[Enregistrement électronique]
Le mardi 29 octobre 1996
[Français]
Le président: Je déclare la séance ouverte. Nous entendrons des témoins par rapport à l'étude du projet de loi C-32, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur.
[Traduction]
La séance est ouverte. Nous étudions le projet de loi C-32, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur.
[Français]
Je m'excuse auprès des témoins.
[Traduction]
Je prie les témoins de m'excuser. Comme vous l'avez peut-être constaté, un autre comité a travaillé ici jusqu'après 11 heures et par conséquent il a fallu un petit peu de temps pour faire le changement. Nous tiendrons évidemment compte des 15 minutes de retard pour votre exposé.
[Français]
Je voudrais accueillir les membres de la Fédération des professions juridiques du Canada,
[Traduction]
la Fédération des professions juridiques du Canada. Ses représentants sont M. Donald M. Little, M. Alain Létourneau, M. Scott Jolliffe et Mme Susan Elliott.
Vous avez la parole. Voulez-vous commencer, monsieur Little?
M. Donald Little (président, Fédération des professions juridiques du Canada): Merci beaucoup monsieur le président. Bonjour.
Je m'appelle Don Little. Je suis accompagné de Mme Susan Elliott, présidente du Barreau du Haut-Canada et de M. Alain Létourneau, directeur de la fédération, qui représente
[Français]
le Barreau du Québec et la Chambre des notaires.
[Traduction]
Il est en outre président du comité sur le droit d'auteur de la fédération.
Je suis également accompagné de M. Scott Jolliffe, notre conseiller juridique, qui est là pour fournir les renseignements techniques nécessaires pour répondre à vos questions. Nous avons également à nos côtés Mme Diane Bourque, directrice générale de la Fédération des professions juridiques.
Au nom de la fédération et des 13 organisations provinciales et territoriales qui y sont affiliées, je tiens à vous remercier de nous avoir accordé le privilège de comparaître aujourd'hui et de nous permettre ainsi de préciser pourquoi nous estimons que vous devez immédiatement faire le nécessaire pour codifier le droit fondamental des citoyens de ce pays d'avoir accès à ses lois. Nous vous demandons de le faire d'une façon simple et raisonnable, sans multiplier à l'infini les définitions et les exceptions, tout en faisant un compromis raisonnable entre les intérêts des éditeurs et ceux de la population.
La principale modification que nous voulons n'en est pas une du tout; il s'agit seulement de clarifier le statu quo qui n'a, d'après nous, entraîné jusqu'à présent aucun déséquilibre entre les intérêts des citoyens et ceux des éditeurs, statu quo que bien des gens pourraient juger inutile. Bien des gens pourraient être surpris qu'un droit aussi évident que celui-ci nécessite une clarification.
Je n'ai pas l'intention de lire notre mémoire. Je me contenterai de vous recommander de lire ses 12 pages après avoir entendu notre témoignage et je vous demanderai ensuite de vous poser trois questions.
Premièrement, la formule que nous proposons n'est-elle pas somme toute la meilleure pour les citoyens de ce pays?
Deuxièmement, existe-t-il des raisons plausibles d'attendre la troisième étape pour apporter une modification législative qui aura pour seul effet de consacrer le statu quo et les droits de tous les citoyens, surtout que la deuxième étape de la réforme du droit d'auteur a commencé en 1989 et n'est pas encore terminée?
Enfin, quels intérêts sont les mieux servis par un tel retard? Est-ce vraiment l'intérêt public?
Ce que nous voulons faire aujourd'hui, c'est vous expliquer pourquoi nous sommes venus témoigner au nom de la fédération et pourquoi nous estimons que les modifications que nous proposons se justifient. Je vous expliquerai pourquoi nous sommes là et M. Létourneau justifiera les modifications.
Pourquoi sommes-nous venus témoigner? C'est pour défendre les intérêts de ceux qui s'opposent à ces modifications sous prétexte que nous prêchons pour notre chapelle. Ces gens-là essaient de vous faire croire que le but est d'obtenir une dispense spéciale pour les avocats formant une classe privilégiée. Si cet argument peut provoquer une réaction instinctive, je considère qu'il ne repose pas sur les faits et qu'il n'est pas logique.
Nous avons apporté avec nous des lettres et d'autres messages de soutien et notamment des observations écrites qui vous sont adressées par l'Association des consommateurs du Canada, l'Association canadienne des libertés civiles, le FAEJ, c'est-à- dire le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes, l'Association canadienne des bibliothèques de droit, le Conseil des doyens et doyennes des facultés de droit du Canada et le Canadian Courthouse Library Management Group, représentant les chefs des services bibliothécaires des tribunaux et des ordres professionnels de juristes du pays.
Nous sommes là aujourd'hui en partie parce que la plupart de ces organismes ne possèdent pas les ressources financières nécessaires pour défendre leur point de vue. Les organismes qui fournissent des renseignements d'ordre juridique font de leur mieux pour garnir les rayons de leur bibliothèque et fournir les services nécessaires avec des moyens financiers de plus en plus limités, dans la plupart des cas.
Nous ne sommes pas là pour essayer de faire économiser de l'argent aux avocats. Ne vous méprenez pas, ce ne sont pas eux qui supporteront la majeure partie de ces frais. Quand je parle de frais, il s'agit des droits de licence. Ces frais seront supportés par les Canadiens, que ce soit directement par les clients des avocats et les utilisateurs de services juridiques ou par les contribuables qui devront couvrir les augmentations de coûts inévitables que cela entraînera notamment pour les ministères, les services judiciaires, et les services d'aide juridique; ces coûts se chiffreront à notre avis à plusieurs millions de dollars. Et pourquoi? Pour permettre aux éditeurs de réaliser des bénéfices exceptionnels dans des circonstances où cela ne se justifie pas vraiment.
En ce qui concerne les frais, les avocats jouent purement un rôle d'intermédiaires. Il est suspect d'affirmer que les avocats prêchent pour leur chapelle.
En bref, nous sommes là pour représenter les ordres juridiques et pour mettre en quelque sorte en pratique ce que nous prêchons. Les codes d'éthique des avocats indiquent que nous devons encourager la population à respecter l'administration de la justice et que nous devons essayer de l'améliorer. En raison de notre formation, des circonstances et de notre expérience, nous sommes en mesure d'observer les rouages de la justice et de remarquer les points forts et les points faibles des lois, des institutions juridiques et des pouvoirs publics. C'est notre raison d'être. En réalité, notre rôle est de défendre l'intérêt public.
Monsieur Létourneau.
[Français]
M. Alain Letourneau (président, Comité national sur le droit d'auteur, Fédération des professions juridiques du Canada; associé directeur, Pépin Letourneau): Monsieur le président, mesdames et messieurs, il ne s'agit pas ici d'une question technique qui, comme c'est généralement le cas avec les droits d'auteur, soulève une pléiade de définitions, d'exceptions, d'exceptions aux exceptions. Ce que nous soulevons ici est une question de droit fondamentale, une question où l'intérêt public doit prendre le pas sur les intérêts privés.
En quelque sorte, il y va de la protection de la démocratie en permettant au pouvoir judiciaire un accès non limité par des charges, des licences et des permis aux outils qui lui sont nécessaires pour remplir ses devoirs.
Ce n'est pas là une question théorique. C'est de fait l'objet d'un litige actuel. Notre mémoire en fait état en page 4. Il s'avère donc nécessaire d'examiner la question maintenant, d'autant plus que les amendements proposés risquent d'affecter sérieusement les pratiques actuelles des bibliothèques publiques et privées.
Notre proposition ne vise pas à modifier le droit, mais plutôt à le codifier, à clarifier un état de fait reconnu, un état de fait imposé par les tribunaux pour leur bonne administration. Il ne s'agit donc pas d'une proposition qui va ajouter des frais, mais qui, bien au contraire, va prévenir des frais. En cela, nous suivons les tendances actuelles. Nous recherchons, si on peut dire, le meilleur rapport qualité-coûts.
Notre proposition n'a pas pour but de mater les éditeurs du secteur privé. La Fédération reconnaît aux éditeurs privés le droit d'assembler, ce qu'ils font d'ailleurs, les sources primaires du droit, de les mettre en page et de les vendre à profit. Ce que nous soumettons, c'est qu'il doit cependant y avoir une limite à l'étendue de l'exploitation commerciale du droit. Elle ne doit pas donner aux éditeurs le pouvoir de restreindre l'utilisation équitable des textes de loi, des règlements et des décisions judiciaires.
Avec respect pour nos tribunaux, et peut-être aussi pour nos législateurs, tous ces textes de loi et ces jugements n'ont pas vraiment de valeur littéraire. Il n'y a aucun marché littéraire pour ceci. Ce sont des outils d'interprétation. Le jour où ils ne pourront pas servir d'outils, ils n'auront plus de marché. En tant que fédération, nous ne reconnaissons donc pas aux éditeurs les mêmes droits qu'aux auteurs ou aux musiciens. Les éditeurs obtiennent gratuitement ou à très peu de frais la substance de leurs publications. Il n'y a là aucune création à part les index qu'ils en font.
Nous proposons donc deux amendements au projet de loi présentement à l'étude: premièrement, une exception en matière d'utilisation équitable, fair dealing; deuxièmement, une exception pour les bibliothèques.
L'exception d'utilisation équitable, ou fair dealing, apporterait une clarification toute simple. Les documents juridiques de référence peuvent être copiés pour fins de recherche, d'étude privée ou de présentation devant un tribunal judiciaire ou une autre autorité publique. Depuis aussi longtemps que je pratique, et veuillez croire que ce n'est pas une courte période - je suis né la même année que votre premier ministre Jean Chrétien - , il est de coutume de soumettre des extraits de documents juridiques aux tribunaux comme références. C'est une pratique universelle. C'est même une exigence des tribunaux. Il faut fournir des copies, non seulement aux tribunaux mais aux adversaires.
L'exception relative à l'utilisation équitable des documents juridiques de ce type est non seulement tenue pour acquise depuis toujours chez nous, mais on la retrouve dans les lois d'un certain nombre de pays.
Il y a peu de temps, les représentants des principaux éditeurs juridiques du secteur privé vous ont cité dans leur mémoire un extrait de la loi australienne. Ils invoquaient cette loi pour vous donner une définition appropriée du mot «bibliothèque» et vous soumettaient qu'il s'agissait d'une loi exemplaire. Je vous dirais que nous sommes d'accord que c'est une loi exemplaire.
Il est intéressant de noter que cette loi australienne qu'on vous citait, à l'article 43 et à l'article 104, contient précisément l'exception que nous vous suggérons. Si je suivais les recommandations des éditeurs juridiques privés, je devrais vous laisser le soin de vérifier ce que je viens de vous dire: d'utiliser vos assistants, de les envoyer à la bibliothèque, de sortir les livres, de vous apporter les livres et de vérifier ce qu'est la loi australienne, tout cela à grands frais.
La solution de rechange consiste, au risque de violer quelques lois sur le droit d'auteur, à vous distribuer copie ce qui a été fait, je crois. Vous avez devant vous le texte de la loi australienne, qui dit:
[Traduction]
- Une utilisation équitable d'une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique ne
constitue pas une violation du droit d'auteur qui y est rattaché s'il s'agit pour un conseiller
juridique ou un avocat en brevets de fournir des avis professionnels.
Tenant pour acquis, puisque la bonne foi se présume, que les éditeurs juridiques privés étaient de bonne foi lorsqu'ils vous ont cité la loi australienne et qu'ils ont oublié de vous souligner que cette loi comportait l'exception que nous recherchons, je ne peux tenir pour acquis, étant de bonne foi, qu'ils n'ont pas pu faire une recherche appropriée, faute de licence, faute de permis, faute d'accès facile à la loi et qu'ils n'ont donc pas pu vous livrer un mémoire objectif, équitable et qui recherchait la justice. Je vous dirais, comme on me l'a enseigné au collège, que c'est ce qu'il fallait démontrer. Je vous remercie.
Le président: Merci, monsieur Letourneau.
Êtes-vous prêts à poser vos questions maintenant?
[Traduction]
M. Little: J'ai quelques observations à ajouter, monsieur le président.
C'est non seulement le fait que la Loi sur le droit d'auteur ne renferme actuellement aucune disposition visant à protéger l'accessibilité au droit qui nous préoccupe, mais aussi la perspective que le gouvernement pourrait agir autrement.
Étant donné qu'ils sont de très gros utilisateurs, les gouvernements, à tous les échelons, sont peut-être en mesure de négocier des licences spéciales avec les éditeurs. Nous estimons que ce ne serait pas juste. Il n'est pas juste qu'un gouvernement crée et promulgue des lois tout en confiant à quelqu'un d'autre le soin d'accorder des licences. Il n'est à notre avis pas juste de consacrer un système en vertu duquel le gouvernement fournit, gratuitement ou presque, des textes législatifs à des intérêts privés pour négocier ensuite pour son propre compte de meilleures conditions que celles qui sont faites à ses citoyens.
Ce faisant, il se soustrairait à ses responsabilités publiques et en négociant de meilleures conditions pour son propre compte, il ferait passer ses intérêts personnels avant ceux de ses citoyens.
En outre, si le gouvernement accordait une licence de reproduction de textes juridiques officiels, nous estimons qu'il devrait assujettir l'octroi de cette licence à l'interdiction formelle d'imposer des redevances sur des copies de textes juridiques de base destinés à faire de la recherche, de l'analyse et des études ou à être présentés à des tribunaux judiciaires ou autres pouvoirs publics.
Nous estimons que ce serait une grossière erreur de la part du gouvernement - et qu'il se soustrairait en fait à son devoir public- -en donnant au secteur privé le contrôle absolu sur l'utilisation de documents juridiques de base qui sont essentiels à l'administration de la justice.
Bien que nous vivions dans une époque où partout, les pouvoirs publics semblent vouloir confier au secteur privé toute une série de fonctions qui étaient autrefois la chasse gardée de l'État, il faut bien prévoir certaines limites. À notre avis, la diffusion de textes juridiques de base est un des secteurs où cela doit se faire.
Nous sommes tous conscients des problèmes financiers auxquels le gouvernement est confronté. Notre système judiciaire n'a pas été épargné non plus. Les budgets des tribunaux et des services juridiques de l'État, à tous les échelons - fédéral, provincial et municipal - , s'en sont ressentis.
Au Canada, la viabilité de l'aide juridique est compromise par l'insuffisance des ressources financières. Nous estimons qu'il est injustifiable de vouloir imposer des frais supplémentaires comme des redevances sur l'utilisation de ces textes juridiques, surtout lorsque ces frais ne contribuent nullement à améliorer l'administration et la qualité du système judiciaire.
En résumé, nous vous demandons de recommander vivement des amendements visant à codifier et à permettre une utilisation équitable des textes juridiques et ce, dans le cadre de la deuxième étape de la réforme du droit d'auteur. Les éditeurs ont recommandé d'étudier la question, de l'examiner à fond, au cours de la troisième étape. En fin de compte, quels intérêts sont les mieux servis en retardant l'échéance, en laissant la question en suspens ou en permettant aux éditeurs d'imposer leurs propres conditions? Le but du droit d'auteur est après tout de protéger certains intérêts.
Nous vous demandons d'examiner notre requête d'un oeil favorable et vous recommandons d'agir immédiatement. Nous sommes disposés à répondre aux questions, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur Little.
[Français]
Monsieur Leroux.
M. Leroux (Richmond - Wolfe): D'abord, je vous remercie du mémoire que vous avez déposé et de la position que vous établissez pour nous aider à comprendre un champ de la loi. Il y a des choses qui sont fondamentales. Vous parlez de rejoindre les intérêts des auteurs et des usagers, mais en même temps vous remettez en question la reconnaissance d'un droit d'auteur à des éditeurs. Vous remettez vraiment cela en question.
Est-ce qu'à votre connaissance, par rapport à la législation qui existe ailleurs dans d'autres pays où on établit des exceptions, entre autres pour les délibérations législatives, judiciaires et parlementaires, on verse dans ces pays des redevances à des sociétés de gestion pour les photocopies ou documents juridiques, à des fins académiques ou autres? C'est une première question.
Je vais vous poser mes trois questions. Je voudrais que vous me disiez si, selon la loi actuelle, les éditeurs ont le droit de percevoir des droits sur les documents. Je voudrais que vous me disiez aussi s'il existe ou s'il a existé dans le passé des éditeurs qui ont empêché la reproduction de lois ou d'éléments dont il est fait état dans votre mémoire. J'aimerais faire le tour de ces trois questions avec vous.
[Traduction]
M. Scott Jolliffe (Fédération des professions juridiques du Canada): Merci beaucoup. J'essaierai de répondre à votre question. Elle concerne les lois de tous les pays du monde et je ne m'y connais pas suffisamment pour faire des commentaires sur tous les pays, mais la majeure partie de ma carrière a été consacrée à la pratique du droit en matière de propriété intellectuelle et j'ai eu certains contacts. Par conséquent, malgré l'insuffisance de mes connaissances, j'essaierai de répondre à votre question.
Premièrement, tous les pays que je connais reconnaissent le principe de l'utilisation équitable. Contrairement à la violation du droit d'auteur, l'utilisation équitable consiste à pouvoir reproduire une publication pour faire de la recherche, une étude privée ou une analyse. C'est l'exception qui a permis à la plupart des Canadiens, ou du moins à ceux qui se chargent de l'administration de la justice, de faire ce que l'on a fait jusqu'à présent. Le principe de l'utilisation équitable de ce genre de copie est donc appliqué dans tous les pays, à ce que je sache.
Deuxièmement, vous avez demandé si je connais un pays qui ne reconnaisse pas ce genre d'exception en ce qui concerne les documents juridiques. Nous vous avons remis la disposition de la loi australienne sur le droit d'auteur qui reconnaît expressément que c'est une utilisation équitable.
Ce n'est précisé dans aucune autre loi étrangère, à ma connaissance, mais je sais que dans un certain nombre d'autres pays, aux États-Unis par exemple, on ne fait pas payer de redevances pour reproduire des textes juridiques destinés à une utilisation équitable. Par conséquent, vous pouvez probablement considérer qu'aux États-Unis, la situation est très analogue à celle qui existe actuellement au Canada.
Je ne connais aucun cas ni aucune décision judiciaire où l'on ait considéré que la reproduction d'une décision judiciaire ou d'une loi publiée par un éditeur est une violation du droit d'auteur, dans le contexte en question. Autrement dit, lorsqu'un citoyen ou un bibliothécaire, ou un avocat d'ailleurs, reproduit un texte pour faire de la recherche juridique ou le présenter à la Cour, aucun tribunal n'a décrété, à ce que je sache, que cela constitue une violation du droit d'auteur.
Il n'existe à ma connaissance qu'un seul pays où les avocats doivent payer des droits pour reproduire des textes. Il s'agit du Royaume-Uni qui a dernièrement opté pour un régime où l'on a négocié, si je comprends bien, un tarif forfaitaire pour autoriser ce genre d'utilisation.
D'après ce que j'ai pu comprendre, lorsqu'on veut faire une utilisation équitable d'un texte ou le présenter à la cour, il n'est pas nécessaire de payer des droits. On m'a dit qu'il faut signer une déclaration avant de pouvoir obtenir une copie d'une bibliothèque, mais je n'ai aucune autre précision à ce sujet. Par contre, j'ai entendu dire - et il s'agit encore une fois d'un simple ouï-dire - que lorsqu'un avocat leur demande une copie d'un texte, les bibliothécaires partent du principe que c'est pour l'utiliser au tribunal.
Ai-je répondu à votre question?
[Français]
M. Leroux: Oui. Et pour la deuxième?
[Traduction]
M. Little: Vous avez posé deux autres questions précises.
[Français]
M. Leroux: Juste avant, je voudrais revenir au point suivant: par rapport au Royaume-Uni, dans le fait que vous citez, peut-être l'éditeur n'était-il pas un auteur. Ce n'est peut-être pas lui qui détient le droit d'auteur. Est-ce qu'au Royaume-Uni, on identifie l'éditeur, et à quel titre? Ce qui est perçu comme redevance est-il redonné à lui ou à un auteur? Est-ce le juge qui rend le jugement qui est l'auteur ou bien est-ce l'éditeur? Comment démêle-t-on cela?
[Traduction]
M. Jolliffe: Je ne peux pas répondre à cette question. Je ne pense pas qu'il existe de dispositions législatives à cet effet. La loi fondamentale du Royaume-Uni en ce qui concerne les droits de propriété ressemble toutefois à la loi canadienne, à ce que je sache. Aux termes de la loi canadienne, comme vous le savez, l'auteur, c'est-à-dire la personne qui rédige le texte, est présumé être le premier propriétaire du droit d'auteur, à moins qu'il ne travaille pour le compte de quelqu'un d'autre.
Par conséquent, un fonctionnaire qui rédige un projet de loi pourrait être considéré comme l'auteur du texte mais il n'en est pas le propriétaire. C'est le gouvernement qui en deviendrait propriétaire en vertu des présomptions prévues dans la loi.
Un juge se trouve dans une situation différente. Le droit jurisprudentiel est très important dans le contexte de cette discussion. Les juges sont les auteurs de leurs décisions. Quant à savoir s'ils restent les propriétaires du droit d'auteur, cela reste à déterminer. La plupart des juges n'apprécieraient pas beaucoup qu'on les considère comme des serviteurs de l'État ou du gouvernement. En fait, leur indépendance revêt une importance capitale et elle est indissociable de leurs responsabilités.
M. Little: M. Leroux a posé deux autres questions.
Premièrement, il a demandé si nous savons si les éditeurs ont le droit de percevoir des redevances. Comme l'indique notre mémoire, cette affaire fait actuellement l'objet d'un litige. Nous ne pouvons pas fournir une réponse catégorique, mais nous avons un avis. D'après nous, ils n'ont pas le droit de le faire mais ils pensent manifestement le contraire sinon l'affaire ne serait pas devant les tribunaux.
Deuxièmement, vous m'avez demandé s'il existait à notre connaissance des éditeurs qui ont empêché l'accès. Je sais que dans leur mémoire, les grands éditeurs indiquaient qu'ils ne s'opposaient pas à ce que l'on fasse des copies de textes pour présenter aux tribunaux. Les grands éditeurs ne représentent pas tous les éditeurs de recueils juridiques. Le seul fait qu'ils ne s'y opposent pas maintenant ne veut pas dire qu'ils ne le feront pas à un certain moment. Ils prétendent avoir le droit de donner, de changer ou de modifier comme ils l'entendent.
J'ai d'ailleurs sous les yeux un exemplaire d'un document concernant les limites qui existent en matière de droit d'auteur. Il s'agit d'un extrait d'arrêt. Je n'accepte pas ces limites, mais je les respecterai aujourd'hui et je ne vous remettrai pas une copie de ce document. Je me contenterai de vous lire le texte. Voilà ce qu'il dit:
Des copies peuvent être faites pour des personnes travaillant dans les locaux de l'abonné.
Il est interdit de reproduire les textes dans un but lucratif ou commercial.
Je suppose que cela veut dire que je ne pourrais pas donner une copie à un client pour lui permettre d'examiner le texte lui-même.
Cet arrêt dit également ceci:
Il est interdit aux abonnés de faire des copies pour des personnes qui travaillent à l'extérieur de leurs locaux.
Je suppose que cela veut dire que je ne peux pas remettre cette copie à un juge parce que la dernière fois que j'ai vérifié, il n'y avait pas de juges dans mon cabinet.
J'espère avoir répondu à la question.
M. Leroux: Merci.
Le président: Monsieur Abbott.
M. Abbott (Kootenay-Est): Merci, monsieur le président.
Parmi les exposés qui ont été faits jusqu'à présent, celui-ci est absolument unique. Dans presque tous les cas, nous parlons des droits des auteurs ou des droits des interprètes d'une oeuvre donnée alors que, si je ne me trompe, les textes dont il est question pour le moment sont principalement des textes qui ont été compilés par certaines personnes, présentés d'une certaine façon pour être ensuite utilisés. C'est ainsi que je le comprends.
Il me semble qu'idéalement, la loi devrait être fondée sur des principes. Je tiens à signaler d'emblée que l'Association canadienne des libertés civiles, qui dit notamment que la Loi sur le droit d'auteur ne doit pas être un obstacle à l'accessibilité des citoyens aux lois qui les gouvernent... et que le FAEJ, un organisme qui défend l'intérêt public, dispose d'un budget extrêmement limité et estime que cette initiative ferait augmenter les frais. Je dois vous dire que toutes les interventions de ce genre ne m'impressionnent pas particulièrement. À mon avis, il faudrait essayer de déterminer s'il existe un droit et, dans l'affirmative, comment ce droit est protégé.
Cela dit en guise d'introduction, vous déclarez ceci dans votre mémoire:
- Les éditeurs juridiques reçoivent gratuitement leurs documents juridiques de base, y compris
les décisions judiciaires et les textes de loi, des tribunaux et des gouvernements. Les ajouts
qu'ils font à ces documents «publics» ne justifient pas le paiement de redevances pour leur
utilisation.
M. Jolliffe: Oui, le grand public peut obtenir gratuitement les arrêts. Il faut probablement payer les frais de photocopie, qui peuvent varier, mais le service est essentiellement gratuit.
Je précise qu'un arrêt n'est disponible qu'aussi longtemps que le bureau ou le registre conserve le dossier en question. Après quoi, cela devient plus difficile, car le dossier est envoyé à l'extérieur. Par conséquent, il n'est peut-être pas possible d'obtenir une photocopie d'un arrêt qui date d'un an ou deux.
M. Abbott: Pendant combien de temps les dossiers sont-ils conservés à l'heure actuelle? Je sais que cela varie beaucoup, mais je voudrais savoir à peu près combien de temps ils sont conservés.
M. Jolliffe: Ils restent peut-être un an ou deux au greffe. En ce qui concerne l'entreposage des dossiers à l'extérieur, je ne peux pas répondre à la question.
M. Abbott: Bien.
Les associations de juristes, en tant que grands utilisateurs de décisions judiciaires et de textes législatifs, peuvent-elles éviter d'avoir à payer des redevances en obtenant ces documents gratuitement du gouvernement?
M. Jolliffe: Aux conditions que je viens de signaler.
M. Abbott: Ce que je me demande, c'est comment vous réagiriez en ce qui concerne les décisions récentes. Si vous poussez votre raisonnement à sa conclusion logique, les décisions judiciaires ne devraient pas être protégées par le droit d'auteur, à moins qu'elles n'aient été compilées deux ans plus tard, par exemple. Si c'était le cas, pourquoi les éditeurs continueraient-ils à consacrer autant de temps à cela?
Selon le scénario que nous venons d'envisager il y a une seconde, les éditeurs ne feraient-ils pas mieux de compiler ces renseignements dans une banque de données afin de vous permettre, ainsi qu'à d'autres personnes, d'avoir accès aux renseignements qui datent de deux ans ou plus? Qu'est-ce qui incite les éditeurs à compiler les renseignements à la hâte s'ils ne bénéficient d'aucune protection des droits d'auteur?
M. Jolliffe: C'est la motivation qui existe depuis 40 ans. Lorsqu'ils publient ces documents, ils le font sous forme de recueils qu'ils vendent à un prix considérable et qui sont achetés comme tels.
M. Abbott: Autrement dit, s'ils ne sont pas protégés par le droit d'auteur, vous pourriez théoriquement faire faire 10 ou 15 copies de leur ouvrage.
M. Létourneau: Ils créent essentiellement un outil. Cet outil est l'interprétation de la loi et la loi évolue à un rythme qui s'accélère au fil des ans. Par conséquent, une très petite partie de l'ancienne jurisprudence subsiste. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il n'en existe plus. Une bonne partie de la jurisprudence est toujours applicable mais celle-ci évolue presque aussi rapidement que la loi, avec un certain décalage. Il existe toujours un décalage de quelques années. Par conséquent, ces éditeurs nous fournissent un outil parce qu'il est en demande.
Ils fournissent un outil au plein prix, en prévoyant une marge bénéficiaire chaque année. Je peux vous garantir que c'est le cas au Québec, parce que c'est moi qui fais affaire avec les éditeurs québécois et nous avons leur bilan. Ils font payer leurs frais chaque année. Ils ne prévoient pas un bénéfice pour l'avenir. Leurs prix représentent leurs dépenses et un certain bénéfice. L'année suivante, une partie de cette jurisprudence est déjà périmée.
M. Abbott: Pour en revenir à ma prémisse initiale fondée sur la question de principe, nous avons constaté que, même si les éditeurs obtiennent gratuitement les documents de base, ils fournissent un service. Autrement dit, ils exercent une fonction au même titre qu'un auteur, qu'un compositeur ou qu'un artiste- interprète dans le domaine des enregistrements sonores. C'est une création qui est utile aux associations d'avocats. Il ne s'agit pas seulement d'une compilation de renseignements publics. Est-ce exact?
M. Létourneau: Il s'agit effectivement d'un service.
M. Jolliffe: Un service qu'ils font payer, sur lequel ils réalisent un bénéfice et qui est utile aux entreprises canadiennes et à la société pendant des années. Mais ce n'est pas là l'objet de la discussion. Celle-ci porte sur le fait de faire payer des frais supplémentaires sur l'utilisation de ces documents, des redevances qui viennent s'ajouter au prix de vente de l'ouvrage. Nous estimons que ces frais supplémentaires coûteront plusieurs millions de dollars aux Canadiens, alors qu'ils ne se justifient pas.
M. Abbott: Merci.
Le président: Monsieur Bélanger.
[Français]
M. Bélanger (Ottawa - Vanier): Si je peux reprendre vos paroles, monsieur Letourneau, je crois que vous avez dit essentiellement: «Nous ne reconnaissons pas, en tant que fédération, les mêmes droits d'auteur à ces gens qu'aux artistes, etc.» Si j'ai bien compris, ces gens-là ne créent pas d'oeuvres littéraires. Est-ce que j'ai bien compris?
[Traduction]
Dans ce cas, je vous signale un autre article de la loi australienne qui dit notamment que dans le cas d'oeuvres littéraires, dramatiques, musicales ou artistiques, le droit d'auteur n'est pas violé. Comment conciliez-vous les deux?
[Français]
M. Letourneau: Tout simplement par le jeu de ce que j'appellerais, en droit, la fourchette; ou ils ont un droit d'auteur, ou ils n'en ont pas. S'ils ne font pas partie du groupe de gens qui ont un droit d'auteur, alors je n'ai pas à me préoccuper d'un droit d'auteur et ils n'ont pas le droit d'exiger que j'en paie un. Mais s'ils tombent dans cette catégorie, et c'est ce qu'ils prétendent, alors je dis qu'on doit avoir ce que la loi australienne prévoit; c'est-à-dire que lorsque, devant un tribunal de justice, j'utilise du matériel, quel qu'il soit, pour faire prévaloir...
M. Bélanger: Du matériel littéraire, dramatique, musical ou artistique: c'est ce qu'on dit là.
M. Letourneau: Oui, parce qu'en général, ce sont des textes qu'on cite.
M. Bélanger: Je vois une contradiction inhérente dans ce qu'on nous avance.
Le président: Une question à la fois, s'il vous plaît. La confusion s'installe. Monsieur Bélanger, est-ce que vous avez fini?
M. Bélanger: Oh, non! Je commence.
[Traduction]
M. Little: Monsieur le président, j'interviens toujours quand ce n'est pas mon tour. Je ne peux pas m'en empêcher.
Ce qui nous intéresse pour le moment, c'est l'article 104. Je crois que nous vous avons remis une copie de l'article 43. Nous avions l'intention de photocopier également l'article 104 en question.
M. Bélanger: Je n'ai pas l'article 104. En ce qui concerne l'article 43, il ne fait pas mon affaire. Je tiens à vous le préciser.
M. Little: On pourrait peut-être lire l'article 104.
M. Bélanger: C'est bien. Celui auquel je faisais allusion est l'article 43 et c'est celui-là que je trouve ambigu.
M. Little: Bien. Excusez-nous.
M. Bélanger: Vous avez prétendu qu'il faut prévoir une exception au droit d'auteur et une dispense de paiement des redevances lorsque les textes servent à faire des recherches, une étude privée et une présentation devant un organisme officiel. Que reste-t-il?
M. Jolliffe: Vous vous demandez quels autres usages l'on pourrait faire des textes en question?
M. Bélanger: Oui.
M. Jolliffe: Ils pourraient être publiés et vendus à d'autres avocats, en réalisant un bénéfice. Il pourrait s'agir d'un usage commercial quelconque.
M. Bélanger: On pourrait donc le vendre à d'autres avocats?
M. Jolliffe: Précisément.
M. Bélanger: C'est ce qui se fait.
M. Jolliffe: Précisément, et dans la mesure où le droit d'auteur existe, il faut le respecter parce que ce ne serait pas une utilisation équitable...
M. Bélanger: Vous dites que la seule autre utilisation pourrait être la vente dans un but commercial, ce que vous voulez leur interdire.
M. Little: Non. Par exemple, un éditeur pourrait reproduire le texte d'un autre éditeur et le vendre à des fins commerciales. S'il pouvait le faire plus rapidement, mieux, ou à meilleur marché, il pourrait lui couper l'herbe sous le pied.
M. Bélanger: Merci.
Voici une question qui m'a été suggérée mais il s'agit d'une bonne question et je voudrais obtenir une réponse. J'ai fait une transaction il n'y a pas longtemps et mon avocat m'a facturé les photocopies à un prix beaucoup plus élevé que le coût réel. Une partie de ce prix était-elle destinée aux gens qui ont créé l'ouvrage en question?
M. Little: Non, et vous paierez davantage.
M. Peric (Cambridge): Pourquoi?
M. Bélanger: Attendez votre tour.
On a également dit, si j'ai bien compris, que ces gens-là ne font rien pour faire progresser la justice au Canada. J'ai entendu un commentaire de ce genre. Nous pourrons relire le compte rendu plus tard. S'ils n'ajoutent aucune plus-value ou ne font rien pour faire progresser la justice, pourquoi réclameriez-vous des exceptions quand ils réclament des redevances? S'ils ne font rien d'intéressant, pourquoi voudriez-vous des exceptions?
M. Little: Je vous signale respectueusement que ce n'est pas ce que nous voulons dire. Ils offrent un service utile mais nous estimons qu'ils sont déjà bien rémunérés pour ce service. Quand ils me vendent un texte ou un arrêt de la cour pour 120 ou 140 $, j'estime qu'ils sont bien payés mais en plus de cela, ils essaient maintenant d'obtenir systématiquement, dans tout le pays et auprès de tous les cabinets d'avocats, de tous les membres de la magistrature, de tous les ministères, des redevances sur les multiples copies...
M. Bélanger: Par le biais d'une entente de licence.
M. Little: C'est exact.
M. Bélanger: Voici ma dernière question, monsieur le président.
Vous avez dit en gros que le gouvernement, les pouvoirs publics, n'assument pas leurs responsabilités en permettant la conclusion de telles ententes. Estimez-vous que cela s'applique également aux professions qui font de l'autoréglementation, que le gouvernement se soustrait à ses responsabilités en ne réglementant pas des associations professionnelles comme les associations de juristes?
M. Little: Je crois que je ne comprends pas la question.
M. Bélanger: D'autres l'ont comprise. Merci.
Le président: Monsieur Arseneault.
M. Arseneault (Restigouche - Chaleur): Dans le même ordre d'idées que les commentaires que vous avez faits au sujet des livres et de leur utilisation, est-ce que vous, les avocats, achetez des ouvrages écrits par des professeurs de droit, des ouvrages sur les jugements, par exemple? Photocopiez-vous ces ouvrages et distribuez-vous les photocopies aux autres membres de votre association sans payer de redevances?
M. Jolliffe: Pas à ma connaissance. Si cela peut vous aider, je vous signale que l'on écrit des textes et des traités savants sur le droit et que ces ouvrages sont lus et étudiés. On peut en copier un extrait pour faire de la recherche ou une étude privée, voire pour le présenter à un juge afin de mieux faire comprendre la loi. Voilà les circonstances dans lesquelles on pourrait en faire des copies. Dans d'autres circonstances, j'estime que ce ne serait pas honnête et que ce serait une violation du droit d'auteur que l'auteur possède sur ce texte.
M. Arseneault: Mais si vous preniez un extrait d'un ouvrage sans permission et le présentiez devant un tribunal, s'agirait-il d'une violation du droit d'auteur?
M. Jolliffe: Non. J'estime que ce serait une utilisation équitable de cet extrait.
M. Arseneault: Par conséquent, un ouvrage ordinaire sur lequel un professeur, un professeur de l'Université d'Ottawa par exemple, a un droit d'auteur... Supposons que M. Mendes publie un ouvrage et que vous vouliez en citer un passage. Supposons que vous fassiez une copie d'un chapitre et que vous la présentiez au juge.
M. Jolliffe: L'utilisation équitable dépend des circonstances. Si l'on prélève un extrait important de l'ouvrage en question, cela dépasse les bornes mais si l'on prélève un petit extrait pour appuyer son argumentation devant un tribunal, j'estime que ce n'est pas une violation du droit d'auteur. À mon avis, c'est une question de compréhension de la notion d'«utilisation équitable», telle qu'elle est exposée dans la Loi sur le droit d'auteur.
M. Arseneault: Lorsque l'association de juristes ou ses bibliothécaires, par exemple, font des copies - je ne suis pas avocat et je ne sais donc pas exactement comment cela fonctionne - , cela coûte de l'argent. Prévoit-on également un supplément pour pouvoir réaliser un petit bénéfice?
M. Jolliffe: Non, on fait seulement payer les frais, sans tenir compte des frais de fourniture du service.
M. Arseneault: La situation est légèrement différente en ce qui concerne les tribunaux. D'après les témoins que nous avons entendus l'autre jour, le tribunal de Vancouver a gagné 600 000 $ sur les photocopies et le Barreau du Haut-Canada a photocopié environ 105 000 pages de texte.
M. Jolliffe: C'est exact. Je crois que ce renseignement est légèrement inexact: c'est une centaine de milliers de pages par année que photocopie la grande bibliothèque du Barreau du Haut- Canada. Il ne faut toutefois pas confondre les recettes et les bénéfices. On interprète peut-être mal ces chiffres en partant du principe qu'une partie de cet argent représente des bénéfices.
La seule chose que je sais, c'est que le Barreau du Haut- Canada photocopie une centaine de milliers de pages. Il ne fait pas de bénéfices; ce service lui coûte de l'argent. Je ne peux pas répondre à votre question en ce qui concerne la Colombie- Britannique, mais je suppose que les 600 000 $ en question représentent les recettes et non les bénéfices. Il ne faut pas oublier que ce service coûte cher.
M. Arseneault: Ce sont donc des recettes?
M. Jolliffe: Exactement.
M. Arseneault: Mais on doit bien faire un profit? On ne fait rien pour rien. Vous dites que le Barreau demande le prix coûtant?
M. Jolliffe: Précisément et il perd même de l'argent parce qu'il considère la fourniture de ce service comme une obligation.
M. Arseneault: En ce qui concerne l'explication que vous avez donnée au sujet de l'utilisation équitable - la promotion de la démocratie, la promotion du droit et l'intérêt de la société et des consommateurs - , j'estime que les avocats devraient offrir gratuitement leurs services étant donné que vous exigez la même chose des éditeurs juridiques. Le dernier ouvrage juridique que j'ai fait nécessitait une documentation assez importante. La documentation était accompagnée d'une facture et on m'avait facturé toutes les photocopies. Le tarif de chaque page de photocopie d'un texte destiné à étayer l'opinion de l'avocat - et je crois que j'avais 30 ou 40 pages - était très élevé. On m'a fait payer un tarif unitaire assez élevé et je ne pouvais pas... Je suppose que j'aurais pu aller à la bibliothèque du tribunal et faire les photocopies moi-même, et que cela m'aurait coûté 10 ou 20 cents la page, mais j'ai payé beaucoup plus que cela. Comment expliquez-vous cela? Vous réclamez la possibilité de copier des extraits d'ouvrages alors que vos collègues font payer le gros tarif à leurs clients lorsqu'ils rendent ce service.
M. Jolliffe: Je me permets de ne pas partager cet avis. Je ne pense pas que l'on vous ait fait payer des redevances pour une copie de la décision judiciaire ou de la loi que votre avocat a utilisée.
M. Arseneault: On m'a facturé les photocopies.
M. Jolliffe: Ce sont les frais de photocopie que l'on vous a facturés.
M. Arseneault: Combien de pages?
M. Jolliffe: Le prix facturé devrait correspondre au coût réel, un point c'est tout.
M. Arseneault: On m'a également facturé les frais de déplacement de l'avocat au tribunal.
[Français]
Le président: Une dernière et brève question, monsieur Leroux.
M. Leroux: À la question que mon collègue, M. Bélanger, vous posait tantôt, vous avez dit que le gouvernement, pour s'acquitter de sa responsabilité première, devait voir à l'intérêt public. Vous présumez que l'éditeur n'est pas nécessairement un joueur au titre du droit d'auteur et que l'intérêt public serait d'exempter tout cela et de vous laisser aller là-dedans.
Si l'éditeur doit être reconnu dans la loi comme un ayant droit pour le travail qu'il fait et la reprographie, ne pensez-vous pas que le rôle du gouvernement est davantage d'envoyer aux parties le message de s'entendre et de négocier plutôt que d'exempter une partie d'une négociation qui devrait se faire normalement sous le vocable que vous avez utilisé tantôt? Il doit jouer un rôle d'intérêt public.
On est tout à fait d'accord sur le principe fondamental: les intérêts de l'auteur et les intérêts de l'usager. Nous sommes tous d'accord que toute oeuvre doit être accessible. Si les deux parties existent, pourquoi faudrait-il que le gouvernement en exempte une d'une reconnaissance qu'on accorde partout, c'est-à-dire demander aux parties de négocier raisonnablement?
[Traduction]
M. Jolliffe: Je suppose que ce serait un moyen de faire en sorte que le coût de l'accessibilité au droit soit maintenu à un niveau que la population canadienne, par l'intermédiaire de ses représentants, juge satisfaisant; autrement dit, il faut forcer les parties à négocier une entente, dans le contexte d'un examen ou d'un contrôle gouvernemental, pour s'assurer que le tarif est raisonnable.
On part évidemment du principe que le fait de photocopier un extrait de document est une violation du droit d'auteur et non une utilisation équitable. Si vous partez de ce principe et si vous et le gouvernement décidez que cela justifie une redevance, je reconnais également que c'est mieux que la situation actuelle où les éditeurs réclament une redevance de 20 cents la page, ou de 1,50 $ pour le sommaire d'un arrêt, par exemple. Il n'y a pas de limites. Lorsque l'on part du principe que les éditeurs détiennent un monopole sur lequel on empiète, il n'y a plus de limites au coût de l'accessibilité au droit. Ils pourraient faire payer ce qu'ils veulent.
Le président: Je permets à M. Abbott de poser une toute dernière petite question, puis je donnerai la parole à M. O'Brien. Nous devons terminer.
M. Abbott: Pour en revenir au principe, j'estime que nous sommes d'accord que l'on a ajouté de la valeur à la matière première et qu'il s'agit d'un service. Je n'accepte pas le principe que, du fait qu'une partie de l'argent versé viendrait des caisses de l'État ou que les bénéficiaires des services d'avocat devraient payer...
Aidez-moi à comprendre pourquoi les gens qui fournissent ce service ne devraient pas recevoir quelque chose pour cette valeur ajoutée. Je regrette, mais je ne vous comprends pas bien.
M. Jolliffe: Je regrette de ne pas m'être exprimé plus clairement. Pour le moment, les éditeurs sont rémunérés pour cette valeur ajoutée, par le biais du prix des ouvrages. C'est ainsi qu'ils sont rémunérés et ils s'en tirent très bien. J'ai vu certaines des questions que votre comité comptait poser aux éditeurs à propos des répercussions financières et j'ai constaté avec intérêt que ceux-ci n'arrivaient pas à prévoir des répercussions négatives.
En bref, je considère que le système fonctionne très bien. Les éditeurs sont rémunérés. Ce secteur n'est pas menacé dans le système actuel. La question est de savoir s'il convient de faire payer une redevance supplémentaire et en ce qui nous concerne, c'est non.
M. Abbott: Merci.
Le président: Une dernière question, monsieur O'Brien.
M. O'Brien (London - Middlesex): Monsieur le président, je me demande s'il serait possible d'obtenir quelques précisions au sujet du coût. Vous dites que le coût sera énorme pour les Canadiens si l'on fait payer des redevances. Avez-vous une idée de l'importance de ces coûts?
M. Jolliffe: Je peux seulement vous donner des exemples de ce qui a été réclamé au cours des deux dernières années, c'est-à-dire depuis le début du litige. Les éditeurs demandent 20 cents par photocopie. Il s'agit surtout de lois ou d'arrêts du tribunal et la valeur ajoutée par l'éditeur consiste à faire un sommaire de l'arrêt ou à numéroter les pages, mais la redevance de 20 cents la page s'applique à toutes les pages du texte.
L'autre chiffre qui a été cité est de 1,50 $ rien que pour le sommaire. Il s'agit du bref sommaire qui précède l'arrêt.
Voilà les deux chiffres qui ont été demandés.
M. O'Brien: Avez-vous fait le calcul pour prévoir ce que cela coûterait aux Canadiens ou pensez-vous que l'on peut estimer ce coût?
[Français]
M. Letourneau: Si vous me le permettez,
[Traduction]
je me suis occupé de cela au Québec. Je vais d'abord vous citer quelques chiffres. Au Québec, il existe un peu plus de 16 000 avocats et on compte en moyenne 2,1 avocats par cabinet. Je ne sais pas d'où vient le dixième, mais c'est la moyenne. Ce n'est pas le chiffre pour cette année; ce chiffre remonte à quelques années. Il existe de très gros cabinets et par conséquent, si c'est la moyenne, cela veut dire que beaucoup d'avocats travaillent seuls dans leur coin. Par conséquent, la plupart des avocats représentent de petites gens. Les grands cabinets d'avocats représentent de grandes organisations.
Lorsqu'on va au tribunal pour un divorce, comme dans le cas des grands procès, il faut présenter au juge des textes de jurisprudence pour étayer son argumentation. C'est ainsi que cela fonctionne. Le juge ne me croira pas sur parole. Il me demandera qui a dit cela. Pour une petite cause, il faut présenter des centaines de pages de textes et cela peut représenter des milliers de pages pour les grandes causes. Multipliez le nombre de pages par 20 cents et vous saurez combien doit payer le modeste citoyen.
Vous dites que les avocats font payer très cher leurs services. Nous ne faisons pas tellement payer les petites gens. Le bénévolat existe toujours. Bien des avocats ne font pas payer grand-chose aux petites gens. Il est possible que certaines firmes fassent payer très cher les photocopies. La plupart des avocats font payer le minimum. Cela représente malgré tout beaucoup d'argent.
M. O'Brien: Merci.
Le président: Mesdames et messieurs, je vous remercie infiniment d'être venus témoigner et de nous avoir exposé vos opinions. Merci.
[Français]
On va entendre le prochain groupe de témoins,
[Traduction]
la Fédération américaine des musiciens des États-Unis et du Canada.
[Français]
Ce sont M. Ray Petch, vice-président du Canada,
[Traduction]
Madame Jill Tonus, conseillère,
[Français]
et M. Marc LaFrance, président du Comité spécial pour les droits voisins
[Traduction]
et pour la Vancouver Musicians Association, c'est-à-dire la section locale 145 de la FAM.
Monsieur Petch, vous avez la parole.
M. Ray Petch (vice-président du Canada, Fédération américaine des musiciens des États-Unis et du Canada): Merci, monsieur le président.
Je suis le vice-président du Canada de la Fédération américaine des musiciens des États-Unis et du Canada. Nous représentons 17 000 musiciens professionnels canadiens. Je suis accompagné de Jill Tonus, conseillère juridique de la FAM en matière de droit d'auteur, qui a été la cheville ouvrière du mémoire que nous présentons aujourd'hui. Je suis également accompagné de M. Marc LaFrance, qui est musicien de studio et membre de la section locale 145, de Vancouver.
Comme vous l'avez dit, Marc est le président du comité spécial qui a été institué pour examiner le projet de loi, le comité spécial sur les droits voisins de la section locale 145 de Vancouver. Celle-ci a présenté son propre mémoire sur le projet de loi C-32, mais Marc est là aujourd'hui pour nous aider à représenter les musiciens de studio pigistes du Canada, ceux qui exécutent la musique d'accompagnement des vedettes du disque canadiennes. Il vous parlera en connaissance de cause des pratiques qui ont cours dans l'industrie du disque canadienne, selon le point de vue d'un musicien de studio.
Nous félicitons le gouvernement d'avoir reconnu les droits des artistes-interprètes canadiens et leur droit d'être rémunérés. Nous avons quelques suggestions à vous faire. Nous vous faisons des recommandations qui permettront à notre avis de rendre le projet de loi plus clair et de l'améliorer.
Vous avez notre mémoire et celui de notre section locale 145 de Vancouver, qui a notre appui. Cette section locale appuie également le nôtre. Nous vous exposerons nos opinions dans les grandes lignes étant donné que vous pourrez trouver tous les détails dans nos mémoires. Notre exposé sera bref pour qu'il vous reste beaucoup de temps pour nous poser des questions, auxquelles nous nous ferons un plaisir de répondre.
Je cède maintenant la parole à Mme Tonus.
Mme Jill Tonus (conseillère, Fédération américaine des musiciens des États-Unis et du Canada): Bonjour, monsieur le président; bonjour, messieurs. Comme l'a signalé M. Petch, je suis conseillère juridique de la FAM en matière de droit d'auteur au Canada. Pendant le peu de temps dont nous disposons ce matin, je passerai rapidement en revue les principales recommandations du mémoire de la FAM.
Comme on l'a déjà dit, la FAM est heureuse et honorée de constater que le gouvernement a pris l'initiative de tenir enfin compte dans la Loi sur le droit d'auteur des besoins financiers, et surtout du droit des artistes-interprètes de partager les recettes générées par l'utilisation de leurs interprétations sur les enregistrements.
La contribution de l'interprète à un enregistrement est la pierre angulaire de sa réussite, au même titre que le talent du compositeur de la musique et que la capacité du producteur de capter cette interprétation dans un enregistrement superbe. Ces trois éléments - la musique, l'artiste-interprète et l'enregistrement - sont essentiels à la création du produit fini que l'utilisateur apprécie et qui enrichit sa vie.
Pourtant, dans notre Loi sur le droit d'auteur, l'artiste- interprète est la seule personne dont on ne tient pas compte ou pour laquelle on ne prévoit pas de rémunération pour sa contribution à un enregistrement. Comme vous l'expliquera M. LaFrance, cette lacune a contribué à créer de fait une situation où les artistes de studio ne tirent qu'un maigre gain ou aucun de l'exploitation de l'enregistrement. En outre, étant donné que la loi canadienne ne reconnaît aucun droit aux artistes-interprètes, les musiciens canadiens ne peuvent pas réclamer leur part des redevances perçues sur l'utilisation de leurs enregistrements dans les pays signataires de la Convention de Rome.
Par conséquent, bien des musiciens canadiens n'ont pas un niveau de vie décent, malgré leur contribution à la confection d'un produit très commercialisable et très recherché. C'est pourquoi la FAM estime que la reconnaissance des droits des artistes- interprètes dans la Loi sur le droit d'auteur au Canada est capitale pour améliorer le niveau de vie des musiciens et que nous sommes très en retard dans ce domaine, étant donné qu'il existe un régime concernant les droits d'exécution dans au moins 51 autres pays.
C'est également la raison pour laquelle la FAM a basé son mémoire sur trois principaux sujets: a) la protection dans la loi de la part de toute rémunération versée pour des enregistrements, qui revient à l'exécutant; b) la suppression de certains articles du projet de loi, qui diminueraient le rôle de la Commission du droit d'auteur en ce qui concerne l'établissement d'un tarif suffisant pour les redevances sur les représentations publiques prévues à l'article 19 du projet de loi, et pour les redevances sur les cassettes vierges prévues dans la Partie VIII; et c) le recours à une société de gestion pour administrer ces droits de façon efficace, équitable et rentable. La FAM a également abordé un certain nombre d'autres sujets que j'examinerai brièvement s'il me reste assez de temps.
En ce qui concerne la protection de la part des recettes revenant à l'exécutant, la FAM a recommandé qu'étant donné les normes qui s'appliquent dans l'industrie, dans les relations entre les exécutants et les producteurs de disques - et M. LaFrance donnera plus de précisions à ce sujet - , le projet de loi prévoit un certain minimum de recettes qui, peu importe la répartition des droits, seront versées directement aux artistes-interprètes. L'article 19 du projet de loi va déjà un peu dans ce sens en décrétant que les artistes-interprètes «reçoivent» 50 p. 100 des redevances sur les représentations publiques fixées par la Commission du droit d'auteur. La FAM recommande que ce pourcentage soit considéré comme un minimum.
La FAM propose également que la loi octroie aux artistes- interprètes un minimum d'un tiers du produit des redevances imposées sur les cassettes vierges, qui est partagé entre les exécutants, les producteurs et les compositeurs, en ce qui concerne la reproduction d'enregistrements pour usage personnel.
Elle estime en outre que pour dépasser ces minimums, il convient de modifier l'article 25, ou plutôt l'article 13 du projet de loi de façon à limiter la cessibilité des droits économiques des artistes-interprètes par une disposition stipulant que ceux-ci conservent un droit inaliénable, auquel ils ne peuvent renoncer, de recevoir une rétribution équitable pour l'exercice de ces droits. Ce droit inaliénable permettrait à l'artiste-interprète d'avoir un contrôle effectif et de recevoir une rémunération décente pour l'exploitation de tous ses droits, y compris ceux qui ne sont pas assujettis à l'obtention obligatoire d'une licence par le biais de la Commission du droit d'auteur, comme les droits de location pour les enregistrements.
La FAM estime également que le nouveau projet de loi devrait permettre expressément à un artiste-interprète ou à une société de gestion agissant en son nom, de demander que la Commission du droit d'auteur fixe le montant de sa rémunération au cas où il n'arriverait pas à s'entendre avec une tierce partie à ce sujet.
D'après nous, ce système encouragerait et permettrait l'octroi de licences collectives sur les droits des artistes-interprètes tout en protégeant la part qui leur revient des droits qui ont été cédés en bloc aux producteurs. Cela réduirait au minimum les perturbations causées par ces nouveaux droits et ferait baisser les frais de transaction pour toutes les parties. C'est pourquoi la FAM a participé, et continuera de participer, à des discussions avec les principaux représentants de l'industrie du disque au sujet de l'établissement d'une société de gestion qui serait administrée conjointement et répartirait équitablement le produit des nouvelles redevances entre l'artiste-interprète et le producteur. La FAM a bon espoir que l'on arrive à négocier une entente qui l'aidera à atteindre son objectif, à savoir tirer le plus grand bénéfice possible des droits tout en continuant à mettre des enregistrements à la disposition des utilisateurs.
Par contre, si une telle entente n'est pas réalisable ou si l'on ne fournit pas à l'artiste-interprète les mesures de protection législatives en question, la FAM appuiera une prise de position décrétant que les droits des artistes-interprètes sont inaliénables et que ceux-ci ne peuvent y renoncer, bien qu'ils soient transférables à leurs héritiers. Il est possible que, comme l'a indiqué l'ACTRA dans son mémoire, la seule possibilité de cession consiste à céder les droits à une société de gestion créée à cet effet.
Je passe maintenant à la deuxième recommandation principale de la FAM qui est de s'assurer que les redevances prévues à l'article 19 et dans la Partie VIII du projet de loi sont fixées par la Commission du droit d'auteur à un taux suffisant pour que les sommes versées soient assez élevées et pas uniquement symboliques. Comme vous le savez, dans son mémoire, la FAM a proposé que plusieurs articles du projet de loi soient supprimés, à savoir ceux qui fixent les critères selon lesquels sera établi le montant des redevances sur les représentations publiques ou sur les cassettes vierges, qui établissent un taux préférentiel pour les petits radiodiffuseurs ou qui prévoient l'instauration graduelle sur une période de cinq ans des paiements que doivent faire les radiodiffuseurs.
Comme nous ne disposons pas de suffisamment de temps aujourd'hui, nous n'examinerons pas les divers articles en question un à un mais d'une façon générale, la FAM estime qu'il appartient à la Commission du droit d'auteur de juger du bien-fondé de chacune de ces exemptions ou restrictions après avoir examiné les éléments de preuve fournis par toutes les parties concernées dans le cadre de ses audiences. Comme nous l'indiquons dans notre mémoire, c'est la démarche qui a été généralement suivie lorsque le nouveau droit de retransmission a été inséré dans la loi canadienne et nous estimons respectueusement que ce système est tout aussi applicable aux nouveaux droits établis dans le projet de loi C-32, en ce qui concerne les artistes-interprètes.
La Commission du droit d'auteur qui a de l'expérience en matière d'arbitrage des litiges concernant les droits d'auteur et dont la mission consiste à passer son temps à examiner en détail la plupart de ces problèmes complexes, est l'organisme qui est le mieux en mesure d'établir des tarifs équitables. En conséquence, la loi ne devrait pas imposer trop d'entraves à la commission avant qu'elle ne puisse procéder elle-même à un examen des critères et des exceptions qui peuvent se justifier à la lumière des preuves d'ordre économique qui lui seront fournies.
Par exemple, on a pu constater que d'après les mémoires présentés par l'Association canadienne des radiodiffuseurs et par l'Association de l'industrie canadienne de l'enregistrement que les prévisions concernant les répercussions de l'article 19 du projet de loi sur l'industrie de la radiodiffusion peuvent varier considérablement selon le modèle économique employé. On n'arrivera à établir un niveau de rémunération véritablement équitable, qui tienne compte à la fois des droits des artistes-interprètes, de ceux des producteurs et de ceux des radiodiffuseurs, qu'en fournissant des éléments de preuve aussi différents à la Commission du droit d'auteur et en les confrontant, car celle-ci a l'avantage de pouvoir soumettre des témoins à un contre-interrogatoire.
D'après nous, selon le libellé actuel du projet de loi C-32, le tarif fixe de 100 $ pour les petits radiodiffuseurs ayant des revenus de moins de 1,25 million de dollars ne générera que des recettes minimes, ce qui veut dire que les frais de création d'une société de gestion des droits des artistes-interprètes risquent d'être supérieurs aux recettes pendant de nombreuses années.
Par ailleurs, si le projet de loi ne génère que des paiements d'un montant symbolique, les autres pays signataires de la Convention de Rome ne seront pas incités à percevoir leurs tarifs plus élevés pour les Canadiens lorsque des enregistrements canadiens sont utilisés à l'étranger.
Par conséquent, selon les dispositions actuelles du projet de loi, les redevances de radiodiffusion n'amélioreront pas beaucoup le sort du musicien moyen.
Pour terminer, je rappelle brièvement quelques autres problèmes soulevés par la FAM.
Premièrement, la création de ces nouveaux droits doit aboutir au paiement de nouvelles redevances et ne pas entraîner pour les autres titulaires de droits comme les compositeurs, la perte d'une partie des recettes auxquelles ils ont droit depuis longtemps pour financer ces nouveaux droits. La FAM n'admet toutefois pas que l'on estime que les droits des artistes-interprètes, qu'il s'agisse d'un droit d'auteur à part entière ou d'un droit de rémunération, soient subordonnés à ceux des auteurs traditionnels en vertu de la loi. Par conséquent, la clause de non-dérogation que contient l'article 90 doit être revue pour s'assurer que son libellé ne se prête à une telle interprétation.
Deuxièmement, la FAM estime que le projet de loi ne doit pas uniquement servir de tremplin à d'autres projets de loi de réforme; par conséquent, il est en faveur de l'insertion d'une disposition prévoyant un examen obligatoire dans un délai de cinq ans. Il s'agirait en fait d'un délai maximum, étant donné qu'un examen et une révision de la loi devraient faire partie d'un processus immédiat et permanent de façon à ce que les conséquences des nouvelles technologies et de l'évolution des marchés mondiaux sur les créateurs et les artistes-interprètes puissent être examinées rapidement.
Il semble oiseux de dire que les industries infoculturelles continueront à jouer un rôle de plus en plus important dans l'économie mondiale au cours du prochain siècle. Le Canada ne peut pas se permettre de tarder à fournir, par le biais de sa législation en matière de propriété intellectuelle, une base vigoureuse et malléable sur laquelle puissent compter ces industries et les artistes qui les alimentent en grande partie.
Par exemple, la valeur d'une redevance sur une cassette vierge peut diminuer rapidement si, comme prévu, de nouvelles techniques permettant la copie d'enregistrements à usage personnel. Le projet de loi doit permettre de s'adapter aux changements rapides qui se produisent sur le marché tant au Canada qu'à l'étranger en s'assurant que les artistes-interprètes reçoivent une rémunération suffisante pour l'utilisation de leurs prestations au moyen de nouvelles technologies.
Enfin, pour éviter toute ambiguïté au niveau de l'interprétation, la FAM recommande que la définition d'enregistrement sonore précise davantage quels types d'enregistrements sont exclus et que l'on y ajoute une définition souple et universelle de la notion d'artiste-interprète.
Merci de m'avoir consacré votre temps et accordé votre attention. Je cède maintenant la parole à M. LaFrance pour lui permettre de faire ses commentaires.
M. Marc LaFrance (Fédération américaine des musiciens des États-Unis et du Canada): Je suis de Vancouver. Je suis chanteur, auteur-compositeur et musicien. Je suis également membre du conseil exécutif de la Vancouver Musicians' Association. Comme on vous l'a dit, je fais partie du comité spécial sur le projet de loi C-32. Je suis également un membre du conseil d'administration de la Pacific Music Industry Association.
Comme je crois être ici pour représenter ceux qui sont directement touchés, je tiens à vous signaler que j'ai enregistré avec une foule d'artistes dont bien des orchestres canadiens comme Krokus, les Payola$, Loverboy, Glass Tiger, Alfie Zappacosta, Shari Ulrich et Chilliwack.
J'ai aussi enregistré avec un grand nombre d'artistes étrangers de réputation internationale comme Motley Crew, Bon Jovi, Cher, Carley Simon, The Cult et les Scorpions. Je suis certains que vous les connaissez tous. De toute façon, moi, je connais bien des artistes différents. J'ai sans doute participé à l'enregistrement d'une cinquantaine de disques qui ont dû se vendre à 30 millions d'exemplaires. Mon nom apparaît sur tous ces disques même si, malheureusement, je ne touche rien sur les ventes ni aucun droit de prestation lorsque les chansons jouent à la radio.
Je pense que les gens comme moi vont bénéficier de l'adoption du projet de loi. Je sais que beaucoup de monde mentionne des artistes comme Bryan Adams et Céline Dion... Vous savez, les artistes de chez nous les plus importants. Nous savons tous qu'ils gagnent une fortune en ce moment et qu'ils continueront à faire beaucoup d'argent alors que les gens comme moi, qui jouent aussi sur ces disques, obtiendront enfin un peu d'argent pour payer leur hypothèque.
Je profite de l'occasion pour vous raconter une autre réalité du milieu du disque. Vous devez sûrement savoir maintenant que la plupart des artistes ont déjà cédé tous leurs droits d'auteur et droits de prestation de leurs enregistrements à leur maison de disques. Pour eux, les avantages monétaires du projet de loi C-32 sont loin d'être assurés. Il se pourrait bien que l'adoption du projet de loi soit une victoire creuse pour eux.
L'idée que l'industrie de la musique peut et doit elle-même remédier à cette situation déplorable a de plus en plus de partisans. C'est la solution que propose l'association des musiciens de Vancouver dans son énoncé de position sur le projet de loi C-32. C'est également la position adoptée par un groupe d'artistes exécutants canadiens, de musiciens et de choristes de studio, appelé Artists' Rights Coalition ou ARC pour faire plus court.
L'ARC exige que la société de gestion, qui est la clé de tout ce régime à notre avis, s'occupe des nouveaux droits et des nouvelles redevances en suivant les principes suivants. Je vais vous en énumérer seulement cinq que j'ai sous les yeux. Premièrement, les droits à rémunération des artistes et des maisons de disques doivent être cédés à une société de gestion. Deuxièmement, la part totale d'un artiste doit équivaloir à au moins 50 p. 100 de la redevance. Troisièmement, l'artiste et la maison de disques devraient contribuer à parts égales aux frais d'administration. Quatrièmement, les redevances des artistes sont versées par chèque directement à l'artiste même et à personne d'autre. Cinquièmement, le conseil d'administration et le conseil exécutif sont composés d'un nombre égal de représentants des artistes et des maisons de disques.
Si l'on respecte ces principes, les redevances des artistes- interprètes ne seront pas absorbées par les maisons de disques et les nouveaux droits seront administrés de façon à garantir une répartition égale des redevances. Ces principes nous assureront aussi que le projet de loi C-32 se traduit par de l'argent dans les poches des artistes-interprètes.
L'ARC insiste pour que les divers groupes de l'industrie canadienne de la musique s'entendent sur ces principes. Pour le moment, je peux vous informer que les mesures constructives suivantes ont été prises à cette fin.
Il y a eu une réunion des représentants des principales associations d'artistes-interprètes et d'organisations de maisons de disques du Canada pour discuter de l'approbation des cinq principes par l'ensemble de l'industrie. L'Association de l'industrie canadienne de l'enregistrement (la CRIA) et la CIRPA, qui vous ont déjà présenté chacune un mémoire, ont écrit à l'ARC et à la Fédération américaine des musiciens pour leur faire savoir qu'elles approuvaient les cinq principes.
Pour avoir un complément d'informations sur ce problème et connaître les solutions proposées, lisez les pages 23 à 29 du mémoire de la Vancouver Musicians' Association.
Merci beaucoup. J'ai essayé d'être bref.
Le président: Merci. Monsieur Petch.
M. Petch: En résumé, monsieur le président, comme vous avez pu l'entendre, la Fédération américaine des musiciens insiste surtout pour que la rémunération des artistes-interprètes soit équitable, appréciable et incessible.
Nous croyons que les artistes-interprètes, les producteurs et leurs associations respectives vous présentent des suggestions montrant qu'ils sont foncièrement tous sur la même longueur d'onde. Nous espérons que vous allez prendre très au sérieux nos observations et recommandations collectives lorsque vous étudierez les amendements au projet de loi C-32, afin qu'il serve le public, les radiodiffuseurs, les producteurs et les artistes qui ont absolument besoin de son adoption pour protéger l'avenir de leur carrière.
Je vous remercie.
Le président: Merci, monsieur Petch.
[Français]
Monsieur Leroux.
M. Leroux: Les positions nous semblent évidentes: on est heureux et on pense que le projet de loi est un pas en avant au chapitre des droits voisins. C'est clair. C'est évident dans votre exposé, monsieur LaFrance.
J'aimerais parler concrètement du projet de loi avec vous, par des exemples très précis. On a parlé de l'article 19. Vous faites allusion à la ventilation des redevances sur les cassettes vierges. Vous soulevez des choses à l'article 82 ou à l'article 83. Vous avez le projet de loi avec vous?
[Traduction]
Mme Tonus: Oui, je l'ai.
[Français]
M. Leroux : Alors, est-ce que vous pourriez nous indiquer de façon concrète si, d'après vous, il faut supprimer ou modifier cet article? J'aimerais qu'on puisse aussi faire cet exercice avec l'article 90 parce que vous dites, à propos de cet article, qu'on devrait éclaircir la question du droit d'auteur et des droits voisins.
J'aimerais que vous nous disiez quel genre de libellé, d'après vous, aiderait à faire le point. Mais auparavant, j'aurais une première question sur le fait que vous dites être contre l'exemption de 1,25 million de dollars aux petites radios.
Jusqu'à maintenant, les témoins qui ont comparu, y compris l'ADISQ, ont dit qu'il y aurait matière à penser en termes d'exemptions parce que, du côté des radios et des petites radios, il y a un problème potentiel quant au paiement de redevances. Ils accepteraient qu'il y ait une exemption pour un certain nombre de petites radios.
Ils ont même déposé au comité une espèce de tableau d'échelle. Avez-vous pris connaissance de cette proposition de l'ADISQ?
Mme Tonus: Non.
M. Leroux: Il semble qu'un peu tout le monde veuille aller vers une telle reconnaissance.
[Traduction]
Mme Tonus: Non, je suis désolée, mais je ne suis pas au courant.
M. Leroux: Non. Très bien.
M. Petch: Nous ne sommes pas au courant, monsieur.
M. Leroux: D'accord.
[Français]
On semble reconnaître, même du côté de l'ADISQ, que certaines radios devraient avoir une exemption par rapport aux droits voisins, et cela semble symbolique.
J'aimerais savoir si vous avez fait l'évaluation de l'impact possible du projet de loi sur les petites radios qui ont des difficultés financières. Il aurait été intéressant que vous preniez connaissance de la proposition de l'ADISQ, qui reconnaît ce problème.
Vu que plusieurs personnes semblent reconnaître qu'il faut qu'il y ait une certaine protection, j'aimerais entendre votre position.
[Traduction]
M. LaFrance: J'ai entendu un bout du mémoire de l'ADISQ, mais je n'ai pas encore eu le temps de le lire. J'ai entendu dire qu'elle avait fait une proposition intéressante, mais nous n'avons pas eu l'occasion d'y jeter un coup d'oeil. Elle a présenté son mémoire la semaine dernière, n'est-ce pas?
[Français]
M. Leroux: Oui, tout à fait.
[Traduction]
M. Petch: Je voudrais faire quelques observations à ce sujet. En principe, je n'ai rien contre l'établissement de taux différents selon la capacité financière ou la taille d'une station radiophonique, mais à notre avis, la question devrait être soumise à la Commission du droit d'auteur parce qu'une redevance totale de 100 $, c'est ridicule. Cent dollars par année équivalent à une redevance de 1,1¢ l'heure alors que de cinq à dix pièces musicales peuvent être diffusées en une heure. Cela signifie en moyenne de 50 à 100 morceaux par jour. À un tel taux, un musicien dont le disque tournerait une fois par jour dans la moitié des petites stations du pays pendant toute une année - ce qui serait vraiment extraordinaire - ne toucherait que quelque chose comme 1,25 $ la première année. Ce ne serait pas d'un grand secours. Même si tout était payé, ça ne serait pas suffisant pour régler les frais d'organisation d'un service de perception des droits. Ça ne ferait rien pour augmenter son niveau de vie non plus.
Nous croyons que ce n'est pas ce qui est envisagé dans le projet de loi. Nous estimons que ce taux est extrêmement bas et que 1,1 ¢ l'heure c'est infime quand on sait que la station diffuse de sept à dix messages publicitaires à l'heure. Nous croyons que l'affaire devrait être renvoyée à la Commission du droit d'auteur afin que toutes les parties puissent se faire entendre.
M. LaFrance: Vous permettez que j'ajoute quelque chose? Comme Jill l'a signalé, si les taux pratiqués au Canada ne correspondent pas à ceux imposés dans les autres pays, on n'arrivera pas à obtenir de la France, par exemple, qu'elle perçoive les redevances qui sont dues à nos artistes pour leurs prestations là-bas parce qu'elle estimera que ça ne vaut pas la peine. Si les taux sont infimes au Canada, ce ne sera pas assez payant pour qu'on s'en préoccupe. Nous n'arriverons donc pas à toucher nos redevances dans les pays étrangers. Or, je crois que c'est précisément ce marché qui sera le plus lucratif.
Il y a 51 autres pays. Je sais, grâce aux disques auxquels j'ai travaillé et qui ont tourné dans tous les pays du monde, que ça rapporterait pas mal à des gens comme moi, j'en suis convaincu. Il y a beaucoup de musiciens de studio comme moi au Canada qui gagnent leur vie en faisant de la musique. Bien entendu, cela nous aiderait aussi à améliorer notre sort.
[Français]
M. Leroux: Oui, mais il existe déjà des collectifs de gestion ici qui perçoivent pour la France des redevances dans le champ des droits d'auteur. Cela existe entre les pays européens et ici.
[Traduction]
Le président: Madame Tonus, avant que vous ne répondiez à la question, j'ai noté que, dans votre mémoire, vous abordez 13 articles du projet de loi et faites 13 recommandations. J'espère que vous n'avez pas l'intention de les exposer toutes en détail. Je vous demanderais de nous en donner un aperçu seulement.
Mme Tonus: Non, monsieur le président. Je répondrai avec plaisir aux demandes de précisions, mais je voulais simplement ajouter pour le moment que l'important à retenir, c'est que la Fédération reconnaît que les petits radiodiffuseurs peuvent avoir besoin d'un traitement particulier comme il a fallu le faire pour les petits câblodistributeurs. En fait, le problème c'est plutôt que, comme dans le cas des petites entreprises de câblodistribution, le taux a été fixé uniquement après que la Commission du droit d'auteur eut consacré plusieurs mois à l'audition de toutes les parties intéressées, de témoignages assez détaillés et de contre-interrogatoires. Selon la Fédération, si un taux préférentiel s'impose effectivement, il ne doit pas être fixé par la loi maintenant et il devrait pouvoir être modifié au besoin par la Commission.
[Français]
Le président: Monsieur Leroux, on vous reviendra plus tard.
[Traduction]
Monsieur Abbott.
M. Abbott: Madame Tonus, je veux m'assurer d'avoir bien compris vos propos de tout à l'heure. Avez-vous voulu dire, au sujet de la conservation des droits, que l'artiste n'aurait pas la possibilité de renoncer à ses droits; autrement dit, que l'artiste jouirait éternellement de ses droits? C'est ça que vous voulez dire?
Mme Tonus: Ce que nous voulons, c'est que le droit à une rémunération équitable soit inaliénable. Il faudrait le préciser dans la loi afin que, en cas de cession de la propriété à une société de gestion ou à un producteur, l'intéressé continue de toucher un montant équitable.
M. Abbott: Quelque chose m'échappe. Vous êtes avocate?
Mme Tonus: Oui.
M. Abbott: Pas moi et c'est pourquoi vous allez devoir m'aider à comprendre certaines questions de droit. Je ne suis pas avocat, mais ce qui me frappe, c'est que votre proposition est incompatible avec le droit des contrats. Si je crée quelque chose que je choisis de céder irrévocablement à autrui moyennant une indemnité, même si cette autre personne m'offre 1 000 $ pour en détenir tous les droits au lieu de 100 $ pour acheter l'objet seulement, d'après votre suggestion je ne pourrai pas accepter l'offre. Il me semble que ça irait à l'encontre de ma liberté de contracter.
Mme Tonus: Ce serait une forme de dérogation. Il existe d'autres modèles semblables à celui que nous proposons. J'ai mentionné dans mon mémoire que la Communauté économique européenne a énoncé, dans sa directive sur le droit de location, le principe que même si un droit de location est conféré au producteur, l'artiste conserve son droit à une rémunération juste et équitable.
Selon la Fédération, si la loi apporte un tel soutien aux artistes-interprètes, cela simplifiera la négociation et la réglementation de leur position sur le marché. Or, comme l'a dit M. LaFrance, très souvent les artistes signent des contrats d'enregistrement - n'hésitez pas à m'interrompre, monsieur LaFrance, si j'exagère un peu - qui les obligent essentiellement à céder globalement leurs droits actuels et futurs, si bien qu'ils ne touchent pas une rémunération convenable.
M. Abbott: Si je peux me permettre, j'estime que c'est un problème d'application d'un contrat qui m'inquiète vraiment. Comme j'ai l'impression que nous n'arriverons pas à nous entendre, je vais passer à un autre sujet.
Nous avons entendu des personnes qui travaillent dans votre milieu, en particulier les représentants d'une association de l'industrie de l'enregistrement. Ils nous ont raconté qu'étant donné le nombre de «vieux succès» qu'on fait jouer à la radio AM... D'ailleurs, si j'ai bien compris leur exposé, les artistes d'aujourd'hui toucheraient plus d'argent en droits voisins sur des chansons de Perry Como et d'Elvis Presley que sur le répertoire dont M. LaFrance a parlé.
Trouvez-vous que c'est juste? Comprenez-vous ce que je veux dire?
M. LaFrance: Ces personnes comme Perry Como ne toucheront pas ces droits.
M. Abbott: Je me demande si, en fait, les disques qui tournent... Autrement dit, je comprends parfaitement le principe fondamental des droits de propriété. Je tiens à le préciser. Mais il me semble que si les stations de radio gagnent leur argent en faisant tourner des chansons de Perry et d'Elvis au lieu des artistes actuels, ces artistes actuels ne vont-ils pas simplement toucher, grâce aux droits voisins, des sommes auxquelles ils ne devraient pas avoir droit parce que ce n'est même pas leur musique qu'on fait jouer? Je présente cet argument en me basant sur les informations que l'industrie du disque m'a fournies.
M. LaFrance: Je ne comprends pas très bien ce que vous voulez dire. Pouvez-vous essayer de m'expliquer?
Le président: Expliquez-le brièvement et succinctement, monsieur Abbott, si vous le pouvez.
M. Abbott: Je vais m'efforcer d'être le plus concis possible.
Il me semble que lorsqu'un artiste donne une prestation, il devrait être rémunéré pour cette prestation. Cependant, si ses prestations ne sont pas souvent diffusées à la radio parce qu'on fait jouer surtout des vieux succès, pourquoi les artistes actuels devraient-ils jouir d'un droit à rémunération?
M. LaFrance: Je ne pense pas que les choses se passent ainsi. Ça dépend sans doute de la station qu'on écoute. Moi, j'écoute plusieurs stations différentes et j'entends souvent Alanis Morissette, Bryan Adams et bien d'autres artistes actuels à CFOX et CFMI, par exemple, qui sont les principales stations de Vancouver. Il existe aussi des stations qui font dans les vieux succès et peut-être que Perry Como devrait toucher des droits voisins, mais c'est une autre affaire dont nous discuterons peut-être un jour. Je trouve qu'on fait jouer beaucoup de musique actuelle au Canada, du moins la dernière fois que j'ai écouté la radio.
M. Petch: En réalité, il y a des modes à la radio et elles passent rapidement. Les goûts changent du jour au lendemain. Les stations de rock ou de country contemporain sont moins populaires aujourd'hui qu'il y a dix ans, mais elles reviendront probablement en vogue. Or, il faut bien commencer quelque part et par quelqu'un et la musique qu'on entend aujourd'hui inspirera de la nostalgie à celui qui sera assis à votre place dans vingt ans.
M. Abbott: Et je ne pourrai pas entendre ça.
Des voix: Oh, oh!
Le président: Madame Phinney.
Mme Phinney (Hamilton Mountain): Merci, monsieur le président. J'ai une seule question à poser.
Si l'on reformulait les dispositions concernant le droit à rémunération et la répartition des redevances, est-ce que ça nuirait aux négociations entre les artistes et l'association du disque, dont vous avez parlé, monsieur LaFrance?
M. LaFrance: Je l'ignore. Il serait préférable de poser la question à Jill. Moi, je ne suis pas avocat.
Manifestement, l'idéal, ce serait que l'industrie trouve la solution par elle-même et c'est ce qu'elle est en train de faire. Nous avons reçu une autre lettre, hier justement, qui confirmait la détermination de la CRIA et de la CIRPA d'en venir à un accord. Elles s'entendent sur la façon dont la société de gestion devrait être constituée. Je suis tout à fait pour que l'industrie trouve un terrain d'entente, mais je vous réponds sans doute en mon nom personnel plutôt que...
Mme Phinney: Peut-être que Mme Tonus pourrait nous dire si laisser les dispositions telles quelles ou les modifier nuirait aux négociations.
Mme Tonus: Pour ce qui est du partage, si je ne m'abuse, l'industrie du disque et les musiciens n'ont rien contre un partage moitié-moitié en principe. Notre position, c'est qu'il devrait y avoir un minimum par prestation. On ne peut pas tout avoir. Je ne crois donc pas que ça nuirait aux négociations qui ont été menées jusqu'à présent. Je n'ai pas étudié ce qui se fait dans tous les pays, mais d'après mon enquête, cette répartition 50-50 n'est pas inhabituelle dans les pays européens.
Donc, pour répondre à votre question, je ne crois pas que ça nuirait sensiblement aux négociations, mais nous avons trouvé néanmoins qu'il était prématuré de supprimer ces dispositions et d'ajouter ces exceptions.
Mme Phinney: Donc, le libellé actuel du projet de loi ne va pas nuire à vos négociations, mais ça pourrait arriver s'il était amendé.
M. LaFrance: Non, je ne pense pas que cela changerait quoi que ce soit à notre position.
Mme Phinney: Bien.
M. Petch: De l'avis de la Fédération, si une disposition est raisonnable et licite, ajoutez-là au projet de loi et il sera inutile d'attendre l'issue des négociations.
Mme Phinney: Je vous remercie.
[Français]
Le président: Monsieur Leroux.
M. Leroux: J'aimerais rappeler aux collègues que Perry Como ne touchera probablement pas de droits voisins. Si j'ai bien compris, tant de pays ont signé la Convention de Rome et c'est ce qui fait qu'il y a des droits voisins. Je ne voyais pas pourquoi M. Como était dans le décor, mais c'est un bon chanteur.
J'aimerais revenir à l'article 90, parce que dans votre mémoire, à la page 23, vous parlez de la clarté de cet article. Il faudrait que ce soit clarifié dans votre mémoire aux pages 23 et 24. Vous terminez en disant qu'à tout le moins, on devrait préciser l'article 90 pour s'assurer qu'on ne l'interprète pas de cette façon en raison de termes comme «porter atteinte»». J'aimerais savoir si vous avez un libellé à proposer pour cet article 90 ou si vous avez juste attiré notre attention sur cette chose. Est-ce que vous avez pensé à quelque chose qui pourrait le rendre plus clair?
[Traduction]
Mme Tonus: Non, je n'ai pas un libellé précis à proposer, mais ce sont les mots «n'ont pas pour effet de porter atteinte aux droits conférés par la partie I» qui inquiètent la Fédération. Il s'agit des droits d'auteur traditionnels. Il faudrait restreindre la portée de la disposition ou la reformuler afin de préciser qu'elle ne portera pas atteinte aux droits économiques actuels conférés sous le régime de la loi, mais sans donner à penser qu'elle pourrait être interprétée plus largement, par exemple comme si c'était un régime à deux paliers.
[Français]
M. Leroux: Cette préoccupation a été exprimée par plusieurs groupes par rapport aux droits voisins, par rapport au droit d'auteur, à la clarification des champs, etc. Mais vous n'avez pas de libellé plus précis à nous proposer?
[Traduction]
Mme Tonus: Non pas aujourd'hui, mais je me ferai un plaisir de vous faire parvenir un libellé précis.
[Français]
M. Leroux: Vous pourriez peut-être nous en proposer un.
[Traduction]
Mme Tonus: Tout de suite?
[Français]
M. Leroux: Pas maintenant, mais vous pourriez faire parvenir au Comité un libellé qui précise votre position.
[Traduction]
Mme Tonus: Certainement.
[Français]
M. Leroux: Je vous inviterais à le faire.
[Traduction]
Mme Tonus: C'est entendu, le plus tôt possible.
[Français]
M. Leroux: Avant Noël.
[Traduction]
Le président: Madame Tonus, pourriez-vous l'envoyer à la greffière du comité, s'il vous plaît?
Mme Tonus: Oui, monsieur le président.
[Français]
Le président: Monsieur Bélanger.
[Traduction]
M. Bélanger: J'ai une toute petite question qui fait suite en un sens à la remarque de M. Abbott. S'il était impossible de renoncer au droit à rémunération, seriez-vous d'accord pour que, de la même façon, il n'y ait ni droits de succession ni droits voisins? Après tout, s'ils étaient incessibles à une maison de disques, ne seraient-ils pas incessibles aussi aux héritiers?
Mme Tonus: Je ne suis pas certaine de comprendre votre question. Il faut faire une distinction entre la cession d'une part et la transmission par hérédité que nous approuvons, d'autre part. Les héritiers devraient toucher ces droits qui font partie de ce qu'un artiste lègue, de ses droits économiques. Ça n'a rien à voir avec le fait de céder ses droits ou d'y renoncer en faveur d'une autre organisation sans lien de dépendance.
M. Bélanger: Mais il avait raison de dire qu'il serait préférable, à votre avis, de ne pas autoriser les artistes à céder ce droit à un tiers de leur vivant.
Mme Tonus: Nous privilégions la cession à une société de gestion, sous réserve que l'artiste-interprète touche une rémunération équitable, comme l'a dit M. LaFrance. Au moyen de la classification catégorielle croisée, notamment, les droits sont annulés en pratique.
M. Bélanger: Je suis plutôt sympathique à votre suggestion que la loi n'impose aucun critère à la Commission qui devra trancher ces questions. Pourtant, vous voulez apporter une restriction. D'une certaine façon, vous vous contredisez puisque vous demandez des restrictions d'un côté et l'absence de restriction de l'autre.
M. LaFrance: Je peux intervenir? Je pense que si la société de gestion est organisée comme je l'ai indiqué - et je vais vous laisser une copie de l'exposé de nos principes - nous n'aurons plus à nous préoccuper de modifications législatives parce que nous aurons une entente. Jill est mieux placée que moi pour vous expliquer la dimension juridique puisque moi, je ne suis pas avocat. Je ne sais pas, mais en regardant...
M. Bélanger: Pour certains, ce serait plutôt un avantage.
Des voix: Oh, oh!
Un député: Vous n'êtes pas personnellement visée, Jill.
M. Petch: Il faut comprendre, monsieur Bélanger, que tout ça, c'est à cause de la paranoïa des musiciens en général qui ont vu leurs amis compositeurs et paroliers perdre tous leurs droits d'auteur à cause des pressions exercées sur eux au moment de l'enregistrement de leurs disques, surtout quand ils étaient jeunes. À leur arrivée au studio avec leur orchestre, quelqu'un leur a dit que l'enregistrement était conditionnel à l'abandon de tel et tel droit.
Et 20 ans plus tard, ces musiciens, qui vivent modestement, continuent d'entendre leurs chansons à la radio, aux stations qui jouent des succès souvenirs, sans toucher un sous en droits d'auteur. C'est pourquoi ils nous demandent de faire en sorte que, si jamais des droits voisins sont accordés, les musiciens en bénéficient et ne puissent pas être contraints de les céder.
Je ne veux pas critiquer personne, mais c'est ainsi que les choses se passent dans les affaires.
M. Bélanger: Je comprends.
M. Petch: Chacun fait ce qu'il y a à faire dans l'industrie. Nous espérons seulement que la loi va nous appuyer.
M. Bélanger: Les politiciens comprennent très bien ce qu'est la paranoïa.
Des voix: Oh, oh!
M. Petch: Moi aussi.
Le président: Monsieur Peric.
M. Peric: Monsieur le président, j'ai une question très courte à poser à M. LaFrance.
Vous avez dit tout à l'heure que les chèques devraient être remis directement aux artistes eux-mêmes. Pourriez-vous préciser votre pensée?
M. LaFrance: La société de gestion serait organisée un peu comme la SOCAN.
Nous espérons arriver à une entente avant l'adoption du projet de loi, sur le mode d'organisation de la société de gestion, parce que c'est vraiment d'une importance capitale.
La société de gestion devrait être constituée de façon qu'il y ait autant de représentants des artistes et musiciens que des maisons de disques. Elle percevrait directement les droits versés par les radiodiffuseurs sans que cet argent passe par les maisons de disques.
Le chèque ne serait pas libellé au nom de la maison de disques qui paierait ensuite l'artiste. Nous voulons nous assurer que le chèque est adressé à la société de gestion et que la part de l'artiste, qui sera d'au moins 50 p. 100, lui sera bien versée à lui personnellement.
Lorsque les droits sont payés par l'entremise des maisons de disques, il se passe bien souvent ce qu'on appelle du cautionnement réciproque. Une maison de disques investit au départ beaucoup d'argent pour produire un artiste et après les droits d'auteur commencent à être versés. Vous l'ignorez sans doute, mais la production d'un disque coûte 500 000 $ et l'artiste ne touche qu'un certain pourcentage, disons 6 p. 100, et peut-être 90 p. 100 du prix au détail.
Toutes les factures sont d'abord réglées avec les droits de l'artiste qui touche ce qui reste. C'est ainsi que des artistes peuvent vendre un million de disques au Canada sans gagner un sous et c'est pourquoi nous tenons à ces droits de prestation. L'argent serait versé à la société de gestion qui remettrait un chèque à la maison de disque pour sa part à elle et un autre chèque directement à l'artiste pour éviter que l'argent passe par les coffres des maisons de disque.
M. Peric: Voulez-vous dire que si la compagnie de disque dépense 100 000 $ en frais de promotion, elle ne verse à l'artiste que les droits au-delà de 100 000 $?
M. LaFrance: C'est exact. C'est pourquoi il est vital de former cette société de gestion de façon que les artistes reçoivent leur part directement d'elle.
M. Peric: Merci.
M. Petch: Si vous permettez, j'ajouterais quelque chose.
Je suis certain que vous regardez les vidéoclips à la télévision. La plupart de ces clips ont été réalisés aux frais des musiciens qui y figurent au moyen du cautionnement réciproque.
M. LaFrance: C'est vraiment très particulier parce que, au bout du compte, l'artiste paye pour tout et ne possède rien. Évidemment, quand on réussit et qu'on devient riche comme Bryan Adams, ça n'a plus d'importance parce que tout s'arrange. Mais j'ajouterais que c'est le cas de seulement 1 p. 100 des artistes. Moi, je fais partie des 99 p. 100 qui restent.
Le président: Une dernière intervention avant de conclure. Quand on voit un nom comme Marc LaFrance, on s'attendrait que cet artiste se produise en Nouvelle-France.
[Français]
M. LaFrance: Je suis franco-manitobain, mais j'ai un peu de difficulté à parler français parce que je vis à Vancouver. La prochaine fois, je vais parler français.
[Traduction]
Le président: De quel instrument jouez-vous?
M. LaFrance: Je chante et je joue de la batterie. Je joue aussi un peu de la guitare, mais je suis d'abord et avant tout un chanteur.
Le président: Eh bien! vous allez voir que M. Peric adore les chanteurs. Il s'est vraiment laissé séduire l'autre jour.
En tout cas, je vous remercie beaucoup tous les trois de nous avoir transmis un message très clair. Merci.
M. Petch: Merci, monsieur le président.
Le président: Nous reprenons la séance, s'il vous plaît.
[Français]
On va recommencer la séance.
[Traduction]
Nous allons maintenant entendre des représentants de la Periodical Writers Association of Canada: Ruth Biderman, directrice générale; Sandra Bernstein, membre du comité sur le droit d'auteur; et Marian Hebb, conseillère juridique. Qui veut commencer? Madame Biderman.
Mme Ruth Biderman (directrice générale, Periodical Writers Association of Canada): Bonjour. Je m'appelle Ruth Biderman et je suis la directrice générale de la Periodical Writers Association of Canada. Je veux vous remercier de nous avoir permis de comparaître devant vous aujourd'hui.
La Periodical Writers Association of Canada ou PWAC a été fondée il y a plus de 20 ans pour défendre les intérêts des rédacteurs professionnels indépendants du Canada anglais. L'association compte maintenant environ 400 membres regroupés au sein de 16 sections d'une mer à l'autre. De plus, les propos que nous allons tenir devant vous aujourd'hui ont reçu l'aval des 1 300 membres et plus de la Writers' Union of Canada, qui représente les écrivains, et de la League of Canadian Poets. Si je ne m'abuse, une lettre exprimant leur appui a été envoyée hier, par télécopieur, aux membres de votre comité.
Les membres de la PWAC sont des rédacteurs à leur compte qui travaillent pour des journaux, revues et magazines canadiens. Comme ce sont des pigistes indépendants, ils sont propriétaires de leurs droits d'auteur et ils concèdent aux éditeurs, par une licence, le droit d'utiliser leurs oeuvres.
Avant de vous exposer l'incidence de ce projet de loi sur les rédacteurs des périodiques canadiens, je vais vous situer le contexte dans lequel ils travaillent actuellement et préciser le rôle vital qu'ils jouent tant dans notre culture que dans notre économie.
Les rédacteurs canadiens reflètent la diversité de notre société en racontant aux Canadiens des histoires du Canada. Ils jouent un rôle clé en aidant tous les Canadiens à réfléchir à leur identité nationale et à la reconsidérer. Notre gouvernement est actuellement en train de défendre les périodiques canadiens devant l'Organisation mondiale du commerce parce qu'il sait combien il est important pour les lecteurs canadiens d'avoir accès à des opinions canadiennes que seuls des auteurs canadiens peuvent présenter.
Les rédacteurs de périodiques servent aussi de «fournisseurs de contenu» au Canada à l'aube de la mondialisation de l'information. Nous avons payé pour le découvrir. Le travail de nos membres est utilisé sur l'autoroute de l'information depuis des années.
L'oeuvre des rédacteurs professionnels chevronnés est la clé de la compétitivité du Canada dans l'industrie mondiale de l'information et c'est elle qui déterminera si le Canada deviendra de plus en plus un importateur ou un exportateur net d'informations au XXIe siècle. À l'ère des technologies planétaires de l'information, l'économie canadienne a besoin de rédacteurs canadiens.
Pourtant, ce segment névralgique de notre population active est extrêmement vulnérable. Le membre moyen de notre association a 45 ans, deux diplômes d'études postsecondaires et 10 années d'expérience dans le domaine. Pourtant, étonnamment, son revenu est inférieur de 17 p. 100 à celui des travailleurs industriels et de 23 p. 100 à celui du Canadien moyen détenant un baccalauréat et seulement deux années d'expérience.
En 1979, dans l'édition revue de notre guide pour les rédacteurs à la pige intitulé Words For Sale, on estimait qu'un bon rédacteur indépendant devait s'attendre à gagner 500 $ par semaine, soit 26 000 $ par année. En 1995, sans tenir compte de l'inflation des 16 dernières années, nos membres gagnent presque le même revenu annuel moyen, c'est-à-dire 26 500 $. Le revenu des pigistes à temps plein a en fait diminué de 4 p. 100 entre 1993 et 1995. Lors d'une enquête que nous avons effectuée récemment, une majorité écrasante de nos membres, 90 p. 100 plus précisément, ont répondu ne pas réussir à gagner leur vie comme il faut en n'écrivant que pour des périodiques. Ils sont nombreux à abandonner purement et simplement la profession.
Parmi les raisons de la stagnation ou de la baisse des revenus des rédacteurs, il y a entre autres non seulement la concentration de plus en plus grande de l'industrie de l'édition et les fusions accrues dans le secteur, mais aussi le recours croissant à des rédacteurs «bénévoles» tels que des consultants qui considèrent la rédaction de textes comme une forme de promotion.
Un autre facteur important, c'est que les principaux éditeurs compliquent la revente d'une oeuvre par les pigistes en exigeant de profiter gratuitement des prérogatives du droit d'auteur. En 1979, les rédacteurs arrivaient à gagner 26 000 $ par année en déployant tous les efforts nécessaires pour vendre le même texte à plusieurs publications. Par exemple, un rédacteur indépendant vendait un article à un journal local de Vancouver, puis le revendait aux quotidiens de Halifax, Montréal et Toronto qui versaient chacun des honoraires équivalant à 50 p. 100 ou plus du montant payé au départ par le journal de Vancouver. C'est cette possibilité de revendre une histoire qui permettait aux rédacteurs à la pige de gagner convenablement leur vie.
Il est manifeste que le droit d'auteur est la solution qui permettra aux rédacteurs de gagner leur vie. Un auteur a le droit de décider de chacune des utilisations de ses textes et d'être rémunéré en conséquence. C'était ainsi en 1979 et c'est encore plus vrai aujourd'hui.
Depuis l'avènement des nouvelles technologies et d'un univers à 500 chaînes, l'industrie de l'édition et la façon dont nous allons chercher l'information se transforment radicalement. Plus l'âge de l'information progressera, moins nous lirons les quotidiens qu'un rédacteur en chef aura produit pour nous et plus nous utiliserons la technologie pour arriver à trouver précisément les informations que nous recherchons, que la source ou l'éditeur dont elles proviennent se trouve au coin de la rue, à l'autre extrémité du pays ou au bout du monde.
Grâce au progrès technologique, le droit de réutiliser ou de republier une oeuvre à l'infini aura encore plus de valeur; il finira par en avoir encore plus que le droit de publier une oeuvre inédite. Ce sera la même chose pour les médias électroniques, pour les services de télécopie sur demande et pour les services de photocopie conventionnelle.
Je vais maintenant céder la parole à Sandra Bernstein. Sandra est membre de notre comité de défense du droit d'auteur et c'est elle qui a rédigé notre mémoire.
Mme Sandra Bernstein (membre, Copyright Committee, Periodical Writers Association of Canada): Merci, Ruth.
La PWAC remercie le gouvernement d'avoir proposé des dommages- intérêts préétablis et une procédure sommaire en cas d'infraction à la loi; ainsi, les poursuites pour violation du droit d'auteur seront plus brèves et coûteront moins cher. Nous approuvons sans réserve ces nouvelles dispositions et nous croyons qu'elles pourront être utiles pour nos membres qui ont toujours eu énormément de mal à faire valoir leurs droits d'auteur. Nous voulons toutefois vous proposer certaines modifications techniques que madame Hebb va vous exposer sous peu.
Par ailleurs, la PWAC s'oppose fermement à l'exception prévue pour les copies uniques d'oeuvres non romanesques. Nos membres sont extrêmement choqués de constituer l'exception à la règle en étant les seuls, parmi tous les créateurs canadiens, dont les droits d'auteur seront réduits à néant par le projet de loi. D'après un sondage récent mené par CANCOPY, de toutes les photocopies de matériel publié faites dans les bibliothèques publiques au Canada, près de 80 p. 100 visaient des livres non romanesques, des journaux, des revues et magazines, alors que 55 p. 100 de tout le matériel publié est probablement attribuable à des pigistes. À partir des chiffres de CANCOPY, nous estimons que, si l'on fait abstraction du matériel appartenant aux éditeurs de journaux, le projet de loi privera les pigistes canadiens de droits provenant de plus de 2,3 millions de photocopies faites chaque année dans les seules bibliothèques.
Les exceptions proposées dans le projet de loi vont tuer dans l'oeuf notre capacité de percevoir des redevances sur les photocopies. Étant donné les difficultés du marché que vous a exposées Mme Biderman, le membre moyen de la PWAC ne tire que 500 $ par année des licences secondaires, mais les redevances sur les photocopies constituent un segment de ce revenu dont la croissance est rapide. Pour plus du quart de nos membres qui gagnent moins de 12 000 $ par année, cet argent compte beaucoup.
Nous voulons souligner le fait que ce débat n'a rien à voir avec l'«équilibre» ou avec l'accès à l'information. C'est une question d'argent. Il est certain que les Canadiens auront accès aux écrits des auteurs publiés dans des périodiques. Il est évident aussi qu'ils devront payer pour y avoir accès et ils le font déjà. La seule question qu'il faut se poser, c'est si les bibliothèques doivent partager ou non avec les auteurs l'argent versé par les utilisateurs.
La situation a passablement évolué depuis le temps où l'on pouvait se présenter à sa bibliothèque locale et payer quelques cents pour photocopier un article. Depuis les recherches en ligne dans les index et les prêts entre bibliothèques, la reproduction - ou, en fait, la réédition - des articles de périodiques est un commerce prospère. Par exemple, les services de télécopie sur demande sont devenus une source de revenu lucrative pour de nombreuses bibliothèques au Canada et à l'étranger. Les frais habituellement exigés sont de 20 $ par article.
Nos membres reconnaissent le rôle essentiel que jouent les bibliothèques dans nos collectivités. Les rédacteurs sont eux-mêmes des rats de bibliothèque. Nous regrettons amèrement la réduction du financement public des bibliothèques qui doivent s'efforcer de compenser le manque à gagner. Néanmoins, nous n'acceptons pas que, là où l'aide financière de l'ensemble des contribuables a disparu, les bibliothèques fassent porter le poids du financement aux seuls rédacteurs qui forment un segment restreint et vulnérable.
Si les rédacteurs ne peuvent pas toucher une part équitable des profits tirés de leurs oeuvres pour avoir les moyens de continuer à écrire, qu'est-ce que les bibliothèques mettront dans leurs collections dans 50 ans?
Au sujet des établissements où il y a des photocopieuses, nous prions instamment le gouvernement de ne limiter leur responsabilité que s'ils détiennent une autorisation en bonne et due forme de CANCOPY. Les bénévoles de la PWAC ont travaillé pendant dix ans à la création de CANCOPY afin que les Canadiens puissent jouir d'un accès abordable et de gestion facile aux publications canadiennes tout en permettant aux créateurs de se ménager un modeste revenu stable. La perte de ce revenu supplémentaire placerait nos membres les plus vulnérables dans une situation financière vraiment précaire.
Comme on l'a mentionné plus tôt, nous félicitons le gouvernement de proposer des dommages-intérêts préétablis que nous approuvons sans réserve. Cependant, il est capital que ces dommages-intérêts soient aussi utiles dans le cas des oeuvres dont s'occupent des sociétés de gestion que dans les autres. Jusqu'à présent, nous avons eu énormément de mal à faire valoir nos droits et, à notre avis, il est urgent de fonder une ou plusieurs sociétés de gestion pour s'occuper des droits des nouveaux médias électroniques.
Comme pour les photocopies, la perception individuelle des droits est hors de question pour certains médias. Nous craignons donc que les recours prévus dans la Loi sur le droit d'auteur, y compris les nouveaux proposés dans le projet de loi C-32, ne s'appliquent pas à une société de gestion représentant nos membres.
Je cède maintenant la parole à Marian Hebb, notre conseillère juridique.
Mme Marian Hebb (conseillère juridique, Periodical Writers Association of Canada): Selon le libellé même du projet de paragraphe 36(1), «le titulaire d'un droit d'auteur, ou quiconque possède un droit, un titre ou un intérêt acquis par cession ou concession» peut exercer les recours prévus dans la Loi sur le droit d'auteur. Il en découle logiquement que ceux qui détiennent des droits concédés par une licence non exclusive ne peuvent pas se prévaloir de ces recours.
Comme les autres titulaires de droits qui sont membres de CANCOPY, les membres de la PWAC conservent leurs droits d'auteur et les concèdent par une licence non exclusive à CANCOPY pour l'autoriser à faire valoir leurs droits de reprographie. Une licence non exclusive n'est pas considérée comme un intérêt dans un droit d'auteur au sens du projet de paragraphe 36(1). Pourtant, tout en accordant cette licence non exclusive à CANCOPY, les membres de la PWAC autorisent CANCOPY à exercer leurs recours et ils s'attendent que CANCOPY puisse intenter des poursuites en leur nom lorsque les circonstances le justifient.
Le projet de paragraphe 38.1(4) est l'une des dispositions qui ne s'appliquera probablement pas aux rédacteurs de périodiques. C'est un recours qui a été conçu expressément pour les sociétés de gestion dans les cas où les redevances sont fixées par la Commission du droit d'auteur. Pourtant, il paraît vraisemblable que CANCOPY, dans l'exercice des droits des rédacteurs, ne puisse se prévaloir de cette disposition.
Comme l'a mentionné Sandra Bernstein, les rédacteurs de périodiques se réjouissent de l'imposition de dommages-intérêts préétablis, mais étant donné le libellé actuel du projet de paragraphe 38.1(1), une société de gestion représentant des rédacteurs pourrait avoir de la difficulté à s'en prévaloir parce que CANCOPY est mandaté par l'octroi de licences non exclusives.
Une troisième disposition problématique semble elle aussi taillée sur mesure pour les sociétés de gestion, même si, vraisemblablement, elle ne profitera pas à une telle société représentant des rédacteurs de périodiques, d'autres rédacteurs et tous les auteurs. C'est le projet d'article 39.1 concernant l'interdiction, puisqu'une société de gestion défenderesse pourrait être incapable d'obtenir une injonction visant l'ensemble de son répertoire, étant donné que son mandat lui est confié par ses membres et par les membres de la PWAC et les autres titulaires de droits sous forme de licences non exclusives.
Je pense par exemple à la situation d'un service commercial de reprographie, puisque c'est là habituellement qu'il y a violation des droits d'auteur. Chaque violation en soi est relativement mineure quand il s'agit de photocopies. C'est une affaire de quelques cents. Ça ne vaut donc pas la peine pour une société de gestion de prendre une action contre une telle entreprise.
Donc, même si les violations individuelles n'impliquent pas de grosses sommes et que, parfois, ça ne vaut pas la peine de poursuivre, ce serait très avantageux à long terme, pour une société de gestion, de pouvoir obtenir une injonction empêchant le service de reprographie de violer à l'avenir les droits d'auteur sur des oeuvres passées, présentes et futures représentées par la société de gestion.
Si les recours qui sont prévus au projet de paragraphe 38.1(4) ne rapportent que quelques sous, l'efficacité des nouvelles sociétés de gestion sera grandement amoindrie. Cette disposition, si tant est qu'elle s'applique à nous, prévoit que le montant des dommages-intérêts ne devra pas dépasser dix fois le montant des redevances. Or, si la redevance sur une photocopie n'est que de 3c., 4c., 5c. ou 6c., ça ne fera pas beaucoup et les entreprises considéreront probablement les dommages-intérêts comme la rançon des affaires. Ce plafonnement des dommages-intérêts nous inquiète énormément et nous croyons que les tribunaux devraient être en mesure d'en augmenter le montant s'il y a lieu.
Il y a une autre disposition aussi qui donne l'impression que l'on craint l'attribution de dommages-intérêts trop élevés aux titulaires de droits d'auteur. Le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de les réduire et nous voudrions qu'il ait également celui d'augmenter le montant des dommages-intérêts à verser à une société de gestion.
Je veux maintenant vous entretenir des obligations internationales du Canada. Le Canada a adhéré récemment à l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce et, depuis janvier dernier, il est tenu de se conformer plus rigoureusement qu'avant à la Convention de Berne.
Voici comment se lit l'article 9 de la Convention de Berne à laquelle notre pays est maintenant obligé d'adhérer même s'il ne l'a pas encore signée:
1) Les auteurs d'oeuvres littéraires et artistiques protégés par la présente Convention jouissent du droit exclusif d'autoriser la reproduction de ces oeuvres, de quelque manière et sous quelque forme que ce soit.
L'alinéa 2) de l'article dit encore:
2) Est réservée aux législations des pays de l'Union la faculté de permettre la reproduction desdites oeuvres dans certains cas spéciaux, pourvu qu'une telle reproduction ne porte pas atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur.
Nous croyons que l'existence de sociétés de gestion des droits d'auteur a modifié le contexte. Les exceptions proposées pour les bibliothèques, surtout en ce qu'elles toucheront les rédacteurs de périodiques, porteront atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre des titulaires des droits d'auteur et causeront un préjudice aux intérêts légitimes des auteurs.
Sans conteste, les titulaires de droits d'auteur sont capables, de nos jours, d'autoriser efficacement l'utilisation de leurs oeuvres à des fins visées tant au projet de paragraphe 30.2(2), qui traite des photocopies uniques, faites dans une bibliothèque, d'articles de périodiques non romanesques, qu'au projet de paragraphe 30.2(5) qui, lui, concernent les prêts interbibliothèques. Ces utilisations peuvent être administrées très facilement par une société de gestion.
Dans le contexte actuel, je dirais que ça devrait certes être considéré comme une exploitation normale. Pourtant, le défaut du projet de paragraphe 30.2(5) - celui sur les prêts entre bibliothèques - c'est de ne pas restreindre expressément l'exception à la transmission non électronique de matériel imprimé.
Alors que vous êtes en train d'étudier ces projets de dispositions, le gouvernement nous dit que les problèmes concernant l'autoroute de l'information méritent plus ample réflexion et ne seront donc traités qu'à la troisième étape de la réforme du droit d'auteur. Nous estimons que cela causera un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des rédacteurs.
Le président: Merci, madame Hebb. Je présume que vous êtes maintenant prêtes à répondre aux questions? Très bien.
Monsieur Leroux.
[Français]
M. Leroux: Merci de nous rappeler que le projet de loi vise à reconnaître les ayants droit, à reconnaître et à renforcer le droit d'auteur, qu'on a eu tellement de difficulté à faire reconnaître et appliquer au cours des années.
Il y a eu une première phase de révision. On est dans la deuxième phase, et cela vient nous confirmer que le projet de loi tel que libellé, à notre avis, lance un message extrêmement négatif par rapport à cette approche d'exceptions très large, surtout dans les domaines de l'éducation, des bibliothèques, des archives etc. À toutes fins utiles, on expulse le droit d'auteur et les ayants droit de ces grands secteurs. Ce n'est pas important ou nécessaire. Donc, c'est un recul majeur au moment où on se parle.
À votre avis, madame Bernstein, le projet de loi va-t-il vraiment rendre caduque l'entente qui lie le gouvernement fédéral avec CANCOPY et l'UNEQ en ce qui concerne les reproductions de presse et la reprographie? Va-t-il annuler la reconnaissance des collectifs d'auteur?
[Traduction]
Mme Bernstein: Je vais laisser Mme Hebb répondre à votre question au sujet de l'annulation.
Le principal défaut de ce projet de loi, c'est qu'il supprime toutes les mesures susceptibles d'inciter un établissement visé par ces exceptions à conclure une entente avec CANCOPY, puisqu'il pourra s'en passer sans la moindre sanction. Même si les bibliothèques elles-mêmes n'auront pas à assumer, la plupart du temps, le coût des redevances puisqu'il leur suffira d'augmenter le prix des photocopies pour répercuter ce coût sur les utilisateurs, elles n'auront même plus de raison de s'en préoccuper.
D'ailleurs, de nombreuses bibliothèques n'ont pas d'entente avec CANCOPY. La bibliothèque de consultation centrale de Toronto, où je me rends très souvent, a plus de photocopieuses que n'importe quelle entreprise de reprographie de la ville. Pourtant, elle n'a aucune autorisation de CANCOPY. Je crois qu'elle devrait en avoir une.
Le problème, c'est que s'il n'y a aucune sanction en cas de violation ou si on laisse n'importe qui enfreindre les droits d'auteur, à quoi ça sert de respecter la loi? En fait, les bibliothèques se retrouvent en concurrence avec des commerces de reprographie tout à fait légitimes qui ont signé une entente avec CANCOPY et, comme elles ont alors l'avantage de pouvoir pratiquer des prix plus bas, elles en tirent malheureusement des profits appréciables.
Quant à l'incidence sur les ententes actuelles, c'est une question de droit à laquelle Marian devrait répondre. Personnellement, je pense qu'un contrat dûment signé doit être exécuté jusqu'au bout, mais je me trompe peut-être.
Mme Hebb: Le gouvernement fédéral détient une autorisation de CANCOPY; il ne sera donc pas touché par ces dispositions. L'entente restera en vigueur. Le gouvernement va payer pour les copies qu'il fait. Aucune exception qui rendrait caduque son entente avec CANCOPY n'est prévue pour le gouvernement.
Il s'agit plutôt de savoir si toutes les bibliothèques croient pouvoir se passer ou non d'une entente avec CANCOPY, puisque ces dispositions leur accordent presque tout ce qu'elles désiraient.
[Français]
M. Leroux: C'est la première fois qu'on entend ce son de cloche. D'après la SODRAC et d'autres collectifs de gestion, les ententes qui sont déjà sur la table seraient caduques. Comment allez-vous faire pour renouveler les ententes si le projet de loi prévoit tant d'exceptions? Comment allez-vous faire pour engager une négociation solide et sérieuse?
[Traduction]
Mme Hebb: Ils voulaient peut-être parler des ententes avec les établissements d'enseignement...
[Français]
M. Leroux: Prenons l'exemple très concret des ententes sur les revues de presse et la reprographie que vous avez déjà avec le gouvernement fédéral. Si le projet de loi est adopté tel quel, avec les exceptions, comment allez-vous faire pour renégocier un autre contrat lorsque l'entente arrivera à terme?
[Traduction]
Mme Hebb: Vous voulez parler des ententes des écoles, par exemple.
[Français]
M. Leroux: Le projet de loi prévoit plein d'exceptions concernant la reprographie ou la photocopie. Un problème majeur existait depuis des années. Vous en faites état d'une façon assez claire.
[Traduction]
Mme Hebb: Il est probable que certaines exceptions entament effectivement les ententes. Pour les écoles, par exemple, CANCOPY a des ententes avec le gouvernement de l'Ontario. Or, le libellé de l'une des exceptions visant les établissements d'enseignement mentionne les exercices scolaires et pourrait vouloir dire que tout ce que fait un enseignant pour l'école constitue un exercice scolaire et que, par conséquent, toute entente de reprographie serait superflue. Nous vous laissons juges de l'opportunité d'amender cet article du projet de loi.
Nous en traitons en détail dans notre mémoire, mais c'est un sujet que nous n'avons pas abordé dans notre exposé tout à l'heure.
Mme Bernstein: Dans les établissements d'enseignement, on a tenté de se servir des licences pour régler le problème de l'utilisation de polycopiés que l'on distribue aux enfants au lieu d'acheter des livres ou des revues, ce qui ne sera pas autorisé en vertu de l'exception pour les copies uniques. Pourtant, il suffira que les écoles décident de ne plus faire les photocopies elles- mêmes et de demander plutôt aux enfants de faire chacun leur propre copie pour que l'exception s'applique. Presque tout sera acceptable.
Les ententes actuelles resteront en vigueur, mais elles seront affaiblies puisqu'une foule de choses ne seront plus visées par les droits d'auteur. Il faudra faire des essais pour déterminer ce qui s'applique et ce qui ne s'applique pas, mais il est certain que là où il n'y a plus de violation, il n'y a plus de droit d'auteur.
Le président: Je m'excuse de vous interrompre, mais je trouve que M. Leroux a soulevé un point important. Selon deux organisations qui ont comparu devant le comité, comme le projet de loi est très différent de la loi en vigueur - l'un renferme beaucoup d'exceptions - , toutes les ententes actuelles seront caduques et devront être renégociées. Les nouvelles devront absolument tenir compte de toutes ces exceptions.
Mme Hebb: C'est exact.
Le président: C'est ça la question que M. Leroux vous posait, je pense.
Mme Hebb: C'est vrai que toutes ces exceptions vont réduire les droits que pourra percevoir CANCOPY et que les ententes seront valorisées dans la mesure où l'on en extraira ce qui est actuellement autorisé par une licence.
Le président: Mais on semble dire que les ententes actuelles devront être renégociées, puisque les nouvelles dispositions les rendront caduques dès l'adoption du projet de loi.
Mme Hebb: Comme le terme des ententes est relativement court, je ne pense pas que ce soit bien grave. Le problème se posera à l'échéance des ententes.
Dans certaines des ententes entre CANCOPY et des établissements d'enseignement postsecondaire, il y a des clauses stipulant qu'en cas de modifications législatives, les parties conviennent de renégocier de bonne foi. Nombre des détenteurs de nos licences ont certainement dû vous demander d'importantes concessions.
À notre avis, ces exceptions ne sont pas du tout nécessaires. Si les oeuvres font partie du répertoire d'une société de gestion, elles sont facilement accessibles. Les exceptions ne feront qu'augmenter les frais d'administration en nous obligeant à tenir des registres détaillés, etc. La gestion des licences collectives par ces sociétés coûtera donc très cher.
Je partage donc l'avis qui a été exprimé.
[Français]
M. Leroux: Vous avez dit tantôt que cela allait affaiblir considérablement les ententes actuelles.
[Traduction]
Mme Hebb: C'est vrai que ça va les affaiblir.
[Français]
M. Leroux: Il y a quand même une série d'ententes avec les associations universitaires, les associations de cégeps ou de collèges, les commissions scolaires. À mon avis, une des deux parties assises à la table sera bien mal à l'aise quand l'autre va lui dire qu'elle est exemptée ici et là. La négociation ne sera pas bien longue.
[Traduction]
Mme Hebb: Je souffre du même mal.
Mme Bernstein: C'est pour ça que nous sommes ici.
Des voix: Oh, oh!
[Français]
M. Leroux: C'est pourquoi je vous demandais si c'est à cela qu'on va arriver avec ce projet de loi-là. C'est un entonnoir qui fera que, finalement, la négociation ne sera plus possible en raison du grand nombre d'exceptions.
Je voudrais revenir plus particulièrement aux conditions des auteurs dans les revues, les périodiques. Vous mentionnez dans votre mémoire qu'il y a un contrat de pigistes qui semble être dur. Les éditeurs de périodiques par rapport aux auteurs d'articles semblent avoir mis une espèce de contrat d'entente qu'ils régissent. J'aimerais que vous nous parliez des conditions des auteurs pour les périodiques et de l'utilisation des banques de données des oeuvres de vos membres, qui semblent profiter à tous sauf à vous, et que vous qualifiez d'ailleurs d'illégales.
[Traduction]
Mme Bernstein: C'est effectivement un grave problème. Dans les années 80, la photocopie était notre principal souci. Nous nous sommes beaucoup investis dans la création de CANCOPY. À l'époque, l'industrie des bases de données en était à ses débuts, mais depuis la création d'InfoGlobe en 1977 environ, les journaux canadiens ont commencé à entrer leur contenu intégral dans des bases de données commerciales. Au départ, c'était peut-être pour fins d'archives ou pour leur usage à eux, mais ensuite ils ont commencé à le vendre.
Ruth a certains tableaux montrant la croissance de l'industrie des bases de données. C'est une croissance exponentielle et un commerce extrêmement lucratif. Ces journaux ont entré leur contenu intégral, y compris les articles des pigistes, dans les bases de données, sans faire la moindre distinction. En fait, c'est plus profitable pour eux de mettre le texte intégral à la disposition des intéressés, puisqu'ils peuvent ensuite faire leur mise en marché en montrant qu'une recherche dans leur service permet de tout trouver. C'est particulièrement important pour un journal d'archives comme le Globe and Mail qui n'a jamais demandé d'autorisation pour ce matériel et qui ne nous a jamais indemnisés non plus.
Parallèlement à la croissance de l'industrie, les pigistes sont de plus en plus conscients de ces problèmes et, dernièrement, tous les éditeurs presque sans exception - et ils sont d'ailleurs de moins en moins nombreux au Canada - ont commencé à imposer des contrats draconiens qui exigent dans les faits tous les avantages à perpétuité du droit d'auteur sans verser la moindre indemnité, et les droits pour tous les médias électroniques existants ou inventés jusque-là. Quand on refuse de signer, on ne prend pas nos textes. D'ailleurs, certains ont perdu pour cette raison des chroniques qu'ils rédigeaient depuis des années pour des journaux de tout le pays. C'est un problème très grave.
L'auteure bien connue Heather Robertson - je crois qu'elle a été parmi les premiers présidents de la PWAC, mais je n'étais pas encore là - a intenté un recours collectif de 100 millions de dollars contre InfoGlobe, le service du Globe and Mail. La somme sera bien plus importante si, comme nous l'espérons, vous adoptez des dommages-intérêts préétablis.
C'est vraiment terrible puisque nous perdons le contrôle de nos droits d'auteur. Comme Ruth l'a dit tantôt, dans l'avenir, nos droits proviendront surtout des médias électroniques, ceux tirés de l'édition étant secondaires. L'évolution est très rapide.
Je pense que nous avons quelques chiffres sur la valeur de ces droits et de ces marchés.
Mme Biderman: SIMBA Information Inc., une boîte de recherche américaine, a calculé que pour l'année 1995, les recettes des bases de données en ligne des États-Unis se chiffraient à 11,1 milliards de dollars.
[Français]
M. Leroux: Vous n'avez pas le numéro de site.
[Traduction]
Le président: Madame Phinney.
Mme Phinney: Je voudrais discuter brièvement des photocopies faites dans les bibliothèques. Si les bibliothèques ne concluent pas d'entente avec CANCOPY, par exemple, vous estimez qu'elles devraient vous verser à vous un pourcentage de l'argent qu'elles gagnent de cette façon. Quel devrait être ce pourcentage et quelle somme en tirerait un rédacteur? Comment les auteurs seraient-ils payés?
Mme Bernstein: Tout se ferait aux termes d'un contrat collectif qui, la plupart du temps, exige un certain échantillonnage. Les paiements sont donc fixés suivant une échelle comme dans les autres conventions collectives. Les gens dont le nom apparaît reçoivent un montant établi. Certains de nos membres ont reçu quelques centaines de dollars... Marian connaît sans doute les détails mieux que moi.
Un certain montant qui ne peut être attribué à un auteur canadien en particulier est partagé entre tous. Il y a eu une répartition récemment, mais je n'ai pas encore reçu mon chèque.
Mme Phinney: Je voudrais avoir une précision. Les photocopieuses à l'Université de Toronto, on s'en est plaint un peu... Excusez-moi, je veux dire la bibliothèque publique de Toronto. Au bout du compte, elle a peut-être accumulé 500 $. Comment cet argent est-il réparti maintenant? Il n'y a pas de société de gestion en ce moment pour s'en occuper. Les bibliothèques empochent simplement cet argent comme si c'était des bénéfices.
Mme Bernstein: Nous ne touchons pas un cent.
Mme Phinney: Vous parlez de la répartition de cet argent comme s'il y avait une façon de faire. Pour le moment, il n'y a aucun régime précis. C'est facultatif. Je ne sais pas si CANCOPY s'en mêle ou si les paiements vous sont envoyés directement par la poste. Avez-vous des suggestions sur la façon de procéder?
Mme Bernstein: CANCOPY est le seul moyen. On ne peut pas contrôler des photocopies.
Mme Phinney: Vous nous suggérez donc de trouver un moyen pour obliger les bibliothèques à conclure une entente avec CANCOPY.
Mme Hebb: Est-ce que je peux ajouter quelque chose? CANCOPY a tenté de négocier avec les bibliothèques il y a deux ou trois ans, mais il y a eu un obstacle. Les bibliothèques attendaient que certaines choses arrivent à la deuxième étape de la réforme, mais cette deuxième étape s'est fait attendre, ce qui a causé de l'incertitude et compliqué les négociations.
CANCOPY vient à peine de reprendre les négociations avec les bibliothèques. On a fait une enquête dans les bibliothèques pour savoir ce qui y était photocopié. J'espère que l'on conclura une entente générale pour toutes les bibliothèques. Les tarifs varieront selon leur taille en tenant compte des données sur les photocopies faites dans les diverses bibliothèques.
Quand on va à la bibliothèque et qu'on paie... Je ne sais plus combien ça coûte maintenant dans les bibliothèques publiques, mais supposons que ce soit 20c. ou 25c.; une fraction de cette somme serait versée aux titulaires des droits d'auteur par l'entremise de CANCOPY. Ce pourrait être 5c. ou moins encore.
Mme Phinney: Si le projet de loi était adopté par la Chambre en mars comme prévu, l'entente serait-elle prête?
Mme Hebb: La teneur de l'entente dépendra des dispositions du projet de loi. En lisant notre mémoire, vous verrez que les sommes perçues par les bibliothèques dépendront du nombre de copies autorisées par la licence, puisque le prix est négociable, et si CANCOPY et les bibliothèques ne s'entendent pas sur un prix, la Commission du droit d'auteur pourra le fixer. Ça m'étonnerait donc que le taux soit exorbitant.
Mme Bernstein: Il n'y aura pas grand-chose à concéder. Si le projet de loi est adopté, je crois qu'il n'y aura pas d'entente. Ça ne vaudra même pas la peine de s'en occuper, puisque presque tout ce qui se fera dans les bibliothèques publiques sera autorisé par le projet de loi qui ne prévoit aucun droit d'auteur.
Mme Hebb: Étant donné ces deux exceptions, il restera très peu de droits normalement concédés par une licence.
Mme Biderman: À partir d'une étude effectuée par CANCOPY il y a quelques mois sur la photocopie dans les bibliothèques publiques, nous avons calculé quel pourcentage des photocopies concerne des oeuvres non romanesques publiées dans des périodiques. Il semblerait, comme Sandra l'a dit tout à l'heure, que ce serait 2,3 millions de photocopies par année pour lesquelles les rédacteurs de périodiques seraient payés. Malheureusement, ils ne le seront pas si cette exception est adoptée.
Mme Phinney: Merci.
Le président: Je vous remercie d'être venues cet après-midi pour nous faire connaître votre position. Nous vous en sommes reconnaissants. Nous tenons à votre participation.
La séance est levée.