné le tableau si sombre que vous nous avez brossé de cette communauté, je voudrais savoir, si vous étiez ministre de l'Agriculture, ce que vous feriez dans une situation où nous sommes soumis à des restrictions financières, où il est indispensable que nous mettions de l'ordre dans nos finances pour répondre aux besoins et pour jouer un rôle important sur le plan international. Comment feriez-vous pour équilibrer vos comptes et pour vous assurer que les agriculteurs canadiens sont les mieux placés pour jouer le premier rôle sur la scène commerciale mondiale?
M. Althouse: Je crois avoir déjà répondu à cette question. J'ai dit à M. Chrétien que la proposition que j'ai faite concernant le CN, l'obligation pour la Commission du blé de rendre compte aux agriculteurs et la possibilité pour ceux-ci d'étendre ses pouvoirs à d'autres céréales, ainsi que le maintien, aussi longtemps que c'est techniquement possible dans le monde, de certains crédits d'exportation...
Je regrette que vous ayez vu tant de pessimisme dans mon évaluation. J'ai simplement essayé de montrer la situation dans laquelle nous nous trouvions. J'ai très bon espoir que nous nous en sortions, si ces trois changements étaient adoptés, dans la situation actuelle. Je suis venu ici pour discuter de ce qui s'est produit, mais votre mandat ne le prévoit pas. J'essaie donc d'anticiper cinq ou dix ans, et d'envisager les choses avec un certain optimisme.
C'est une excellente occasion de nous montrer optimistes; c'est ce que je fais chaque fois que la grêle ou le gel détruisent mes récoltes. Je regarde alors ce qui me reste, je fais le foin le plus vite possible, je fais le plus d'engrais vert possible; après tout, je me prépare pour l'année suivante. Nous avons connu une situation désastreuse, mais on peut quand même se montrer optimistes à condition d'apporter avant le 1er octobre le changement très important qui nous permettra d'exercer un certain contrôle sur notre réseau transport. Sans cela, il faut s'attendre à une autre tempête de grêle l'an prochain, l'année suivante, l'année d'après. En fin de compte, tout ce bel optimisme disparaîtra.
Mme Cowling: Je veux poser une question au sujet de la valeur ajoutée et de la diversification pour savoir ce que vous en pensez, pour ce qui concerne la Saskatchewan.
M. Althouse: Il y a toujours eu une certaine diversification chez nous, comme dans les autres régions des Prairies. Il y a un prix à payer pour cela, comme je l'ai indiqué dans mon analyse.
Où il y avait trois ou quatre cultures, il était beaucoup plus facile d'assurer une rotation de 14 ou 15 jours des wagons que ce n'est le cas aujourd'hui où nous cultivons huit ou dix produits différents. Plus il y en a, plus les risques d'envoyer les trois wagons de petits pois ou de graines pour les oiseaux au mauvais endroit, ce qui retarde tout le reste. Le système le plus efficient est celui dans lequel vous ne cultivez que du blé que vous transportez directement au port. C'est le système de transport et de commercialisation le plus efficient.
Lorsque vous diversifiez, les coûts unitaires augmentent légèrement; ce dont il faut toujours tenir compte pour demeurer compétitifs sur le marché mondial. C'est la raison pour laquelle je pense que vu qu'il existe tant de possibilités de coopération entre élévateurs, chemins de fer, et terminals, si les mêmes personnes en étaient propriétaires - même s'il s'agissait d'organisations différentes - il serait sans doute possible de résoudre ces problèmes.
En voici un exemple: À une conférence tenue à Thunder Bay en mars, j'ai entendu une plainte d'une des compagnies de chemin de fer à propos d'une des sociétés d'élévateurs; j'avais entendu exactement la même plainte 10 ans plus tôt. Un des terminals dispose, je crois, d'une voie qui peut accueillir huit wagons; comme il peut décharger 10 wagons en une journée, l'équipe du train est obligée de retourner pour aller chercher deux wagons supplémentaires. Cela côute une somme d'argent phénoménale pour faire appel à une équipe supplémentaire et déplacer ces deux wagons, alors que si l'on allongeait la voie pour accueillir deux wagons de plus, tout le monde pourrait faire des économies. Ce serait à la compagnie de chemin de fer de payer le prolongement de la voie, mais elle refuse de le faire parce que celle-ci se trouve sur le terrain appartenant au Syndicat du blé du Manitoba. Ce syndicat ne voit pas l'intérêt de prolonger la voie puisque la compagnie de chemin de fer ne lui offrirait pas de réduction s'il s'en chargeait. Voilà le genre de situation qui pourrait être assez aisément réglée, mais ce n'est pas le cas.
Le président: Je conclus que votre proposition essentielle est de placer le CNR sous contrôle des agriculteurs. Cela remplacerait le paiement actuellement proposé. C'est bien cela?
M. Althouse: Oui, on leur offrirait des actions au lieu de chèques.
Le président: Pour en revenir à la remarque de Marlene: pourquoi serait-ce très différent? Ce que vous proposez en fait, c'est qu'il y ait un changement de propriétaire du CN. En quoi est-ce différent de la vente du CN à un autre groupe d'actionnaires? Que nous le voulions ou non, le CN confié à une nouvelle équipe de direction fera concurrence au CP.
M. Althouse: Le mandat du CN serait différent si ses propriétaires étaient aussi ses utilisateurs de ce qu'il serait s'il s'agissait d'investisseurs ordinaires. Ce que l'investisseur, l'actionnaire ordinaire veut, c'est tirer le profit maximal de l'exploitation du système. Mais si vous exploitez celui-ci comme utilisateur, vous pouvez répartir les profits comme bon vous semble. Une formule consisterait à verser un petit dividende annuel, et peut-être aussi utiliser des dividendes comme le font les coopératives: Plus vous utilisez le service, plus vous augmentez votre actif au sein du système. On pourrait donc créer une double organisation, ce qui encouragerait les utilisateurs à se servir de leur propre chemin de fer.
Cela permettrait de créer une véritable concurrence car les motifs qui inspirent les sociétés seraient fort différents. Pour le CN, il s'agirait de fournir un service au coût le plus bas possible. Pour le CP, il s'agirait d'assurer un rapport, des dividendes maxima aux investisseurs. Le CN devient alors un lien indispensable dans le système d'acheminement du produit de la ferme au client. Il remplit ainsi une fonction plutôt que d'être simplement un centre de profit.
Le président: En réponse à une question posée plus tôt, vous avez déclaré qu'il faut que nous exercions un contrôle sur notre système de transport. C'est un des points que le Comité des finances a examiné, et nous aussi. Le plafonnement des tarifs de transport-marchandises, surveillance possible, etc., suffirait-il, ou faut-il aller plus loin?
M. Althouse: Si l'on pousse jusqu'au bout l'idée de l'exclusion du gouvernement des affaires, ce ne sera pas suffisant car la formule ne marchera pas. Dans les documents de 1993 présentés par le ministère des Transports, que cette administration suit presque à la lettre jusqu'à présent, le gouvernement devra prendre ses distances. Le ministre actuel a déclaré qu'il veut que le ministère des Transports ne soit plus nécessaire. C'est conforme à la politique énoncée dans ces documents.
Je crois que la seule garantie de sécurité pour les usagers du chemin de fer est qu'ils en soient propriétaires et qu'ils le contrôlent. En fait, ils pourront s'imposer des tarifs équivalents ou supérieurs à ceux du concurrent, mais au moins, ils sauront pourquoi ils le font.
Le président: Avez-vous des suggestions pour encourager la diversification? Un certain nombre de propositions ont été faites. L'exposé de la SARM contient plusieurs suggestions intéressantes. Comment, selon vous, le gouvernement pourrait-il encourager la diversification?
M. Althouse: Je ne suis pas sûr qu'il puisse faire grand chose sans que son intervention ne soit considérée comme une forme d'ingérence. Quand on déclare ne pas vouloir intervenir du tout sur le marché, il faut respecter son engagement.
Je crois que cela offre certaines possibilités de refinancement qui n'existeraient pas si l'on adoptait l'autre option. Celle que j'ai proposée offre des possibilités de restructuration à long terme du capital bien meilleures et plus sûres que dans le cas d'un paiement unique. Sachant qu'un tel paiement, ou des paiements du même genre faits en deux ou trois fois dans le passé ont très peu contribué à la diversification ou au changement, j'estime que ce serait jeter de l'argent par les fenêtres et que le problème ne serait pas résolu.
Pour comprendre ce que je propose, imaginez quelqu'un qui, pendant les 30 prochaines années, va être obligé de se débrouiller pour se nourrir et qui décide de prendre les 300$ dont il dispose pour s'acheter une plaque chauffante et acheter de quoi manger de temps à autre, au lieu d'aller au restaurant. L'inconvénient, c'est que l'argent disparaît lorsque vous achetez la plaque chauffante, mais avec le temps, cela permet d'économiser beaucoup d'argent. Être compétitifs sur le marché mondial, c'est cela... il faut être capable de produire à un coût inférieur à ceux de tous les autres.
Nous avons un handicap permanent car nous nous trouvons à plus de 1 500 kilomètres d'un port. Si le gouvernement veut cesser de jouer un rôle dans le transport ferroviaire, la formule que je propose lui permettrait de le faire tout en honorant certains des engagements pris à l'égard des générations antérieures dans les Prairies.
Le président: En conclusion, je précise qu'un autre comité étudie également la question de la privatisation. Je suis certain qu'il serait possible pour les agriculteurs de se regrouper s'ils veulent également présenter une proposition plutôt que de changer l'option du 1,6 milliard de dollars.
Je vous remercie, monsieur Althouse.
M. Althouse: En ce qui concerne cette option, l'expérience m'a appris que pour qu'une idée nouvelle prenne racine dans une collectivité, mais en particulier chez les agriculteurs, il faut trois ou quatre ans. Nous ne disposons que de trois mois. Il va falloir que les membres du cabinet montrent qu'ils ont quelque chose dans le ventre et que nous exercions des pressions sur eux si nous voulons pouvoir offrir une option quelconque à la génération qui va prendre notre relève.
Le président: Merci.
Les représentants de la Western Wheat Growers Association sont-ils là?
M. Kerpan: Monsieur le président, je crois comprendre qu'il y a un vote à 17h30. Est-ce exact?
Le président: Non, je crois que c'est à 18h30.
[Français]
M. Collins: Six heures et demie.
[Traduction]
Le président: Il y aura bien une sonnerie d'appel, non? Je suis certain que le vote doit avoir lieu à 18h30, mais il m'est déjà arrivé de me tromper.
Nous accueillons maintenant Larry Maguire, président de la Western Canadian Wheat Growers Association, et Alanna Koch, la directrice exécutive de l'association. Après votre exposé, nous passerons aux questions.
Excusez-moi, Larry; je serai peut-être obligé de partir tôt car j'ai une réunion à 18 heures à propos de Marine Atlantic.
M. Larry Maguire (président, Western Canadian Wheat Growers Association): Merci, monsieur le président, de nous avoir invités à comparaître devant vous. Alanna et moi-même sommes heureux de l'occasion qui nous est offerte de représenter la Western Canadian Wheat Growers Association. Nous voudrions simplement vous présenter un bref aperçu de notre association et de la situation des céréaliculteurs.
En réponse à vos questions, nous passerons en revue certains des questions les plus importantes qui se poseront après que des changements auront été apportés à la Loi sur le transport du grain de l'Ouest et, en conclusion, nous évoquerons les possibilités qui s'offrent.
Vous avez devant vous des exemplaires de notre mémoire, je ne vais donc pas vous en faire lecture. Je vais seulement aborder certains points saillants.
Nous sommes la plus grande organisation agricole bénévole - je veux plutôt dire à but non lucratif - de l'Ouest du Canada, et nous représentons environ 6 000 membres qui pensent que notre industrie devrait se suffire à elle-même, dans la mesure du possible, en évitant une intervention trop grande du gouvernement dans nos activités. Voilà en gros l'attitude de notre organisation.
Nous voulons examiner les possibilités nouvelles offertes par les changements intervenus dans le cadre de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest. Nous sommes heureux que le gouvernement soit allé de l'avant et ait modifié la subvention du Nid de Corbeau et la Loi sur le transport du grain de l'Ouest. Nous sommes néanmoins depuis toujours préoccupés par le fait qu'une amélioration de l'efficacité du système doit aller de pair avec la modification de cette subvention. Nous reviendrons là-dessus plus tard.
Nous tenons également à faire savoir que, selon nous, avec ce changement - et vu peut-être que l'indemnité n'est pas aussi élevée qu'elle aurait pu l'être et que nous l'aurions souhaité - il est d'autant plus nécessaire d'améliorer l'efficacité du système afin d'encourager le plus possible la concurrence pour permettre à notre industrie d'utiliser les produits de qualité, l'infrastructure et la main-d'oeuvre qualifiée dont nous disposons au Canada afin de préserver autant que faire se peut une part viable des marchés internationaux.
Pour y parvenir, il y a toutefois certains problèmes critiques à résoudre. À notre connaissance, le projet de loi C-76 va être examiné ce soir à la Chambre des communes en dernière lecture, et il sera adopté; toutefois, nous allons soulever un certain nombre de questions.
L'une des questions qui nous tient particulièrement à coeur concerne la structure des frais de transport dans le domaine couvert par la clause d'extinction. Nous pensons réellement que, tant qu'à se lancer dans une modification de la subvention du Nid de Corbeau, puisque les sommes disponibles sont limitées, il vaudrait beaucoup mieux que nous nous orientions vers l'adoption d'une structure commerciale des frais de transport en l'an 2000. Nous pensons que le fait de conserver un taux maximal pendant la période de transition donnera à notre industrie le temps de s'adapter, non seulement aux agriculteurs mais également aux entreprises céréalières et aux compagnies de chemin de fer.
On nous a fait savoir qu'un amendement a été apporté au projet de loi C-76 selon lequel, au lieu d'instaurer un tarif commercial à la fin de 1999, la situation sera plutôt telle que le ministre pourra décider par décret si, à son avis, suffisamment d'améliorations sont intervenues dans ce secteur pour qu'il soit possible d'adopter une structure tarifaire commerciale. En d'autres termes, c'est ce que l'on appelle le Nid de Corbeau numéro 2.
De toute évidence, il n'y a pas eu d'investissement fait dans les secteurs du traitement et des industries à valeur ajoutée, et il n'y a pas eu tant d'améliorations de l'efficacité qu'il aurait été possible dans l'Ouest avec les taux subventionnés qui existaient depuis un certain temps aux termes de la LTGO. C'est certainement ce qui nous préoccupe le plus pour le moment. Nous voulons vous signaler qu'il nous paraît très important de s'assurer que le système est suffisamment compétitif afin que les gens puissent prendre des décisions sans équivoque en matière d'investissement - non seulement les agriculteurs, mais également les entreprises céréalières et les compagnies de chemin de fer, ces dernières n'étant d'ailleurs peut-être pas capables d'agir aussi rapidement que les agriculteurs. Telle est, en tout cas, l'avis de notre organisation.
Notre autre préoccupation concerne la somme de 10c. par tonne que les compagnies de chemin de fer secondaires reçoivent pour l'ensemble du tonnage exporté à partir de l'Ouest pour maintenir leur présence sur le plan concurrentiel de la même façon qu'elles recevaient jusqu'à présent une somme identique dans le cadre de la subvention du Nid de Corbeau. Nous pensons que cela leur permet de survivre depuis plusieurs années et que cet argent leur a permis de devenir concurrentiel. Donc, dans la mesure où les agriculteurs doivent s'adapter ou parfois disparaître dans ces régions, les compagnies ferroviaires secondaires ne devraient certainement pas recevoir le moindre avantage par rapport à d'autres compagnies secondaires susceptibles d'êtres crées.
Pas plus tard que lors de la dernière fin de semaine, nous avons signalé au ministre que nous aimerions que l'on envisage une introduction progressive de ce programme. Il nous a dit qu'il sera peut-être possible de le faire cet automne. Nous pensons qu'une introduction progressive pourrait peut-être se faire sur la base de trois millions de dollars pendant l'année en cours, de deux millions, puis d'un million; ensuite, les gens devront se débrouiller.
Nous sommes heureux d'être associés à l'examen des embranchements. Nous pensons toutefois, en ce qui concerne les lignes en acier léger et à faible trafic, que cet examen fait un peu double emploi avec diverses études qui ont montré qu'il vaudrait mieux fermer ces lignes. Nous ne sommes pas contre le maintien des lignes secondaires ou l'existence des embranchements pour le transport des céréales. Nous sommes néanmoins d'accord avec le groupe de dirigeants agricoles que nous avons rencontré tout au long de l'hiver - jusqu'à la présentation du budget - et selon lequel les groupes et les dirigeants agricoles étaient tous en faveur du système le moins coûteux possible pour le transport du grain dans l'Ouest du Canada. Si des lignes secondaires reviennent moins cher, c'est elles qu'on devrait utiliser dans ces régions, et elles seront viables.
À l'heure actuelle, vu le nombre restreint de lignes - les 535 milles mentionnés dans la proposition de Marian Robson présentée dans le cadre du processus d'examen - nous trouvons un peu préoccupant qu'il ne soit pas fait mention de davantage de lignes et que l'on ne cherche pas à tirer parti des connaissances que détiennent les personnes ici présentes au lieu de s'intéresser aux lignes en acier léger à très faible trafic. Il ne s'agit pas ici de l'autre tiers d'embranchements que les lignes secondaires jugent en fait potentiellement viables.
Nous pensons que, si nous nous orientons vers l'adoption d'une structure concurrentielle, il faudra régler la question de la répartition et de la propriété des wagons. Si l'on conserve le système traditionnel de répartition, cela ne favorisera pas suffisamment la concurrence. Il est très difficile de privatiser une compagnie de chemin de fer comme le Canadien National et d'en tirer le plus d'argent possible - comme cela est nécessaire pour se retrouver dans une situation de concurrence - si l'on ne sait pas quelle réglementation s'appliquera à la répartition des wagons, et si le CN n'a pas son mot à dire au sujet de cette répartition alors qu'il y a tellement de wagons non attribués appartenant à divers organismes gouvernements dont on ne sait pas à qui ils appartiendront à l'avenir. À notre avis, il serait injuste de simplement en faire cadeau à quelqu'un parce que cela fausserait aussi le fonctionnement du marché.
Pour ce qui est des 300 millions de dollars de fonds d'adaptation pour la période de transition, nous pensons qu'il est sage d'indemniser les agriculteurs pour la mise en commun concernant la voie maritime. Nous sommes heureux de constater que le gouvernement a avancé la date prévue et que cela sera réglé, nous l'espérons, d'ici au 1er août. Nous avons signalé au ministre certaines distorsions du marché découlant du nouveau système de mise en commun; nos études nous donnent toutefois à penser que l'on a réglé 70 à 80 p. 100 des problèmes existants.
Cela crée néanmoins de nouvelles distorsions. Nous serons heureux de vous donner plus de détails à ce sujet si vous nous posez des questions, ainsi que sur le fait qu'une partie de cet argent est destiné au secteur du séchage. Nous pensons que les producteurs de plantes fourragères qui ne reçoivent aucune part de ce 1,6 milliard de dollars risquent également de se retrouver dans cette catégorie.
Nous reconnaissons que si l'on doit consacrer de l'argent au développement de l'infrastructure, il devrait être utilisé directement pour le réseau routier, si c'est dans ce secteur que doit porter le développement de l'infrastructure. Il ne faudrait pas que cela dépende de l'abandon des embranchements. C'est une chose qui nous inquiète dans le contexte de l'examen des embranchements. Je crois que les compagnies de chemin de fer trouvent également cela préoccupant. Nous avons l'impression qu'elles n'incluent pas davantage de lignes parce qu'elles ne savent pas avec suffisamment de certitude - on ne leur donne pas assez d'indications à ce sujet - quelle attitude on adoptera à leur sujet à l'avenir.
Nous pouvons parler brièvevement de Churchill. Selon nous, la situation est assez prometteuse si ce n'est pas aux agriculteurs que l'on demande d'assumer les coûts supplémentaires. Si le pays veut le faire, d'accord. On ne peut utiliser cette région pour le transport que pendant une période très brève. Les céréales en question peuvent certainement transiter par d'autres régions à un prix compétitif, et en beaucoup moins de temps.
Il serait nécessaire, à notre avis, d'établir de façon plus permanente un mécanisme permettant de régler certains de nos problèmes en matière de relations de travail qui nous font passer sur les marchés internationaux pour un fournisseur non fiable. Je fais principalement allusion à certains incidents sur la côte ouest au cours des dernières années. Je ne veux montrer personne du doigt mais il faut prendre une décision plus claire dans ce domaine.
Voilà donc ce que nous avions à dire à propos des questions qui nous paraissent critiques. En ce qui concerne, sur un plan plus positif, les possibilités qui s'offrent à nous, nous pensons que l'on pourrait parvenir, dans l'Ouest du Canada, à une diversification apportant plus de valeur ajoutée.
Nous pensons que certaines modifications doivent également intervenir dans des domaines reliés à la Commission canadienne du blé, dans la mesure où les plans opérationnels pluriannuels et les améliorations de l'efficacité doivent être effectués de concert. Il en est de même pour certaines autres réformes dans notre industrie, notamment pour ce qui est d'ouvrir le marché nord-américain afin que la concurrence soit plus active du côté des chemins de fer et de la manutention du grain afin d'atteindre le niveau de concurrence nécessaire. Nous savons que certaines lignes aux États-Unis sont très chères; mais nous savons aussi qu'il y a, à l'heure actuelle, du grain américain qui emprunte les voies canadiennes pour redescendre à Seattle et y être exporté.
J'ai brièvement abordé le dossier de la mise en commun. Il suffit de dire que la concurrence pourrait être plus active dans notre secteur si la Commission était prête, par exemple, à acheter du grain FAB aux ports quand elle a besoin d'un million de tonnes. Il en a déjà été question par le passé, mais la Commission a peut-être la possibilité de le faire si elle a besoin d'un million de tonnes d'une certaine sorte de céréale; elle pourrait lancer un appel d'offres. Les compagnies céréalières pourraient satisfaire ce besoin de façon concurrentielle au moyen de soumissions en s'entendant commercialement avec les compagnies de chemin de fer; elles pourraient offrir ces mesures incitatives aux agriculteurs pour qu'ils lui confient leur production. La Commission pourrait également le faire dans le cadre de son programme de passation de marchés.
Nous avons déjà un peu parlé de la valeur ajoutée. Nous pensons qu'il y a déjà eu, et qu'il y a encore, des augmentations dans le secteur du bétail. Comme dans le secteur des légumineuses fourragères et des oléagineux; le camionnage va également être plus actif que par le passé. C'est nécessaire pour renforcer la concurrence à l'intérieur du système.
Nous sommes heureux de constater que les décrets d'interdiction ont été annulés et que, ce faisant, on va élargir les taux incitatifs. Grâce aux progrès réalisés en ce qui concerne la LTN et grâce aux réformes, nous sommes optimistes. Ce qui s'est fait en matière de déréglementation nous paraît encourageant. Nous souhaitons certaines simplifications dans ce domaine ainsi qu'au plan des procédures d'abandon et de transfert, des droits de passage limité, des lignes secondaires, des préoccupations des expéditeurs au sujet des transporteurs publics et autres choses du genre.
En conclusion, il ne faut pas s'arrêter à mi-chemin si l'on veut changer la méthode de paiement et nous permettre d'être concurrentiels. Dans ce genre de situation, les agriculteurs payent toutes les factures. Ils trouvent donc étranges que les compagnies céréalières prétendent qu'il faut un tarif maximum pour les chemins de fer afin de remédier temporairement aux problèmes, et qu'elles ne se soient pas plaintes l'an dernier lorsque les taux maxima ont été supprimés des frais de manutention dans les silos portuaires. Cela ne s'appliquait que pour un an, et pourrait changer en juillet. Nous trouvons cela quelque peu préoccupant.
Nous craignons également que si l'on maintient des taux maxima pour les chemins de fer, les compagies céréalières n'aient pas de concurrence. Elles peuvent conserver leurs frais de manutention réglementés et continuer de prélever entre 9$ et 14$ par tonne auprès des agriculteurs pour la manutention du grain dans le réseau de silos que nous sommes obligés d'utiliser. Voilà une autre raison qui nous amène à penser que les agriculteurs devraient pouvoir choisir entre plusieurs options pour le transport de ces produits. Nous souhaitons avoir cette liberté en matière de commercialisation.
Nous savons que certains secteurs s'y opposent; nous pensons, toutefois que si nous voulons atteindre notre objectif final de transporter le matériau brut et les produits traités sur les marchés internationaux en profitant du système et des avantages dont nous disposons, il faudra ouvrir le marché.
Le président: Merci, monsieur Maguire.
Presque tout le monde pourra revenir vers 18h15 pour poser quelques questions. Nous devrions avoir fini à ce moment-là. La séance est levée jusqu'à la fin du vote.
PAUSE
Le président: Monsieur Maguire et madame Koch, nous voulons vous remercier de nous avoir permis d'aller voter. Nous tenons également à vous remercier pour vos observations liminaires et votre exposé.
Je vais donner la parole à M. Kerpan, s'il désire poser des questions.
M. Kerpan: Merci, monsieur le président.
Je veux d'abord dire que ce vote m'a un peu déprimé. En comptant les résultats d'hier soir, nous en sommes à 0 et 76 pour les deux derniers jours, mais nous allons remonter la pente.
Je remercie nos invités et je leur souhaite la bienvenue. J'ai trouvé votre exposé très intéressant. En fait, j'ai eu l'occasion de parcourir brièvement le texte écrit de votre mémoire.
Je m'intéresse en particulier aux compagnies de chemin de fer de ligne courte. Dans votre exposé, monsieur Maguire, vous avez parlé de beaucoup de choses comme l'abandon des lignes de chemin de fer. Le témoin qui vous a précédé en a parlé aussi. Comment pensez-vous que tout cela va se terminer? Pensez-vous qu'il serait possible d'avoir, plus particulièrement dans l'ouest du Canada, des compagnies de ligne courte privées? Pensez-vous que le gouvernement pourrait posséder les terrains où sont installées les voies? Comment pensez-vous que le système dans son ensemble devrait fonctionner? Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet?
M. Maguire: Pour le moment, il ne nous paraît pas nécessaire que le gouvernement en soit propriétaire. Il y a actuellement des droits de passage communs et il y a des préoccupations qui sont communes aux expéditeurs ainsi que d'autres qui concernent ces droits de passage. Certaines personnes, comme elles me l'ont signalé, se demandent parfois comment on peut laisser tout cela s'en aller à vau l'eau. Ils disent qu'il suffit de voir ce qui s'est passé aux États-Unis avec le Staggers Act. Tout le monde a perdu la tête et on a fermé tous les embranchements du jour au l'endemain. Il y a eu des changements énormes.
Le Staggers Act était fondamentalement destiné à permettre la fusion des compagnies de chemins de fer pour leur éviter de faire faillite. Il s'agissait de préserver un moyen pour les agriculteurs dans ces régions d'expédier leurs céréales.
Il y a eu des changements énormes aux États-Unis. J'ai toujours dit publiquement qu'il faut certainement tirer les leçons des erreurs commises par les Américains dans ce domaine et veiller à ce que nous ayons un système concurrentiel. Ils n'avaient ni un Office national des transports ni d'autres organismes offrant le type de protection dont nous jouissons déjà avec certains des mécanismes de transfert, les obligations imposées aux transporteurs publics et les droits de passage. Nous pouvons toujours nous appuyer là-dessus.
Oui, nous pensons que des personnes privées devraient pouvoir exploiter certaines de ces lignes secondaires à l'avenir. Nous préférerions que ce soit elles plutôt que les gouvernements. Nous pensons que si elles investissent leur argent dans ce genre d'activité, elles sauront mieux les gérer de façon compétitive.
M. Kerpan: L'autre question que j'avais concerne l'industrie du séchage. Vous avez signalé dans votre mémoire qu'elle devrait avoir droit à une petite partie, peut-être 3 p. 100, du fonds d'adaptation. J'ai évidemment eu des contacts avec un bon nombre de personnes actives dans ce secteur. Selon elles, le changement qui se produira le 1er août prochain aura de grosses répercussions sur elles. Qu'en pensez-vous? Ce chiffre de 3 p. 100 est-il vraiment le maximum que l'on puisse envisager ou devrait-on proposer à ce secteur une part un peu plus importante?
M. Maguire: Le ministre Goodale laisse certainement entendre qu'on leur a offert plus de 3 p. 100. Trois pour cent des 300 millions de dollars prévus pour le fonds d'adaptation pour la période de transition représenteraient 9 millions de dollars, bien entendu, et on leur a offert davantage. D'après certains des chiffres préliminaires que nous avons vus, c'est ce qu'on leur a offert au moins pour la première année la période transitoire de cinq ou six ans.
J'ai assisté à la dernière réunion du groupe des cadres supérieurs dont je fais maintenant partie, en même temps que quelques autres représentants d'organisations agricoles. On a cité différents chiffres, en parlant notamment d'un étalement sur cinq ou six ans. Le représentant de ce secteur a manifesté une certaine inquiétude mais il a certainement reconnu qu'il vallait mieux recevoir cet argent tout de suite.
Je vous dirai que oui, il y a eu deux répercussions. Sans doute le secteur du séchage, qui est très important, sera affecté par ces changements, tout comme les producteurs de blé. Le secteur du séchage a aussi été affecté lors de l'entrée en vigueur de la LTGO quand celle-ci a été appliquée à la luzerne granulée et au séchage. À ce moment-là, les principaux acheteurs de ces produits, les Japonais, ont fait baisser les prix de 10$ par tonne, ce qui correspondait exactement à ce qu'allait être l'augmentation du tarif de transport marchandise.
Je ne crois pas que le secteur du séchage sera complètement anéanti s'ils ne retire rien de cela, car les forces du marché s'adapteraient alors à la situation. Je pense que le secteur du séchage est surtout implanté - certainement pas au Manitoba où nous n'en avons que 4 ou 5 p. 100 - l'Alberta en a 55 à 60 p. 100, la Saskatchewan 40 à 35 p. 100, comme vous le savez. Ces provinces sont plus proches de Vancouver et donc des marchés d'outre-mer et des clients de la ceinture du Pacifique.
À notre avis, avec les frais de transport qui se montaient à 10$ et qui ont contribué, en quelque sorte, à renforcer ce secteur d'activité, celui-ci a dû se développer par ses propres moyens parce qu'il n'a pas pu obtenir beaucoup plus d'argent de ses clients. Ceux-ci, connaissant l'existence de la subvention, offraient moins pour le produit.
M. Kerpan: Un témoin qui est intervenu juste avant vous a présenté une image très négative, apocalyptique de la situation de l'ensemble de l'agriculture, au moins en ce qui concerne l'ouest du Canada. Ils prédisaient une catastrophe après le 1er août de cette année. J'aimerais connaître votre avis. Comment voyez-vous l'avenir? Êtes-vous optimiste? Après avoir entendu le témoin précédent, si jamais j'avais eu l'intention d'investir dans l'agriculture ou de rester agriculteur, j'abandonnerais ce secteur dès demain matin. Qu'en pensez-vous? Vous pourriez peut-être nous suggérer un ou deux changements à apporter aux programmes existants qui permettraient d'envisager l'agriculture avec plus d'optimisme.
M. Maguire: Nous sommes tout à fait d'accord avec le gouvernement pour dire qu'il y aura à l'avenir de nombreuses possibilités dans le domaine de l'agriculture, et que la situation va s'améliorer progressivement. Nous ne sommes pas du tout pessimistes. Nous sommes au contraire convaincus, comme je l'ai déjà dit, que de plus en plus, nous allons offrir des produits à valeur ajoutée.
Je reviens à l'exemple de la capacité des agriculteurs de s'adapter rapidement que j'ai cité en parlant avec certains de nos membres en Saskatchewan. Ils ont été fortement touchés en 1993 par la réorganisation et la modification du RARB - certains diraient même qu'on leur a carrément enlevé ce programme - puisque les paiements d'appoint spéciaux pour les grains disparaissaient. Les agriculteurs de la Saskatchewan se sont vite adaptés à la situation en essayant de produire un maximum de lentilles, de canola et de pois, et ils continuent d'ailleurs de le faire. Voilà le genre de choses qui pourra très bien se produire à l'avenir.
En Alberta, bien entendu, les éleveurs ont bénéficié d'autres mesures.
À long terme, les agriculteurs doivent simplement avoir une idée claire de la situation pour savoir si c'est le moment ou non d'investir, de façon à pouvoir se présenter devant leur banquier et lui dire: Voilà ce que vont être mes frais de transport à l'avenir. Voilà ce qu'il faut. J'ai besoin de capitaux pour investir dans une exploitation porcine, pour construire un parc d'engraissement ou pour acheter de nouvelles machines me permettant de cultiver des récoltes spéciales. Voilà le genre de choses qui va nous permettre d'ajouter de la valeur à nos produits.
Permettez-moi de vous donner quelques exemples précis: Cargill fait actuellement construire un moulin aplatisseur à Clavet qui aura une capacité de 2 000 tonnes par jour. Le Saskatchewan Wheat Pool double sa production de malt à Biggar, en Saskatchewan. Lakeside Feeders vient d'être rachetée par IBP, c'est-à-dire Iowa Beef Packers, une des plus grosses entreprises de conditionnement dans le monde - et ils sont en train de doubler leurs effectifs. Cargill double ses effectifs à High River. Les animaux peuvent être expédiés du Manitoba avec des nourrisseurs automatiques jusqu'à High River au tarif de 2c. la livre pour chaque chargement de produit fini.
L'industrie porcine se restructure jusqu'à un certain point; elle peut sans doute prendre encore de l'expansion. À notre avis, l'accord du GATT va sans doute être utile sur ce plan-là, puisqu'au lieu d'avoir accès à 2 p. 100, nous aurons désormais accès à 5 p. 100 dans certaines régions du monde où l'industrie porcine est susceptible d'accroître ses ventes. Donc, les marchés s'ouvrent de plus en plus.
Nous sommes tout à fait d'accord avec le gouvernement pour dire que de nouveaux débouchés se présentent dans les pays riverains du Pacifique, et notamment en Asie, pour le genre de produits que nous fabriquons. Nous avons d'ailleurs toujours préconisé ce changement. Les gens nous demandaient où nous comptions trouver de nouveaux débouchés. Il est vrai que la prévoyance n'était pas tellement notre fort par le passé - et moi, je n'étais pas plus prévoyant que les autres - mais nous sommes fermement convaincus maintenant que, vu les nouvelles tendances qui se manifestent sur le plan international, ces régions du monde ont les ressources financières nécessaires pour pouvoir acheter nos produits. Par conséquent, il convient d'intensifier le commerce entre le Canada et ces pays.
La politique qui nous semble la plus favorable, et qui nous permettrait, en tant que nation, de concrétiser ces projets, c'est celle qui consisterait à prévoir un mécanisme de temporisation pour ce qui est des tarifs maximaux de transport. Nous n'avons jamais été contre ces tarifs maximaux pour la période transitoire de cinq ans, et nous sommes toujours en faveur de cette formule, mais nous souhaiterions tout de même la mise en place d'un système commercial à ce moment-là.
J'ai eu l'occasion de présider les ateliers organisés par le Conseil des grains du Canada à l'automne dernier, dans cette même ville, lors de sa réunion semestrielle. Les participants aux dix ateliers m'ont dit d'annoncer en plénière que si nous devons absolument faire des changements au sein de l'industrie, c'est surtout pour pouvoir mieux suivre les tendances du marché et pour savoir où nous allons devoir investir. Qu'on parle de groupes agricoles, des chemins de fer, des sociétés céréalières ou des transformateurs, tous veulent savoir quelles vont être les nouvelles règles, et ensuite ils seront plus à même de faire des investissements. Car il y a en effet des gens et des entreprises qui sont prêts à faire de tels investissements.
L'autre élément qui, selon nous, va certainement nous permettre d'être plus compétitifs dans ce domaine concerne les porcs appelés FAB ou franco à bord avec lesquels traite la Commission canadienne du blé. Dans un mémoire présentant notre vision d'une commission restructurée que nous avons déposé en automne dernier - et nous avons également déposé un mémoire sur le transport des grains entre le Canada et les États-Unis devant la Commission mixte - nous avons affirmé que la Commission peut jouer un rôle sur le marché intérieur en Amérique du Nord - si c'est bien cela le marché intérieur - en vendant ses céréales sur ce marché au prix d'acquisition. Par le passé, il s'est toujours agi du prix initial dans le cadre de l'accord de commerce international ou des audiences sur le blé dur où nous avons eu gain de cause. Nous sommes fermement convaincus que la Commission peut jouer un rôle vis-à-vis des meuniers américains qui souhaitent acheter des céréales, de sorte que ces derniers puissent bénéficier d'un système dit à guichet unique.
Par contre, nous avons un peu d'appréhension au sujet de la possibilité d'un plafond comme ceux que nous avons connus au cours des 12 derniers mois. Nous savons à présent que les Américains ne peuvent pas invoquer l'article 22, et nous en sommes ravis. Nous avons donc fait des progrès. Nous sommes tout à fait d'accord avec les observations de l'ambassadeur Chrétien à Minneapolis le week-end dernier, qui disait que nous devons absolument défendre vigoureusement notre position auprès de M. Kantor aux États-Unis et exiger l'élimination de ce plafond.
Nous sommes fermement convaincus que si nous voulons vraiment créer un système compétitif au Canada qui va nous permettre de faire des investissements plus productifs et d'ajouter de la valeur à nos produits, nous devrons absolument envisager d'accroître la compétitivité de l'industrie en ouvrant davantage nos frontières et en accédant au système de manutention et au réseau ferroviaire américains. Ni l'un ni l'autre ne sont supérieurs aux nôtres mais il reste que les États-Unis sont un gros client.
Lorsque j'étais membre du comité consultatif de la Commission canadienne du blé, j'ai compris une chose très importante: celle-ci maintient que le client a toujours raison. Je sais qu'en l'occurrence, le client a également un gros bâton, mais il n'en reste pas moins que c'est un client riche, et que nous avons des produits de qualité à lui vendre.
Bon nombre de nos agriculteurs qui sont situés «près» de la frontière américaine.... Quand on dit «près», on peut penser qu'elle est à 20 ou à 30 milles, mais dans ma province, c'est-à-dire le Manitoba, la majeure partie de la production agricole a lieu dans un rayon de 280 milles; dans mon cas je suis à 240 milles de Swan River et à 40 milles de la frontière américaine. Donc, la majorité des produits manitobains peuvent facilement accéder au marché américain, soit par chemin de fer, soit par camion. C'est peut-être un peu plus compliqué à partir de Peace River, mais l'accès est tout de même excellent.
Nous souhaitons simplement qu'il existe des mesures d'arbitrage. Le marché américain ne va pas être inondé de céréales canadiennes si l'on ouvre davantage les frontières. Si les agriculteurs y vendent leurs produits maintenant, c'est parce que la Commission offre un programme de rachat en vertu duquel il faut livrer le produit dans un délai de deux mois. Mais s'il y a moins de formalités douanières, de sorte qu'on peut le livrer quand on veut, on peut davantage surveiller le marché, comme on le fait pour le canola, le lin et tous les autres produits qui sont négociés sur le marché libre qui existe ici au Canada. On peut obtenir une couverture, commercialiser ses produits, se protéger ou encore s'auto-assurer.
Aux États-Unis, il existe même maintenant des options sur le rendement dans certaines régions. Par exemple, cette année, tout l'État d'Iowa va produire du maïs cette année. Eh bien, nous voulons nous aussi être plus autonomes.
Excusez-moi de vous avoir fait une aussi longue réponse à votre question, que j'ai beaucoup appréciée.
Mme Cowling: J'ai une question à vous poser au sujet de la privatisation du CN. Nous nous penchons également sur cette question-là. Je me demande quelle est la position de votre organisation sur la nécessité d'avoir ou non un réseau ferroviaire d'un bout à l'autre du pays. Je crois comprendre que dans l'Ouest, les revenus du CN sont excellents mais qu'il y a un certain niveau d'interfinancement en direction de l'Est. Qu'en pensez-vous?
M. Maguire: Madame Cowling, nous avons observé une réduction très nette du volume de fret à l'est de Sherbrooke. Ça, c'est très clair. En ce qui nous concerne, si le produit était transporté à des tarifs concurrrentiels dans l'Ouest du pays, l'Est serait bien obligé de se débrouiller seul. À ce moment-là, nous n'aurions pas à subventionner d'autres régions du pays, ce qui nous semble normal. Si je peux vous résumer notre philosophie, il faut selon nous éliminer le plus possible tout ce qui entraîne une distorsion du marché afin que nous puissions vraiment devenir auto-suffusiants. Il en va de même pour la structure ferroviaire au Canada.
Le maintien d'une liaison ferroviaire d'un bout à l'autre du Canada n'est pas une garantie de succès, mais elle nous semble avantageuse en ce sens qu'elle nous garantit l'accès aux ports. Comme d'autres membres de l'industrie, nous estimons que pour acheminer nos produits vers les ports, il faut pouvoir passer par les ports de Montréal, de Vancouver et de Prince Rupert. Je devrais peut-être plutôt parler de la région du Saint-Laurent et de la côte Ouest, plutôt que de nommer des villes précises. Mais il reste qu'il existe des voies d'accès et que le coût du transport par ces voies d'accès sera plus concurrentiel à l'avenir. Si des expéditeurs individuels ou privés souhaitent acheminer leurs produits par le Sud, ou si la Commission du blé veut le faire, il me semble qu'ils devraient pouvoir le faire à l'occasion.
Mme Cowling: La question que je voudrais vous poser maintenant concerne la possibilité de dérèglementation après la modification de la Loi sur les transports nationaux, c'est-à-dire la création d'un marché entièrement libre. Pensez-vous que cela vaudrait la peine de s'assurer - étant donné que nous ignorons quel sera le climat après la dérèglementation - qu'il existe un organe de surveillance, composé de représentants de l'industrie et d'intervenants-clés, pour assurer que les intérêts des producteurs soient protégés?
M. Maguire: À notre avis, la démarche déjà prévue est probablement suffisante. Le groupe mis sur pied par le ministre comprend un bon nombre d'organismes agricoles et il est donc assez représentatif. Certains estiment que ce groupe de 40 personnes devrait tout simplement représenter l'industrie.
Pour ce qui est de la répartition et la propriété des wagons, on a laissé le soin aux représentants de l'industrie et du groupe des cadres supérieurs - auquel les organismes agricoles ne participaient pas au départ - de déterminer quel devrait être le système de répartition des wagons cette année. Ils ont décidé que pour la campagne agricole 1995-1996, on devrait maintenir le même système que l'an dernier. Voilà donc quelque chose qui nous préoccupe.
Nous étions en faveur de la proposition du gouvernement de déréglementer l'Office du transport du grain, si c'est bien cela qui était proposé.
Pour ce qui est de la protection des intérêts des agriculteurs, deux études sont prévues, dont l'une doit s'étendre sur la période d'élimination progressive de cinq ans, justement pour permettre d'examiner les changements et de voir quels sont les besoins. De plus, le projet de loi C-76 prévoit le réexamen de toute la structure entre le 1er janvier et le 31 décembre 1999. Il nous semble que ces deux examens devraient suffire.
Quant aux moyens de protéger les agriculteurs après la création des zones où s'appliqueront les tarifs de transports commerciaux, notre association est d'avis qu'il existe déjà un certain nombre d'organismes qui pourraient assumer ce rôle. Il y a tout d'abord les députés siégeant au Parlement. Ils pourraient se charger de protéger les intérêts des producteurs des Prairies.
Étant donné qu'il existe des associations comme la Fédération canadienne de l'agriculture, le Conseil des grains du Canada et d'autres organismes auxquels participent les membres de l'industrie, il sera probablement possible de parvenir à un consensus sur certaines de ces questions. Ces organismes pourront continuer de jouer un rôle consultatif.
Mme Cowling: Je pense que vous aurez du mal à répondre à cette question, mais j'aimerais savoir quel sera l'état de l'industrie agricole dans dix ans, d'après vous?
M. Maguire: J'ai déjà assez de mal à décider le régime d'assolement pour l'année prochaine.
Il va sans dire que, pour notre association, l'avenir présente de nombreuses possibilités. Comme je vous l'expliquais tout à l'heure, nous avons une main-d'oeuvre, des produits et une infrastructure de qualité élevée qui ont le potentiel d'être encore meilleurs.
J'ai parlé aux cultivateurs américains de blé dur à l'occasion d'une réunion tenue à Minot, dans le Dakota du Nord, en novembre dernier, et je leur ai dit que j'espérais que notre système serait un jour le système le plus efficace en Amérique du Nord et qu'ils souhaiteraient alors utiliser nos chemins de fer pour assurer le transport de leurs céréales. Comme je l'ai dit tout à l'heure, cela se produit déjà. Voilà donc notre objectif.
Le but ultime de notre association et des membres de l'industrie est de doubler la valeur des exportations de matières brutes et de produits transformés, pour atteindre 25 milliards de dollars d'ici l'an 2005. Voilà ce vers quoi nous aimerions progresser. Nous avons déjà doublé nos échanges avec les États-Unis depuis 1989. Les échanges de produits entre nos deux pays se montent à 14 milliards de dollars, répartis plus ou moins équitablement entre le Canada et les États-Unis. Donc, en ce qui nous concerne, le marché américain présente des possibilités intéressantes.
Nous espérons que les efforts déployés pour créer des mesures d'incitation et élimimer les règlements sont suffisants pour stimuler l'investissement, de sorte que les intervenants au Canada qui souhaitent investir dans des opérations de transformation puissent le faire sans avoir à dépendre au même degré de la bonne volonté de propriétaires américains. Nous trouvons rassurant que d'autres pays trouvent notre climat suffisamment positif pour venir faire des investissements. Nous travaillons dans un secteur où nous ne pouvons plus nous protéger autant que par le passé, étant donné que le pays se trouve confronté à un problème d'endettement et de déficit et à d'autres difficultés importantes.
À long terme, nous espérons réaliser notre objectif de 25 milliards d'exportations de matières premières et de produits transformés, transformer davantage, et arriver à exporter des produits plus diversifiés que par le passé.
Mme Alanna Koch (directrice exécutive, Western Canadian Wheat Growers Association): À mon avis, il est fort probable que les agriculteurs deviendront davantage maîtres de leur destin au cours des dix prochaines années. À l'heure actuelle, les agriculteurs commencent à exiger qu'on leur donne plus de choix pour ce qui est de la commercialisation et du transport de leurs produits. Ils commencent à acheminer leurs produits par camion et envisagent d'utiliser le réseau ferroviaire américain. Donc, au cours des dix prochaines années, ces tendances sont susceptibles de s'intensifier.
Dans dix ans, vous allez voir que l'on aura davantage recours au marché à terme, aux opérations de couverture, aux options, etc. Nous espérons également qu'il y aura plus de choix en ce qui concerne les céréales prises en charge par la Commission, de sorte que le blé et l'orge fassent également partie des choix. Donc, les agriculteurs seront plus autonomes, davantage maîtres de leur destin.
Le président suppléant (M. Collins): Monsieur Kerpan, avez-vous d'autres questions à poser?
M. Kerpan: Oui, j'en ai beaucoup. Si vous étiez comme notre autre président, vous souhaiteriez en poser vous-même.
Le président suppléant (M. Collins): Je vais le faire, mais plutôt à la fin.
M. Kerpan: Je voudrais également aborder la question des problèmes de main-d'oeuvre et de relations de travail dont nous avons beaucoup souffert dans l'industrie, comme vous le savez aussi bien que moi - on dirait même que ces problèmes ont toujours été présents. Chaque foid qu'il y a un problème de main-d'oeuvre, qu'il s'agisse d'une grève des employés des chemins de fer ou des employés des ports, il y a toujours un tiers qui devient une victime innocente - il s'agit en l'occurrence de l'expéditeur, qui est normalement l'agriculteur ou les entreprises de déshydratation de la luzerne. Comme vous le savez sans doute, le ministère à l'intention de créer une commission en vue de régler ces problèmes une fois pour toutes.
J'aimerais vous demander de nous parler de quelques éléments ou quelques mécanismes - je sais que vous avez parlé, par exemple, de l'arbitrage des propositions finales - qui permettraient, à votre avis, de régler les problèmes de main-d'oeuvre qui durent depuis si longtemps. Je sais que nous ne sommes pas là pour parler de relations de travail, mais si nous voulons adopter une vue d'ensemble, il reste que c'est un élément important dont il faut tenir compte.
M. Maguire: Oui, c'est effectivement un élément important, parce que nous devons être considérés comme des fournisseurs fiables de tous les produits dont je viens de vous parler. Si nous ne réussissons pas à améliorer les relations patronales-syndicales, nous n'allons jamais pouvoir garantir la continuité et la fiabilité de nos services; voilà ce qui nous préoccupe.
Nous nous sommes demandés si le transport des céréales devrait être désigné un service essentiel ou s'il convient de prévoir un mécanisme d'arbitrage des propositions finales pour ce genre de différends. À notre avis, si le marché nous permet de savoir quelle décision nous devons prendre en matière d'investissement, et si tout ce qui peux entraîner une distorsion du marché est éliminé, je suppose que ces difficultés patronales-syndicales représentent une autre raison pour laquelle nous devons pouvoir recourir à d'autres moyens pour faire transporter nos produits. C'est une autre raison pour laquelle nous souhaitons que la commission et le secteur des transports fassent l'objet des mêmes réformes qui touchent actuellement l'industrie.
Si c'est le cas, et si les syndicats estiment qu'ils ont été maltraités par la direction, alors que cette dernière est frustrée parce qu'elle ne peut obtenir ce qu'elle veut, j'ai l'impression que si ces gens-là n'avaient pas la garantie que nos produits passeraient par eux, ils seraient peut-être disposés à envisager d'autres solutions. Ils pourraient peut-être se mettre davantage à la place de l'agriculteur qui se sent totalement impuissant lorsque ce genre de choses se produit.
Le fait est qu'il existe des solutions de rechange, mais les programmes actuels ne nous permettent pas de nous en prévaloir.
M. Kerpan: Quand vous parlez d'autres solutions de rechange, je suppose que vous parlez du recours à un réseau d'expédition américain ou peut-être aux ports américains dans le cas d'un conflit de travail. C'est bien cela?
M. Maguire: Oui, cela nous est déjà arrivé. Je pense que la Commission l'a déjà fait aussi. Quand nous avons expédié nos produits par le Port de Seattle il y a quelques années, nous avons eu des problèmes en raison d'une infestation d'insectes dans les bateaux.
Le fait est qu'il est déjà arrivé à la Commission canadienne du blé de passer par les États-Unis. Elle a conclu des contrats pour acheter de l'orge pour répondre aux besoins de clients en Californie. Et elle continue d'acheter de l'orge sur le marché pour répondre aux besoins du meilleur client pour ce produit, à savoir le Japon.
De plus, j'ai lu dans le journal la semaine dernière que les responsables de la Commission disaient que son accès aux produits ici n'est pas suffisant et qu'il faut par conséquent lui permettre de recourir au commerce privé pour acheter de l'orge, afin que nous soyons en mesure de répondre à la demande à l'export. Eh bien, le prix initial est très loin de celui du marché privé. Donc, si la Commission a l'intention de s'adresser à l'industrie privée pour acheter des produits, je me demande pourquoi moi, qui suis agriculteur, j'accepterais de payer des frais de manutention de 11$ la tonne pour l'orge entretemps, de sorte que si je rachète mon produit à la Commission canadienne du blé pour l'expédier aux États-Unis, je me vois obligé de payer des frais de manutention et de transport au Canada pour avoir droit au paiement final, alors que si je charge le wagon de producteur, au moins je n'ai pas à payer les frais de manutention...? Si je le fais transporter aux États-Unis, je finis par payer deux fois. Je paye les frais de transport et de manutention pour le faire acheminer au marché, plus les frais de transport et de manutention du système dont je ne me suis même pas servi, afin que quelqu'un d'autre puisse faire transporter plus de céréales à ma place.
Dans sa forme actuelle, le système conduit à toutes sortes de situations absurdes. Même si les agriculteurs ont l'impression d'être un peu protégés par certains mécanismes, j'ai aussi l'impression qu'ils sont de moins en moins disposés à accepter que ces mécanismes continuent d'exister.
J'ai eu l'occasion de me rendre au Kansas au début de l'hiver où nous avons parlé de concurrence avec certains céréaliers et chemins de fer américains. Ils nous ont demandé s'il y avait des possibilités d'acheter du grain dans le sud de la Saskatchewan et du Manitoba. Nous étions persuadés que oui.
Des études effectuées par la Commission canadienne du blé ont fait ressortir qu'il en coûte parfois 2 à 3$ de moins la tonne pour acheminer du grain par le rail jusqu'à la Nouvelle-Orléans, sans même parler du Mississippi, alors qu'on nous oblige à passer par Thunder Bay, par le Saint-Laurent ou par Vancouver. Nous aimerions, bien sûr, que le plus de grain possible soit acheminé par le Canada. Il nous est cependant difficile d'admettre que cela reste obligatoire pour le blé et l'orge lorsqu'on sait que tous les autres produits cultivés peuvent traverser la frontière librement...
Du maïs est importé au Canada pour l'alimentation du bétail. Il provient de Minneapolis et passe sous le nez du producteur d'orge du Montana. Ce producteur sait bien que de l'orge a été exporté vers le Sud l'année dernière et que du maïs est acheminé vers le Nord cette année, mais il reste qu'il a un permis qui l'oblige à exporter son orge au Canada. Les équivalents en subvention à la production pour l'orge sont de 2:1 en notre faveur. Les États-Unis subventionnent leur production d'orge deux fois plus que nous. Cela ne change rien au fait que l'orge valait plus au début de l'hiver en Alberta qu'au Montana.
Il y a donc bien des anomalies et il se fait beaucoup d'arbitrage. Si nous voulons avoir l'occasion de faire des affaires là-bas, nous devons reconnaître que ce ne peut pas être à notre seul avantage.
M. Kerpan: L'autre question que je me pose est la suivante: Quelle influence aura la réforme de la Commission canadienne du blé sur l'avenir de notre industrie après le 1er août? Qu'est-ce qu'elle devrait englober? Quel genre de réforme faudrait-il, selon vous, pour qu'il y ait ouverture des marchés?
M. Maguire: Nous avons indiqué dans le document dans lequel nous décrivions notre vision l'automne dernier que nous aimerions avoir une Commission restructurée. Nous aimerions qu'elle soit dirigée non plus par un commissaire, mais plutôt par un président directeur général duquel on pourrait exiger des comptes. Nous continuons à penser que des agriculteurs pourraient être nommés au conseil d'administration afin que les agriculteurs y soient représentés directement. Nous pensons aussi que la Commission devrait pouvoir vendre aux États-Unis, comme nous l'avons dit, en fonction du prix d'achat. Nous croyons aussi qu'elle pourrait continuer à administrer un programme de contrats du genre de celui qui existe actuellement. Si les agriculteurs veulent vendre leurs produits à la Commission pour qu'elle les vende pour eux, cela pourrait se faire au moyen d'un mécanisme contractuel.
Je suppose que j'ai un parti pris parce que je faisais partie du comité consultatif qui a examiné la question et proposé un tel système. Je sais qu'il n'est pas populaire auprès de tout le monde, mais l'objectif de la Commission est de vendre du grain au nom des agriculteurs, et elle devrait vendre le grain que les agriculteurs lui demandent de vendre pour eux. Si, en tant qu'agriculteur, je ne veux pas qu'elle vende ce grain pour moi, libre à moi de trouver un autre marché pour l'écouler.
Nous sommes d'avis que l'obligation de passer par la Commission entrave le développement de l'industrie la transformation dans l'Ouest du Canada. Bien sûr, la modification des tarifs de transport va entraîner des changements, mais pour l'instant, dans le cas de l'orge, les agriculteurs voient bien que le prix est d'environ 1,20$ de plus le boisseau dans le sud de l'Alberta si on ne passe pas par la Commission. Il n'y a pas à se demander ce qu'ils vont faire avec leurs céréales.
M. Kerpan: Ces contrats devraient-ils être élargis pour englober les légumineuses, le canola et d'autres cultures du genre?
M. Maguire: Non, pas pour le moment. Ces marchés semblent fonctionner plutôt bien. Il y a des débouchés pour les pois et il va y avoir des contrats à terme à la bourse de Winnipeg cet été. Bien entendu, il peut y avoir des problèmes au départ, mais c'est toujours le cas. Nous aimerions quand même continuer à promouvoir l'idée pour que les agriculteurs puissent non seulement conclure eux-mêmes des contrats pour leurs propres produits, mais aussi pouvoir compter sur un marché - et pas nécessairement pour spéculer - de manière à réaliser des profits lorsqu'ils sauront quels sont leurs coûts de production. Nous avons aussi besoin d'un marché des options viable pour qu'ils puissent vendre une certaine partie de leur production tout en couvrant leurs coûts.
Le président suppléant (M. Collins): J'aurais une ou deux observations à faire. Tout d'abord, je suis content de voir que vous êtes plutôt optimistes. Je pense que ceux qui veulent mettre la tête dans le sable en se contentant de dire que tout s'en va à la dérive - vont probablement prendre le même bord. Je dois vous féliciter. Les observations que vous avez faites au sujet des possibilités qui s'offrent et de l'orientation à prendre sont positives. J'ai lu certaines de vos notes qui ont été reproduites dans un document que j'ai ici et je les trouve vraiment très positives elles aussi.
Lorsque nous avons parlé des lignes courtes, nous avons rencontré un représentant de RailTex - que vous connaissez peut-être de nom - qui est venu nous faire un exposé. Il est très intéressé par ce qui se passe au Manitoba, dans votre province, et en Saskatchewan, ma province, et, selon lui, il faut se demander, avant de faire quoi que ce soit au sujet des lignes courtes, si cela est faisable, si elles servent à quelque chose. Faudrait-il s'en défaire?
Cela dit, pour le moment, les chemins de fer ne sont pas très enthousiastes à l'idée d'abandonner leurs lignes secondaires. En fait, ils seraient prêts à en abandonner 500 milles quand il faudrait peut-être plutôt songer à 2 000 milles. J'ai lu dans le rapport du vérificateur général que la somme de 10 000$ serait un coût raisonnable par mille si on envisageait une telle réduction.
Que pensez-vous de l'abandon de lignes? C'est une vraie énigme. D'une part, pendant de nombreuses années, les chemins de fer n'ont pas cessé de dire que si seulement ils pouvaient se débarrasser de telle ou telle ligne - . Tout à coup, l'occasion leur en est offerte, et ils reculent.
M. Maguire: On a certainement peur d'aller puiser 10 000$ dans les économies - et c'est en fait le chiffre auquel on en est arrivé. Il était plus élevé au départ, au moment des réunions avec les dirigeants agricoles et dans les études qui ont été faites... Cette somme a été ramenée à environ 10 000$ au ministère des Transports parce qu'on pense qu'en fermant un mille de ligne secondaire, on déduit 10 000$ de la base des coûts. Il ne restera alors pas grand-chose.
J'admets que les lignes à matériel roulant léger et à faible volume sont tributaires du transport du grain sur une distance de 6 280 milles dans les prairies et qu'un tiers à peu près de ces lignes se situaient dans cette fourchette de 1 600 à 1 800 milles et étaient coûteuses. Nous avons toujours pensé qu'il faudrait peut-être s'en défaire, mais selon le scénario voulant que l'argent ainsi économisé reviendrait aux chemins de fer qui pourraient réduire le coût du système ailleurs.
C'est à peu près toujours le même chiffre qui est ressorti des recherches portant sur les grains de semence et d'autres études, soit une économie de 3$ la tonne sur les 1 600 milles de lignes secondaires où les coûts de transport sont élevés. La somme de 3$ la tonne pour tous les agriculteurs représenterait actuellement une économie assez substantielle sur le plan du transport, s'il avait pu en être ainsi. Cette somme serait un peu moins élevée selon le scénario d'aujourd'hui, car ces chiffres datent de quelques années.
Nous pensons que quelque chose devrait pouvoir être fait au sujet de ces embranchements, comme je l'ai dit tout à l'heure. Nous doutons cependant que la somme de 10 000$ pour chaque mille d'embranchement va être suffisamment intéressante pour inciter les chemins de fer à offrir d'abandonner des lignes. Nous voulons que nos chemins de fer soient compétitifs, qu'ils ne soient plus obligées d'exploiter certaines lignes lorsque les ordonnances d'interdiction auront été levées et que des tarifs d'encouragement seront versés et qu'ils ne soient plus forcés, en raison de leurs obligations de transporteurs publics, d'offrir des services sur une ligne qui continue à desservir une région alors même qu'il en coûterait moins cher de transporter le grain de cette région par camion.
Nous avons certaines réserves. Nous voudrions que les embranchements qui sont viables comme ligne courte soient maintenus. Nous pensons cependant que les embranchements dont mêmes les compagnies de ligne courte ne veulent pas devraient cesser d'être exploités. Il est essentiel de créer les économies dont l'industrie a besoin.
Les économies dont je veux parler sont possibles grâce à l'utilisation du matériel roulant, d'une part, et à l'utilisation de nos locomotives, d'autre part. Lorsqu'on pense qu'il faudrait pouvoir accueillir 26 ou 52 wagons - et aucune entreprise céréalière ne va construire un terminal qui ne pourra pas accueillir un jour 52 wagons, et peut-être même 102 - c'est tout dire. Il se pourrait que plus de grain doive être transporté par camion dans certaines régions, mais tout le grain est déjà acheminé par la route en ce moment et nous croyons que le rail demeure le moyen le plus économique de l'acheminer vers les ports céréaliers.
Je vais remonter un peu en arrière. Les chemins de fer de ligne courte ne sont pas intéressés par les voies où le volume n'est pas de 1 600 à 1 700 tonnes par mille. Ils ne les trouvent pas viables. Il y a bien des voies qui n'entrent pas dans cette catégorie, qui ne figurent pas parmi les 535 voies qui ont été classées par les chemins de fer. J'ai l'impression qu'il n'y en a qu'une ou deux qui ont une capacité supérieure à 2 000 tonnes ou qui pourraient être viables.
Si c'est le cas, pourquoi ne pas fermer ces lignes, pourquoi ne pas apporter les ajustements qui s'imposent?
Si nous devons utiliser un processus d'examen, celui de Mme Robson, pour envisager la restructuration de certaines de ces lignes, prenons alors le tiers suivant, le tiers du milieu. Les lignes pourraient probablement être classées en trois tiers. Le premier tiers correspondrait à celles qui sont viables, le tiers du bas à celles qui devraient être abandonnées sur le champ et le tiers du milieu à celles qui devraient faire l'objet d'un examen.
Le président suppléant (M. Collins): Le problème, c'est que lorsqu'on s'en sera défait, ce sera pour toujours. Il y a des trançons de lignes qui ont été abandonnés dans ma région, et cela n'a aucun sens. Il faut maintenant revenir jusqu'à Brandon pour acheminer des marchandises jusqu'à Regina alors qu'on aurait pu aller directement d'Arcola à Regina. Il y a un tronçon qui a été éliminé entre Arcola et Stoughton.
À cause du comité, on a envisagé d'imposer des droits de circulation sur les lignes d'autres chemins de fer. Je pense que vous avez raison. Peu importe la décision qui sera prise, il faudra vivre avec.
La SARM craint qu'une bonne partie des chaussées et de l'infrastructure routière - dans la circonscription de M. Kerpan comme dans la mienne, j'en suis sûr - et que nos routes secondaires ne répondent tout simplement pas aux normes. Nous avons perdu un pont dans la région d'Estevan où le transport se faisait par camion. La route a été pulvérisée parce qu'il n'y avait pas de couche de base. Je dirais que c'est toute une combinaison de facteurs.
J'ai vu que vous aviez discuté d'un arrangement qui ferait appel à une infrastructure routière. Lorsqu'il sera question des lignes secondaires, j'espère que tous les intervenants comme vous et RailTex, qui ont une idée assez claire de la situation, auront leur mot à dire afin que la bonne décision soit prise.
La SARM, la Saskatchewan Association of Rural Municipalities, est très préoccupée. Elle a présenté une bonne proposition. Je suppose qu'elle a fait certaines études préliminaires. Je sais que ses membres s'intéressent de près à la question.
Vous avez raison - il a utilisé un chiffre approximatif de 2 000 tonnes par mille. J'ai trouvé intéressant de voir qu'il a pu arriver à réduire le nombre d'employés de 47 sur un tronçon de la voie, tout en desservant de façon productive cette région.
Pour en revenir à ce que M. Kerpan disait, lorsqu'on se demandera si on va pouvoir ou non utiliser un corridor sud, si on va utiliser le port de Churchill, si on va utiliser l'ouest ou l'est pour que le système fonctionne le mieux, alors les patrons et les syndiqués vont sûrement devoir figurer parmi les principaux intervenants.
Comment pensez-vous que les syndicats - et je sais que la question a déjà été posée - réagiront à l'idée d'un arbitrage des positions finales? Ces syndicats sauront que, quoi qu'ils fassent, le jour viendra où il y aura un arbitrage définitif.
Dans le secteur du rail, après huit ans, un travailleur est assuré d'un emploi à vie. C'est incroyable. Certains de ceux qui ont pris ces décisions n'avaient pas à payer la facture. Je suis sûr que ce n'étaient pas des agriculteurs pour la plupart. Comment assurer - et je félicite la SARM qui va rencontrer ces gens en juillet - qu'on va leur faire comprendre la réalité? Dans quatre ans d'ici, les agriculteurs vont continuer à cultiver leurs terres, mais ils ne sont pas certains qu'ils vont expédier leurs produits via les ports où travaillent ces syndiqués. Comment expliquer cela à la direction et aux travailleurs? Je pense qu'il va tous falloir nous y mettre.
M. Maguire: Au lieu d'utiliser la force, on pourrait offrir un plus grand nombre d'options aux agriculteurs, par exemple leur faciliter l'accès aux États-Unis. L'une des raisons pour lesquelles les chemins de fer ne veulent pas renoncer à certains de ces embranchements, surtout en Ontario et en Saskatchewan, c'est parce qu'ils ont des droits de succession. C'est pourquoi un problème se pose. Même si un chemin de fer de ligne courte était prêt à exploiter un embranchement, il ne pourrait pas réduire le nombre des syndiqués de 101 à 47 à cause de droits de succession qui l'obligent à fournir un emploi à chacun, même s'il n'a pas besoin de tout le monde.
Nous savons qu'il y aura certains ajustements, une restructuration et des débouchés dans des cas de ce genre. Les chemins de fer secondaires, s'ils reprennent ces lignes, pourraient être une entrave. Bien sûr, il y a aussi l'accès aux États-Unis. Pendant des années et des années, nous nous sommes dits qu'il fallait assurer les services essentiels et qu'il fallait faire ceci ou cela pour s'assurer que tout passe par le port de Vancouver. Le temps est peut-être venu d'envisager d'autres possibilités. Je ne pointe pas Vancouver du doigt. Thunder Bay s'en est très bien sorti aussi, récemment, étant donné la concurrence dans l'Est.
Je comprends ceux qui disent qu'il nous faut une formule faite au Canada. J'essaie de résister à la concurrence des Américains depuis 1949 pour ce qui est de l'achat de machines agricoles. Il y a un va-et-vient à la frontière tous les jours. Et si vous croyez que cela ne fait rien de voir les Américains... À peu près tous les tracteurs à quatre roues motrices et les moissonneuses-batteuses vendus aux enchères dans le sud des Prairies au cours des dernières années sont allés aux États-Unis parce que leur dollar vaut plus cher. Et le marché demeure pourtant concurrentiel. En janvier dernier, j'aurais pu acheter aux États-Unis - malgré le taux de change de 1,44$ - une moissonneuse-batteuse à un coût moindre qu'au Canada. C'est ce qui arrive. Ce sont des anomalies.
Une autre anomalie pourrait être de faire pousser de l'avoine dans les Prairies où les tarifs marchandises sont élevés. J'en fais pousser pour la première fois cette année en 23 ans. Mon exploitation agricole va probablement essuyer un revers à cause des tarifs élevés après tout cela. J'ai toujours pensé qu'on ne pouvait pas faire pousser en grande quantité des grains de faible valeur dans cette région. Mais j'ai décidé d'en cultiver cette année parce que j'ai pu conclure un marché en dollars américains pour de l'avoine qui va être exportée à l'automne prochain. Je savais quels allaient être mes coûts de production, de livraison et de douane. Une semaine plus tard, une entreprise canadienne m'a offert le prix équivalent en dollars canadiens et j'ai conclu un marché avec elle aussi.
C'est là le genre de signaux dont nous avons besoin en matière d'investissement. Au lieu de nous laisser dire que nous ne pouvons pas faire ceci ou cela, nous aimerions avoir plus d'options. Nous aimerions que les agriculteurs aient davantage leur mot à dire sur le point de livraison de leurs produits.
Le président suppléant (M. Collins): J'ai peur que nous finissions par vendre notre âme au diable. Nous pourrions alors nous apercevoir qu'il est trop tard et qu'il n'y a pas moyen de revenir en arrière. Faites attention que les décisions prises ne jouent pas en votre défaveur.
Je vais vous donner un exemple. J'ai lu un article dans The Western Producer oùM. Galvin - que vous connaissez de nom, j'en suis certain - des États-Unis disait qu'on envisage un programme de subventions de l'ordre de 900 millions de dollars, même avec M. Gingrich. Il faut soutenir la concurrence de ces gens qui continuent à penser que de tels programmes sont essentiels. Je ne sais pas à quel rythme les choses vont changer.
Je me demande ce que vous pensez du fait que des subventions de ce genre soient versées à des gens dont vous devrez soutenir la concurrence, malgré la différence de valeur du dollar. Ces gens ne s'aperçoivent pas que...? Eh bien, ils vont finir par s'en apercevoir parce que des pressions vont aussi s'exercer sur eux à un moment donné. Ils devront se joindre à l'Organisation mondiale du commerce.
M. Maguire: Nous partageons vos craintes. Ils sont très puissants.
J'étais à Washington en février lorsque M. Lugar a annoncé à Toronto qu'on allait réduire de15 milliards de dollars le programme agricole américain. Ils ont un programme d'alimentation de36 milliards de dollars dans les écoles aux États-Unis. Cette somme correspond à notre déficit pour une année.
Nous nous inquiétons au sujet du dollar. Les États-Unis sont un client précieux et un pays riche. Ils sont précieux pour nous en ce sens, mais ils sont aussi très puissants.
Cela me ramène à ce que je disais tout à l'heure à propos de la nécessité de ne pas tomber dans le même piège que les Américains lorsqu'ils ont adopté la Staggers Act et tout fichu en l'air. Ce n'est pas ce que je propose. Notre association ne propose pas tout simplement de tout ficher en l'air. Nous voulons nous assurer qu'on continuera à respecter les règles, qu'on va favoriser la concurrence ici au Canada. Nous pouvons faire en sorte que les choses continuent à bien aller ici.
À mesure que le programme de subventions aux exportations sera éliminé, nous croyons qu'il faudra apporter certains changements à nos structures, mais nous pensons aussi que nous aurions une longueur d'avance sur les Américains si nous procédions plus vite sur notre propre terrain.
Nous répugnons à dire aux entreprises céréalières qu'elles peuvent fermer leur silos et qu'elles n'ont pas à attendre que le gouvernement prenne une décision au sujet des voies ferrées pour ne pas être blâmées de la fermeture d'un silo. Elles pourraient aller de l'avant et en fermer. J'ai été délégué du Manitoba Pool Elevators et je sais ce que c'est que d'aller essayer de fermer les élévateurs à grain. C'est l'une des choses les plus difficiles à faire comme agriculteur local et j'imagine que c'est la même chose pour les politiciens.
Si nous prenons les décisions qu'il faut, nous allons pouvoir nous tailler une place sur les marchés étrangers. Mais nous connaissons les préoccupations des Américains. Nous les sentons présents. Nous voulons les traiter comme un client qui veut notre produit. Nous ne voulons certainement pas les en détourner. Nous pensons pouvoir soutenir leur concurrence acre pour acre et profiter des avantages que nous avons sur le plan du climat.
Le président suppléant (M. Collins): Je tiens à vous remercier, monsieur Maguire et madame Koch, de vous être libérés pour venir nous rencontrer. Nous avons beaucoup apprécié votre exposé et nous attendons avec impatience vos commentaires. Le moment est venu d'apporter des changements réels. Vos idées et vos suggestions nous seront utiles dans nos travaux.
M. Maguire: Est-ce que je peux faire une dernière observation? Dans notre industrie, nous devons essayer de nous serrer les coudes. Nous allons devoir essayer de travailler en collaboration dans un certain nombre de secteurs. Tant que nous allons continuer à être tournés vers nous-mêmes sans tenir compte des autres, nous ne pourrons pas avoir un système qui fera l'envie de l'Amérique du Nord, qui sera concurrentiel et qui pourra attirer les expéditeurs américains, le cas échéant.
Je dis cela en pensant aux tarifs maximums imposés aux entreprises céréalières. On ne peut pas dire que cela va pour certains si on n'est pas prêt à accepter la même chose pour soi. Si nous arrivons à nous serrer les coudes et à faire front commun comme un pays, la demande pour nos produits va augmenter et nous n'aurons plus à nous battre constamment pour que ceux des Prairies se vendent, comme c'est le cas depuis un certain temps.
C'est l'observation que je tenais à faire en terminant.
Le président suppléant (M. Collins): Merci beaucoup.
La séance est levée.