[Enregistrement électronique]
Le jeudi 1er juin 1995
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte.
Au nom du comité, je tiens à souhaiter la bienvenue au professeur Renaud.
Comme vous le savez sans doute nous examinons de façon générale les conséquences économiques de l'immigration au Canada et de notre politique sur l'immigration. Notre point de départ était le rapport Diminishing Returns, quoique nous n'étudions pas ce document exclusivement. Nous espérons rédiger un rapport à la fin de nos travaux et faire quelques commentaires qui seront utiles au Parlement, et par le biais du Parlement, au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.
J'aimerais également souhaiter la bienvenue à M. St-Laurent qui se joint à notre groupe. Nous sommes heureux de le voir siéger avec nous au nom du Bloc québécois.
Monsieur Renaud, vous avez la parole.
[Français]
M. Jean Renaud (professeur, Université de Montréal, témoignage à titre personnel): Je ne vous parlerai pas du rapport Diminishing Returns, car je ne le connais pas.
Je vais vous parler d'une enquête que j'ai réalisée, que j'ai continué à mener et qui porte sur l'établissement massif à Montréal des nouveaux immigrants au Québec. En vous parlant de cette enquête, je pourrai vous dire comment les immigrants s'établissent, à quelle vitesse ils le font et quels problèmes ils rencontrent.
J'ai pensé, d'une part, vous parler de l'enquête pour que vous en ayez une idée claire et ensuite vous parler de deux thèmes que j'ai choisis parmi l'ensemble de ceux dont je pourrais vous parler. Ces thèmes sont l'établissement en emploi des immigrants et ce qui leur arrive pendant ces épisodes. On va rapidement passer sur ces points-là.
Il s'agit d'une enquête sur un échantillon d'immigrants qui sont arrivés au Canada en 1989, avec le Québec comme province de destination. Ils sont arrivés visa en main et ils ont été choisis pour l'échantillonnage au poste frontière. Il n'y avait pas parmi eux de revendicateurs du statut de réfugié et de gens qui demandaient le statut d'immigrant sur le sol canadien; ils l'avaient déjà au moment de leur arrivée. C'est un échantillon de 1 000 personnes adultes âgées de 18 ans et plus qu'on a réussi à retrouver un an plus tard dans la région de Montréal.
C'est un échantillon d'individus, et non de ménages ou de familles. Certaines familles ont eu plus d'un répondant. Les gens qui ont été interviewés n'étaient pas uniquement des gens qui se cherchaient un emploi. Il s'agissait d'adultes au sens large du mot, soit 18 ans et plus.
Les immigrants en question ont été interviewés trois fois: une première fois à la fin de la première année, à l'été 1990, une seconde fois à la fin de la deuxième année, en 1991, et une troisième fois en 1992. Les entrevues ont eu lieu en 24 langues différentes. La langue de l'entrevue était au choix du répondant, l'idée générale étant qu'il fallait que l'interviewé soit à l'aise pour répondre au questionnaire, de sorte qu'on ne perdrait pas les cas qui avaient le plus de difficulté à s'établir.
Une autre vague d'entrevues est prévue lorsque ces personnes-là auront été au Canada depuis huit à dix ans. Donc, avant la fin du siècle, on retrouvera les personnes interviewées. Le questionnaire permettait de saisir la dynamique de l'établissement. Nous sommes allés chercher l'ensemble des épisodes d'emploi qu'ils ont vécus, avec les dates de début et de fin ainsi que les caractéristiques de chacun des emplois. La même chose fut faite pour les logements, pour les contacts avec les sytèmes d'éducation, les cours à temps partiel, les cours à temps plein, les cours de COFI au Québec, de sorte que nous sommes capables de saisir dans quel ordre se produisent les choses et dans quelle mesure un changement dans une chaîne d'établissement provoque un changement dans une autre chaîne.
Je vais vous parler essentiellement de deux chaînes, celle des emplois et celle des épisodes sans emploi. Vous trouverez une description des autres dans les deux documents qui vous ont été distribués, de même que des analyses plus approfondies. J'ai laissé à Margaret Young des copies d'une série d'articles qui ont été produits à partir de ces données-là et qui analysent des aspects particuliers plus en détail.
Il s'agit d'un échantillonnage de personnes qui arrivent au Québec, et non dans le reste du Canada. Au Québec, on a des institutions de prise en charge un peu différentes. Par exemple, le Québec a des COFI, des Centres d'orientation et de formation des immmigrants, ce qui n'existe pas ailleurs au Canada. À Toronto, l'argent est plutôt dirigé vers les associations ethniques pour assurer l'établissement. Donc, il y a des différences en termes des institutions de prise en charge.
Par ailleurs, les normes sociales, le contexte économique et les règles du marché font que les processus que vivent les personnes à Montréal sont à toutes fins pratiques identiques à ceux qui sont vécus à Toronto et à Vancouver en termes d'établissement.
Quelques éléments diffèrent lorsque c'est lié à des institutions particulières, mais sans plus, de sorte que les résultats de ces études sont en bonne partie généralisables à l'établissement des immigrants dans l'ensemble du Canada. Par exemple, nous avons fait quelques comparaisons avec l'Australie. Ce qui se passe au Québec ressemble fort à ce qui se passe dans ce pays pour la partie qui est connue.
Passons rapidement au thème numéro 2, soit les nouveaux immigrants et l'emploi.
[Traduction]
Le président: Vous n'avez pas besoin de vous dépêcher. Vous pouvez prendre votre temps.
[Français]
M. Renaud: D'accord. On n'a pas l'habitude quotidienne de ces choses. Donc, je vous décris très rapidement la cohorte qui a été prise en considération dans l'étude. C'est une cohorte d'immigrants arrivés au Québec en 1989, visa en main. Ces immigrants avaient, pour la plupart, une scolarité universitaire. Très peu n'avaient que le primaire.
C'est une cohorte qui est massivement constituée d'indépendants, de personnes qui arrivent et qui ont une valeur de marché, si on peut dire. Pour ce qui est de la deuxième catégorie, il s'agissait d'immigrants de la catégorie de la famille, qui étaient deux fois moins nombreux que les indépendants. Quant à la troisième catégorie, il s'agissait de réfugiés, et il ne faut pas oublier que c'était des réfugiés qui arrivaient visa en main et qu'il n'y avait donc pas de demandeurs de statut de réfugié.
L'étude que je vais vous décrire sera marquée par le fait qu'il y a une cohorte massive d'indépendants. On va voir qu'il y a des différences entre les trois grands groupes en termes d'établissement. Dans ma présentation, je démontrerai ces caractéristiques des trois grands groupes de catégories d'admission afin qu'on réalise que les politiques canadienne et québécoise de sélection fonctionnent ou portent des fruits.
[Traduction]
M. Hanger (Calgary-Nord-Est): Simplement en guise de précision, lorsque vous nous avez montré le graphique précédent, vous avez dit que la catégorie des réfugiés n'avait que des visas. Qu'entendiez-vous par cela?
[Français]
M. Renaud: Ceux qui ont été interviewés avaient déjà un visa au moment où ils sont arrivés au Canada. Ce ne sont pas des demandeurs de statut de réfugié au Canada, mais des gens qui avaient déjà ce statut, donc des gens sélectionnés dans des camps de réfugiés à l'étranger. Ils sont arrivés comme réfugiés et savaient, le jour où ils sont arrivés, qu'ils avaient le statut d'immigrant.
[Traduction]
M. Hanger: Ils ont été choisis par le ministère de l'Immigration du Québec à l'étranger?
[Français]
M. Renaud: Oui. Je ne sais pas si vous connaissez les différences entre le Québec et le Canada. Le Canada a des agents à l'étranger qui font la sélection d'indépendants et de réfugiés. Parmi les personnes retenues par le Canada, le Québec peut effectuer un choix. Quant à la famille, comme cela suit à peu près les mêmes règles, il n'y a pas une grosse sélection à faire.
Passons au thème 2. L'emploi est la chose la plus fondamentale pour la très vaste partie des immigrants, parce que c'est ce qui leur donne leur indépendance économique et leur permet de commencer à s'établir.
Ce qu'il faut regarder, c'est la vitesse à laquelle ils obtiennent leur premier emploi. Vous avez ici un graphique que je vous présente rapidement. Cela représente les semaines. La semaine 0 est la semaine où ils posent le pied sur le sol canadien et la semaine 140, c'est 140 semaines plus tard. Vous avez ici le temps qui coule et, sur l'autre axe, la proportion des gens qui n'ont pas encore obtenu un emploi.
Au moment de l'arrivée, 100 p. 100 des personnes n'ont pas eu d'emploi et, tranquillement, on se trouve un premier emploi, de sorte qu'au bout de 140 semaines, de 15 à 20 p. 100 des gens n'ont pas encore eu un premier emploi.
Plus les courbes sont vers le bas, plus le processus se produit rapidement. Ici, on voit essentiellement les indépendants qui obtiennent un premier emploi plus rapidement. Il faut compter environ 12 semaines pour que 50 p. 100 des indépendants obtiennent un emploi. Donc, en 12 semaines, 50 p.100 des indépendants ont eu leur premier emploi. Par contre, il faut compter 40 semaines pour que 50 p. 100 des réfugiés se trouvent un premier emploi. La vitesse d'établissement varie d'une catégorie à l'autre, et ceux qui s'établissent le plus rapidement sont les indépendants, suivis des familles et des réfugiés.
J'ajouterai une note sur les réfugiés. Les réfugiés accèdent, pendant une certaine période, plus lentement aux emplois parce qu'ils suivent des cours d'orientation et de formation des immigrants au Québec, où ils apprenent à la fois la langue française et la langue anglaise comme langue seconde. Ce n'est pas une politique mais plutôt la pratique. Ils se familiarisent avec le fonctionnement des institutions canadiennes et québécoises. Donc, il faut faire attention: le retard des réfugiés à obtenir un premier emploi n'est pas leur faute; il est plutôt attribuable, en partie, à une contrainte institutionnelle.
Cependant, une fois qu'ils sont sortis du COFI, les réfugiés rejoignent les indépendants, de sorte qu'à long terme, les trois groupes ne sont que légèrement différenciés et les retards se rattrapent.
Cela décrit l'accès à un premier emploi. Donc, on voit déjà que la catégorie d'admission joue sur le premier emploi. Les gens peuvent avoir un premier emploi, le perdre, en avoir un deuxième, le reperdre, en avoir un troisième, etc., de sorte qu'il faut regarder l'ensemble des emplois à chacune des semaines pour avoir une image globale.
Si on reste dans la catégorie d'admission, voici ce que cela donne. Cette fois, vous avez toujours les semaines et ici, c'est le pourcentage de gens qui, une semaine donnée, avaient un emploi. On voit qu'au tout début, environ 16 p. 100 des indépendants travaillent dès la première semaine et ont, en tout temps, un taux d'emploi plus élevé que les deux autres catégories. Les familles et les réfugiés finissent par se rejoindre. Cependant, en ce qui a trait aux indépendants, ils sont plus efficaces en termes de capacité de se trouver un emploi.
Il faut aussi voir, en regardant ces schémas-là, que ce ne sont pas 100 p. 100 des gens qui veulent travailler. C'est un échantillonnage de population adulte et, parmi cette population, il y en a qui sont aux études et qui ne sont donc pas en train de se chercher un emploi. Il y en a qui sont à la retraite et d'autres qui élèvent une famille. Donc, le taux de 60 p. 100 correspond en gros au taux de présence des adultes au Québec à cette période-là sur le marché du travail. Il faut un an pour que les immigrants l'atteignent et après la semaine 40 ou 50, c'est stable à un niveau...
[Traduction]
M. Dromisky (Thunder Bay - Atikokan): Quel est le pourcentage de femmes dans cet échantillonnage?
[Français]
M. Renaud: J'y arrive. Voilà le même schéma selon le sexe. Cela représente l'état de la société. Ce n'est pas une difficulté chez les femmes. Elles ont aussi tendance à élever les enfants. On en fait moins, mais on en fait encore.
Donc, les hommes sont plus en emploi que les femmes, mais remarquez que les hommes ont accès à l'emploi beaucoup plus rapidement que les femmes.
Si j'en ai le temps, je vous reparlerai de la division au sein des couples. Nous avons pu observer que lorsque l'homme n'a pas de travail, cela accroît la pression sur la femme pour aller travailler. On peut voir ce phénomène à l'oeuvre avec ce genre d'analyse.
[Traduction]
M. Dromisky: Pourriez-vous nous dire quel genre d'emplois ces gens ont trouvés?
[Français]
M. Renaud: Oui, je vais y arriver dans quelques minutes.
Pour finir de brosser le portrait de l'emploi chez les nouveaux immigrants, sur une fenêtre de trois ans, nous avons le même genre de graphique, mais cette fois-ci avec la scolarité.
La catégorie de ceux qui n'ont qu'une scolarité primaire éprouve une difficulté monstrueuse tout au long du processus. Ils sont en bas, systématiquement et de façon permanente, pendant les trois années d'observation, alors que les gens qui ont une scolarité universitaire et postsecondaire ont beaucoup plus facilement accès au travail. Ils accèdent plus rapidement au travail et ils s'y maintiennent à des taux élevés.
Ce que je vous montre là a un défaut. J'avoue que ce n'est qu'une vision synthèse. Avec cette vision, on ne sait plus si c'est le premier ou le trentième emploi d'une personne qui constitue la chose. Donc, on ne sait trop si la personne arrive en emploi et y reste ou si, au contraire, elle accède à un emploi et le perd, en retrouve un autre et le reperd, etc. A-t-on affaire à un système de petite misère ou à une histoire heureuse et simple d'établissement?
[Traduction]
Le président: Pourrions-nous revenir au graphique? L'attaché de recherche m'a demandé la permission de poser une question, si le comité ne s'y oppose pas.
M. Kevin Kerr (attaché de recherche du comité): Puis-je vous demander un éclair- cissement? Est-ce que ce tableau ne représente que les immigrants qui cherchent du travail - c'est-à-dire, des gens qui sont considérés comme faisant partie du marché du travail - ou est-ce qu'il représente l'échantillonnage au complet?
[Français]
M. Renaud: C'est l'ensemble de l'échantillonnage, qu'ils soient à la recherche active d'un emploi ou pas. Cent pour cent représente 1 000 personnes. Il n'y a pas la distinction standard des études de chômage, où on demande aux gens s'ils sont en recherche active d'emploi.
Chaque année, alors qu'on interviewait des personnes, on revenait sur l'année qui venait de se terminer. On ne peut pas se souvenir si on avait l'intention ou non de se chercher un emploi pendant une semaine donnée, de sorte que cela nous apparaissait plus sobre, plus simple et plus ferme comme résultat que le souvenir de: «quand j'ai commencé à me chercher un emploi».
Je disais que les graphiques qu'on vient de voir ont la vertu de montrer les taux généraux d'établissement. En général, la première année passée, les immigrants ont un emploi. Dans quelques catégories, celles des réfugiés et des gens qui ont une scolarité primaire, les gens ont plus de difficulté à obtenir des forts taux, mais en général, pour les grandes catégories sélectionnées, cela fonctionne.
Il faut maintenant que je vous donne l'image contraire, en quelque sorte. On ne peut pas dire que cela ne fonctionne pas, mais ils doivent y mettre beaucoup d'efforts. C'est une histoire de travail et de recherche d'emploi.
Le graphique suivant représente la séquence des emplois qu'ils ont eus. Je vous le présente rapidement pour essayer de rendre la chose claire. ARR signifie «arrivée», J signifie «job», en français d'avant la loi 101, et N signifie «no job».
Ce graphique-ci représente la probabilité d'avoir connu une série d'itinéraires d'emploi. Si on fait des projections, on constate que 17 p. 100 des gens n'obtiendront pas d'emploi dans un avenir prévisible. Donc, 17 p. 100 n'auront pas d'emploi à long terme, ce qui ne veut pas dire qu'ils en cherchent un pour autant. Le reste, soit 83 p. 100, se trouvera un premier emploi.
Parmi ceux qui ont un premier emploi, 19 p. 100 vont le garder pendant tout le temps qu'on peut prévoir. C'est un établissement heureux et c'est l'image de la facilité qui est donnée. Par exemple, c'est le professeur d'université qui est embauché immédiatement et qui conserve son emploi. Vous remarquerez que c'est l'itinéraire le plus important. Tous les autres itinéraires, dont la probabilité est donnée en fin de parcours, sont moins importants. L'itinéraire unique le plus important est une histoire heureuse. La personne arrive, se trouve un emploi et le conserve pour tout le temps qu'on peut prévoir, c'est-à-dire une fenêtre d'observation de trois ans.
Par ailleurs, un autre groupe va perdre son emploi. Onze pour cent vont demeurer dans le système sans deuxième emploi dans un avenir prévisible, alors que d'autres personnes vont passer du premier emploi au deuxième emploi directement, sans épisode intermédiaire de chômage. Vous remarquerez que l'itinéraire le plus important est celui du 19 p. 100 et le deuxième, celui du 15 p. 100, ce dernier représentant le passage de l'emploi au non-emploi et de nouveau à l'emploi. C'est une histoire d'investissement de la part de l'immigrant, et les choses ne sont pas stabilisées dès le départ.
Je ne vous décrirai pas l'ensemble des autres itinéraires, car ce serait trop long, mais vous remarquerez qu'ils sont relativement nombreux et peu fréquents. Il se produit un ensemble de patterns. Tous les cheminements et les itinéraires possibles existent avec deux cas, l'un marqué d'une histoire heureuse pour les 19 p. 100 qui restent dans le premier emploi et une histoire plus complexe pour les gens qui vont et viennent. Ces taux d'emploi sont faits d'histoires de va-et-vient sur le marché du travail.
Vous allez trouver une description très détaillée dans chacun des deux documents avec des graphiques qui, en général, n'ont pas besoin d'être traduits. Cela se lit mieux. Je n'ai apporté qu'une image ou deux pour donner une idée globale de l'établissement.
Si on prend le revenu médian hebdomadaire des personnes, cela donne ceci. Les gens qui, au début, travaillent, sont des personnes ayant déjà un emploi; ils ont donc un revenu plus élevé. D'autres, au tout début, avaient un revenu; ils avaient en général un emploi qui les attendait. Le revenu est ainsi plus élevé. Ensuite, apparaissent des gens qui se sont trouvé des emplois.
Au fil des trois années d'observation, il y a une croissance du revenu hebdomadaire médian. J'aurais pu vous décrire la même chose dans le cas du statut socio-économique de l'emploi, avec l'évolution du nombre de personnes qui supervisent ainsi qu'une foule d'indicateurs. L'image globale fait que, dans l'ensemble, les emplois sont légèrement inférieurs à la moyenne canadienne, mais il y a une progression notable sur trois ans, de sorte qu'à long terme, on peut espérer que les gens vont pouvoir avoir des emplois correspondant aux emplois typiques de la société canadienne.
Je prends beaucoup de temps. Vous ne me battrez pas trop?
[Traduction]
Le président: Non. Imaginez que nous sommes vos étudiants les moins doués, et cela vous donnera une idée de la période de temps pendant laquelle vous pourrez retenir notre attention. Nous ne sommes pas les vedettes de la Chambre des communes, ici. Si vous êtes sur le point de conclure, soit, mais je ne veux pas que vous omettiez quelque chose qui...
[Français]
M. Renaud: Je suis aux deux tiers de ma présentation.
[Traduction]
Le président: D'accord.
[Français]
M. Renaud: On peut rapidement faire une synthèse de ce que les immigrants pensent du travail qu'ils ont. Premièrement, on leur demandait s'ils avaient un travail plus qualifié, également qualifié ou moins qualifié par rapport à celui qu'ils avaient antérieurement. Vous remarquerez que 50 p. 100 des gens ont répondu qu'ils avaient un travail moins qualifié qu'auparavant, et que 30 p. 100 en avaient un également qualifié.
Vous avez trois colonnes qui représentent l'observation préliminaire, deux ans et trois ans d'observations. Les personnes elles-mêmes perçoivent relativement peu d'évolution au fil du temps. On a, par ailleurs, fait des études sur les mesures objectives sur leur emploi antérieur et leur emploi d'aujourd'hui, ce qui donne une autre image.
[Traduction]
M. Hanger: Avant que le témoin ne passe au prochain graphique, je voudrais lui demander d'expliquer non seulement les trois années, mais aussi les divisions à l'intérieur de chaque année. Je ne comprends pas tout ce qui est indiqué là.
[Français]
M. Renaud: La question posée aux immigrants, au moment de l'enquête à chacune des années, était: Est-ce que l'emploi que vous avez aujourd'hui, au moment de l'enquête, est un emploi plus qualifié, également qualifié ou moins qualifié que celui que vous aviez avant de venir au Canada? Le sentiment général des immigrants était que l'emploi qu'ils ont aujourd'hui était moins qualifié que celui qu'ils avaient auparavant.
On leur demandait aussi: Est-ce que vous faites un travail qui ressemble à celui que vous faisiez antérieurement à l'étranger? Encore une fois, de 30 à 40 p. 100, selon les années, font le même genre de travail. Les gens font, en partie, le même travail ou un travail différent de celui qu'ils faisaient antérieurement, ce qui indique, en termes d'établissement, qu'une réadaptation et un nouvel apprentissage sont nécessaires pour s'ajuster au travail qui est fait ici.
Revenons à mon plan global et passons au point 3: les sources de revenu lors d'épisodes sans emploi. Ce que je vous ai décrit jusqu'à maintenant, c'est une histoire de personnes qui ont ou non un travail. Il faut comprendre que l'immigration n'est pas une histoire d'individus; c'est une histoire de familles, de couples, comme nous-mêmes dans nos emplois. Le soutien économique vient d'un partage, c'est-à-dire du conjoint autant que de soi-même. Les deux n'ont pas nécessairement besoin de travailler simultanément.
Une première image de cela peut être donnée par cette acétate qui représente toujours le temps. C'est la proportion de ménages qui n'ont pas encore un revenu d'emploi. Vous remarquerez que lorsqu'on tient compte du ménage, et non pas de l'individu, dans le cas des personnes avec un conjoint, la première semaine, il y en a déjà 40 p. 100 qui ont un revenu d'emploi dans le ménage, même si eux-mêmes ne travaillent pas, alors que pour les gens sans conjoint, la chose est plus lente.
Qu'arrive-t-il dans les épisodes sans emploi, du point du vue du ménage et non pas de l'individu, parce que le ménage est l'unité économique réelle? Les gens se servent d'abord de sources de revenus qu'on pourrait appeler privées. On distingue les trois catégories d'admission selon la couleur.
Dans le cas des immigrants «familles», l'emploi du conjoint est la principale source de revenu du ménage. C'est beaucoup moins important chez les indépendants et, à plus forte raison, chez les réfugiés.
À l'opposé, dans les épisodes de non-emploi, de 75 à 80 p. 100 des indépendants se servent de leurs économies. C'est la principale source de revenu au moment d'un épisode de non-emploi dans le cas des indépendants.
Il y a aussi deux sources vraiment privées ou quasi privées liées à la parenté. Vous remarquerez que les immigrants «familles» se servent plus du soutien des parents que ne le font les indépendants et beaucoup plus du parrain. Cela arrive beaucoup moins souvent dans le cas des indépendants parrainés. Enfin, les revenus de retraite sont une quantité absolument négligeable partout. Cela existe, mais nous passerons là-dessus rapidement.
Du côté des sources de revenu qui proviennent de paiements de transferts, de sources gouvernementales, nous avons l'image suivante. Les réfugiés ont touché, pendant leur première année au Québec, d'abord et avant tout des revenus du COFI, des paiements pour suivre un cours de formation et d'orientation pour immigrants. La chose existe aussi dans les autres catégories, mais de façon beaucoup moins importante.
Le gouvernement fédéral subvient aux besoins des réfugiés, mais soutient les deux autres directement par des subsides dans le cadre d'un programme spécial pour les réfugiés. En ce qui a trait aux allocations familiales, la seule condition à remplir, c'est d'avoir des enfants. Cela veut simplement dire que les indépendants en ont plus.
L'aide sociale est touchée par les trois catégories et, en plus forte proportion, par les indépendants. Les revenus d'études autres que du COFI, c'est-à-dire les bourses et autres choses de ce genre, n'existent à peu près pas. L'assurance-chômage n'existe pas au tout début, mais apparaît en cours de route pour les gens qui ont travaillé suffisamment longtemps.
Ces deux graphiques donnent une image de l'importance de la source première pour subvenir aux besoins des immigrants, soit leurs économies. Cela est d'autant plus vrai chez les indépendants et chez les familles.
On peut se demander comment tout cet ensemble est structuré. Voici un graphique, appelé: «Une analyse factorielle des correspondances - Technologies françaises» qui présente les variables côte à côte si elles cooccurrent fréquemment. Plus la cooccurrence est forte, plus les deux variables sont mises côte à côte. Plus la cooccurrence est faible, plus les catégories sont éloignées.
Vous avez ici la catégorie des indépendants, la catégorie des familles et la catégorie des réfugiés. Il faut voir que nous avons trois constellations de sources de revenus.
Les indépendants tirent leur source de revenu, en période de non-emploi, de leurs économies personnelles. Les familles tirent leur source de revenu de l'emploi du conjoint, de l'aide de parents et de parrains, tandis que les réfugiés tirent leur source de revenu du gouvernement fédéral et de revenus du COFI. Les épisodes de non-emploi sont financés de façons différentes, selon les catégories d'admission.
Nous avons posé une question aux immigrants: «Avez-vous plus d'économies, autant d'économies ou moins d'économies aujourd'hui, au moment de l'enquête, temps 1, temps 2 et temps 3, qu'au moment de votre arrivée?»
Voici ce que cela a donné. Vous remarquerez qu'il s'agit de gens qui disent avoir autant d'économies. Visiblement, les économies ont été grugées jusqu'à la fin de la deuxième année, mais les gens, en plus grand nombre, disent avoir autant d'économies à la troisième année d'établissement.
Il y a plus d'économies qu'auparavant. C'est donc une histoire de prospérité. C'est une chose qui se produit dès le début et qui se maintient. Il y a plus d'économies et autant d'économies. C'est vrai pour la majorité des immigrants et c'est une chose qui va croissant.
Pour les gens qui ont moins d'économies, la difficulté économique d'établissement au niveau individuel semble se présenter la deuxième année. C'est là qu'il y a le plus grand nombre de gens qui disent avoir beaucoup moins d'économies qu'auparavant.
Je présente la dernière acétate. Pour conclure, nous avons posé la question suivante aux immigrants: «Est-ce que vous jugez que votre situation d'aujourd'hui s'est améliorée par rapport au jour de votre arrivée?» La première année, une très forte majorité nous a dit oui.
Aux temps 2 et 3, alors que leurs emplois vont mieux, alors qu'ils commencent à se stabiliser en résidence, en emploi, etc., le sentiment était qu'ils allaient moins bien aujourd'hui qu'au moment de leur arrivée. Il y a donc un problème d'adaptation. La première année, cela va bien parce que c'est un choc, mais on finit par se dire qu'après tout, on a droit à mieux que cela.
Voilà ce que je voulais vous présenter. J'aimerais vous rappeler que je peux vous transmettre d'autres détails en plus grand nombre dans les deux documents et une série d'articles qui analysent la dynamique d'établissement sur les chaînes d'emploi et d'autres chaînes.
[Traduction]
Le président: Nous allons commencer avec M. St-Laurent.
[Français]
M. St-Laurent (Manicouagan): J'aimerais d'abord établir une chose. Dans votre document, Le portrait d'un processus, à la page 18, vous parlez des effectifs sous observation à chaque semaine. Voulez-vous dire que vous avez commencé par 1 000 personnes et que la 140e ou la 160e semaine, vous n'aviez presque plus personne à interroger? Y avait-il toujours 1 000 personnes?
M. Renaud: J'ai commencé avec 1 000 personnes et l'entrevue le plus hâtive qui a été faite l'a été à la 32e semaine d'établissement, de sorte que jusqu'à la 32e semaine, 1 000 personnes ont été interviewées sur tout.
Donc, 1 000 personnes ont été interviewées lors de la première vague d'observation et ont fourni des données entre la 32e semaine et la 63e semaine d'observation. On ne pouvait pas réussir à les interviewer tous à la fois.
Au temps 2, nous sommes retournés auprès des mêmes personnes et, cette fois-ci, des 1 000 premières, 729 ont accepté de répondre la deuxième année. La perte s'explique par le fait que des gens ont migré ailleurs au Canada. Ces gens représentent au maximum 10 p. 100 de l'échantillonnage, mais il faudrait les retrouver. Nous ne les avons pas retrouvés.
On a pu découvrir, en parlant à des voisins, à des amis et à des gens de la même association ethnique, qu'un certain pourcentage d'entre eux étaient parti. D'autres ont tout simplement décidé que répondre au questionnaire ne leur rapporterait rien personnellement. Ils avaient parfois l'impression que c'était une obligation quasiment légale que d'y répondre la première année, mais ils se sont rendu compte qu'il n'était pas nécessaire qu'ils y répondent une deuxième fois. Vous savez qu'on reçoit des sondages à n'en plus finir. Le nombre de participants a baissé à 729.
La troisième année, nous avons eu des problèmes de financement. J'ai dû me limiter à 500 entrevues. Si vous regardez le schéma jusqu'à la 140e semaine, vous voyez que cela représente au moins 500 personnes. Ensuite, l'entrevue la plus longue qui a été faite en termes de délai entre l'arrivée et le moment d'observation portait sur 160 semaines.
Comme on va prendre contact à nouveau avec les mêmes personnes en 1998 et 1999, ce qui tombe là va remonter. Sur trois ans, avec les observations que nous avons, on ne peut pas parler de plus de 140 semaines.
M. St-Laurent: Dans votre analyse, tenez-vous compte du facteur nostalgie? Vous avez parlé d'une période de choc. Moi, je me dis: Tout nouveau tout beau. On entre dans un nouveau pays et tout est merveilleux mais, au bout d'un certain temps, peut-être un an ou deux, il y a une période de nostalgie qui s'intalle: «Notre pays était meilleur que le leur.» Est-ce que, dans votre analyse, vous avez une échelle d'évaluation qui permet d'analyser ce processus?
M. Renaud: Non. L'ensemble du questionnaire porte sur des données objectives, sauf cinq ou six questions, dont vous avez vu la moitié, qui sont basées sur une évaluation subjective.
Quand on veut mesurer la nostalgie ou l'état psychologique de l'immigrant, on se heurte à un important problème: on a affaire à des gens qui viennent de 110 pays différents, de cultures extrêmement variées, de sorte que quand on leur demande une opinion sur des choses générales, ou bien on ne sait pas si leur réponse sera un reflet de leur culture, ou bien ils ne se sentent pas capables de dire quoi que ce soit. Il est extrêmement difficile, en début d'établissement, d'aller chercher des données psychosociales. On s'est limités à l'objectif.
M. St-Laurent: Plus tôt, vous avez parlé du taux relatif de chômage des immigrants dans votre groupe d'analyse. À quoi ressemble le chômage chez les immigrants par rapport au chômage chez les Québécois ou les Canadiens de souche?
M. Renaud: Je ne peux pas faire de comparaison directe parce que je n'ai pas la dimension «se chercher un emploi dans le mois qui précède». Cela est nécessaire pour comparer correctement les données à l'indice de chômage standard.
Par ailleurs, on peut voir que les taux en emploi semblent à peu près équivalents chez les immigrants et le reste des Canadiens établis.
L'impact du chômage semble jouer chez eux comme il joue dans la population normale. L'une de nos analyses consistait à examiner l'impact du chômage sur la capacité de se trouver un emploi et l'impact du chômage sur la capacité de le garder. Les fluctuations du taux de chômage affectent la capacité d'entrer dans la chaîne d'emploi. C'est un problème qui équivaut à celui des jeunes diplômés. Là-dessus, ils sont semblables.
Une fois qu'ils ont un emploi, selon les fluctuations du taux de chômage, on aurait pu penser que, comme il sont les derniers rentrés, ils seraient les premiers sortis. Les fluctuations du taux de chômage n'accroissent pas la probabilité qu'ils perdent leur emploi une fois qu'ils en ont un. Cela ressemble beaucoup au processus normal.
M. St-Laurent: Quant aux secteurs d'activités, y en a-t-il dans lesquels on retrouve davantage les immigrants? On en voit beaucoup dans la restauration, etc. Est-ce que cela dépend de la scolarité?
M. Renaud: Cela dépend de la scolarité. Il faut voir l'image des immigrants souvent véhiculée par les médias. On a l'image des immigrants qui posent problème parce qu'ils demandent du soutien. On pense à la restauration, aux manufactures où on dit qu'ils sont parfois exploités.
Globalement, les immigrants se retrouvent dans une variété très large de secteurs industriels et de types d'emploi. Il n'y a pas de poches où ils sont fortement concentrés. En bonne partie, on a un échantillonnage composé d'indépendants de scolarité souvent universitaire. Donc, on couvre vraiment l'ensemble du spectre.
Ils occupent, dans 12 ou 15 p. 100 des cas, des emplois qui exigent une préparation professionnelle de dix ans et plus, ou encore, ils sont souvent dans des entreprises de 11 à 100 employés.
Ils sont salariés. La catégorie des gens à leur compte augmente perceptiblement au fil du temps. Au fond, ils sont le reflet de la société montréalaise.
M. St-Laurent: Il n'y a pas de poche, comme vous l'avez dit. Il n'y a pas de secteur privilégié où on retrouve 40 p. 100 des immigrants. Ils sont étalés à peu près également partout dans la société, comme vous et moi.
M. Renaud: C'est aussi simple que cela. Cependant, ce n'est pas l'image qu'on a d'eux habituellement.
M. St-Laurent: Effectivement.
M. Renaud: Il faut comprendre d'où vient l'image. Les gens heureux n'ont pas d'histoire. Vous ne faites pas les manchettes et vous ne faites pas partie de groupes de pression parce que vous avez été accepté comme immigrant et parce que vous avez obtenu un emploi comme professeur d'université ou comme ingénieur dans une firme. On n'entend pas parler de ceux-là. On entend parler des gens qui ont besoin d'aide, qui ont besoin de bâtir des groupes de pression. C'est la minorité qui fait de l'action politique.
M. St-Laurent: Je ne suis pas tellement d'accord avec vous. Il n'y a pas beaucoup de politiciens qui vont être d'accord sur le fait que les gens heureux ne font pas d'histoires; nous sommes heureux et nous cherchons à faire l'histoire aussi.
Les avez-vous interrogés sur leur qualité de vie actuelle et leur qualité de vie avant qu'ils arrivent au pays, même si on pourrait penser qu'ils quittent leur pays parce qu'ils y sont moins bien? Quelquefois c'est en rapport avec la famille qui, elle, a d'abord fait le premier pas, etc.
M. Renaud: On n'a pas grand-chose là-dessus. Tout ce qu'on a, ce sont des trucs sur les indicateurs de consommation, qui nous indiquent fort peu de chose par rapport au pays d'origine. On n'a pas grand-chose sur l'aspect du bien-être par rapport au pays d'origine.
M. St-Laurent: Ce sera tout pour le moment.
[Traduction]
M. Mayfield (Cariboo - Chilcotin): J'apprécie beaucoup votre enthousiasme et l'infor- mation que vous nous avez donnée. Une question m'est venue à l'esprit en vous écoutant. Est-ce qu'il y a beaucoup d'immigrants qui regrettent d'être venus au Canada et qui retournent chez eux ou vont ailleurs? Est-ce qu'il y a des échecs? Quel serait le taux d'échec?
[Français]
M. Renaud: Ils existent. Nous ne sommes pas certains de la proportion, mais l'échantillonnage a évolué de 1 000 à 729 personnes entre la première année et la deuxième année. Je crois qu'il y a eu, au total, deux retours au pays. Le reste, ce sont des gens qui ont migré ailleurs au Canada ou qui ont refusé de répondre.
À très court terme, les retours au pays ne semblent pas exister, ce qui ne veut pas dire que dans cette cohorte... Par ailleurs, cela existe, mais il faut un plus long temps pour le saisir.
Une partie de l'échantillonnage venait du Liban, au moment de l'entrevue de la troisième année. Je sais que certains d'entre eux commençaient à aller faire des voyage au Liban pour voir si la situation s'était calmée et s'il valait la peine d'y retourner ou pas. Les gens faisaient des évaluations de la valeur d'un retour dans leur cas. En trois ans, il n'y a pas eu un nombre notable de retours au pays.
Le Canada n'a pas de visa de sortie, de sorte qu'on n'est pas capable de savoir quand les gens ont quitté le pays pour retourner chez eux, ce qui pose un problème. Des tentatives sont en cours pour mesurer ce phénomène à partir de ce qui s'appelle en anglais la IMDB, la banque de données sur l'immigration créée en mettant bout à bout tous les rapports d'impôt que les immigrants ont remplis de 1980 à 1988.
Tous les rapports d'impôt des immigrants ont été mis en collier. On est capable de les retracer et de voir si, tout à coup, quelqu'un ne fait plus de rapport. Comme on a aussi accès aux actes de décès, on sait qu'il n'est pas mort et on peut imaginer que dans ce cas-là, il a décidé que l'impôt n'était pas pour lui ou qu'il est parti.
Les études avec l'aide de cette base de données commencent à peine. On devrait pouvoir réaliser des choses avec ces données-là, d'autant plus que la base sera mise à jour. On va continuer à amasser tous les rapports d'impôt qui ont été faits. La mise à jour est en cours et on nous promet un accès rapide. Cependant, les fichiers administratifs sont énormes. Donc, on ne sait pas... Mais ce sera la seule façon de le savoir.
[Traduction]
M. Mayfield: J'ai une autre question. Ensuite, je vais passer la parole à mon collègue,M. Hanger.
Je viens de l'Ouest, et chez nous on perçoit trois grandes catégories d'immigrants: ceux qui ont des compétences spéciales et qui ont un emploi qui les attend avant même d'arriver; ceux qui n'ont pas de compétences spécifiques, mais qui obtiennent quand même des emplois, parce qu'en dépit du taux de chômage relativement élevé, ce sont des emplois qui intéressent peu les Canadiens. Ces immigrants vont donc occuper des postes dont personne d'autre ne veut.
Mais je me demande combien d'immigrants se situent entre ces deux extrêmes. Combien d'immigrants font directement concurrence à d'autres Canadiens pour obtenir des emplois? Quelle est l'ampleur de cette concurrence? En avez-vous une idée?
[Français]
M. Renaud: C'est difficile à estimer. Ils sont sur le même marché et donc ils sont nécessairement en concurrence. La question est de savoir ce qu'un immigrant accroche comme emploi et s'il enlève cet emploi à un autre Canadien. Je pense qu'en bonne partie, ils prennent les emplois pour lesquels il y a encore de la demande, mais j'avoue que je n'ai pas d'études terme à terme. Il serait extrêmement difficile de réaliser une étude par titre professionnel pour voir quels emplois sont en demande et quels emplois sont pris par des immigrants. Une telle étude n'est à peu près pas réalisable, malheureusement.
J'ai l'impression que cela ne nuit pas. Globalement, s'il y a quelque chose, cela dynamise l'économie.
[Traduction]
M. Mayfield: De fait, je suis d'accord avec vous sur ce point. Je ne tentais pas de prouver le contraire par ma question.
Merci beaucoup.
M. Hanger: Professeur, je suis également heureux que vous soyez ici aujourd'hui. Je suis toujours content d'en apprendre un peu plus au sujet du système québécois. Si je comprends bien, vous avez vos propres agents d'immigration et critères de sélection. Vous pouvez donc évaluer avec soin les immigrants que vous voulez admettre. J'imagine que lorsque vous faites une telle évaluation, vous insistez beaucoup sur la langue. Les immigrants devraient pouvoir parler l'une des langues officielles du Canada, notamment le français.
D'après vous, est-ce qu'il y a un lien - je ne sais pas si vous pouvez établir une comparaison - entre la compétence linguistique d'un immigrant et son intégration dans la société québécoise? Est-ce un élément clé pour l'établissement d'un immigrant?
[Français]
M. Renaud: Oui, j'ai ici un rapport horriblement volumineux sur la question. Pour l'Office de la langue française, l'argent est là, il faut le prendre et le sujet est intéressant. Auparavant, j'aimerais vous parler d'une chose plus générale.
Montréal est l'un des seuls lieux au monde où on est capable d'évaluer l'impact de la langue séparément de l'impact de l'appartenance à un groupe social parlant une langue. On est capable de savoir si c'est la connaissance qui joue ou si c'est l'insertion dans un réseau social qui, par pur hasard, est francophone ou anglophone. Tel est l'intérêt majeur de Montréal dans ce contexte-là.
La langue est une bien curieuse chose. On y tient tous à notre façon. Par ailleurs, ce n'est pas, dans l'ensemble, le facteur d'établissement primordial, loin de là. C'est bien bien loin derrière la scolarité, le savoir-faire professionnel, etc.
Des choses comme l'accès à un premier emploi et la connaissance du français ou de l'anglais n'ont aucun impact sur la vitesse d'acquisition d'un premier emploi. À long terme, cela se met à jouer par ailleurs.
À long terme, si vous êtes de Montréal et que vous connaissez le français, vous allez quitter plus rapidement votre premier emploi, vous allez vous en trouver un deuxième plus rapidement et vous garderez le troisième plus longtemps. Donc, la connaissance du français est un facteur de mobilité. Cela ne vous donne pas de meilleurs emplois, mais cela vous permet de circuler et de faire des processus d'ajustement économique.
La connaissance de l'anglais ne joue aucun rôle pour les immigrants à ce titre-là. Tout d'abord, on avait l'impression que c'était la connaissance de la langue elle-même qui influait sur la mobilité, mais on s'est rendu compte que si on mettait, dans l'analyse, l'intégration à un réseau de langue française ou de langue anglaise, ce qui est en partie différent, car vous pouvez être dans un réseau sans bien connaître la langue... Nos emplois sont des emplois de langue, mais la majeure partie des interactions sociales ne sont pas fortement langagières.
Pour ce qui est de l'intégration à un réseau, c'est le réseau qui joue, et non la connaissance de la langue elle-même. C'est le fait que vous vous insérez dans une société et que vous essayez de vous en sortir. C'est cela qui vous rend mobile dans des emplois, etc., beaucoup plus que la langue.
Le rôle de la langue est quasiment inverse. Le fait d'avoir un emploi vous amène à suivre des cours de langue, mais le fait de suivre des cours de langue ne vous donne pas d'emploi. Tout vous amène à des réseaux de personnes.
[Traduction]
M. Hanger: Vous sous-entendez donc qu'une personne qui sait s'adapter... Je ne sais pas comment on peut mesurer ce facteur, si ce n'est en évaluant la façon dont il a su progresser dans le système d'enseignement de son pays d'origine. Il est difficile d'évaluer ce facteur.
[Français]
M. Renaud: Je peux évaluer la vitesse à laquelle ils se déplacent au Canada, la vitesse à laquelle ils se trouvent un emploi, la durée ou la stabilité de l'emploi, la vitesse à laquelle ils obtiennent un deuxième emploi, etc. D'une certaine façon, la meilleure mesure de l'adaptabilité, c'est la chose elle-même. La conséquence de la stabilité, c'est de réussir à le faire. Comme j'ai mesuré les choses aux semaines, je suis capable de différencier les vitesses dans un bon nombre de processus.
[Traduction]
M. Hanger: Est-ce que je peux poser une dernière question? Cela revient à la question soulevée par mon collègue. J'entends souvent dire que beaucoup d'immigrants quittent le Québec pour s'installer en Ontario. Je me demande si vous avez suivi ces immigrants. On m'a cité différents chiffres qui varient entre 25 et 75 p. 100. Mais je n'ai jamais vu de document ou d'étude à cet effet.
[Français]
M. Renaud: Une étude là-dessus a été faite conjointement par Citoyenneté et Immigration Canada et le ministère québécois des Communautés culturelles. C'est fait à partir de la base de données sur les immigrants et des rapports d'impôt dont je parlais plus tôt. De mémoire, 17 p. 100 des immigrants venus au Québec quittent la province, mais pas tous vers l'Ontario, et à peu près 10 p. 100 y reviennent. Ce sont des gens qui ne se destinaient pas au Québec, mais qui finissent par arriver au Québec.
J'ai commencé une étude sur la circulation entre les villes à partir de cette même base de données. C'est la chose la plus importante entre les provinces. Ce n'est pas une question de Ontario at large; c'est Toronto et sa banlieue, Vancouver, etc.. Je devrais avoir des résultats raisonnables là-dessus dans six mois. Je pourrais alors vous en reparler.
[Traduction]
M. Dromisky: Monsieur Renaud, comment avez-vous choisi les 1 000 candidats pour votre étude?
[Français]
M. Renaud: Au moment où les immigrants arrivaient, j'avais des personnes en place à Mirabel, Dorval, Lacolle, Blackpool et un autre poste dont je ne me rappelle pas le nom. Aussitôt les formalités d'immigration terminées, les personnes se faisaient tendre une enveloppe écrite en six langues - mes acétates standard de blagues avec du chinois, de l'arabe et un paquet de choses que je ne connais pas, à vrai dire - leur demandant de participer à l'étude en me retournant le formulaire complété. En général, c'était rempli sur place.
Toutes les personnes à destination du Québec qui sont entrées par Vancouver, Toronto ou d'autres ports frontaliers au Canada avaient, avec leur visa, une invitation du ministère québécois à venir à l'accueil du ministère et là, on leur fournissait les services standard en plus de leur demander: «Avez-vous eu ce formulaire-ci pour l'enquête du professeur Renaud? Sinon, passez dans la petite pièce d'à côté et remplissez-le, s'il vous plaît.»
Nous avons ainsi sélectionné 1 800 personnes. Des 1 900 personnes qui sont passées par les postes frontières et qui avaient comme destination le Québec, 1 800 ont accepté de participer à l'étude et nous avons interviewé 1 000 de ces personnes un an plus tard.
Si c'était à refaire, je le referais autrement. C'est un processus horriblement coûteux en ce qui a trait au personnel aux postes frontières, etc.
Nous avons mis au point un système qui nous permet de trouver les nouveaux immigrants et leur adresse par l'intermédiaire de la Régie de l'assurance-maladie du Québec, alors que lorsque je les interceptais aux postes frontières, je n'avais pas d'adresse. J'avais l'adresse probable de copains, d'une famille, d'une association qui les connaissait, mais en général, ils n'avaient pas encore de logement, de sorte qu'il était difficile de les retrouver. Donc, voilà la procédure.
[Traduction]
M. Dromisky: Je vous pose la question car un pourcentage élevé des participants à votre étude ont une formation postsecondaire ou universitaire. Ces personnes instruites auraient normalement une attitude différente de celles qui n'auraient pas terminé leur école primaire. Je comprends que vos résultats pourraient être biaisés ou peut-être affectés plus que prévu.
Avez-vous déjà songé à faire un échantillonnage aléatoire d'immigrants pour voir si les tendances sont les mêmes que celles repérées dans la première étude?
[Français]
M. Renaud: On a comparé les réponses de l'enquête et les données venant du fichier. L'enquête porte sur moins de gens venant de l'Asie que ce à quoi on aurait pu s'attendre dans un échantillonnage aléatoire. Pour les autres traits connus, c'était sur le visa. L'échantillon et le fichier de visa sont pareils.
[Traduction]
M. Dromisky: Voici où je veux en venir. J'imagine que les personnes plus instruites auraient plus de chances de se trouver des emplois plus permanents une fois installées dans leurs communautés. Par exemple, bon nombre de vos sujets sont classés parmi les indépendants. Y avait-il des candidats qui travaillaient à l'extérieur de Montréal? Travaillaient-ils dans des camps forestiers, des mines, sur des projets hydroélectriques, ou à d'autres emplois du genre?
[Français]
M. Renaud: Non. Les seules personnes interviewées demeuraient dans la très grande région de Montréal, qui est plus grande que la région de recensement. Autrement, j'aurais eu besoin d'un financement quasiment supérieur. Cela couvre 92 p. 100 des immigrants qui viennent au Québec. Les autres 8 p. 100 vont à Québec même ou dans des usines avec les centres de recherche en province.
[Traduction]
M. Hanger: Monsieur le président, puis-je demander une précision?
Je ne veux pas gêner le déroulement du débat, mais pour revenir à ce que disait M. Dromisky, la sélection est d'une grande importance. D'après les données que vous nous avez montrées, je suppose que l'échantillon aléatoire de 1 000 personnes est, en gros, le résultat du processus utilisé pour choisir vos immigrants. Est-ce bien cela?
[Français]
M. Renaud: Je ne suis pas sûr de la question. Les 1 000 sont représentatifs de l'ensemble des personnes qui ont eu un visa et qui se sont rendues au Canada, à destination du Québec.
[Traduction]
M. Hanger: M. Dromisky a dit qu'il semble y avoir un nombre particulièrement élevé de gens bien instruits et compétents, mais il s'agit là de votre échantillon aléatoire, à cause de la procédure de sélection, n'est-ce pas?
[Français]
M. Renaud: La sélection du Québec, pour l'année 1989, comprenait 70 p. 100 d'indépendants.
[Traduction]
M. Dromisky: Monsieur Hanger, je crois que le plus important c'est de savoir ce qui en est des autres 800. Ils ont reçu 1 800 réponses et en ont choisi 1 000. Parmi les autres 800, une grande majorité avait-elle moins de huit ans de scolarité?
M. Renaud: Non, ils avaient exactement le même profil. C'était donc un bon échantillon à cet égard.
[Français]
Il y a eu une évolution, par ailleurs, au fil du temps. Si je refaisais une étude équivalente aujourd'hui, j'aurais une plus faible proportion d'indépendants parce que l'économie est en plus mauvaise posture au Canada et au Québec. Il y a beaucoup de reports de migration de la part des indépendants, de sorte que l'échantillonnage serait composé de moins d'indépendants et de plus de familles et de réfugiés. Cependant, les indépendants, peu importe leur nombre, vont continuer à se comporter de la même façon: ils vont se servir de leurs économies, etc.
M. St-Laurent: Parmi les immigrants qui arrivent, - peut-être que cela ne faisait pas partie de votre analyse, bien qu'on y retrouve l'emploi, le chômage, etc. - quelle est la proportion de ceux qui se lancent en affaires? J'aimerais que vous me disiez si ces gens-là embauchent souvent d'autres immigrants.
M. Renaud: Il y en a qui sont à leur compte dès leur arrivée. Certains se mettent à leur compte en cours de route. C'est une proportion qui s'accroît. Cela atteint 12 p. 100 à la fin de la troisième année, ce qui n'est pas négligeable. «À son compte», c'est une notion flottante. Être à son compte, c'est plus compliqué qu'on ne le croit. Ce n'est pas simplement mettre la mention «travailleur autonome» sur le formulaire d'impôt. On l'est à peu près tous à notre façon. Les gens qui ont quelque chose qui commence à ressembler à une entreprise représentent environ 12 p. 100 de l'échantillonnage après trois ans.
Une partie importante des immigrants supervisent le travail d'autres personnes ou sont directement leurs patrons. Dès l'arrivée, il y en a qui exigent des fonctions de supervision. Donc, ils n'arrivent pas tous en bas de l'échelle. Cela joue partout.
Vous allez trouver des détails là-dessus dans le rapport de la troisième année, avec plus de détails que je pourrais vous en donner verbalement. Sans mes petits dessins, c'est plus difficile à transmettre.
Il faut ajouter qu'ils sont salariés, à la pièce et à commission. C'est perceptible, mais ce n'est pas un pattern important dans l'ensemble.
Ce que je vise, ce sont les gens qui avaient un visa au moment où ils sont arrivés au Canada. Je n'ai pas les revendicateurs de statut qui, vraisemblablement, connaissent un établissement beaucoup plus difficile. Certains arrivent ici en me disant: «Reconnaissez-moi comme réfugié économique aux termes de la Convention de Genève. Donnez-moi un statut d'immigrant.» Ceux-là ont une vie bien plus difficile.
Je commencerai dans quelques mois une étude équivalente sur les revendicateurs et je suis à peu près certain que tous les indices mesurés seront moins élevés en termes de performance. Les immigrants arrivant avec un visa se comportent rapidement comme des Canadiens quasi normaux. Ils sont toujours en-dessous de la moyenne pour les emplois, mais en termes de qualité et de revenu d'emploi, ils «roulent» à tout le moins. Dans le cas des revendicateurs du statut de réfugié, c'est sans doute une tout autre histoire, mais je n'ai pas de données là-dessus.
M. St-Laurent: Merci beaucoup pour votre exposé.
[Traduction]
M. Hanger: Avez-vous une idée des qualités ou des compétences qui aident les immigrants à s'établir rapidement? Vous avez mentionné la faculté d'adaptation, et nous avons, bien sûr, parlé de la langue. Il y a sans doute d'autres critères.
[Français]
M. Renaud: Le critère le plus important, directement ou indirectement, est la scolarité. J'ai déposé un document qui porte là-dessus. La scolarité est en quelque sorte la valise dans laquelle on transporte son savoir-faire. En l'absence d'une scolarité élevée, on n'est pas capable de faire valoir ses expériences passées, de sorte que la scolarité est une valeur de marché et une chose qui donne crédit aux autres attributs de la personne.
S'il y a un critère de sélection qui peut être efficace, c'est la scolarité. Plus les gens sont scolarisés, mieux ils vont s'établir, et ils pourront transporter leur savoir-faire professionnel sur le marché canadien. En l'absence de scolarité, peu importe le savoir-faire, il y a des problèmes de crédibilité, etc. Ce n'est pas transportable.
La scolarité est vraiment la valise centrale qui transporte le reste de la personne sur le marché du travail. C'est infiniment plus important que la langue ou quoi que ce soit d'autre. Évidemment, on continue de demander le français et l'anglais et on accorde des points supplémentaires pour le français en particulier. C'est la chose à l'envers.
Il y a deux éléments importants dans l'intégration des immigrants. La scolarité est importante pour que l'immigrant puisse vendre ce avec quoi il arrive. L'autre est le bénéfice que la société en retire. La langue, ce n'est pas payant pour l'immigrant, mais plutôt pour la société.
[Traduction]
M. Hanger: L'immigrant va réussir, et ce sera sans doute un bénéfice pour la société.
[Français]
M. Renaud: Oui, et le paiement que fait l'immigrant à la société canadienne, c'est de connaître ou d'apprendre les langues. Cela ne lui est pas immédiatement bénéfique, mais cela est immédiatement bénéfique à notre société parce qu'on peut interagir avec l'immigrant et que cela préserve notre identité globale. Ce n'est pas une valeur; c'est un critère de sélection de nature différente. C'est un critère de sélection pour la société et non pour l'individu.
[Traduction]
M. Hanger: À propos de la procédure de sélection, quel pourcentage des immigrants reçus par le Québec sont de la catégorie indépendante?
[Français]
M. Renaud: Dans le flux d'immigrants?
[Traduction]
M. Hanger: Oui, la totalité des immigrants. Je ne sais pas si vous avez ces chiffres.
[Français]
M. Renaud: Dans l'échantillonnage de l'étude, les indépendants composaient environ 70 p. 100 de la cohorte. J'ai besoin de chiffres plus précis. Soixante-huit pour cent étaient des indépendants, 20 p. 100 étaient de la catégorie la famille et 12 p. 100 des réfugiés.
[Traduction]
M. Hanger: C'est un pourcentage élevé.
[Français]
M. Renaud: Oui. L'immigration au Québec est composée en grande partie de personnes sélectionnées. Je pense que c'est en bonne partie pour cette raison que l'établissement fonctionne.
[Traduction]
M. Hanger: Je suis d'accord avec vous sur ce point-là.
Parmi les réfugiés, choisissez-vous ceux qui sont passés par la procédure au Canada, ou uniquement ceux choisis à l'étranger?
M. Renaud: Uniquement ceux choisis à l'étranger.
M. Hanger: Vous seriez donc en mesure d'étudier le bassin de réfugiés à l'étranger et de choisir exactement ceux que vous préférez.
[Français]
M. Renaud: Il y a un processus de sélection des réfugiés. Techniquement, le Canada fait une première sélection. Au sein de la brochette choisie par le Canada, le Québec intervient. Les critères ne sont pas perceptibles, mais j'ai parfois l'impression qu'ils ressemblent aux critères de sélection des indépendants.
[Traduction]
M. Hanger: Un autre aspect de la procédure d'immigration du Québec est que l'accord entre le Canada et le Québec prévoit 90 millions de dollars annuellement pour les droits d'établissement. L'an dernier, la province du Québec a accueilli environ 27 000 immigrants au total. D'après vos études, les programmes offerts par la province et le fédéral répondent-ils aux besoins des nouveaux arrivés et les aident-ils à s'établir?
[Français]
M. Renaud: Je ne saurais vous répondre. Ce sont des données hors de mon enquête.
[Traduction]
M. Hanger: Je vais reformuler ma question. Croyez-vous que certains nouveaux venus ont besoin d'une plus grande aide que d'autres et que les progammes gouvernementaux suffisent à répondre à ces besoins-là?
[Français]
M. Renaud: Les programmes d'établissement sont importants. De 50 à 60 p. 100 des immigrants fréquentent l'école lors de leur première année de séjour au Québec. Ils suivent des cours généraux ou des cours à destination spécifique pour les immigrants ou des cours de langue. Cela accélère clairement leur intégration.
J'ai réalisé une étude portant sur l'accès au premier emploi et les différents facteurs qui jouaient là-dedans. Un des facteurs prédominants était d'avoir suivi les cours du COFI, le Centre d'orientation et de formation pour immigrants. Cela joue, non pas parce que cela leur apprend la langue, mais parce qu'ils se familiarisent avec les façons de faire de la société québécoise ou canadienne. Un diplômé du COFI a six fois plus de chances de se trouver un emploi, chaque semaine qui suit l'obtention de son diplôme, que quelqu'un qui n'a pas suivi le cours du COFI.
C'est vraiment un système d'aide à l'établissement très rapide au début. Je pense que cela fait partie des choses qu'il faut à tout prix conserver. Des programmes de ce genre sont utiles. Je ne suis pas certain que tous les programmes servent, mais le programme des COFI fonctionne très clairement.
[Traduction]
M. Hanger: Savez-vous si les critères de sélection au Québec sont différents de ceux qu'on utilise dans le reste du pays?
[Français]
M. Renaud: Pas pour la peine.
[Traduction]
M. Loney (Edmonton-Nord): M. Renaud, ma première question a été posée par M. Hanger et vous y avez répondu, mais j'en ai une autre.
Dans votre étude, avez-vous pu déterminer pourquoi les nouveaux immigrants ont plus de difficulté à s'établir et à se trouver un emploi que leurs prédécesseurs?
Je vous pose cette question parce qu'il existe certains éléments de preuve qui montrent que cela se passait ainsi parce que quand la vague précédente d'immigrants est arrivée au pays, ils faisaient concurrence aux Canadiens pour des emplois dont ceux-ci ne voulaient pas vraiment. Ils ne voulaient pas faire ce genre de travail. Ils estimaient que c'était des emplois trop serviles ou que le salaire était trop peu élevé. Mais les immigrants plus récents, parce qu'ils sont plus nombreux, font concurrence à leur propre groupe ethnique sur le marché du travail, même s'ils arrivent à mieux s'intégrer sur le plan social parce qu'ils ont de la famille ou des amis qui sont déjà établis au Canada.
Avez-vous trouvé des éléments de preuve qui viendraient appuyer ce que je viens de dire?
[Français]
M. Renaud: Je n'ai pas d'analyses là-dessus. Cela me prendrait un point comparatif avec une cohorte établie depuis 30 ans, ce que je n'ai pas. Si je devais réfléchir à haute voix, je dirais probablement que les difficultés actuelles viennent d'une difficulté économique générale. Ce n'est pas simplement les immigrants qui ont de la misère à avoir des emplois en ce moment; mes étudiants diplômés sont dans la même situation.
Nous sommes dans une période de resserrement. Nous sommes dans une période où l'économie est moins prospère qu'elle ne l'a déjà été, et la division du travail fait en sorte que tout est remis en cause. Cela affecte tout le monde, vraiment tout le monde, les immigrants au même point que tout le monde.
Je n'ai pas l'impression qu'il y a un processus particulier attaché aux immigrants là-dessus. J'ai l'impression qu'on est pris avec un marché du travail qui est en train de se réorienter, de se redéfinir, de se «réétalonner» dans son fonctionnement. Les Canadiens et les immigrants trouvent la pilule un peu difficile à avaler parfois. Mais je ne pense pas qu'il y ait une une concurrence entre les groupes d'immigration. J'ai l'impression que tout le monde est en train de redéfinir la concurrence elle-même.
[Traduction]
M. Mayfield: En réponse à la question de M. Loney, vous avez mentionné qu'il y a un réseau, qui prend de l'ampleur, pour les gens de diverses cultures et nationalités qui arrivent ici. Est-ce que ce réseau diminue la pression qui s'exerce sur les nouveaux immigrants qui doivent aller chercher un travail? Il se peut que la nécessité de se trouver un travail se trouve amoindrie par un tel réseau. Est-ce que cette théorie est fondée?
[Français]
M. Renaud: Les réseaux auxquels j'ai fait allusion sont des réseaux d'insertion canadiens. Ce sont des réseaux au sens large, des groupes de personnes par lesquelles l'information transite pour l'obtention d'un emploi et l'accès aux ressources. C'est comme cela que l'on fonctionne tous les jours.
Des études montrent visuellement que 70 p. 100 des emplois sont trouvés à travers les réseaux plutôt que par les annonces. Les réseaux sont la collectivité des gens qu'on connaît. C'est un système de soutien qui est notre soutien à nous aussi.
Les réseaux qui fonctionnent au Québec sont ceux formés par les gens qui s'inscrivent dans les réseaux de langue française. Au fond, ils s'inscrivent dans ces réseaux pour avoir accès à l'ensemble de l'information de la société. Donc, c'est un système de normalisation des relations entre la personne et la collectivité.
On était sûrs, au début de l'étude, que les réseaux ethniques étaient une chose extrêmement importante. On a constaté qu'il n'y a pas 15 p. 100 des gens qui prennent contact avec leur association ethnique. L'association ethnique est, au moins à Montréal - peut-être pas ailleurs au Canada, mais à Montréal - une réalité construite de l'extérieur.
Il est facile de faire une étude sur les immigrants portugais. On va tout de suite dans le quartier portugais voir les Portugais et les institutions protugaises.
Typiquement, les Portugais ne vivent pas dans le quartier portugais, et c'est vrai pour l'ensemble des groupes ethniques de la région de Montréal.
On a souvent l'impression qu'il existe des réseaux autour des associations ou des ethnies, mais ces réseaux sont extrêmement peu utilisés par les nouveaux immigrants. Quand ces réseaux sont utilisés, ce sont des réseaux multiethniques. À Montréal, le groupe des arabophones fonctionne. Il regroupe des gens multiethniques, des Syriens, des Libanais, des Africains du Nord, des Égyptiens, etc. Ce n'est pas un réseau ethnique au sens de collectivité identitaire. Ils ont une chose en commun, et c'est la langue.
[Traduction]
M. Mayfield: Vous avez mentionné que dans le cadre du programme québécois, le Québec sélectionne les immigrants qui s'établissent dans cette province. Y a-t-il des critères concernant les compétences et les emplois disponibles? Y a-t-il une différence à ce chapitre entre la province de Québec et les autres provinces canadiennes?
[Français]
M. Renaud: Je ne saurais vous répondre de façon très précise. J'ai l'impression qu'en gros, malgré les distinctions, lorsqu'on fait de la sélection, on fait la même chose. Le Québec n'a pas de politiques fort différentes de celles du Canada là-dessus. Chacun a ses catégories d'admission divisées différemment.
En ce qui a trait aux visas, il y a une classification pour le Québec et une classification pour le Canada, mais en gros, les processus sont à peu près équivalents. Lorsqu'on choisit des indépendants, on les choisit globablement selon les mêmes critères. Ce sont les mêmes critères pour les familles. Pour les réfugiés, ce sont tellement les mêmes critères que le Québec choisit au sein du bassin déjà sélectionné par le Canada. Il n'y a pas de grandes différences dans la sélection.
Le Québec doit accepter une proportion donnée de réfugiés. Il doit prendre sa part de la population canadienne. Là-dessus, il y a un critère très clair. Pour le reste, il est hors norme. Je ne suis pas un expert de la politique québécoise versus la politique canadienne en cette matière.
[Traduction]
M. Loney: Professeur, suite à vos études, est-ce que vous recommanderiez des changements dans les critères de sélection pour les immigrants indépendants?
[Français]
M. Renaud: Je recommanderais d'abord de maintenir la notion d'immigrant indépendant, la notion de sélection. Cela fonctionne. Cela donne des comportements différents en termes de marchés d'immigrants non sélectionnés.
Ma seule recommandation, si j'en avais une, serait de dire qu'il faut maintenir le processus de sélection. Si je devais ajouter quelque chose, je dirais qu'il faut attribuer encore plus de points à la scolarité, qui est le meilleur indicateur de la capacité de s'adapter. Toutes les fois qu'on a fait des études sur l'accès aux emplois, la durée des emplois, l'accès aux logements, le type de logement et la circulation, la scolarité a toujours été une variable extrêmement importante.
Les gens les plus scolarisés sont aussi ceux qui se diffusent le plus sur le territoire en termes de répartition résidentielle. Cela joue à tous les points de vue, mais c'est déjà dans les critères de sélection. Il ne faut pas l'enlever; il faut plutôt le solidifier un peu.
[Traduction]
M. Hanger: Monsieur le président, je me demandais si nous avions une version anglaise du rapport de ce monsieur. Est-ce qu'elle existe? Non?
[Français]
M. Renaud: Les seules versions sont françaises. Une traduction des faits saillants a été faite. Par ailleurs, ces deux rapports ont été faits en bonne partie pour être feuilletés comme des magazines, en regardant les images. Cela fonctionne.
[Traduction]
M. Hanger: Oui, c'est assez exhaustif.
[Français]
M. Renaud: Cela fonctionne. En général, le texte est une description des graphiques d'accompagnement. Le but est d'en faciliter la diffusion.
[Traduction]
Le président: Nous avons les ressources pour le faire traduire.
M. Hanger: Il y a des sections que je trouve très intéressantes. Je ne sais pas si le comité tient à examiner le rapport dans son ensemble.
Le greffier du Comité: Vous pourriez nous laisser savoir quelle partie vous intéresse plus particulièrement et nous pourrions l'envoyer faire traduire, ou, si vous voulez, nous enverrons le document en entier.
M. Hanger: Ce serait traduit ici?
Le greffier: Oui.
Le président: Vous pourriez également vous asseoir avec Christine, et s'il y a quelque chose que vous ne comprenez pas elle pourrait vous l'expliquer et vous pourriez décider si oui ou non vous voulez le faire traduire. Ou, nous pourrions faire traduire le document dans son ensemble.
M. Hanger: Évidemment, Margaret doit avoir...
Mme Margaret Young (recherchiste du comité): Non. J'avais d'autres articles du professeur Renaud lorsque j'ai rédigé mes notes, mais je n'avais pas lu ce rapport.
M. Hanger: Monsieur le président, j'aimerais que le document en entier soit traduit.
Le président: Très bien.
[Français]
M. Renaud: Si cela peut aider, je pourrais fournir le texte afin que vous puissiez le faire traduire. Je vous signale qu'il y a d'ailleurs un certain nombre d'articles qui ont été faits en anglais portant sur cette enquête. Vous avez des articles sur
[Traduction]
la distribution résidentielle des nouveaux immigrants, les revenus des couples de nouveaux immigrants, la langue des nouveaux immigrants et la mobilité dans l'emploi.
[Français]
Certains documents sont déjà en anglais. C'est la langue de la science.
[Traduction]
Le président: Les recherchistes de la bibliothèque du Parlement aimeraient vous poser quelques questions.
M. Kerr: L'analyse de votre échantillon vous a-t-elle permis de déceler s'il y avait une relation entre la connaissance du français et le niveau de scolarité?
[Français]
M. Renaud: Non. C'est en bonne partie séparé. Les gens qui parlaient français à l'arrivée sont des gens qui provenaient de pays francophones comme le Liban ou la Syrie. D'autres l'avaient appris sur le tas, à l'école, etc..
Une portion importante des gens parlaient le français ou disaient le connaître, ce qui est une autre chose. La mention au visa était «connaît le français» dans une proportion importante des cas, même si en fait, «connaît le français» ne voulait pas dire connaître le français. Il y a un problème lié au visa. Les visas des indépendants sont validés pour le requérant principal. Dans ce cas-là, on procède à une entrevue et on est à peu près assuré de ce que veut dire «connaît le français» ou «connaît l'anglais».
Dans le cas des personnes autres que le requérant principal indépendant, ou des autres catégories d'admission, il n'y a pas de validation de faite. C'est donc une autodéclaration. Sur l'autodéclaration, la troisième année, les gens déclarent connaître moins le français que ce n'était le cas la première année. Ils sont devenus conscients qu'ils avaient exagéré leur savoir.
[Traduction]
M. Kerr: Je m'explique peut-être mal. Ce que je vous demande c'est si vous avez constaté que ceux qui on un très haut niveau de scolarité sont plus susceptibles de parler français que ceux qui ont, disons, le primaire seulement.
[Français]
M. Renaud: Je ne me souviens pas du détail exact, mais le souvenir que j'en ai gardé, c'est qu'une scolarité très élevée va avec l'anglais parce que c'est la langue quasi nécessaire de la communication scientifique, mais pas le français. Pour le français, il n'y a pas ce phénomène.
En plus, il faut voir que les réfugiés qui avaient été sélectionnés dans les camps où le Québec sélectionnait venaient de pays ayant une culture française. Souvent, les réfugiés n'avaient pas de scolarité, de sorte qu'il n'y a pas de lien fort entre la connaissance du français et la scolarité. Il y a un léger lien entre la connaissance de l'anglais et la scolarité. Cependant, le lien est très léger parce que l'anglais est la lingua franca contemporaine. Tout le monde, dans toutes les couches sociales, connaît un peu l'anglais.
[Traduction]
M. Kerr: Si je comprends bien vous avez dit que votre échantillon comprenait 68 p. 100 d'immigrants indépendants, 20 p. 100 de la classe de la famille et 12 p. 100 de réfugiés. Est-ce que cela est représentatif des immigrants qui arrivent chaque année au Québec?
[Français]
M. Renaud: C'est représentatif du flux d'immigrants qui sont arrivés avec un visa en main aux postes frontières en 1989 et dans ces années-là. Aujourd'hui, les choses ont changé un peu. Il y a moins d'indépendants aujourd'hui qu'il n'y en avait à l'époque.
Si vous ajoutez aux personnes qui arrivent aux postes frontières avec un visa les gens qui font une demande sur place, vous changez complètement les chiffres. La plupart des gens qui font une demande sur place n'ont pas le statut d'indépendant. Le problème est de savoir quand ils sont régularisés et à partir de quand on les calcule dans les taux.
Vers 1989, au Québec, parmi le total des gens qui arrivaient avec un visa et de ceux qui faisaient une demande sur place, il y avait de 45 à 50 p. 100 d'indépendants et non pas 68 p. 100.
[Traduction]
M. Kerr: Quelques témoins qui ont comparu devant le comité ont proposé que le Canada tienne compte des caractéristiques économiques du conjoint du requérant principal dans ses critères d'évaluation. On nous a dit que les critères de sélection au Québec en tiennent compte, justement, et je voudrais si possible que vous nous décriviez comment cela fonctionne sur le plan pratique.
[Français]
M. Renaud: Je ne sais pas comment cela fonctionne. Ce que je sais, par ailleurs, c'est que qui se ressemble s'assemble. On a un phénomène d'«homogamie». Je ne pense pas que cela change grand-chose qu'on fasse une évaluation séparée du conjoint dans la mesure où, en général, vous allez retrouver des gens de même caractéristique qui vivent ensemble.
C'est vrai aussi pour les enfants des immigrants. Les répondants arrivent non seulement avec un conjoint, mais aussi avec des enfants, souvent adultes, qui ont des caractéristiques communes. Ce que l'on choisit, généralement, ce sont des familles et il suffit d'un membre de la famille pour donner l'image globale de la famille en question.
Je ne sais pas exactement comment fonctionne le système de pointage au Québec. Je me suis fait expliquer la chose, mais ce n'est pas mon bout de boulot et je ne l'ai pas retenue.
Ce dont je me souviens, c'est qu'au Québec, les gens eux-mêmes ne savent pas lequel des conjoints est le requérant principal. On a dû leur demander le visa pour le savoir. Souvent, les deux font une demande, mais seulement l'un des deux finit par avoir le statut de requérant principal, vu que les gens arrivent en famille. Je ne suis malheureusement pas un spécialiste là-dessus et je ne voudrais pas vous induire en erreur en en disant plus.
[Traduction]
Mme Young: J'ai eu l'occasion de lire un de vos articles qui m'a appris que les études sociologiques montrent que la langue n'est pas un facteur important dans l'établissement des immigrants, idée qui est très populaire en ce moment. J'aimerais en discuter avec vous car il me semble que cela soit illogique et contraire à la croyance populaire.
Au cours des deux dernières années le gouvernement fédéral a mis davantage l'accent sur l'importance des langues au moment de la sélection, sauf au Québec. Certains des témoins qui ont comparu devant notre comité nous ont encouragés à tenir compte de l'âge et de l'éducation de la personne mais aussi à attribuer une plus grande importance à ses capacités linguistiques. D'ailleurs, le gouvernement fédéral a annoncé qu'il allait modifier le système de points d'appréciation pour en tenir compte. Est-ce une perte de temps?
[Français]
M. Renaud: Non. Que ce soit de la littérature sociologique faite en Australie, en Allemagne, aux États-Unis ou au Canada, dans tous les cas, cela démontre l'impact de la connaissance des langues sur l'accès aux emplois et cela démontre les impacts très faibles sur le niveau de revenu touché.
Un des documents que je vous ai fournis s'appelle New Immigrants, Language and Job Mobility. Une des raisons d'être de l'absence des impacts de la langue, c'est que la langue joue différemment selon le moment d'établissement. Par exemple, la connaissance du français vous fait sortir plus rapidement du premier emploi, mais la connaissance du français vous fait rester plus longtemps dans le troisième emploi et les emplois ultérieurs.
L'effet de tout cela est que si vous ne distinguez pas les moments où vous regardez les choses et que vous mettez tout ensemble, vous avez l'impression que la connaissance des langues ne joue pas.
Plusieurs documents sur la langue ont été rédigés. On disait toujours: «La langue ne marche pas, la langue ne marche pas, la langue ne marche pas» et on se disait toujours que cela ne se pouvait pas, que c'était contre-intuitif, que c'était impossible.
Le seul document qui a réussi à démontrer les effets de la langue d'une façon raisonnable, c'est New Immigrants, Language and Job Mobility. La langue joue de façon opposée selon le moment d'établissement. Si on ne prend pas la peine de dissocier le moment d'établissement et qu'on prend un échantillonnage de personnes sans savoir quand elles sont arrivées, on est incapable de voir l'effet de la langue.
La langue joue de façon importante en termes de mobilité et de stabilité dans les emplois à long terme, ce qui n'est pas négligeable, mais personne n'avait trouvé cela auparavant. L'enquête que j'ai faite est la première de son genre sur l'immigration, la première qui permet de dater et de séquencer les événements. L'Australie a fait une enquête équivalente et le Canada devrait en faire une incassemment. La France vient d'en commencer une aussi, mais parce qu'on ne pouvait pas séquencer les événements, on n'était pas capable de distinguer les moments où la chose avait de l'impact.
La dernière chose à dire sur la langue et l'accès aux emplois est qu'il y a une place où l'on pensait que la langue jouait, mais elle ne joue pas. C'était en tout début d'établissement. La langue n'a jamais d'impact sur l'accès au premier emploi. Tout bêtement, tous les gens ont besoin de travailler et il est important de gagner un revenu. Peu importe qu'on connaisse ou pas la langue, on est prêt à tout pour se trouver un emploi. La connaissance de la langue ne joue pas en début d'établissement, mais elle joue par la suite.
[Traduction]
Le président: Vous avez dit que vous étiez en faveur du système d'attribution de points, mais avec certaines modifications. Vous êtes en faveur de maintenir la classe des indépendants. Quel devrait être, selon vous, la proportion d'indépendants par rapport à la classe de la famille? Est-ce que le rapport à l'heure actuelle est d'environ un pour un, ou y a-t-il un peu plus d'indépendants par rapport au nombre d'immigrants faisant partie de la classe de la famille?
[Français]
M. Renaud: C'est mon opinion, mais elle n'est pas nécessairement fondée sur des analyses.
[Traduction]
Le président: C'est très bien.
[Français]
M. Renaud: Il faut faire tout ce qui est possible pour maintenir les individus indépendants comme la principale catégorie. C'est la seule prise que nous ayons pour contrôler le contenu et la qualité professionnelle de l'immigration. Du côté famille, nous n'avons aucun contrôle.
Si jamais la catégorie des indépendants devenait une catégorie mineure, j'aurais peur que l'immigration en prenne pour son rhume, c'est-à-dire qu'elle soit de moins en moins bien perçue par l'ensemble de la société parce qu'elle deviendrait un système de réunification familiale et de passage du relais.
Il est plus difficile de défendre politiquement que l'immigration sert au développement démographique et économique de la société québécoise. On aurait le développement démographique, mais on n'aurait pas le développement économique.
[Traduction]
Le président: Je n'ai plus de questions.
M. Kerr: Pourrais-je revenir sur un aspect en particulier, monsieur le président?
Vous avez dit que la langue était importante pour pouvoir passer d'un emploi à l'autre. Mais il me semble que la langue est extrêmement importante pour obtenir un premier emploi, aussi.
Vous avez fait un commentaire au début de votre exposé qui semble soutenir ce point de vue. Vous avez dit avoir conclu qu'un groupe de réfugiés mettaient plus de temps à trouver des emplois en partie parce qu'ils participaient à des cours de langue. Donc, le fait que ces immigrants ne parlent aucune des deux langues officielles, les a certainement retardés dans leur recherche d'un premier emploi.
[Français]
M. Renaud: J'ai été du même avis que vous pendant des années. Je me suis battu désespérément pour essayer de trouver un effet de la connaissance des langues en tout début d'établissement et j'avoue que j'ai dû jeter l'éponge. L'exemple que vous donnez est beau; le problème est que les cours de langue fonctionnent, non pas parce que ce sont des cours de langue, mais parce que ce sont des cours où, en enseignant la langue, on parle de la façon dont fonctionne la société. C'est cette dimension qui a un impact et non pas l'apprentissage de la langue.
Autrement dit, si je compare des cours du COFI aux cours strictement de langue, je vois que les cours de langue n'ont pas d'effet et que les cours de COFI en ont. Je suis ainsi obligé de conclure que si les cours de langue n'ont pas d'impact, ce n'est pas à cause de la dimension de la langue des cours du COFI, mais plutôt de la socialisation. La langue elle-même ne joue pas en début d'emploi, ni l'intermédiaire de l'apprentissage. Ni la langue connue à l'arrivée ni la langue apprise ne jouent sur l'accès à un premier emploi.
Que l'emploi, au Québec, soit en français, en anglais ou dans une autre langue, à partir du moment où vous avez un emploi, vos chances d'aller suivre un cours de langue s'accroissent considérablement. L'emploi oriente vers les langues beaucoup plus que les langues n'orientent vers les emplois. C'est la dynamique à l'envers. Les emplois vous font comprendre que c'est en français que cela se passe dans ce coin de pays et qu'il faut que vous l'appreniez. Mais ce n'est pas cela qui aide la personne au tout début à s'établir.
Quand vous dites que la connaissance des langues joue sur la mobilité en emploi, ce n'est pas le cas. C'est la participation à un réseau d'une langue donnée. Si vous introduisez simultanément dans l'analyse plusieurs variables, une contrôlant la connaissance de la langue et l'autre contrôlant l'insertion dans des réseaux d'une langue donnée, l'effet de la connaissance de la langue disparaît complètement. Ce qui survit, c'est l'effet d'être inscrit dans un réseau francophone ou anglophone. À Montréal, ce qui fonctionne, c'est le fait d'être inscrit dans des réseaux francophones. Ce n'est pas la connaissance, ni la capacité de s'exprimer clairement dans une langue; c'est vraiment le fait de participer à une société dont les activités se déroulent dans cette langue.
J'ai longtemps été persuadé que vous aviez raison, que la langue était un facteur majeur, et chaque fois que je pensais tenir ces données, ce n'était pas le cas. La langue a des vertus pour construire notre vision sociale et politique au Canada, mais elle n'a pas de vertus pour aider l'immigrant à s'établir lui-même. C'est autre chose. C'est la société elle-même qui joue. La langue, c'est pour que les immigrants soient nos interlocuteurs. À cet égard, ils nous tendent la perche. Mais ce n'est pas un marketable skill pour eux.
[Traduction]
M. Kerr: Merci, monsieur le président.
Le président: D'accord.
Je vous remercie beaucoup. Normalement nos séances durent à peu près 45 minutes. Mais nous sommes ici depuis deux heures et je crois que cela témoigne de notre intérêt pour votre travail. C'est un compliment sincère. Si certains des députés sont déjà partis, c'est parce qu'ils ont des horaires chargés. Mais je crois qu'ils ont trouvé votre présentation intéressante. Je vous remercie d'être venu.
[Français]
M. Renaud: Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président: Une dernière chose. Le ministre a demandé au comité d'étudier la question de l'établissement cet été.
Nous envisageons la possibilité d'aller à Montréal. Je ne sais pas si cela vous intéresse de conseiller le ministre, au niveau économique plutôt qu'au niveau technique, par le biais de notre comité, sur les programmes d'établissement au Canada et au Québec. Je vais recommander aux membres du comité de vous faire comparaître, si cela vous intéresse.
M. Renaud: J'en serais très heureux.
Le président: Parfait.
La séance est levée.