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PARTIE II - ÉLÉMENTS D'UN CADRE STRATÉGIQUE CANADIEN EN VUE D'UNE INTERVENTION CONCERNANT
LA MAIN-D'OEUVRE INFANTILE


1. LE LEADERSHIP DU CANADA AU SEIN DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES ET DU SYSTÈME MULTILATÉRAL

Actions entreprises par l'entremise des Nations Unies

Les Nations Unies constituent une excellente tribune où le Canada peut mettre à profit sa voix, son engagement diplomatique avec les gouvernements d'autres nations et ses contributions matérielles pour discuter des nombreuses conditions à remplir pour trouver des solutions au problème de l'exploitation du travail des enfants. Le Canada devrait utiliser le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et le programme de l'UNICEF pour les enfants vivant des situations particulièrement pénibles, surtout pour élargir et renforcer les projets qui visent à fournir des solutions durables aux enfants très vulnérables (p. ex. ceux qui vivent des situations d'asservissement ou dont la vie et la santé sont menacées). Le Canada doit aussi intégrer à sa stratégie d'action les initiatives prioritaires liées aux prochaines étapes dont fait mention le document de l'UNICEF intitulé La situation des enfants dans le monde 1997.

On attend du Canada qu'il fasse figure de chef de file puisqu'il a joué un rôle important dans l'adoption de la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies en 1989 et qu'il a été coprésident du Sommet mondial pour les enfants de 1990, où l'on a formulé un plan d'action décennal. Depuis, la Commission des Nations Unies sur les droits de la personne a adopté, en 1993, un programme d'action pour l'élimination de l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile. Les travaux de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités et le bureau du rapporteur spécial sur la vente d'enfants et sur la prostitution et la pornographie infantiles ont également attiré l'attention sur l'exploitation des enfants. Cependant, les lacunes au chapitre de la protection internationale des droits des enfants sont souvent bien plus impressionnantes que les intentions officielles des États lors des réunions internationales. Même si la grande majorité des membres de l'ONU ont ratifié la Convention relative aux droits de l'enfant, les États-Unis ne l'ont pas fait, et nombre de pays ont exprimé des réserves au moment de la ratification ou ont fait preuve de laxisme pour ce qui est de fournir les rapports exigés sur la conformité. On a également affirmé pendant les audiences que les lois canadiennes sont toujours inadéquates en ce qui concerne la mise en application des dispositions de l'article 32 de la Convention, qui porte sur le travail des enfants.

Parce que l'ONU a un nombre élevé d'organismes spécialisés, le Canada risque de disperser ses énergies. Le Canada devrait s'efforcer d'établir des coalitions d'États membres de l'ONU qui partagent la même vision, pour s'attaquer aux problèmes d'importance capitale, tout en apportant encouragement et appui aux pays en développement qui s'efforcent d'honorer les obligations à l'égard des enfants imposées par les dispositions de l'ONU. Nous sommes donc d'accord avec les recommandations de Kathleen Ruff, à savoir que le Canada doit, dans les tribunes internationales, faire pression pour que soient prises rapidement des mesures en vue de mettre fin au travail forcé des enfants. Nous appuyons également la recommandation de Yogesh Varhade, qui suggère d'utiliser à fond les instruments de l'ONU dans le cadre de programmes de sensibilisation aux droits de la personne par les pays de l'Asie du Sud en vue de lutter contre certaines formes d'oppression culturelle (certaines qui sont, dans les faits, illégales, mais qui, dans la pratique, persistent) qui affligent des millions d'enfants travailleurs. Nous soulignons également la mise en garde de Errol Mendes qui affirme que des pays comme l'Inde seront plus enclins à travailler en collaboration par des voies bilatérales qu'à accepter les campagnes internationales médiatisées qui, le plus souvent, les placent sur la défensive. Tandis que les organismes internationaux devraient condamner les violations graves des droits, faire connaître leurs résultats et partager leur expertise, on devrait en tout premier lieu tenter d'obtenir des résultats qui profitent réellement aux enfants dans un contexte familial et socio-économique favorable.

Recommandation no 2:

Le Sous-comité recommande que le gouvernement :

Mesures concernant l'exploitation sexuelle à des fins commerciales et les enfants soldats

Même si le Sous-comité n'a pas entendu un grand nombre de témoignages sur ces questions, elles n'en préoccupent pas moins ses membres. Le ministre Axworthy a jugé pertinent de les inclure dans les priorités du gouvernement en matière d'intervention internationale. Le Sous-comité salue l'initiative du gouvernement d'aller de l'avant avec le projet de loi C-27 qui donne plus de mordant aux lois canadiennes et permet la poursuite des citoyens canadiens qui commettent des crimes sexuels contre des enfants à l'extérieur du pays. De même, le gouvernement collabore avec le Comité des droits de l'homme des Nations Unies afin d'élaborer un protocole facultatif pour que la Convention relative aux droits de l'enfant puisse s'appliquer à des questions liées à la vente d'enfants de même qu'à la prostitution et à la pornographie infantiles. De plus, il existe maintenant un comité interministériel dont le travail consiste à faire le suivi du plan d'action adopté au Congrès mondial contre l'exploitation sexuelle d'enfants à des fins commerciales qui s'est tenu à Stockholm en août 1996.

Même si nous applaudissons à ces initiatives, nous espérons que le gouvernement sera ouvert aux suggestions des ONG et d'autres organisations qui sont habituées de travailler dans les pays où le commerce sexuel des enfants est devenu un problème important. À la table ronde du 27 novembre, par exemple, Vision mondiale Canada a recommandé au gouvernement de faire part de ses préoccupations lors de discussions relatives au commerce avec les pays asiatiques, par exemple dans le contexte de la récente mission d'«Équipe Canada»; d'élargir la portée des lois extraterritoriales sur la prostitution infantile et d'adopter des mesures de précaution sévères afin d'empêcher toute possibilité de participation des troupes canadiennes de maintien de la paix à l'exploitation sexuelle d'enfants.

En ce qui a trait à la situation des enfants dans les conflits armés, et tout particulièrement à celle des enfants soldats, cette question a fait l'objet du rapport de l'UNICEF de 1996 intitulé La situation des enfants dans le monde et, plus récemment, du rapport présenté aux Nations Unies par l'experte du secrétaire général, Mme Graca Machel. Parmi ses nombreuses recommandations se trouvait la suivante : les États devraient garantir la conclusion rapide et fructueuse de l'ébauche du protocole facultatif concernant la Convention relative aux droits de l'enfant sur la participation des enfants aux conflits armés, afin de faire passer l'âge minimum de recrutement et de participation aux forces armées à 18 ans22. Pendant la participation du Canada au groupe de travail des Nations Unies pour l'ébauche de ce protocole, des difficultés ont surgi concernant l'âge minimum de recrutement volontaire. Quoi qu'il en soit, le mémoire qu'a adressé Vision mondiale Canada au Sous-comité encourageait vivement le Canada à, au moins, appuyer une norme de l'ONU faisant passer l'âge minimal de conscription à 18 ans. L'organisme a également proposé que le Canada interdise, en vertu de la Convention relative aux droits de l'enfant de l'ONU, l'exportation d'équipement et de techniques militaires à tout pays ou toute faction nationale qui emploie des enfants soldats. [27 novembre, p. 8]

Intervention au sein de l'Organisation internationale du travail

L'OIT est la plus ancienne organisation internationale à avoir mené la lutte contre le travail des enfants, adoptant une convention sur l'âge limite minimal de travail à sa première assemblée en 1919. Cette convention a été remplacée en 1973 par sa convention générale sur l'âge minimal no 138. Toutefois, jusqu'à maintenant, seulement 49 pays ont ratifié la convention no 138 (tandis que 187 États ont ratifié l'article 32 de la Convention relative aux droits de l'enfant). Le Canada fait partie des membres de l'OIT qui n'ont pas ratifié la convention no 138, la raison officielle étant qu'aucune administration, provinciale ou fédérale, ne répond entièrement à toutes ces restrictions (même si bien des défenseurs des droits des enfants considèrent qu'il ne s'agit pas d'une justification suffisante). Même si cette convention continue d'être citée comme étant la principale convention internationale sur le travail des enfants23, elle ne vise pas expressément l'exploitation du travail des enfants, et même le secrétariat de l'OIT admet qu'il est peu probable que la convention aille bien loin au chapitre des actions urgentes nécessaires pour déclarer illégales les formes les plus viles et dangereuses de travail des enfants. C'est pourquoi il faut chercher un nouvel instrument qui permettrait de cibler clairement et spécifiquement ces formes «intolérables». L'organe directeur de l'OIT a convenu de mettre l'ébauche d'une nouvelle convention au programme des conférences ministérielles pour 1998. On espère pouvoir adopter une convention acceptable aux yeux d'un plus grand nombre avant la fin de la décennie.

Les ministres Axworthy et Gagliano ont indiqué que le Canada appuierait et participerait activement à ces travaux, qui, s'ils réussissent, fourniront des fondements juridiques plus solides pour prendre des mesures contre des produits fabriqués par une main-d'oeuvre forcée ou travaillant dans des conditions dangereuses, en vertu du cadre fourni par les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Nous en aurons davantage à dire sur le rôle de l'OMC dans une section ultérieure portant sur les mesures liées au commerce, mais nous souhaitons dès maintenant indiquer que le Canada devrait continuer à chercher des façons de poursuivre les objectifs de l'OIT, en soulevant la question de l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile dans les discussions commerciales multilatérales. De plus, nous croyons que le Canada peut mettre à profit des ressources diplomatiques afin d'aplanir les différends non réglés entre le Nord et le Sud qui sont apparus à la première conférence ministérielle de l'OMC tenue à Singapour, en décembre 1996.

Les témoins ont appuyé sans équivoque un durcissement des normes internationales relatives au travail des enfants par le truchement de l'OIT, assorti d'une conformité plus large et plus efficace à tous les niveaux. Par ailleurs, John Harker, ancien représentant de l'OIT au Canada, laissait entendre que la supervision de telles normes exige que l'on fasse pleinement confiance au respect du traitement équitable et que les buts visés devraient être l'amélioration plutôt que la punition. Cela permet de souligner l'importance de la collaboration technique pour aider les pays à répondre aux normes actuelles et futures. À cet égard, on a encouragé fortement le Canada à contribuer à l'IPEC et à favoriser l'engagement de groupes tripartites et d'ONG de façon à continuer à élargir ses activités. Le mémoire de M. Harker comprend de nombreuses idées excellentes concernant l'utilisation des ressources canadiennes en vue de soutenir une collaboration technique de ce genre, et propose également que les travaux à venir se fassent à l'échelle de l'hémisphère et du Commonwealth. Le Sous-comité a indiqué plus tôt que le Mexique devrait faire partie des pays sur lesquels le Canada devrait se pencher dans le cadre d'une stratégie relative au travail des enfants. Nous nous attendons donc à ce que la Conférence de février 1997 de l'ALENA sur le travail des enfants en Amérique du Nord, mentionnée par le ministre Gagliano, donne l'impulsion voulue et constitue un test pour porter au maximum le potentiel d'utilisation des mécanismes de collaboration dans des ententes de ce genre pour faire progresser le programme de l'OIT et établir également les jalons servant à mesurer les progrès réalisés.

Interventions par l'entremise d'organisations régionales et d'autres organisations multilatérales

Cela dit, le Sous-comité croit qu'il existe une diversité de forums multilatéraux, et certaines possibilités stratégiques à venir, où la diplomatie canadienne et l'énergie ainsi que l'expertise de nombreux Canadiens peuvent être utilisées à bon escient, c'est-à-dire pour éliminer les pires aspects de l'exploitation des enfants. Il ne fait aucun doute que l'expérience de l'ALENA est très pertinente au sein de l'Organisation des États américains (OEA) dans le contexte de l'évolution vers la libéralisation du commerce à l'échelle des hémisphères. Nous avons déjà souligné les possibilités qu'offre la Conférence sur le travail des enfants que tiendra en février la Commission de coopération de l'ALENA dans le domaine du travail. Dans le contexte d'un autre marché régional naissant, le Canada sera l'hôte des chefs de gouvernement à l'occasion de la prochaine réunion du Forum sur la coopération économique en Asie et dans le Pacifique, qui aura lieu à Vancouver, à l'automne 1997, de même que d'une conférence de jeunes Asiatiques en mai. Il est clair, comme l'ont mentionné les porte-parole des ONG des Philippines qui sont venus témoigner, et après avoir porté attention à la question du travail des enfants qu'ont soulevée des premiers ministres canadiens pendant la mission commerciale de janvier 1997, que les réunions de la CEAP offrent une tribune idéale où articuler cette préoccupation et tenter d'obtenir un consensus régional sur des mesures constructives permettant de mettre un terme aux formes extrêmes d'exploitation de la main-d'oeuvre infantile.

Le Canada s'est récemment efforcé d'amener le Commonwealth à prendre des mesures plus concrètes concernant les droits de la personne. De plus, comme John Harker l'a fait remarquer, le Canada a été, par le passé, l'instigateur de mécanismes utiles au sein du Commonwealth. Il a proposé la création d'un «groupe d'experts sur le travail des enfants» ce que, selon nous, le gouvernement considère d'un oeil favorable. Le Canada devrait favoriser l'inscription de ce point à l'ordre du jour de la prochaine réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth qui aura lieu plus tard cette année. Nous demandons instamment que cette question soit également portée à l'attention de l'Association parlementaire du Commonwealth. Tout groupe consultatif constitué devrait inclure des représentants des ONG qui oeuvrent directement auprès des enfants travailleurs des plus vulnérables. Son mandat devrait également toucher les secteurs stratégiques, notamment le rapport entre le commerce libéralisé et des normes de travail «fondamentales», qui pourrait tirer parti d'une harmonisation des points de vue nord-sud.

De plus, le travail d'un groupe consultatif du Commonwealth - et une initiative semblable pourrait être proposée par le Canada au sein de la Francophonie - pourrait faire avancer la recherche d'un consensus au sujet d'une nouvelle convention de l'OIT avant la conférence de 1998. De plus, le Canada devrait appuyer d'autres travaux effectués par l'OCDE (nous en avons décrit une partie un peu plus tôt) sur les rapports en pleine évolution entre une intervention concernant l'exploitation du travail des enfants, les conditions de travail (et les niveaux de chômage chez les adultes) et les courbes de commerce et d'investissement. Le Canada devrait également promouvoir des discussions sur les mesures destinées à combattre l'exploitation du travail des enfants avec les pays du G-7 et ses partenaires des pays en développement, et, dans la mesure du possible, dans d'autres contextes multilatéraux24.

Intervention des institutions financières internationales

Dans un rapport publié au mois de mai 1995, le Comité a demandé à ce qu'on apporte des modifications aux politiques des IFI sur «l'ajustement structurel» dans les pays en voie de développement afin de s'assurer que ces conditions économiques n'aient pas pour effet de miner les gains sociaux sur le plan des droits de la personne et de la réduction de la pauvreté25. Le document La situation des enfants dans le monde 1997 publié par l'UNICEF souligne que des progrès limités ont été réalisés à cet égard, mais qu'il reste beaucoup de chemin à faire encore. De toute évidence, pour donner un exemple, les réductions peu judicieuses touchant l'éducation primaire et les services de soutien à l'intention des familles pauvres et endettées pourraient avoir pour résultat d'annuler les efforts déployés pour faire face à certaines des situations qui mènent à l'exploitation des enfants au travail. Pour remédier à la situation, les organismes multilatéraux de prêt, y compris les banques régionales de développement et la Banque mondiale, pourraient changer les choses d'une façon positive en utilisant leur pouvoir financier considérable et leurs politiques d'approvisionnement de façon à accroître la conformité avec les normes relatives au travail des enfants. De façon encore plus proactive, le Canada devrait encourager les IFI à investir davantage leurs ressources directement dans des programmes durables axés sur le développement de l'enfant (p. ex., les programmes de microcrédit comme celui de la Grameen Bank à l'intention des femmes, les projets de réadaptation pour les enfants travailleurs, les possibilités novatrices en matière d'éducation de base que décrit le rapport de l'UNICEF de 1997) qui promettent réellement de s'attaquer aux racines d'une bonne partie de l'exploitation des enfants au travail.

2. Utiliser l'aide canadienne de coopération au développement

Orientation et attribution de l'aide au développement

Certains témoins ont fait remarquer que la vaste majorité des situations où l'on exploite le travail des enfants ne peuvent être éliminées sans que l'on aborde les conditions du développement humain durable dans des sociétés où ces problèmes sont les plus courants. Ces pays sont aussi, pour la plupart, des partenaires auxquels le Canada fournit une aide. Il est donc important que, outre les contributions faites par le truchement d'organismes multilatéraux, les politiques et les programmes canadiens d'aide publique au développement cherchent les façons les plus efficaces d'aider les enfants vulnérables.

Le ministre Pettigrew, alors responsable des programmes de coopération internationale, a exposé au Sous-comité une série d'engagements gouvernementaux continus, y compris l'engagement à «consacrer 25 p. 100 de l'aide publique au développement aux besoins humains fondamentaux, les enfants constituant un groupe cible important.» [7:4] L'Agence canadienne de développement international (ACDI) a estimé qu'environ un million de dollars par jour (approximativement 20 p. 100) de son budget est consacré à des programmes qui répondent aux besoins des enfants. Dans un récent document, l'ACDI a également donné des détails des activités dans les domaines suivants : investissements dans l'éducation primaire; création de possibilités nouvelles d'emploi; participation entière des femmes; et petits projets visant les enfants. Les auteurs poursuivent en décrivant l'orientation future des mesures préventives concernant le travail des enfants prises en collaboration avec les partenaires de l'APD, en plus de celles qui visent à réduire la pauvreté et à fournir une sensibilisation de base : conscience et promotion des droits de la personne, défense des politiques officielles et mobilisation sociale autour des questions liées à l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile26.

Mis à part ces efforts et ces intentions, les témoignages que nous avons entendus indiquent que tout ne va pas pour le mieux et qu'on pourrait faire bien davantage avec les ressources existantes. Des préoccupations valables ont été exprimées au sujet des effets des réductions cumulatives du budget de l'APD. Néanmoins, vu les réalités budgétaires, les suggestions des témoins se concentraient sur des façons positives de renforcer l'orientation et l'attribution de l'aide afin de corriger les conditions qui sous-tendent le travail des enfants et l'exploitation. À mesure que l'aide diminue, il devient de plus en plus important d'en maximiser la qualité et la portée. Le Conseil canadien pour la coopération internationale a proposé d'augmenter la cible de l'APD du Canada et de consacrer 50 p. 100 des dépenses aux besoins fondamentaux, en mettant un accent tout particulier sur les besoins primaires des enfants. De plus, le CCCI a demandé à ce qu'on utilise la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant comme guide pour les décisions de l'APD. Le respect des normes relatives aux droits des enfants dans le cadre de programmes de coopération au développement, et dans toutes les relations du Canada avec les pays en voie de développement, a également été un aspect sur lequel ont insisté les porte-parole des organisations de défense du Québec. [Jacques Tremblay et Manon Bernier, de Défense des enfants international, Serge Fleury, de Jeunesse Canada Monde, et Jean Rock Roy, de Club 2/3; table ronde du 2 octobre 1996]

La déclaration du ministre Pettigrew pourrait constituer un pas dans cette direction. Lorsqu'il a comparu, il a affirmé que «l'ACDI envisage d'inclure des «codes de conduite» dans tous ses accords de financement, qui pourraient même expliciter la responsabilité incombant à l'organisme d'exécution d'éliminer le travail des enfants.» [7:5] Depuis, pendant une visite officielle en Inde, le ministre Axworthy a manifesté un certain intérêt pour des procédures d'évaluation visant à s'assurer que l'aide canadienne n'appuie «aucune activité qui encourage l'utilisation du travail des enfants»27. La présidente du CCCI, Betty Plewes, a recommandé au Sous-comité que l'ACDI crée «un mécanisme d'évaluation des incidences sur les enfants . . . [en s'inspirant] de l'excellent travail de la Direction générale de l'aide norvégienne au Tiers-Monde et des travaux conjoints de plusieurs membres du CCCI, dont Pueblito Canada, Aide à l'enfance - Canada et Jeunesse Canada Monde pour concevoir un mécanisme d'évaluation des projets des ONG». [5:25]

Nous croyons qu'il est important de mettre en place un système transparent pour s'assurer que le Canada ne verse aucune aide monétaire qui dénoterait qu'il tolère des situations où la main-d'oeuvre infantile est exploitée. Un certain nombre de témoins ont proposé que le Canada utilise également ses relations dans le domaine de l'aide de façon plus vigoureuse pour insister sur un plus grand respect des normes relatives au travail des enfants et de leurs droits par les pays bénéficiaires. Le mémoire de Vision mondiale Canada, entre autres, nous met toutefois en garde : «Le Canada devrait continuer d'être un modèle de réforme du travail offrant une incitation positive, et non un modèle punitif fondé sur les sanctions, qui affecte les travailleurs vulnérables, avant de toucher leur employeur.» [le 27 novembre 1996, p. 6]

Des programmes et des projets qui portent fruit

Au-delà des buts et des paramètres généraux, il est tout aussi important que le programme d'aide canadien cherche à trouver les façons les meilleures et les plus concrètes de travailler avec les collectivités sur le plan de la prévention, de la réadaptation et d'alternatives efficaces. L'ACDI semble être sensibilisée à cet aspect, et les témoins ont fait des propositions utiles dans ce sens. Au début des audiences, la sénatrice Pearson a fait observer que des projets valables ne nécessitaient pas nécessairement de grandes dépenses. Elle a décrit un projet fort inspirant destiné aux petites filles qui travaillent à ramasser des guenilles dans des rues de Bangalore, en Inde. Avec des ressources limitées, on s'attache à travailler directement auprès des enfants et des familles dans leur contexte, de préférence en utilisant les infrastructures existantes de façon à ce que le projet dure le plus longtemps possible après l'intervention. Dans des pays où le gouvernement fait preuve d'une volonté réelle, on peut travailler en collaboration avec des ONG dans la société civile afin d'atteindre la source du problème. [5:8-9] Dans les cas où des lois contre l'exploitation, telle la servitude, sont établies sans être appliquées, le Canada devrait participer aux efforts de sensibilisation et de défense des droits, et, comme l'a suggéré Kathleen Ruff, appuyer les organismes communautaires et de protection des droits de la personne qui luttent contre l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile.

Des mesures partielles ne suffisent pas. Par exemple, Linda Tripp, de Vision mondiale Canada, a mentionné le cas d'ONG qui achètent la liberté d'enfants asservis. Si on n'apporte pas de changements fondamentaux à la situation familiale de ces enfants, «ces derniers retombent souvent entre les mains d'exploiteurs.» Des solutions complètes à long terme doivent viser l'autonomie financière en offrant des occasions de formation professionnelle et de travail rémunérateur. George Kent, chercheur dans le domaine des droits de l'enfant, partage ce point de vue et signale que :

Les lois visant à réglementer le travail des enfants sont régulièrement ignorées dans la réalité, car elles ne tiennent pas pleinement compte des forces sociales, politiques et économiques qui soutendent le travail des enfants. [ . . . ] Lorsque les enfants, les parents, les employeurs et les gouvernements estiment tirer quelque avantage des pratiques actuelles et ne voient pas d'alternatives applicables, ils feront fi de tout effort pour modifier la situation28.
M. Kent prône d'autres solutions qui miseraient sur une «éducation inspirée des affaires», où l'on accorderait des prêts d'études favorisant l'acquisition de compétences concrètes visant à améliorer la capacité à long terme de gagner sa vie, et où l'on appliquerait des techniques «inspirées de programmes de micro-prêts ayant obtenu de très bons résultats, comme ceux de la Grameen Bank du Bangladesh29

Il ne manque pas de modèles originaux à suivre. La Situation des enfants dans le monde 1997, de l'UNICEF, présente un certain nombre d'exemples de mesures qui ont réussi, dont les suivantes : des «écoles nouvelles» offrant une éducation de base aux enfants des régions rurales de la Colombie; des projets d'enseignement parallèle pour les enfants de la rue au Brésil et aux Philippines; des refuges et des cours de formation pour les fillettes de Haïti et du Kenya qui travaillent comme domestiques; un «programme d'éducation des filles», pour les jeunes Thaïlandaises qui vivent dans un environnement à risque élevé. [Citation tirée du mémoire présenté par UNICEF Canada, p. 3] Il est primordial que les ressources du Canada soient utilisées aussi efficacement que possible, et que l'on porte une attention spéciale à la mise en commun des leçons apprises sur le terrain, et qu'on obtienne le soutien et la participation du public canadien et dans les pays en développement à l'égard de projets de partenariats concrets visant à mettre fin à l'exploitation des enfants. En plus de renforcer la probabilité de résultats positifs, le CCCI a vivement recommandé que le programme d'information sur le développement de l'ACDI soit utilisé pour illustrer les résultats potentiels, de ce fait, sensibiliser les Canadiens et les encourager à apporter de nouvelles idées de participation.

Stratégies et «Pactes de développement» sur mesure

Comme le ministre Axworthy l'a souligné pendant sa présentation, le Canada doit, s'il veut réellement changer les choses, avoir plus qu'une série de projets épars à son actif. [5 : 10-11] En ciblant ses efforts et en établissant une stratégie coordonnée, le Canada devrait être en mesure de coopérer plus efficacement avec certains pays. Un certain nombre de témoins se sont montrés en faveur de l'établissement de stratégies propres à chaque pays qui feraient non seulement appel aux autorités gouvernementales, mais de plus en plus aux intervenants non gouvernementaux, aux syndicats et aux entreprises.

L'Inde, qui a adopté une politique nationale concernant le travail des enfants, fait l'objet d'un examen des plus minutieux de la part d'ONG luttant contre le travail des enfants. Ce fut le pays dont le Sous-comité entendit le plus parler. Les commentaires tant positifs que négatifs étaient assortis de suggestions détaillées pour l'établissement de mesures intégrées et mutuellement bénéfiques. Girish Godbole, directeur d'Aide à l'enfance - Canada pour l'Inde, a proposé les mesures suivantes pour l'élimination graduelle de la servitude des enfants : enseignement primaire de qualité gratuit et obligatoire; développement rural et création d'un environnement économique dynamique pour contrer la pauvreté familiale et pour favoriser la création d'emplois chez les adultes; application des lois relatives au salaire minimum et au travail des enfants; formation informelle et en apprentissage; programmes de réadaptation et autres activités rémunératrices.

M. Errol Mendes, de l'Université d'Ottawa , a allégué que le Canada pourrait aider les organismes d'État et la société civile de l'Inde de plusieurs façons : application du droit constitutionnel à l'éducation et sensibilisation aux droits des enfants; établissement de programmes correctifs dans des domaines liés directement aux secteurs où la servitude infantile est présente; enquête et intervention à l'égard du travail d'enfants dans des industries dangereuses et dans le secteur agricole; mise en oeuvre de programmes de développement des ressources humaines, de développement régional, de lutte à la pauvreté et de sécurité sociale dans les régions à forte concentration de main-d'oeuvre infantile; lutte contre les abus et la discrimination (y compris les pratiques culturelles traditionnelles) contre les jeunes filles [et surtout contre les minorités opprimées - voir le témoignage de Yogesh Varhade]; réduction de la dégradation environnementale et établissement de solutions de rechange viables; promotion de technologies qui éliminent le besoin d'exploiter les enfants et qui offrent des avantages supérieurs à l'égard du bien-être de la société dans son ensemble.

Au sujet des activités de coopération pour le développement, au sens le plus large du terme, Gerry Barr, du Fonds humanitaire des Métallos, avec l'appui du CCCI, a avancé des arguments probants selon lesquels le Canada devrait innover dans l'élaboration de «pactes de développement» visant à éliminer le travail des enfants dans un pays comme l'Inde. On pourrait y inclure l'APD et des mesures commerciales, et rechercher un soutien multilatéral tout en étant encouragé par des initiatives bilatérales et en laissant une marge de manoeuvre pour des «interventions unilatérales créatives» [6 : 3-4] soigneusement étudiées. Voici quelques critères qui devraient orienter la conception de tels pactes : réciprocité (reconnaissance, par le Canada et le pays en développement, que les obligations à l'égard des normes et des politiques s'appliquent à eux); processus de surveillance indépendants; préférence pour les incitatifs à l'observation des pactes au lieu de sanctions punitives; promotion des partenariats entre le secteur privé et la société civile30. Même si nous traiterons de mesures directement liées au commerce dans la section suivante, nous désirons faire savoir que nous appuyons l'idée d'oeuvrer dans des cadres de développement coopératif cohérents et convenus mutuellement afin de s'attaquer à tous les aspects de l'exploitation du travail des enfants. C'est une idée logique qui offre au Canada une occasion de collaboration bilatérale stratégique avec des partenaires en développement choisis, pour le bien des enfants exploités.

3. L'application d'Instruments liés au commerce

Enchâssement de normes relatives à la main-d'oeuvre infantile dans les accords commerciaux

Certains témoins ont fait valoir que, même si la majeure partie de l'exploitation actuelle du travail des enfants n'a pas lieu dans les secteurs d'exportation, le fait d'enchâsser des dispositions exécutoires interdisant l'exploitation du travail des enfants parmi les «principales» normes concernant les droits des travailleurs dans les traités commerciaux internationaux peut contribuer d'une manière efficace à la réalisation de cet objectif, tant à l'échelle mondiale que régionale, dans un grand nombre de cas où le commerce est un facteur important ou pourrait le devenir. En fait, l'interdiction de certaines formes d'abus particulièrement répréhensibles des travailleurs serait énoncée explicitement dans les règles de concurrence loyale à titre de mesures correctives et préventives.

Mme Marie Pépin, de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), a fait remarquer que la protection des droits des enfants devrait être au moins aussi importante que la protection des droits sur la propriété intellectuelle dans la poursuite des négociations et l'extension d'accords commerciaux régionaux et mondiaux. M. Stephen Benedict a présenté les arguments du CTC en faveur de la campagne de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) qui invoquent les principales normes de l'OIT pour assortir la libéralisation du commerce d'une «disposition sociale». Il fait valoir qu'une disposition «prévoyant la coopération de l'OIT et de l'Organisation mondiale du commerce pénaliserait les pays qui ne se soucient pas du travail des enfants tout en offrant la gamme complète des droits commerciaux aux pays qui prennent des mesures pour éliminer le problème31

Compte tenu que les problèmes que présente la définition des normes liées aux droits commerciaux et le risque de leur emploi abusif à des fins protectionnistes provoquent toujours des conflits entre les pays, la position du Canada à l'égard d'une disposition sociale pour le GATT et l'OMC a été prudente et ambivalente. Par exemple, sur la question du travail des enfants, le Canada, n'ayant pas ratifié la convention no 138 sur l'âge minimal, se retrouverait en situation de non-respect de la disposition et, par conséquent, pourrait faire l'objet de mesures commerciales, jusqu'à l'établissement d'une nouvelle norme de l'OIT qui ne viserait clairement que les formes intolérables d'exploitation du travail des enfants32. Le travail doit continuer d'être effectué de façon multilatérale afin que le régime commercial international soit compatible avec les normes du travail généralement acceptées où l'on met efficacement l'accent sur les pires abus, et qu'aucun pays ne fasse l'objet de discrimination injuste. Le ministre Axworthy a présenté la proposition du Canada : que l'OIT et l'OMC se rencontrent régulièrement une fois par an pour échanger de l'information, parler de leur travail, des progrès accomplis . . . » [5 : 5]

Néanmoins, les divisions découlant de la première conférence ministérielle de l'OMC à Singapour - qui, en particulier, dressait les États-Unis, la France et la Norvège contre un grand nombre de pays en développement, notamment l'Inde et la Malaisie33 - doivent être éliminées pour que l'on puisse progresser. La Déclaration finale du 13 décembre 1996 engageait effectivement les membres de l'OMC à respecter les normes du travail internationalement reconnues et habilitait l'OIT à établir et à appliquer ces normes. La Déclaration signalait aussi qu'on ne doit d'aucune façon remettre en question l'avantage comparatif de pays, particulièrement des pays en développement. On ne s'est pas entendu sur l'établissement au sein de l'OMC d'un organisme qui se consacrerait aux normes du travail, et la formulation équivoque de la Déclaration laisse place à des interprétations contradictoires.

Le Sous-comité est conscient des débats de longue date concernant la disposition sociale et les questions qui y sont liées34. Même si toutes les difficultés actuelles pouvaient être surmontées, ce qui nécessiterait certainement un effort de négociation important et prolongé, un instrument commercial juridique utilisé seul risque d'avoir peu d'effets sur le problème de l'exploitation du travail des enfants. Comme l'a déclaré Errol Mendes, «l'ajout d'une disposition sociale contre le travail des enfants dans l'OMC ne toucherait pas les causes sous-jacentes du phénomène en Inde.» [Mémoire du 2 octobre 1996, p. 6] Il a suggéré une façon de faire plus pragmatique et efficace pour réaliser les objectifs de la disposition sociale, soit de se consacrer avant tout à aider le pays à atteindre un niveau supérieur de développement économique qui éliminerait les facteurs liés à l'offre et à la demande à la source de l'exploitation du travail des enfants, et, par le fait même de montrer aux pays que l'amélioration du niveau des normes de travail entraîne des avantages concrets35. Un certain nombre de témoins ont fait une mise en garde : les progrès économiques ne constituent pas une solution en soi, mais doivent être sous-tendus par des objectifs clairs en matière de droits de la personne et de justice sociale.

Une autre méthode constructive qui permettrait de trouver un terrain d'entente consisterait à combiner l'établissement de normes avec les initiatives de coopération liées au travail, au sein des règlements commerciaux. Le Canada pourrait faire preuve de leadership dans le domaine grâce à l'expérience acquise dans le cadre des négociations pour les ententes parallèles de l'ALENA; il pourrait utiliser cette expérience pour accroître son influence, et appliquer les connaissances acquises à d'autres accords internationaux de libéralisation des échanges. Le ministre Gagliano a fait remarquer que l'omission d'appliquer les lois nationales relatives au travail des enfants est soumise à la gamme complète de procédures prévues par l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail. [11 : 2] Même si on a critiqué le fait que ces procédures de l'ALENA sont trop limitées, faibles, longues et complexes, elles offrent néanmoins quelques leçons.

L'essentiel, c'est que les principes du droit du travail qui portent sur le travail des enfants soient définis clairement de façon multilatérale afin que l'on mette l'accent sur l'élimination de l'exploitation, et que l'ajout de ces normes convenues aux règlements commerciaux applicables mène à l'amélioration des pratiques économiques pour le mieux-être de l'ensemble de la société et, en particulier, dans l'intérêt supérieur des enfants exploités.

Mesures d'encouragement ou sanctions commerciales?

Même s'il est possible de définir clairement des normes internationales relatives à l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile qui soient compatibles avec les règles du commerce libéralisé, il est loin d'être certain que des instruments axés sur les sanctions - par exemple, l'embargo ou l'interdiction touchant des produits fabriqués «illicitement» par des enfants - sont la meilleure solution pour réaliser les objectifs liés à de telles normes. Les témoins, y compris les témoins du secteur privé, étaient généralement d'accord que le Canada devrait se montrer vigilant dans l'observation des normes, et qu'il devrait prendre des mesures pour éviter toute complicité dans l'achat ou la vente de biens produits grâce à certains types de main-d'oeuvre infantile (voir les prochaines sections du rapport). Cependant, comme l'ont signalé entre autres John Harker, il est très important d'éviter des conséquences autodestructrices ou involontaires (c.-à-d., que le problème ne fait que se déplacer et apparaître ailleurs) qui pourraient aggraver la situation des enfants asservis. Il est aussi important que toute mesure disciplinaire commerciale soit assortie de systèmes crédibles de supervision et de mesures pour venir en aide aux jeunes victimes d'exploitation commerciale.

On cite souvent le Child Labor Deterrence Act, surnommé le «Harkin Bill», présenté au Congrès américain pour la première fois en 1992, à titre d'exemple de mesures inappropriées visant à imposer des sanctions. Même si ce projet de loi n'a pas encore été promulgué, la menace que font planer les États-Unis a entraîné des effets graves sur certains fournisseurs étrangers, comme ceux de l'industrie du vêtement du Bangladesh. Comme le signale La situation des enfants dans le monde 1997, et comme le cite, entre autres, Girish Godbole, d'Aide à l'enfance, une étude internationale de suivi a tiré la conclusion suivante : «Les enfants travailleurs, pour la plupart des filles, ont été renvoyés sur-le-champ des usines de vêtements . . . Certaines d'entre elles se sont retrouvées dans des situations encore plus précaires, comme des ateliers dangereux où elles touchaient un salaire moindre, ou la prostitution.»

L'UNICEF reconnaît que les pressions des États-Unis ont accéléré la recherche, avec la participation de l'UNICEF et de l'OIT, de meilleures solutions de rechange visant à protéger ces enfants et à leur fournir une autre forme de soutien en vertu d'un protocole d'entente signé en 1995 avec les fabricants et les exportateurs de vêtements du Bangladesh. Néanmoins, l'UNICEF insiste sur le fait qu'on ne doit jamais envisager l'imposition de sanctions sans avoir préalablement évalué les répercussions sur les enfants, et que toute sanction doit s'assortir d'un suivi continuel des effets sur les enfants36. Philip Alston, conseiller auprès de l'UNICEF en matière de droits des enfants et sommité à l'égard du système de droits de la personne de l'ONU, a aussi fait valoir que les mesures législatives américaines sont habituellement unilatérales et suspectes à l'égard des droits de la personne (il souligne que les États-Unis n'ont pas ratifié la plupart des conventions principales de l'OIT relatives aux droits du travail)37.

Au lieu de mettre l'accent sur des mesures commerciales punitives, la plupart des témoins voyaient plus d'avantages et moins d'obstacles dans les mesures d'encouragement. Gerry Barr, du Fonds humanitaire des Métallos, a apporté des suggestions quant aux façons d'améliorer l'application du régime de tarification préférentiel canadien (TPG) pour les pays en développement, en misant sur l'expérience de l'Europe et des États-Unis, afin de promouvoir le commerce avec les pays qui s'engagent à mettre fin à l'exploitation du travail des enfants. Autrement dit, le Canada récompenserait les pays qui sont disposés à coopérer en leur offrant un meilleur accès au marché, et leur offrirait l'aide technique voulue pour leur permettre de relever leurs normes, idéalement, dans le cadre des «pactes de développement» complets traités plus tôt.

Des mesures plus complexes pourraient exiger des accords entre le gouvernement et l'industrie en vue d'améliorer les normes du marché canadien tout en essayant de mettre en oeuvre des mesures correctives avec les pays exportateurs, qui pourraient être financées grâce à de modestes prélèvements sur l'import-export de biens dans les secteurs où l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile (p. ex., travailleurs asservis) est particulièrement problématique38. Subhash Khanna, importateur montréalais, et Stephen Beatty, représentant de la Fédération canadienne du vêtement, ont affirmé que les entreprises canadiennes oeuvrant dans ces secteurs sont réceptives à des idées constructives visant à réglementer et à améliorer les pratiques commerciales qui prévoient des solutions de rechange axées sur l'encouragement et qui n'imposent pas de fardeaux ou de sanctions injustes aux sociétés canadiennes ou étrangères.

«Commerce loyal» et régimes d'homologation des produits

La croissance rapide du commerce international et la sensibilisation du public au fait que la pression de la concurrence internationale pourrait exacerber l'exploitation ont entraîné la croissance d'un mouvement en faveur d'une consommation plus informée et plus «morale». De nouvelles organisations commerciales, comme la société Bridgehead d'Oxfam, dont les activités sont assorties d'objectifs clairs à l'égard du commerce loyal et de la justice sociale, répondent dans une petite mesure à cette demande. Toutefois, pour ce qui est de hausser les normes du marché, on doit concevoir des outils plus larges qui permettraient aux gouvernements, aux entreprises et aux citoyens en général d'exercer leur pouvoir d'achat d'une manière responsable et avec un certain niveau de confiance.

À cette fin, on pourrait essayer divers types d'«étiquetage social» de produits, en recourant à des méthodes transparentes, responsables et suffisamment indépendantes pour éviter toute accusation de protectionnisme caché ou de favoritisme39. Même s'il ne traitait pas précisément de l'exploitation du travail des enfants, Bob Thompson, de Fair TradeMark Canada, a expliqué au Sous-comité comment un tel système pouvait s'appliquer à des produits d'usage courant (p. ex., le café et le thé) à l'aide d'incitatifs sur le marché. Jacques Tremblay, de Défense des enfants international, a fait valoir que «le Canada devrait coopérer avec les grandes sociétés en vue d'établir une nouvelle gamme de normes ISO [Organisation internationale de normalisation] à l'égard des conditions de vie des enfants. Une homologation ISO 15 000 serait source de fierté pour les entreprises ayant adopté des politiques précises et mis en oeuvre des mesures concrètes afin d'améliorer le sort de ces enfants dans leur milieu . . . » [Mémoire du 2 octobre 1996, p. 14]

Il est clair que les entreprises qui évoluent dans les secteurs où la main-d'oeuvre infantile est importante ont tout avantage à réagir aux préoccupations des consommateurs à l'égard de l'exploitation des enfants. Par contre, comme l'a signalé Stephen Beatty, de la Fédération canadienne du vêtement (FCV), le gouvernement doit établir des normes et assurer une surveillance afin d'éviter que l'autosurveillance de l'industrie ou le militantisme des consommateurs ne punisse injustement certaines entreprises sans que des mesures constructives visant à remédier au problème de l'exploitation du travail des enfants dans les pays exportateurs soient mises en oeuvre. Les sociétés ont besoin de lignes directrices claires énoncées par le gouvernement concernant les normes du travail, et les consommateurs ont besoin de renseignements exacts et dignes de foi sur les produits qui entrent sur le marché canadien.

La FCV a suggéré qu'on établisse une norme de référence minimale sur le travail des enfants et qu'on crée, au sein du MAECI, un «registre» avec inscription volontaire, mais sous la supervision du gouvernement, des sociétés qui adhèrent à cette norme. Ceci permettrait «de garder à jour une liste des services d'inspection privés et indépendants ayant fait la preuve de leur capacité à inspecter et à certifier la performance des compagnies basées dans les pays exportateurs.» [7 : 20] Dans le même ordre d'idées, Subhash Khanna a demandé d'avoir «l'assurance [que le gouvernement] fait la sentinelle» en établissant un répertoire commercial du même genre. [7 : 28] M. Beatty signale, toutefois, que l'établissement de normes de base n'est qu'une première étape, puisque - avec 35 000 vendeurs de vêtements accrédités au Canada - l'application réelle de la norme doit évoluer grâce à l'expérience du marché, au partage de l'information et à l'apprentissage des meilleures pratiques. John Harker a aussi signalé le besoin d'établir une supervision additionnelle crédible du marché afin d'offrir au Canada toute la latitude voulue pour encourager la collaboration créative au sein de la société civile entre les entreprises privées, les syndicats et les ONG.

Le système d'homologation des produits qui a suscité le plus grand intérêt et présenté les recommandations les plus controversées jusqu'à ce jour est l'étiquette «Rugmark», de la Fondation Rugmark indépendante, fondée en Inde en 1994 et récemment établie au Népal. L'idée de créer une étiquette garantissant au consommateur qu'il n'y a pas eu exploitation illicite d'enfants, découlant des inquiétudes que suscite le nombre grandissant d'enfants asservis dans le commerce du tapis, provient de la South Asian Coalition on Child Servitude (SACCS), dirigée par Kailash Satyarthi (qui a présenté un mémoire au Sous-comité). L'application de ce concept a ensuite été entreprise par une coalition d'ONG et de fabricants de tapis, avec le soutien de l'UNICEF et de l'Agence allemande de coopération technique. (GTZ - l'Allemagne est le plus gros importateur de tapis orientaux). Même si Linda Alexanian, acheteuse pour Alexanian Carpet, a laissé entendre que l'étiquette «Kaleen», parrainée par le gouvernement de l'Inde, pourrait être une solution de rechange dans le cadre des échanges commerciaux avec l'industrie locale, cette étiquette n'a pas réussi à établir sa crédibilité à l'échelle internationale. Rugmark, pour sa part, jouit d'un soutien important de la part d'un certain nombre d'organismes de défense des droits de l'enfant, y compris Aide à l'enfance - Canada et le Canadian Anti-Slavery Group, dont le mémoire a signalé les réalisations de Rugmark.

Le système Rugmark vise non seulement à assurer l'homologation des produits et le contrôle externe, mais aussi à générer des ressources en vue d'établir des programmes éducatifs et socio-économiques pour les enfants exploités, comme l'établissement d'écoles, de programmes de formation et de centres de réadaptation. Les importateurs de tapis portant l'étiquette Rugmark versent un droit équivalant à 1 p. 100 de la valeur marchande des produits à cette fin; les exportateurs, pour leur part, versent un droit de 0,25 p. 100 afin de contribuer au financement du système d'inspection, qui finira par s'autofinancer. Toutefois, une étude sur la mise en oeuvre du système Rugmark au Canada, menée pour le MAECI par UNICEF Canada, laisse croire que les répercussions positives du système au pays seraient très limitées, et qu'il ne serait peut-être pas particulièrement rentable d'y affecter les ressources de l'APD, déjà en baisse. Néanmoins, Rugmark «s'avère un outil réglementaire efficace», et le Canada «pourrait soutenir les éléments nationaux du système par l'entremise des organismes gouvernementaux qui sont responsables de la consommation . . . »40. Plusieurs témoins ont vivement contesté cet accueil mitigé et ces conclusions peu enthousiastes. Kathleen Ruff, du Anti-Slavery Group, a présenté une critique détaillée du document au Sous-comité, ce qui a donné lieu à une réplique de la part d'UNICEF Canada.

Nous ne doutons pas de la validité de la déclaration suivante d'UNICEF Canada : «Nous ne mettrons fin à l'exploitation économique des enfants, asservis ou autres, que lorsque nous serons en mesure de : changer les attitudes et pratiques principales des parents et de la collectivité, d'affecter suffisamment de ressources à la création de solutions alternatives dans les collectivités afin que les familles n'envisagent pas de faire travailler leurs enfants; et de fournir une éducation primaire gratuite et obligatoire41.» En même temps, l'étude, qui date de juin 1996, s'est peut-être attiré des critiques, car elle ne semblait pas vraiment tenir compte de la valeur actuelle de Rugmark comme outil de soutien des objectifs de lutte contre l'exploitation des enfants pour les consommateurs et les entreprises du Canada. Notre attention s'est portée sur une étude pratique américaine qui, fait à souligner, a été subventionnée par la Reebok Human Rights Foundation, traitant en profondeur des prétendues faiblesses de Rugmark, dont la conclusion sur l'ensemble du programme est clairement positive, même si on reconnaît qu'il y a place à l'amélioration42. Qui plus est, La situation des enfants dans le monde 1997 de l'UNICEF signale que, tout compte fait, l'initiative Rugmark mérite qu'on l'appuie43. Le principal souci du Sous-comité est qu'une évaluation objective ouvre la voie à des réactions plus positives. Par conséquent, nous croyons qu'il serait justifié de procéder à la mise en oeuvre de Rugmark au Canada, ne serait-ce que pour une période d'essai de quelques années. Le coût du programme ne justifierait pas qu'on lui refuse sa chance de faire ses preuves44. La poursuite de la participation du Canada au programme sera alors orientée par les réactions du public suite à une évaluation indépendante sur la période d'essai.

4. Faire appel à la responsabilité du secteur privé

Pratiques commerciales morales et «codes de déontologie»

En réponse au mouvement des consommateurs en faveur d'un commerce et d'investissements socialement responsables, un nombre croissant d'entreprises qui évoluent à l'échelle internationale professent leur adhésion à des pratiques «morales», en partie en adoptant des «codes de déontologie» officiels. À l'occasion de leur témoignage, le ministre Axworthy et Lucie Edwards, du Secteur des enjeux globaux et culture du ministère des Affaires étrangères, ont fait référence à des discussions en cours, avec le secteur privé canadien, en vue d'encourager les entreprises à adopter volontairement cette orientation. Le ministre a cité en exemple le code de déontologie d'Ontario Hydro, qui : «s'oppose à l'exploitation des enfants et des jeunes personnes, et exige le respect de toutes les normes nationales et internationales applicables à l'emploi d'une jeune personne.» [2 octobre 1996, p. 5]

Les représentants du secteur privé qui ont témoigné devant le Sous-comité ont indiqué qu'ils étaient attentifs aux préoccupations des Canadiens sur la collusion en matière d'exploitation du travail des enfants. M. Beatty a déclaré que les entreprises membres de la FCV ont adopté une déclaration de responsabilité à l'égard des pratiques équitables d'emploi. Toutefois, tel que précisé à la section précédente, la FCV a signalé le besoin d'établir le cadre d'une stratégie gouvernementale plus prévisible à l'égard des industries visées, qui ne pénaliserait pas les sociétés canadiennes qui sont de bonne foi. On a fait valoir qu'il serait préférable, et plus juste, d'établir un système transparent, supervisé par le gouvernement, et offrant des incitatifs à la participation volontaire des entreprises, plutôt que de lancer des menaces d'embargo, de boycotts par les consommateurs ou de mesures législatives et de règlements sévères.

Le Sous-comité a aussi eu droit à un exposé étoffé sur le rôle des grandes multinationales de William Maroni, vice-président (affaires gouvernementales et politique publique) chez Levi Strauss & Cie. Chef de file de l'industrie, Levi Strauss a adopté en 1991 un code, Global Sourcing and Operating Guidelines, qui établit les modalités d'un engagement avec un partenaire commercial et des critères d'évaluation des pays. La politique de la société concernant le travail des enfants respecte les normes de l'OIT et comporte le principe suivant :

L'utilisation d'une main-d'oeuvre infantile est inacceptable. Les travailleurs ne peuvent avoir moins de 14 ans ou moins que l'âge de l'obligation scolaire. Nous ne ferons pas affaires avec des partenaires qui emploient des enfants dans l'un de leurs établissements. Nous favorisons l'élaboration de programmes d'apprentissage légitimes en milieu de travail pour l'éducation des jeunes.
Selon M. Maroni, on peut encore faire beaucoup pour démontrer que des codes d'éthique volontaires «peuvent être utiles, raisonnables et économiques, et surtout, [qui] représenter une excellente pratique commerciale» [7:25]. L'application du code prend la forme de contrôles et d'évaluations internes, de programmes d'éducation et de formation pour le personnel, de projets communautaires et d'efforts d'amélioration soutenus. Toutefois, M. Maroni a reconnu que la compagnie Levi Strauss, de par sa visibilité, est devenue la cible de critiques, notamment d'Amnistie Internationale, pour son refus de se prêter à la vérification externe par les ONG qu'a réclamée, entre autres, l'Organisation catholique canadienne Développement et Paix dans le cadre de campagnes et d'études récentes45.

Nombre d'observateurs sceptiques voient de plus combien il sera difficile de vérifier si les multiples codes volontaires sont respectés, d'où les pressions croissantes en faveur de contrôles externes46. Parmi les géants du commerce du détail en Amérique du Nord, The Gap a reçu des félicitations pour avoir établi en 1995 la première formule vraiment indépendante à cet égard. Tout de même, les cas de non-conformité, les interprétations subjectives et, sans aucun doute, une bonne dose de confusion tant au sein de l'industrie que chez le consommateur demeurent monnaie courante47.

D'autres témoins ont fait valoir au Sous-comité qu'afin de surveiller l'application des codes d'investissement et de commerce du secteur privé, il est encore nécessaire que le gouvernement intervienne et même légifère. Par exemple, Vision mondiale Canada affirme que les lignes directrices régissant le travail des enfants doivent constituer un code déontologique ayant force de loi, que le Canada appliquera à ses échanges commerciaux internationaux [mémoire du 27 novembre 1996, p. 8]. Yogesh Varhade a vivement recommandé que les sociétés canadiennes soient passibles de poursuites pour violation à l'étranger des règles établies à cet égard. Tout de même, les témoins ont eu tendance à insister davantage sur les mesures positives visant à renforcer et à soutenir les initiatives provenant du secteur privé48. Selon John Harker, le Canada devrait

réunir les entreprises, les syndicats et les ONG pour aider à envoyer des inspecteurs indépendants bien formés dans les industries ayant un lien avec le Canada . . . On pourrait recruter ces inspecteurs auprès des ONG du pays en question. Ils veilleraient à ce que les ententes soient respectées et à ce que le nom du Canada et celui des entreprises canadiennes ne soit jamais entaché. Peut-être ici pourrait-on confier un rôle au SACO [Service administratif canadien outre-mer], qui envoie des conseillers bénévoles auprès des entreprises des pays en voie de développement. [Mémoire du 3 octobre 1996, p. 7]
Le ministre Axworthy a fait allusion à des intervenants d'un tout autre âge : «Lorsqu'il s'agit d'appliquer des normes au Canada, je pense que l'une des plus grandes ressources inexploitées, ce sont les jeunes eux-mêmes.» [5:20] Nous sommes bien d'accord qu'il faut que le gouvernement s'efforce d'inclure la société civile. Dans les prochaines pages, nous nous pencherons sur les modalités possibles pour promouvoir une telle coopération.

Les partenariats commerciaux pour mettre fin à l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile

Du point de vue de la pratique aussi bien que des principes, le secteur privé peut faire beaucoup pour montrer qu'il s'acquitte de sa responsabilité envers les enfants du monde. Au sujet du protocole d'entente sur l'industrie du vêtement au Bangladesh que nous avons évoqué parmi les exemples positifs donnés plus haut, l'UNICEF parle des entreprises «sensibles à l'opinion publique [qui] ont décidé d'agir . . . [et] démontré que les relations entre le secteur privé et les militants luttant contre le travail des enfants ne doivent pas forcément être antagonistes, qu'une coopération constructive, ou même un partenariat, peut parfois servir l'«intérêt supérieur» des enfants au travail. Des normes

d'emploi plus rigoureuses et de meilleures conditions de travail servent également à créer une main-d'oeuvre plus efficace, plus stable et mieux formée49

Stephen Benedict, du Congrès canadien du travail, a attiré l'attention du Sous-comité sur les négociations récentes intervenues entre la FIFA (Fédération internationale de football association) et des organisations syndicales internationales pour établir, avec le concours de l'OIT et en fonction des normes de l'OIT, un code des pratiques acceptables en matière de main-d'oeuvre. Environ 80 p. 100 des ballons de soccer utilisés dans le monde entier sont produits au Pakistan, une bonne part par des enfants. Selon l'entente proposée, la FIFA n'homologuerait pas les produits des fabricants pris en flagrant délit de violation des normes sur le travail des enfants. Il s'agirait notamment de prendre des mesures pour encourager l'instruction chez les enfants touchés et leur collectivité (pour que les enfants aillent à l'école et que les adultes trouvent du travail), soumettre le respect des règles à une évaluation indépendante et adopter des mesures d'exécution permettant de faire respecter les normes de l'industrie - ce sont tous là des éléments importants qui pourraient être appliqués dans d'autres secteurs également.

D'autres témoins ont proposé divers moyens par lesquels le secteur privé peut apporter une contribution. Subhash Khanna a vivement incité les gens d'affaires du Canada à participer directement à des projets visant à améliorer les conditions de travail des enfants, dans leurs rapports avec les fournisseurs et entrepreneurs. Les entreprises, plutôt que de se retirer simplement des secteurs et des situations où il y a un problème, pourraient faire jouer leurs relations d'affaires de façon créative pour, tout au moins, améliorer le traitement des enfants qui travaillent50 et prendre progressivement des mesures positives qui, avec le temps, rendront superflu le travail des enfants» [7 : 28]. Monsieur Khanna a proposé la création d'un fonds pour financer les programmes d'éducation par l'entremise de taxes à l'importation et à l'exportation dans les cas où le travail des enfants représente un problème significatif (peut-être 0,25 p. 100 de la valeur marchande). À ce moment-là, le pays importateur et le pays exportateur auraient à verser une somme équivalente dans le fonds. Girish Godbole a aussi proposé la création d'un tel fonds provenant d'un partenariat entre le gouvernement et la société civile, qui formulerait des stratégies précises et tiendrait compte du degré de complexité et de diversité géographique dans les pays comme l'Inde. Linda Alexanian convient du fait que les entreprises canadiennes ayant des contacts outre-mer ont directement la responsabilité de soutenir les efforts déployés de part et d'autre pour lutter contre l'exploitation de la main-d'oeuvre des enfants, notamment par des mesures d'aide concernant la santé des enfants et les programmes d'études et d'assistance sociale qui leur sont destinés, sans oublier l'établissement de solutions de rechange constructives (emploi et activités productrices de revenus).

5. Soutenir la participation de la société civile

Collaborer avec la société civile dans les pays en développement

Quelle que soit l'action que le Canada décide d'entreprendre, il est apparent, aux yeux des témoins, que le gouvernement ne peut changer à lui seul les conditions sociales difficiles, et souvent bien enracinées, qui sous-tendent l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile dans le monde. Nous pouvons nous contenter de dire que nos normes et nos politiques d'aide, concernant les pratiques commerciales internationales, demeurent sans reproche. Toutefois, pour intervenir à la source des difficultés, il faut aussi connaître la situation locale et être apte à collaborer avec les tenants d'une évolution sociale démocratique, pour faire valoir les droits des enfants dans un contexte économique et culturel difficile. Pour faire converger les efforts vers des stratégies adaptées à un pays particulier, il est donc indispensable d'élaborer des moyens d'action qui privilégient le partenariat et la participation.

De nombreux témoins ont insisté sur cette dimension du problème. Betty Plewes, du CCCI, a affirmé que les pays du Nord devaient cesser de croire qu'ils ont la science infuse dans leurs rapports avec les nations du Sud. Errol Mendes a fait remarquer que, dans le cas d'un pays comme l'Inde, la collaboration avec des partenaires locaux demeure essentielle et que l'une des contributions les plus importantes consiste à augmenter le degré de conscience sociale. [5 : 39]. John Harker s'est dit d'accord pour combattre l'indifférence et la passivité aussi bien que la pauvreté. Selon lui, le Canada, grâce aux compétences en technologies de l'information du CRDI, pourrait «actualiser l'enquête menée par l'OIT auprès des groupes qui luttent contre le travail des enfants, et créer à ce sujet une fonction interactive sur Internet» et encore : «Au-delà de la sensibilisation du public, il faut combattre sur plusieurs fronts, notamment dans le domaine des politiques publiques, de l'élaboration ou encore de l'application des lois, de l'éducation et de la formation des fonctionnaires et d'une participation plus grande des collectivités locales ainsi que des partenaires sociaux, dont les syndicats et les associations d'employeurs.» [Mémoire du 3 octobre 1996, p. 10-11]

Dans son mémoire, l'organisme Vision mondiale traite des activités qu'il exerce en Inde pour conscientiser le public aux conséquences funestes de l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile et collaborer avec les autres ONG pour promouvoir les droits des enfants qui travaillent, particulièrement en persuadant les employeurs intransigeants à adopter des normes [27 novembre 1996, p. 4]. Selon les jeunes qui sont venus témoigner et les porte-parole des groupes de défense des droits des enfants, il faut pouvoir susciter la compréhension et développer des idées, pour en arriver à une action concertée qui tient compte du sort véritable des enfants vulnérables ailleurs dans le monde.

Avec beaucoup d'à-propos, Kathleen Ruff a insisté sur les appuis cruciaux aux organisations de défense des droits de la personne, dans leurs efforts courageux pour combattre les formes particulièrement insidieuses d'exploitation des enfants, comme l'asservissement illégal au travail. Certaines de ces organisations font face à de nombreux obstacles à l'étranger. Selon elle, le Canada pourrait débloquer des fonds pour permettre à ces groupes d'intenter des poursuites et pour contrôler et signaler le degré de progrès réalisés dans le respect de la loi. En recourant aux moyens d'action diplomatiques, à l'aide internationale et aux mesures d'incitation d'ordre commercial,

le Canada pourrait, grâce à une approche stratégique, appuyer ceux qui, au sein de l'industrie ou du gouvernement, souhaitent ardemment mettre fin au travail forcé dans leur pays, mais où de puissants intérêts, par voie de collusion, dressent devant eux un mur infranchissable. Le Canada tirerait parti de l'énergie, du dévouement à la cause et de l'expertise de la société civile, sans laquelle il ne sera jamais possible de mettre fin à l'asservissement au travail [Mémoire du 27 novembre 1996, p. 5]

Collaborer avec la société civile au Canada

Quoique les témoins aient souligné qu'il importe de mobiliser les Canadiens pour qu'ils collaborent avec les organismes nationaux et internationaux de la société civile, il faut faire converger les mesures visant à combattre l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile sur la source même du problème. Autrement dit, le Canada doit se munir de sa propre stratégie de lutte contre l'exploitation du travail des enfants en en faisant une question mondiale qui concerne les Canadiens51. Outre les organismes d'aide et les campagnes d'action dans les pays en développement, il faut consolider davantage la base de soutien au Canada. Comme l'affirme l'ex-ministre de la Coopération internationale, Pierre Pettigrew :

Il y a tant de choses à faire. Il nous faut bien cibler des ressources devenues rares et les utiliser de manière stratégique et novatrice. Nous devons contribuer à l'établissement de partenariats et de coalitions réunissant tous ceux qui sont touchés par ce problème et qui s'y intéressent : les gouvernements, à tous les paliers, les entreprises, les différentes professions, les syndicats, les écoles, les églises, les citoyens, et les enfants eux-mêmes. Ces groupes sont parmi nos nombreux partenaires. En collaborant avec les représentants de nombreux secteurs, nous cherchons des moyens de mieux renseigner les consommateurs et d'élaborer des codes de conduite pour l'entreprise privée. [7:4]
Un moyen d'action très important, qui n'est pas mentionné plus haut, concerne la presse, c'est-à-dire la presse écrite et électronique. John Stackhouse, correspondant du Globe and Mail, ayant pour spécialisation le développement en Inde, parvient à mettre bien en lumière les conditions de travail des enfants aussi bien que les solutions de rechange possibles en Asie du Sud. Fin octobre 1996, l'Ottawa Sun a publié une série de reportages spéciaux mettant en relief le sort des enfants vulnérables qui sont exploités de par le monde52. L'Ottawa Citizen couvre les tables rondes du Sous-comité, qui ont également été télévisées à la chaîne parlementaire, CPAC. Dans La situation des enfants dans le monde 1997, l'UNICEF se penche également sur le rôle que jouent les médias, dans les pays en développement aussi bien que sur la scène internationale53. La publication du rapport s'est accompagnée elle-même d'une importante campagne de presse, suivie au Canada de la diffusion dans les deux langues sur les réseaux de la société d'État d'une émission ayant pour titre «Les enfants d'abord» (production de l'Office national du film, de concert avec Sélection du Reader's Digest Canada), le 15 décembre 1996, «Jour international de télédiffusion pour les enfants», selon la désignation de l'UNICEF. Étant donné la grande influence de la télévision sur les jeunes téléspectateurs, il a été question, durant nos audiences, de recourir à des chaînes comme YTV [10:25-26].

De nombreux témoins ont invité le gouvernement à collaborer avec des partenaires sociaux en vue de diffuser des renseignements et des analyses qui permettent aux gens de nombreuses collectivités de faire germer des projets d'action. Les porte-parole d'ONG québécoises ont insisté sur l'appui du public à l'égard des efforts que déploient les ONG pour nouer des liens personnels avec les gens (c'était le cas aussi dans le rapport de novembre 1996 du Forum du Québec sur les relations internationales du Canada concernant «La protection internationale des enfants»). Betty Plewes, du CCCI, recommande particulièrement que l'ACDI instaure des programmes de sensibilisation du public et des consommateurs aux questions relatives aux droits de la personne dans le cadre de son programme d'information sur le développement. De même, elle affirme que de concert avec le MAECI, «l'ACDI . . . devrait continuer d'encourager le dialogue entre le secteur privé, les groupes ouvriers, les gouvernements et les coalitions à base populaire». [5:26]. Les tables rondes et autres mécanismes de consultation qui font appel à tous les intéressés sont exemplaires en ce sens et permettent de faire converger les approches multidimensionnelles nécessaires à la lutte contre l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile.

John Harker tenait à ce que le «momentum» créé par l'intérêt que porte le ministre à la question et l'enquête réalisée par le comité parlementaire soit maintenu et les efforts ciblés : «Ne pourrait-on pas créer un groupe qui assurerait le lien essentiel entre l'État et la société civile dans ce dossier? Pendant l'apartheid, le Canada avait créé un fonds de fiducie qui avait pour mission d'inciter la société canadienne à contribuer, grâce à l'éducation et à la formation, à surmonter l'apartheid. Le travail des enfants ne mérite rien de moins.» [Mémoire du 3 octobre 1996, p. 13].

Pour le renouvellement des programmes de coopération internationale du Canada et l'élaboration de stratégies en vue de la réalisation des objectifs de la politique étrangère, le Sous-comité croit que le gouvernement devrait approfondir sa démarche et explorer ces idées, ainsi que d'autres concepts innovateurs, en faisant surtout en sorte d'appuyer les nombreux organismes non gouvernementaux qui font et ont fait un excellent travail dans le domaine de la sensibilisation du public. En plus d'un encouragement tangible, le gouvernement devrait chercher avec eux des façons de faire valoir une stratégie canadienne pour mettre fin à l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile, comme nous l'avons proposé. Nous insistons sur l'importance d'accroître la participation de la société civile à cet effort dans les meilleurs délais, idéalement avant les sommets du Commonwealth et de la CEAP (le Canada en est l'hôte dans ce dernier cas) aussi bien que la Conférence d'Oslo sur le travail des enfants, prévue pour cette année. Toute formule retenue pour faire participer le public devrait comporter des éléments permettant d'attirer un plus grand nombre de Canadiens et de Canadiennes dans toutes les régions du pays et, surtout, comme nous l'expliquons dans la partie suivante, de reconnaître et de promouvoir l'apport des jeunes.

6. Faire appel aux jeunes

Écouter ces jeunes qui font valoir les droits et la justice

Un des faits saillants des audiences du Sous-comité a été l'attention accordée à l'énorme potentiel de militantisme chez les jeunes, comme en a fait foi le groupe de jeunes canadiens ayant comparu le 20 novembre 1996, c'est-à-dire la Journée internationale de l'enfant, et l'anniversaire de la Déclaration des droits de l'enfant (1959) et de la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant (1989). Dans La situation des enfants dans le monde 1997, l'UNICEF souligne des initiatives prometteuses qui méritent d'être encouragés, dans les pays en développement aussi bien que dans les pays industrialisés. Les enfants qui travaillent ont commencé eux-mêmes à se regrouper, à organiser des marches et des rassemblements publics, à se concerter, entre eux et avec des groupes d'activistes, afin de mieux communiquer par la voie d'activités de défense de leurs droits et de conscientisation54. Le rapport de l'UNICEF met aussi en relief la solidarité dont font preuve l'adolescent Craig Kielburger et Free the Children - Canada, qui ont su porter à l'attention du grand public en Amérique du Nord la question de l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile.

Durant la table ronde, l'organisme Free the Children était représenté par deux jeunes ayant moins de 12 ans. Ils ont voulu nous communiquer le message suivant : «Les enfants ont des droits. Ils ont le droit de fréquenter l'école, le droit d'être protégés contre les abus et l'exploitation, le droit de s'exprimer et de se faire entendre. Tous les enfants ont ces droits, peu importe le pays où ils vivent, peu importe qu'ils soient riches ou pauvres.» [10:3] Kyle Connolly, qui avait récemment pris la parole à l'occasion d'un congrès d'importance en Saskatchewan, et Laura Hannant, qui s'apprêtait à se rendre en Suède pour s'entretenir avec les jeunes dans les écoles, ont affirmé que leur organisation ne préconisait pas des solutions simplistes. Selon eux, le gouvernement et le monde des affaires au Canada peuvent en faire beaucoup plus pour combattre les formes les plus répréhensibles d'exploitation des enfants au travail.

Deux adolescentes fondatrices du groupe Kids for Human Rights and Justice, Jemima Day Cowan et Caitlin Smith, ont parlé des autres champs d'action où les ONG pouvaient s'attaquer, de façon holistique, aux nombreuses dimensions du problème (notamment la consommation effrénée et irréfléchie) et faire jouer les relations internationales dans le domaine du développement pour mieux conscientiser les jeunes du Canada. Elles ont parlé d'une participation à l'élaboration de programmes d'études et de l'exploration approfondie de mesures touchant des questions interreliées : «Notre organisme étudie à la loupe tous les droits humains, et cherche des solutions à long terme plutôt que des solutions improvisées et à court terme.» [10:9] Évoquant l'expérience qu'elle a vécue de première main à titre de bénévole à l'étranger pour Jeunesse Canada Monde, Émilie Bernier a décrit avec force détails la myriade de dimensions que comporte le problème - les jeunes filles prises au piège du travail de domestique, les enfants faisant un travail dangereux, les enfants obligés de se défendre dans la rue. Elle en convient : «Il n'y a pas de solution facile, mais il faut tout mettre en oeuvre pour redonner à ces enfants leur enfance.» [10:14] Selon elle, pour que les enfants se développent sainement, il faut des approches intégrées qui prennent en considération la vie familiale et communautaire, qui respectent l'apport des enfants et qui permettent aux enfants d'acquérir les compétences nécessaires à un travail digne à l'âge adulte.

Quoi qu'il en soit, le ministre Axworthy a décrit dans ses propres termes le défi qui se pose : «Lorsqu'il s'agit d'appliquer des normes au Canada, je pense que l'une des plus grandes ressources inexploitées sont les jeunes eux-mêmes. Nous ne passons certainement pas suffisamment de temps à les écouter ou à les aider à se mobiliser.» [5:20] Quant au premier objectif ainsi énoncé, nous croyons que les activités de partenariat de la société civile, dont il est question plus haut, doivent inclure une dimension jeunesse. L'assemblée de l'Asia Pacific Youth Conference, qui doit se tenir à Winnipeg au mois de mai, représenterait une autre occasion de faire inscrire au programme du sommet des leaders de la CEAP (Sommet dont le Premier Ministre sera l'hôte à Vancouver au mois de novembre 1997) des propositions concernant l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile. Les jeunes du Canada ont toutefois besoin de moyens plus modestes pour avoir une prise directe et soutenue, en rapport avec les questions qui les touchent directement, sur la formulation de la politique étrangère.

Pour une jeunesse «branchée»

À une époque marquée par une mobilité croissante et la mondialisation des communications, la stratégie du Canada doit être à la hauteur. Dans un article attestant de ses réalisations, Craig Kielburger est cité : «Le fax et Internet ont créé une communauté mondiale. Le nouveau petit copain, c'est un garçon qui habite en Amérique latine ou en Asie55». Mme Day Cowan, de Kids for Human Rights and Justice, l'a confirmé devant le Sous-comité : «Nous échangeons de l'information par courrier électronique. Nous faisons parvenir des vidéos par la poste. Grâce à ces deux moyens, on peut vraiment apprendre ce qu'est la vie des autres. C'est comme aller leur rendre visite, mais ça coûte beaucoup moins cher.» [10:21] Au Canada, le ministère des Affaires étrangères et l'ACDI pourraient aussi étudier avec les mouvements de jeunesse des moyens d'exploiter le potentiel interactif des technologies existantes et en émergence-surtout Radio Canada International qui, grâce à l'accessibilité de ses services radio peu coûteux, est écouté même dans les pays en développement les plus pauvres. On pourrait aussi mettre à profit l'expertise du CRDI pour créer et coordonner des réseaux internationaux et canadiens centrés sur la participation des jeunes à l'élaboration des politiques et des mesures visant à mettre fin à l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile.

Les témoins de tous âges ont proposé plusieurs façons dont les gouvernements pourraient s'y prendre pour mieux soutenir les initiatives des jeunes du point de vue matériel. Jacques Tremblay, de Défense des enfants international, se rappelant l'existence éphémère du fonds de partenariat pour les enfants établi après que le Canada ait coprésidé le Sommet mondial pour les enfants, a réclamé la création d'un fonds pour promouvoir les droits des enfants dans le monde entier, que les ONG et les établissements canadiens pourraient utiliser avec leurs partenaires dans les pays en développement [mémoire du 2 octobre 1996, p. 14]. John Harker a noté la recommandation du rapport de juin 1996 du groupe de travail ministériel sur la jeunesse : «Que l'on donne aux jeunes Canadiens davantage de possibilités de travailler sur les marchés internationaux et d'acquérir des connaissances à ce sujet». Si des fonds sont consacrés à des programmes de stages internationaux pour les jeunes : «Les entreprises et le gouvernement pourraient coopérer de manière à engager certains de ces jeunes dans des activités visant la suppression du travail des enfants.» [Mémoire du 3 octobre 1996, p. 9]

Conclusion : Pour donner suite à l'action du Parlement

Le présent rapport constitue non pas la fin, mais plutôt le début d'une démarche à long terme. Le travail qui nous incombe, à titre d'élus, n'est pas terminé. Si le gouvernement répond favorablement aux recommandations du Comité, les possibilités d'action parlementaire et publique seront élargies. Jamais autant de Canadiens n'auront eu l'occasion de prendre part à une stratégie générale cohérente qui vise, par la collaboration, à mettre fin au fléau que constitue l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile et à donner à ces enfants la chance d'une vie meilleure.

Dans le contexte de notre première recommandation, nous invitons le gouvernement à donner une réponse globale à notre rapport, qui exposerait une stratégie canadienne réunissant un ensemble de mesures concertées pour lutter contre l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile. John Harker a bien exprimé notre espoir : «Il est à espérer que le rapport sur les consultations parlementaires sera largement diffusé et que l'on recueillera les commentaires des parties intéressées.» [Mémoire du 3 octobre 1996, p. 13] Nous avons recommandé que l'on favorise la participation vigoureuse des ONG et une participation accrue des citoyens à l'élaboration de politiques, notamment en préparant des dossiers afin que les questions relatives à l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile soient étudiées par les groupes consultatifs au Canada et dans le cadre d'importantes conférences internationales prévues pour bientôt. Évidemment, l'on devrait réserver aux députés un rôle de premier plan-certainement plus que ce n'a été le cas par le passé-dans toute initiative visant à faire collaborer les gouvernements et la société civile dans ces dossiers.

Les députés peuvent aussi faire leur part pour «mettre fin au silence et à la complaisance», comme Kathleen Ruff l'a souligné dans son mémoire. Dans le contexte, ils peuvent en discuter avec les autres députés, avec les membres d'associations interparlementaires et participer à des échanges (comme la tribune parlementaire tenue récemment par la CEAP à Vancouver). Nous attendons donc du ministre Axworthy qu'il respecte l'engagement qu'il a pris, lorsqu'il a comparu, de chercher avec les organisations parlementaires des moyens d'accroître les pressions dans le dossier du travail des enfants à l'occasion de réunions internationales et, par ailleurs, de profiter de toutes les occasions qui se présentent, telles que les visites fréquentes de délégations étrangères au Canada, pour soulever ces questions préoccupantes pour tous et relater l'expérience vécue de part et d'autre.

Si importantes que soient ces rencontres, le rôle premier des députés consiste à adopter des lois de manière démocratique et à s'acquitter de leurs responsabilités envers les citoyens de tout le pays. Plusieurs de nos recommandations évoquent la possibilité de mesures législatives - par exemple, il pourrait être nécessaire de légiférer pour que le Canada soit en mesure, tout au moins, de se conformer aux normes minimales internationales concernant le travail des enfants. Dans de tels cas, nous croyons que le gouvernement pourrait faire progresser et enrichir la démarche en confiant à notre Comité (ou au comité parlementaire approprié) l'étude de projets «prélégislatifs» précis.

Le temps et les ressources faisant défaut, nous savons que nous n'avons pu approfondir comme il se doit toutes les questions en jeu comme l'aurait exigé un sujet à ce point important. En outre, au fil des circonstances, on voit qu'il est visiblement nécessaire de garder un oeil attentif sur l'élaboration et l'application de la politique. Nous encourageons le gouvernement, outre l'établissement d'objectifs pour mettre fin à l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile, à rendre compte de son action par les voies du Parlement pour que les Canadiens soient au courant de la progression des projets entrepris et des résultats obtenus. Plus particulièrement, nous demandons que le gouvernement signale au Comité ici présent, au moins une fois par année, les mesures prises en guise de suivi à notre rapport.

Une dernière réflexion

Compte tenu de la responsabilité politique qui a motivé notre enquête au départ, nous devrions peut-être laisser le dernier mot à notre plus jeune témoin :

Ce n'est que lorsque tous les gouvernements de la Terre s'opposeront au travail des enfants que la situation changera. Tout est affaire de volonté politique . . . Je crois que chacun de nous doit se sentir personnellement responsable de l'état du monde dans lequel nous vivons, et passer de la parole aux actes. Si nous unissons nos efforts, nous pourrons vraiment changer les choses. S'il vous plaît, appuyez notre cause. [Kyle Connolly, 10:3]

22
Impact of Armed Conflicts on Children, Assemblée générale des Nations Unies, New York, document A/51/306, le 26 août 1996, p. 22.

23
Le document de l'UNICEF intitulé «Situation des enfants dans le monde 1997», à la page 19, décrit brièvement les principaux «instruments législatifs» internationaux sur le travail des enfants; pour une enquête mondiale plus exhaustive sur les lois concernant le travail des enfants et leur application, voir le document de l'OIT, intitulé Le travail des enfants : l'intolérable en point de mire, pp. 23-98.

24
Par exemple, dans son rapport intitulé Situation des enfants dans le monde 1997, l'UNICEF cite en page 21 les récentes déclarations sur le travail des enfants qu'a faites le Mouvement des pays non alignés et l'Association sud-asiatique de coopération régionale, qui pourraient être utilisées comme amorce prometteuse par le Canada.

25
From Bretton Woods to Halifax and Beyond : Towards a 21st Summit for the 21st Century Challenge, rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes sur les enjeux des réformes des institutions financières internationales pour l'ordre du jour du sommet du G-7 tenu à Halifax en juin 1995, Ottawa, mai 1995, pp. 33-36.

26
Voir «La lutte contre le travail des enfants», Agence canadienne de développement international, Direction des orientations sociales et politique, octobre 1996.

27
Cité par John Stackhouse dans l'article «Canada may tie child rights to aid, trade», The Globe and Mail, le 10 janvier 1997, p.A1 et 9. L'article indique que, jusqu'à maintenant, la Norvège semble être le seul pays donateur qui lie explicitement de cette façon son APD aux normes relatives aux droits des enfants.

28
Kent, Children in the International Political Economy, p. 51.

29
Ibid., p. 52 ss.

30
Les critères sont présentés en détails à l'Annexe A du Discussion Paper on Child Labour du Fonds humanitaire des Métallos (février 1996).

31
CISL, No Time to Play : Child Workers in the Global Economy, p. 49. Pour mettre cette citation en contexte, on se doit d'ajouter que la disposition sociale est perçue comme n'étant qu'une des mesures recommandées au niveau international, en plus des initiatives nationales.

32
Un document de discussion du Ministère des affaires étrangères et du commerce international présente la conclusion suivante : La détermination des «principaux» droits des travailleurs est une tâche qui revient non pas à l'OCDE - et certainement pas à l'OMC -, mais bien à l'OIT. Le fait de tenter de négocier un ensemble de règles commerciales de l'OMC pour appliquer les conventions principales de l'OIT dans leur forme actuelle, sans même tenir compte de l'efficacité réelle de sanctions commerciales pour modifier le comportement d'un État, mènerait vraisemblablement au désastre. Si ces organisations devaient être liées, il est évident qu'il faudrait revoir les conventions de l'OIT. Pour au moins certaines des conventions relatives aux droits principaux des travailleurs, il semble indiqué d'établir une nouvelle convention. (Robert Stranks, «Look Before You Leap : 'Core' Labour Rights», Policy Staff Commentary, no 14, avril 1996, p. 9)

33
John Stackhouse, «Labour practices divide, North, South», The Globe and Mail, 9 décembre 1996.

34
Se reporter à l'importante étude de l'OCDE, citée à la note 11 (surtout aux pages 67 à 75); voir aussi le point de vue d'Erika de Wet, davantage axé sur les droits humains «Labour Standards in the Globalized Economy : the Inclusion of a Social Clause in the General Agreement on Tariffs and Trade/World Trade Organization», Human Rights Quarterly, vol. 17, 1995, p. 443-462; Christine Elwell, «Human Rights, Labour Standards and the New WTO: Opportunities for a Linkage - A Canadian Perspective», Essays on Human Rights and Democratic Development #4, Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, Montréal, 1995. Les arguments en faveur du recours aux mesures commerciales pour assurer le respect des normes relatives aux droits sont examinés de façon plus générale dans : Gerald Schmitz et Corinne McDonald, Human Rights, Global Markets : Some Issues and Challenges for Canadian Foreign Policy, document de travail no 416, Service de recherche de la Bibliothèque du Parlement, Ottawa, avril 1996.

35
Quelques hypothèses sur le sujet sont avancées dans une étude financée en partie par le MAECI - Ozay Mehmet, Errol Mendes et Robert Sinding, Promoting a Fair Global Marketplace : An Analysis to Facilitate the Broadening of Canadian Foreign Policy Options and Explore North-South Cooperation in the Trade-Labour Standards Debate, Ottawa, mars 1996.

36
Voir UNICEF, La situation des enfants dans le monde 1997, p. 23-24 et 60.

37
Philip Alston, «Labor Rights Provisions in US Trade Law : 'Agressive Unilateralism'?», Human Rights Quarterly, vol. 15, 1993, p. 1-35.

38
L'idée, énoncée plus loin, consistant à utiliser les taxes sur l'importation pour contrer le «dumping social» en imposant une sanction pécuniaire aux exportateurs dont on détermine qu'ils exploitent les enfants est plus litigieuse et soulève des problèmes à l'égard du droit commercial. Certains des arguments en faveur des différentes propositions de règlement sur l'importation sont examinés par l'annexe B, «Options for Canadian Trade-Related Measures», du Discussion Paper on Child Labour du Fonds humanitaire des Métallos.

39
Le dernier Human Rights Watch Report recommande aux consommateurs d'«enjoindre les détaillants de ne pas acheter de produits venant de fournisseurs qui emploient des enfants en servitude pour dettes, et d'apporter leur soutien à un programme de bonne foi ayant pour objet de libérer ces enfants de leur servitude et de leur procurer l'aide financière et autre dont ils ont besoin pour acquérir une éducation en bonne et due forme. Les consommateurs devraient également enjoindre les détaillants de garantir qu'eux-mêmes et leurs fournisseurs laissent à des enquêteurs indépendants toute latitude pour inspecter leurs installations et vérifier qu'ils n'emploient pas d'enfants asservis pour dettes.» (Les petites mains de l'esclavage, p. 15.) L'étude de l'OCDE a mené à la conclusion que «les exigences à l'égard de l'étiquetage du produit fini pourraient inciter certains producteurs à exiger que leurs fournisseurs respectent les principales normes du travail dans leur production, établissant de ce fait une dynamique d'autodiscipline. Elles pourraient donc contribuer d'une manière positive à la promotion du respect des principales normes du travail à l'échelle mondiale.» (Trade, Employment and Labour Standards, p. 88)

40
Le programme Rugmark en tant que stratégie de lutte contre l'exploitation des enfants et «résumé» d'une étude commandée par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, réalisée par UNICEF Canada, juin 1996.

41
Réponse d'UNICEF Canada à l'examen, effectué par Mme Kathleen Ruff, de l'étude effectuée par UNICEF Canada sur Rugmark, 30 décembre 1996, p. 2-3.

42
International Labor Rights Fund, Rugmark After One Year : Appraisal of a New Effort at Social Marketing in the Interest of Children, Washington D.C., octobre 1996, «conclusions et recommandations», p. 31.

43
Se reporter à La situation des enfants dans le monde 1997, «Encadré 14 - Rugmark : Pour que les enfants ne tissent plus de tapis», p. 76-77.

44
UNICEF Canada estime le coût annuel net de mise en oeuvre à plusieurs centaines de milliers de dollars. Même si les ressources d'APD sont très limitées, le gouvernement peut sûrement trouver le financement supplémentaire nécessaire, en inscrivant, au besoin, les projets à un autre budget pertinent qui toucherait les initiatives liées à la consommation.

45
Babych, Art, «Worker abuse rampant despite Levi Strauss code» Prairie Messenger, 16 décembre 1996, p. 7.

46
Voir «Buttom-line Blues» in The Utne Reader, janvier-février 1997, pp. 27-29.

47
Clark, Charles, «Child Labor and Sweatshops» CQ Researcher, pp. 28-30. Pour de plus amples observations concernant les progrès marquants attribuables à The Gap et les mesures visant à consolider la responsabilité des sociétés commerciales partout dans le monde, voir La situation des enfants dans le monde 1997, UNICEF, pp. 67-71.

48
Soulignant les faiblesses des codes volontaires de l'industrie (et des approches comme celle des «principes de l'entreprise modèle» préconisées par l'administration Clinton aux États-Unis), une étude commandée par le Ministère des affaires étrangères et du commerce international, citée au cours de la première table ronde [5:17-18], conclut que le Canada devrait envisager d'adopter un code précis par pays, notamment pour les situations où une intervention d'urgence s'impose, et collaborer étroitement avec le secteur privé, les syndicats et les ONG pour promouvoir la responsabilité sociale dans le contexte des activités commerciales internationales (Mendes, Errol et Jeffrey Clark, The Private Sector's Global Role in Balancing Business Activity and Social Responsibility : Is There a Role for Governments?, Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne, Université d'Ottawa, 17 juin 1996). Dans une perspective mondiale, l'Institut Nord-Sud, dans une publication récente intitulée Canadian Development Report 1996-97 (Beamish, Rowena et Clyde Sanger, dir., Ottawa, novembre 1996), affirme que le Canada doit, avec d'autres pays, élaborer un code déontologique international dont pourraient se servir les multinationales, les ONG et les organismes publics d'origine canadienne pour guider leurs activités dans les pays en développement, et prévoir notamment l'établissement de rapports transparents et une surveillance quelconque de la part d'une organisation internationale comme l'OIT . . . [et] concevoir un ensemble de mesures visant à réduire l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile, notamment en interdisant tôt de faire travailler des enfants dans les industries les plus dangereuses (Weston, Ann, «Globalization - For Whose Good?», pp. 30-31).

49
La situation des enfants dans le monde 1997, encadré 13, «Le secteur privé : une partie de la solution», p. 72.

50
Sur ce plan, Vision mondiale a repris les recommandations de son personnel de l'Inde : tout au moins, la réglementation sur le travail des enfants devrait garantir que les employeurs d'enfants se conforment aux normes minimales suivantes : mettre à la disposition des enfants qui travaillent des installations pour les études et les loisirs; fournir aux enfants qui travaillent des repas nourrissants et des soins médicaux, notamment les examens médicaux qui s'imposent; insister sur le perfectionnement à long terme, plutôt que sur le seul volume de production; et instaurer un horaire de travail qui permet aux enfants de disposer d'un temps suffisant pour dormir, se reposer, jouer et se détendre. (Mémoire du 27 novembre 1996, p. 6)

51
Pour une analyse pleine d'espoir des stratégies nationales pour «mobiliser la société», voir La situation des enfants dans le monde 1997, p. 63-67.

52
«Suffer the Little Children» in The Ottawa Sun, 20 au 25 octobre 1996.

53
La situation des enfants dans le monde, p. 65-66.

54
Le rapport de l'UNICEF le dit : De plus en plus, les enfants qui travaillent se réunissent pour parler de leurs expériences respectives à l'occasion d'ateliers et de conférences (p. 67).

55
Maclean's, Les Canadiens au tableau d'honneur, 23 décembre 1996, p. 47.


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