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VI. Intérêt public, droit moindre et pénurie


(I) Le système actuel

La LMSI contient une disposition générale qui autorise le TCCE à recommander la diminution ou la suppression des droits antidumping ou des droits compensateurs, s'il estime qu'il en va de l'intérêt public. Toutefois, depuis son entrée en vigueur en 1984, cette disposition n'a pas été appliquée souvent.

L'article 45 de la LMSI prévoit que, dans le cas où un dommage est constaté, les «personnes intéressées» peuvent demander au TCCE de déterminer si l'imposition de droits est dans l'intérêt public. Si le TCCE juge que l'intérêt public est en jeu, il recommande la réduction ou l'élimination des droits dans un rapport adressé au ministre des Finances. Celui-ci peut alors, sur la foi de ce rapport, recommander au gouverneur en conseil de réduire ou d'éliminer les droits.

La LMSI, dans sa forme actuelle, ne contient pas de définition de l'expression «intérêt public». De plus, elle ne donne guère d'indications sur la façon dont le Tribunal doit l'interpréter. Par contre, la «personne intéressée» fait l'objet d'une définition dans le règlement afférent à la LMSI (article 41). L'expression vise : les producteurs, les acheteurs, les vendeurs, les exportateurs et les importateurs des marchandises visées par l'enquête ou de marchandises similaires, les fonctionnaires du Bureau de la concurrence du gouvernement fédéral, les consommateurs et les associations de consommateurs.

Lorsqu'il mène une enquête concernant l'intérêt public, le TCCE procède en deux temps. Il reçoit d'abord les observations des parties sur la question de savoir s'il y a lieu ou non de faire enquête. Ensuite, s'il décide de mener l'enquête, il recueille les renseignements utiles et tient une audience publique au cours de laquelle les témoins, notamment certains témoins appelés par le Tribunal lui-même, sont interrogés. En tant que cour d'archives, le Tribunal a également le pouvoir d'assigner des témoins et d'exiger d'eux qu'ils produisent des documents.

Cette question de l'intérêt public est liée de près à deux autres notions. La première est celle du droit moindre. Elle est plus précise que celle de l'intérêt public et se rattache à la notion de dommage. Le récent Accord antidumping de l'OMC stipule ce qui suit (article 9.1) : «il est souhaitable que l'imposition soit facultative sur le territoire de tous les Membres et que le droit soit moindre que la marge si ce droit moindre suffit à faire disparaître le dommage causé à la branche de production nationale». Or, la LMSI ne contient aucune disposition concernant le droit moindre.

La deuxième notion est celle du traitement différent accordé en vertu des lois commerciales aux marchandises dont il y a pénurie. À l'heure actuelle, la LMSI ne contient aucun mécanisme permettant réellement de dispenser certaines marchandises des droits antidumping ou compensateurs lorsqu'il y a pénurie à l'échelle nationale. Certes, l'article 14 de la LMSI autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements pour dispenser toute marchandise de l'application de la loi, mais cette disposition n'a pas été conçue pour permettre de résoudre rapidement une situation de pénurie pendant une période limitée.

(II) Résumé des propositions et des recommandations

Intérêt public

Parmi les nombreux intervenants à commenter la question de l'«intérêt public», aucun n'a exprimé d'opposition à l'article de la loi portant sur ce sujet, ni n'en a préconisé la suppression. Au contraire, la plupart estiment soit que le mécanisme actuel fonctionne raisonnablement bien soit qu'il faudrait réviser la loi de manière à renforcer l'application de ces dispositions. Par exemple, l'Association canadienne des fabricants de pâtes alimentaires affirme ceci : «Le système canadien fait en sorte que l'intérêt public soit pris en considération(12)» tandis que l'Association des fabricants des pièces d'automobile, en revanche, affirme que la disposition sur l'intérêt public n'est pas suffisante pour empêcher certains producteurs d'abuser de la protection du marché découlant des mesures antidumping(13).


(12) Mémoire de l'Association canadienne des fabricants de pâtes alimentaires, 30 octobre 1996.
(13) Mémoire de l'Association des fabricants de pièces d'automobile, 30 octobre 1996, Annexe A.

Certains témoins ont proposé des améliorations. Parmi ceux-ci, le Conseil national de l'industrie laitière du Canada et l'Association des brasseurs du Canada ont suggéré que l'on adopte une liste de critères ou de facteurs qui guideraient le TCCE quant à la signification de l'expression «intérêt public» et lui indiquerait quelle portée à donner à ses enquêtes. Il s'agirait d'une liste globale des enjeux, par exemple l'impact éventuel sur la concurrence au Canada, les effets en matière de prix sur les produits en question, les effets en matière d'emploi ou encore les gains et les pertes pour l'industrie et pour l'ensemble de l'économie.

Dans son témoignage, Mme K.E. MacMillan, ancienne vice-présidente du TCCE a fait observer ce qui suit : «La loi ne précise aucunement en quoi consiste l'intérêt public. Il faudrait que les critères à cet égard soient développés de manière plus claire, dans un sens plus large».

Certains ont proposé de renforcer l'interaction avec le Bureau de la concurrence, de sorte que les mesures visant à aider le commerce n'aillent pas à l'encontre des objectifs de la politique de concurrence. Le Bureau donnerait alors son avis au sujet des éventuels effets des procédures de recours commerciaux sur la concurrence intérieure. L'un des éléments majeurs d'une telle évaluation serait l'effet sur la concurrence intérieure et sur la compétitivité des industries en aval.

Plusieurs mémoires ont évoqué la question des industries en aval. À cet égard, les opinions diffèrent. L'Alliance des manufacturiers et exportateurs canadiens est d'avis que les industries en aval doivent être mieux sensibilisées aux effets possibles que les décisions du TCCE peuvent avoir sur leurs intérêts, afin que la participation de toutes les parties concernées par le processus soit plus complète. Pour d'autres, la suppression du dommage à l'industrie nationale doit avoir la préséance absolue, y compris sur la protection des intérêts en aval.

Ayant pris toutes ces opinions en compte, les Sous-comités concluent que l'intérêt public joue un rôle essentiel dans la législation canadienne en matière de recours commercial et qu'il faut clarifier les textes de loi pour faire en sorte que ce principe fonctionne bien. Par conséquent, les Sous-comités recommandent qu'une liste non exhaustive de facteurs soit intégrée dans l'article 45 de la LMSI, afin de guider le TCCE sur la question de savoir quand et comment procéder à une enquête concernant l'intérêt public. (13)

Il faudrait que l'on donne de l'«intérêt public» une définition claire et pratique, comme celles qui existent pour le «dumping» ou le «subventionnement», notions définies dans la loi, ou encore pour le terme «dommage», qui est largement défini dans le règlement. Parmi les facteurs dont on pourrait se servir pour établir un critère de l'intérêt public, citons : un effet négatif important pour les utilisateurs en aval; un problème d'accès aux intrants attribuable à l'imposition intégrale d'un droit; une restriction de la concurrence sur le marché intérieur; un effet important sur le choix ou la disponibilité des produits offerts à la consommation, l'élimination de la concurrence sur le marché, et ainsi de suite.

Bien entendu, les critères ou facteurs qui figureront dans le libellé d'un texte de loi prévaudront sur toutes les décisions antérieures du TCCE, par exemple le critère du cas «exceptionnel» utilisé dans l'affaire du maïs-grain(14).


(14) Tribunal canadien des importations, Rapport sur l'intérêt public, maïs-grain (1987).

Pour appliquer l'article 45 de la LMSI, le TCCE doit prendre deux décisions : la première concerne le seuil au-delà duquel il y a lieu de mener une enquête sur l'intérêt public; et la deuxième, l'issue de l'enquête, s'il décide de la faire. La décision concernant le seuil doit porter - comme c'est le cas, pour prendre une analogie, avec la décision qui est prise lorsqu'il s'agit de lancer une enquête sur les droits antidumping ou compensateurs - sur le fait qu'il existe ou non suffisamment d'éléments tendant à prouver que l'intérêt public est compromis. Compte tenu du caractère officiel et quasi judiciaire de la procédure du TCCE, les Sous-comités recommandent qu'une décision du TCCE, que des droits antidumping ou compensateurs pourraient ne pas être dans l'intérêt public, soit une décision formelle, pouvant être révisée par la Cour fédérale. Il faudrait que les réductions de droits soient maintenues au niveau prévu actuellement dans l'article 45 de la LMSI et qu'elles demeurent assujetties à un rapport au ministre des Finances. (14)

Droit moindre

Il a été question des droits moindres lors des audiences des Sous-comités. L'Association des importateurs canadiens affirme : «En cas de dommage, le taux de droit antidumping (valeur normale) devrait suffire seulement à éliminer le dommage(15)».


(15) Mémoire de l'Association des importateurs canadiens, 23 octobre 1996.

L'Alliance des manufacturiers et exportateurs canadiens explicite davantage sa position : «( . . . ) le Tribunal devrait être autorisé dans les circonstances appropriées, en vertu de l'article 45, à calculer un droit moindre afin d'atteindre une marge de dumping suffisante pour ramener le faible prix étranger au niveau du prix canadien (prenant pour acquis que ce prix couvre les coûts et résulte en un profit). Ainsi, des marges de dumping, comme Revenu Canada en fixe souvent, d'envergure telle que 50 p. 100, 100 p. 100 et même plus, pourraient être remplacées par des marges plus petites qui reflètent plus fidèlement la différence entre les prix étrangers répréhensibles et les niveaux de prix canadiens. Toutefois jusqu'à ce que d'autres pays de l'OMC adoptent une telle règle, le Canada ne peut être le seul ou un des seuls pays qui adopte une telle conduite(16).»


(16) Mémoire de l'Alliance des manufacturiers et exportateurs canadiens, du 20 novembre 1996.

En fait, il existe d'autres pays qui appliquent la règle du droit moindre, dont l'Australie et la Nouvelle-Zélande, de même que l'Union européenne, la plus importante entité commerçante de l'OMC. Malheureusement, le concurrent le plus proche du Canada, les États-Unis, ne le fait pas. On peut d'ailleurs se demander dans quelle mesure le Canada devrait aligner sa législation de recours commercial sur celle des États-Unis, comme l'ont proposé certains témoins devant les Sous-comités.

Les Sous-comités estiment que le Bureau de la concurrence a répondu de manière irréfutable à cette question :

L'approche canadienne en matière de recours commerciaux devrait tenir compte des différences entre les réalités économiques du Canada et des États-Unis : (i) le commerce représente une part beaucoup plus grande de notre revenu national et, par conséquent, les perturbations des flux commerciaux risquent d'être beaucoup plus coûteuses aux consommateurs et utilisateurs industriels du Canada que des États-Unis; (ii) le Canada a des structures de production intérieure plus concentrées et, de ce fait, l'imposition de droits risque davantage d'amener les producteurs protégés à exercer un pouvoir sur le marché et à hausser leurs prix et leurs profits au-delà de leurs coûts, avec les effets qui s'ensuivent à la fois sur l'efficacité et sur l'équité; et (iii) la forte propriété étrangère de nombreuses industries canadiennes fait en sorte que, souvent, les avantages des mesures protectionnistes profitent à des actionnaires étrangers, tandis que les coûts sont assumés par les consommateurs canadiens et les participants des industries utilisatrices(17).


(17) Mémoire du Bureau de la concurrence, Industrie Canada, 12 novembre 1996.

Les recherches récentes menées par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) appuient les affirmations du Bureau de la concurrence. Lors d'une étude récente sur la mondialisation, l'OCDE souligne que : [traduction] «Les acquisitions à l'étranger de pièces et de matériaux est l'une des caractéristiques principales des systèmes de production mondiaux ( . . . ) Au cours de la dernière période, le rapport entre les approvisionnements importés et les approvisionnements nationaux a atteint 50 p. 100 pour le Canada et s'est établi entre 35 et 40 p. 100 pour la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni. Par comparaison, le même rapport est de 13 p. 100 pour les États-Unis et de 7 p. 100 pour le Japon(18).»


(18) Globalization of Industrial Activities : Background Report, COM/DSTI/IND/TD(93)109/REVI, 28 janvier 1994, p. 16.

Ce qui nous amène à conclure que le Canada a une économie très différente de celle des États-Unis et, par conséquent, peut avoir besoin de politiques économiques tout aussi différentes. Les États-Unis sont mieux en mesure d'absorber les coûts en aval des procédures de droits antidumping et compensateurs, car ils dépendent moins que le Canada des approvisionnements internationaux.

Par conséquent, les Sous-comités recommandent que le concept du droit moindre, tel que prévu dans l'article 9.1 de l'Accord antidumping de l'OMC, soit incorporé dans les dispositions de l'article 45 de la LMSI concernant l'intérêt public. (15)

Pénurie

L'Association des fabricants de pièces d'automobile et l'Alliance des manufacturiers et exportateurs canadiens ont toutes deux souscrit à l'idée d'intégrer dans la LMSI une exception visant les situations de pénurie. Lorsqu'il y a pénurie de certaines marchandises, le fait d'assujettir celles-ci à une enquête et à des droits nuit indûment aux industries canadiennes qui ont besoin de ces marchandises. Des difficultés inutiles surviennent, et les producteurs locaux n'en profitent aucunement.

Certains ont suggéré qu'un régime d'annulation ou de suspension temporaires des droits antidumping ou compensateurs par Revenu Canada soit mis en place uniquement pour la période de pénurie. Toute procédure de décision devrait être exécutée rapidement dans des délais stricts et avec une documentation restreinte. Il faudrait que le libellé de la loi prévoie la mise en place de contrôles visant à tenir la période de pénurie ouverte pendant un temps aussi court que possible et uniquement pour des quantités précises de produits particuliers.

Il importe de souligner que l'Union européenne applique une règle équivalente à cette exception de pénurie et que le Congrès américain a déjà considéré une telle mesure, mais ne l'a pas l'adoptée.

La notion de pénurie est relativement récente et devra être analysée plus avant. Les Sous-comités recommandent au ministre des Finances d'envisager de modifier la LMSI, de manière à ce qu'il soit possible, temporairement, d'exempter certaines marchandises des ordonnances de droits antidumping ou compensateurs, lorsqu'il y a pénurie de ces marchandises à l'intérieur du pays. (16)

Pour l'application d'une telle modification à la LMSI, on pourrait permettre aux plaignants canadiens d'intenter un premier recours auprès du sous-ministre du Revenu, qui serait habilité en vertu de la loi à déterminer si la plainte est bien fondée. Dans l'affirmative, il recommanderait au ministre des Finances de suspendre temporairement la perception des droits antidumping ou compensateurs. Les facteurs à retenir dans de tels cas seraient les suivants : une telle décision aurait-elle un effet rétroactif; serait-elle applicable uniquement à certaines importations particulières par les parties qui auraient demandé la décision ou serait-elle applicable d'une manière générale à tous les importateurs?


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