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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 2 octobre 1996

.1553

[Traduction]

Le président: La séance du Sous-comité du développement durable humain du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international est ouverte. Aujourd'hui, et vous l'entendez, il y a un vote à la Chambre, où l'on a également rendu hommage à l'ancien premier ministre Bourassa, ce qui a retardé un peu les choses. Le ministre a toutefois eu l'amabilité de venir et nous demeurerons ici pendant le vote. Le timbre va retentir, mais pour ne pas interrompre le témoignage du ministre, nous demeurerons ici jusqu'à ce qu'il ait terminé et que chacun ait fait ses commentaires.

Nous avons le grand honneur de recevoir aujourd'hui le ministre des Affaires étrangères, l'honorable Lloyd Axworthy. Comme nombre d'entre vous le savent, le ministre s'est prononcé publiquement et à maintes reprises sur la question qu'étudie cet automne notre comité, à savoir le travail des enfants dans le monde. Le ministre a convenu de nous parler de ce qu'il fait à propos de ce dossier, du point de vue du gouvernement sur ces différentes questions et de ce que l'on peut attendre de la politique canadienne dans ce domaine. Bienvenue, monsieur le ministre.

Monsieur Axworthy, allez-y.

.1555

L'hon. Lloyd Axworthy (ministre des Affaires étrangères): Merci beaucoup, monsieur le président. Tout d'abord, je tiens à vous féliciter de l'habileté extraordinaire dont vous avez fait preuve en réussissant à convaincre les whips de nos différentes formations de nous dispenser d'aller voter. Ce sera un précédent dans les annales du Parlement - une décision historique, comme nous l'avons évoqué aujourd'hui.

Je voudrais tout d'abord vous présenter ceux qui m'accompagnent. La sénatrice Landon Pearson, à qui j'ai demandé d'être ma conseillère spéciale sur les questions concernant les droits des enfants et qui est bien connue pour son action dans ce domaine. Je suis très heureux qu'elle puisse collaborer avec moi à ce dossier. Lucie Edwards est directrice générale responsable des questions internationales concernant les droits de l'homme, division qui dans notre ministère nouvellement réorganisé englobe des sujets assez vastes et un certain nombre d'éléments concernant les enfants. Ces gens sont là pour m'aider, m'appuyer et me soutenir à tout moment, et je leur en sais gré.

[Français]

Monsieur le président, l'abus des enfants est une violation fondamentale des droits de la personne. Le forum organisé par ce comité, aujourd'hui et demain, est donc d'une grande importance. Je veux saluer l'initiative du sous-comité qui va réunir des représentants du secteur privé, des ONG et du gouvernement pour discuter de cette importante question.

[Traduction]

Monsieur le président, je tiens à vous remercier sincèrement, ainsi que vos collègues, d'avoir organisé ce forum spécial. Il revêt une grande importance en ce sens qu'il attire l'attention des Canadiens sur ce que je qualifiais la semaine dernière, dans un discours à l'ONU, de nouvelle question de sécurité durable de l'homme, c'est-à-dire les droits des citoyens, et non pas seulement les droits des nations. Vous prenez ici une initiative très intéressante. J'ai hâte de prendre connaissance de vos recommandations, qui, j'en suis certain, contribueront à la formulation de la politique du gouvernement.

J'aimerais aujourd'hui procéder à un bref survol de la situation actuelle concernant le travail des enfants, et voir un peu dans quelle direction nous nous orientons, sachant que votre contribution à ce débat influencera certainement cette orientation.

Vous vous souviendrez que dans le dernier discours du Trône le gouvernement fédéral a fait des droits des enfants une priorité de la politique aussi bien intérieure qu'extérieure du Canada. Sur le plan interne, nous devons veiller à respecter nos engagements en vertu de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, c'est-à-dire que nous devons assurer le bien-être de nos propres enfants. Lundi dernier, je participais à New York à une cérémonie organisée par l'UNICEF pour marquer l'examen à mi-décennie du Sommet mondial pour l'enfance. Bien sûr, le bilan varie d'un pays à l'autre, mais j'ai été réconforté de constater, d'après les rapports de quelque 90 pays, que d'importants progrès ont été réalisés vers des objectifs utiles et mesurables. Nous avons nous aussi soumis notre rapport de mi-décennie pour le Canada.

Mais outre les enfants du Canada, dont je me préoccupais particulièrement dans mon précédent portefeuille, nous devons aussi aider ceux de l'étranger, des enfants qui trop souvent sont les êtres les plus pauvres de leur société, les plus maltraités sur le plan des droits et les plus démunis. La Convention relative aux droits de l'enfant a pour but de corriger la pauvreté et l'impuissance de ces enfants. Le fait que 187 pays l'aient signée est un témoignage encourageant de l'engagement de la communauté internationale envers ces enfants.

Cet engagement doit se traduire en action. La convention doit non seulement inspirer la rédaction de toute nouvelle loi ou politique concernant les enfants à l'échelle internationale, mais elle doit aussi servir de tremplin pour l'application de ces lois et politiques. Bon nombre de gouvernements ont d'excellentes lois pour protéger leurs enfants, mais ne disposent pas des ressources pour les faire appliquer.

[Français]

Ici, au Canada, nous faisons de gros efforts pour faire des droits des enfants une priorité de notre politique étrangère. Comme je l'ai dit, la nomination de la sénatrice Pearson comme conseillère spéciale en matière de droits des enfants est un bon exemple de notre engagement.

[Traduction]

Nous travaillons également de concert avec d'autres pays, des ONG et des organismes intéressés, comme l'Organisation internationale du travail, la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement, afin d'attaquer ces problèmes de front.

Vous avez choisi d'étudier le travail des enfants; c'est là un sujet vaste et complexe. On estime que, à l'échelle mondiale, de 100 à 200 millions d'enfants de moins de 15 ans travaillent, essentiellement dans les secteurs de l'agriculture, de la petite industrie et des services internes. Dans le secteur de l'exportation, la main-d'oeuvre juvénile ne représente que de 4 à 7 p. 100 du total mondial. C'est pourquoi des sanctions commerciales unilatérales seraient vraisemblablement inefficaces. Elles risqueraient aussi de clandestiniser le problème, ce qui forcerait les enfants à vivre des situations encore plus dangereuses.

.1600

Le phénomène du travail juvénile est profondément enraciné dans la pauvreté, mais il tient également à la culture et aux pratiques traditionnelles d'une société.

J'ai eu la semaine dernière certaines conversations avec le ministre des Affaires extérieures de l'Inde, de passage ici, et il m'a expliqué que dans son propre pays, c'est la pauvreté qui est à la racine de tout cela. Avec le système des castes et pour d'autres raisons, il y a des siècles que l'on fait travailler les enfants. Même s'il y a maintenant des lois, il est très difficile de franchir ces obstacles culturels. C'est la raison pour laquelle nous avons longuement discuté avec lui de la façon dont nous pourrions collaborer à un certain nombre de projets pilotes dans son pays.

Priver les enfants de leur travail n'est pas la solution: il doit y avoir d'autres possibilités d'assurer leur éducation et leur bien-être et de garantir le revenu de leur famille. Il faut par ailleurs s'occuper de tous ceux qui ont perdu tout contact avec leurs proches.

La coopération au développement, où l'accent est mis sur la réduction de la pauvreté et la satisfaction des besoins de base, est au coeur des efforts que déploie le Canada pour s'attaquer aux causes premières de l'exploitation de la main-d'oeuvre juvénile.

Je crois que vous entendrez mon collègue, M. Pettigrew, qui vous en dira davantage sur les initiatives d'aide publique au développement.

J'aimerais cependant vous donner quelques exemples de la façon dont nous utilisons nos programmes d'aide au développement pour mettre un terme à l'exploitation des enfants en milieu de travail.

J'étais récemment dans le nord de la Thaïlande. Cela fait partie du triangle doré, qui, comme vous le savez tous, est la source de beaucoup d'héroïne et de drogues arrivant au Canada. Nous travaillons à un projet qui peut vous donner un petit exemple des résultats que peuvent donner des investissements très modestes.

Notre ambassadeur en Thaïlande a réussi, à même son fonds canadien d'initiatives locales, qui est un petit budget laissé à la discrétion de chaque ambassadeur, à aider à acheter environ quatre ou cinq acres de terre pour 20 000 $.

Quelque 40 enfants qui avaient été auparavant mis en apprentissage, qui avaient été impliqués dans le commerce de la drogue et dont les parents se livraient à la prostitution, ont été amenés sur cette terre. Chacun d'entre eux a reçu un petit lot pour cultiver des légumes ou des fleurs à vendre au marché.

Grâce à la vente de ce produit, ils ont réussi à financer des études, des services de santé et un dortoir, tout cela sous la supervision d'un ou deux bénévoles et d'une personne travaillant à plein temps. Autrement dit, c'est devenu l'exemple classique d'un projet d'auto-assistance pour les enfants eux-mêmes.

D'après ce que j'ai vu là-bas cet été, je puis vous dire que c'est probablement les 20 000 $ de fonds publics canadiens les mieux utilisés. Cela donnait un nouvel espoir et encourageait beaucoup ces jeunes.

Ma seule contribution, monsieur le président, fut de leur acheter 42 brosses à dents, ce qui représentait leur toute première priorité à ce moment-là.

Nous avons également consulté à fond les Canadiens de manière à obtenir un large éventail d'opinions sur ce sujet.

En mars dernier, j'ai participé à une consultation à grande échelle coprésidée par la sénatrice Pearson, avec UNICEF Canada. Des ONG, des étudiants et des représentants du secteur privé y participaient.

Nous avons alors pu confirmer qu'il y a quatre aspects du travail juvénile où l'aide au développement doit être renforcée par des initiatives internationales. Ce sont l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, le travail dans des conditions dangereuses, la servitude, et les enfants dans des situations de conflit armé.

Concernant le premier de ces aspects, la sénatrice Pearson, l'honorable Hedy Fry et moi-même avons participé en août dernier à Stockholm à la Conférence mondiale contre l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, aux côtés de 700 autres représentants venus de 119 pays, de plus de 100 délégués des Nations Unies et autres organisations internationales, de 500 délégués d'ONG et de la jeunesse et de près de 500 journalistes.

Comme je l'ai dit aux délégués à cette occasion - et ce n'était pas un mauvais discours - «il est difficile de croire qu'à l'aube du XXIe siècle nous avons encore à faire face à une forme d'esclavage».

Car l'exploitation sexuelle des enfants est véritablement une sorte d'esclavage des temps modernes. Il n'y a pas d'autres mots pour le décrire.

[Français]

Le succès du congrès ne pourra se mesurer que par la diminution de l'exploitation sexuelle des enfants. Le premier pas dans cette action est la mise en application de la Déclaration et du Programme d'action adoptés par la conférence. Je veux déposer ces documents aujourd'hui pour que les membres du sous-comité puissent en prendre connaissance.

[Traduction]

Je ferai cette suggestion au président et aux membres de votre comité. Je pense qu'il serait en effet utile que vous parliez à un certain nombre des personnes qui ont participé à cette conférence. C'est une des plus importantes à laquelle j'ai jamais participé pour ce qui est de mobiliser l'opinion internationale et l'action internationale sur un sujet très important.

.1605

Un des éléments les plus intéressants fut d'examiner comment nous pouvons commencer à nous servir de la technologie de l'information pour échanger des renseignements sur ceux qui exploitent les enfants, car ils se déplacent d'un pays à l'autre, et sur les divers aspects du tourisme qui en découle. Nombre des pays les plus pauvres n'ont tout simplement pas accès à une telle technologie. C'est un secteur dans lequel le Canada pourra collaborer avec eux, et nous devrons également veiller à ce que cette technologie nouvelle n'apporte pas une nouvelle arme à l'arsenal de ceux qui commettent le crime. C'est une question qu'il va falloir examiner de près. J'ai annoncé la semaine dernière à l'ONU que comme contribution à l'année des droits de l'homme, en 1998, nous allions organiser un grand forum sur toute la question de la technologie de l'information, de la propagande haineuse et de l'utilisation que l'on peut faire de cette technologie pour défendre les droits de l'homme.

Le Canada envisage également d'appuyer les efforts des autres gouvernements contre l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales en faisant largement appel à Interpol, à l'échange de données et à la formation de conseillers juridiques. La sénatrice Pearson coordonne les efforts interministériels dans ce domaine.

Nous travaillons également avec la Commission des droits de l'homme des Nations Unies en vue d'ajouter à la Convention relative aux droits de l'enfant un protocole facultatif qui porterait sur la vente d'enfants ainsi que sur la prostitution et la pornographie enfantines. Ce protocole obligerait les pays à criminaliser ces trois pratiques et à étendre leur juridiction à cet égard au-delà de leur territoire. De plus, comme vous le savez, le projet de loi C-27, déposé le 18 avril dernier, propose de modifier le Code criminel de manière à permettre l'engagement de poursuites judiciaires contre les citoyens et résidents permanents du Canada qui se livrent avec des enfants à l'étranger à des activités sexuelles à des fins commerciales, une pratique appelée «tourisme sexuel».

Pour ce qui concerne le travail dans des conditions dangereuses et le travail servile, le Canada a participé à la décision prise par l'Organisation internationale du travail en mars en vue de l'élaboration d'une nouvelle convention pour l'élimination des formes les plus odieuses et les plus préjudiciables de main-d'oeuvre enfantine, en particulier le travail servile, laquelle devrait être adoptée en 1999. L'objectif est de mettre au point un instrument contraignant, interdisant les formes les plus intolérables du travail des enfants, à savoir, d'une part, les formes de travail et d'activité des enfants contraires aux droits humains fondamentaux, par exemple esclavage, travail servile, prostitution et pornographie et, d'autre part, les formes de travail qui exposent les enfants à des dangers particulièrement graves pour leur sécurité ou leur santé ou qui les empêchent de suivre une scolarité normale.

Nous nous sommes demandé s'il fallait recourir à des mesures commerciales dans le dossier du travail servile, mais nous avons conclu que cela transgresserait nos engagements en vertu de l'OMC. D'où toute l'importance du projet de convention de l'OIT sur l'élimination du travail forcé des enfants, car cette convention nous fournirait le fondement juridique qui nous permettrait d'agir. Comme je l'ai réaffirmé la semaine dernière à l'Assemblée générale de l'ONU, à New York, voilà un exemple on ne peut plus clair d'une question où la coopération et le dialogue avec d'autres organisations internationales et régionales - plus particulièrement entre l'OIT et l'OMC - ainsi qu'avec des groupes non gouvernementaux sont nécessaires si nous voulons voir se cristalliser une synergie et des solutions efficaces.

Encore une fois, monsieur le président, si vous me permettez d'ajouter quelques petites observations, je dirais que cela fera l'objet d'un débat majeur à la réunion de Singapour sur les conventions commerciales: comment examiner ensemble les droits internationaux en matière de travail et de commerce. Ce que nous proposons au Canada, c'est de s'assurer que dans les conventions commerciales on examine le commerce et que dans les conventions sur le travail on examine le travail, mais que les deux organismes se rencontrent régulièrement une fois par an pour échanger de l'information, parler de leur travail, des progrès accomplis, et que plutôt que d'essayer de renvoyer la responsabilité d'un organisme à l'autre, il se crée tout simplement une synergie entre l'OIT et l'OMC afin que les deux organismes puissent travailler dans leurs domaines respectifs tout en assurant la coopération et la coordination entre les deux organismes. C'est vraiment une façon de résoudre le dilemme du respect des droits de la main-d'oeuvre enfantine dans le contexte du commerce.

J'aimerais vous parler d'un autre sujet de préoccupation, à savoir la situation des enfants soldats, une forme particulièrement dangereuse de main-d'oeuvre enfantine. La Commission des droits de l'homme des Nations Unies a créé un groupe de travail, auquel le Canada a participé, qui a pour mandat d'élaborer un protocole facultatif de la Convention relative aux droits de l'enfant portant sur les enfants dans des situations de conflit armé.

La question des enfants pendant la période de relèvement après les conflits et dans les économies de transition est aussi un domaine qui nous tient à coeur. Les enfants sont, en nombre disproportionné, victimes d'accidents, y compris ceux causés par les mines terrestres. Comme vous l'avez entendu à la Chambre, à compter de demain matin nous parrainons une grande conférence internationale, à laquelle participeront 70 pays, sur l'imposition d'une interdiction internationale des mines terrestres. Comme nous l'avons vu en Bosnie et en Somalie, et c'est une tragédie, ils sont également sujets au stress consécutif à un traumatisme. Nous ouvrirons demain une réunion internationale qui se tiendra ici même à Ottawa, et je propose de tenir une autre conférence plus tard au cours de l'année à Winnipeg, pour donner de l'élan aux travaux sur l'interdiction mondiale des mines terrestres. Il est clair que cela aura des conséquences majeures pour ce qui se fait dans le domaine de la réhabilitation des enfants.

En résumé, les priorités immédiates du gouvernement en ce qui concerne les questions internationales touchant la main-d'oeuvre enfantine sont la prostitution et la violence sexuelle, le travail servile, la santé et la sécurité au travail, et, enfin, les enfants dans des situations de conflit armé. Voilà les domaines où j'espère que nous pourrons vraiment faire la différence et où votre sous-comité pourrait se rendre utile en formulant des recommandations.

.1610

Mais le domaine de la main-d'oeuvre enfantine n'est pas chasse gardée du gouvernement; c'est un domaine où tout un chacun peut faire la différence. Nous avons pu le constater grâce au travail de Craig Kielburger et d'autres. La sensibilisation des consommateurs, des codes volontaires de conduite en affaires et des schèmes de choix des consommateurs sont des moyens d'intervention possibles; un forum comme le vôtre est une occasion idéale de travailler de concert avec le secteur privé et des groupes communautaires pour développer ces moyens d'intervention. J'invite votre sous-comité à examiner ces possibilités avec des groupes du patronat et des syndicats, et plus particulièrement avec les jeunes, au cours des discussions qui se dérouleront cette semaine.

Côté choix des consommateurs, nous avons consulté un certain nombre d'experts, y compris l'UNICEF, à propos de la question des systèmes d'étiquetage pour les tapis. Je suis heureux de déposer aujourd'hui les versions française et anglaise du résumé d'une étude rédigée par UNICEF Canada dans le cadre d'un contrat passé avec le ministère, qui vise à aider ce dernier à définir une politique du Canada à l'égard de RUGMARK.

Il est possible d'obtenir cette étude préparée par l'UNICEF. Nous avons demandé qu'elle soit traduite. Les membres du comité pourront donc obtenir un exemplaire du document, mais, entre-temps, nous avons ici officiellement aujourd'hui un résumé du document. Étant donné que ce document suscite beaucoup d'intérêt public, comme je l'ai dit, il sera disponible dans sa version intégrale d'ici à la semaine prochaine.

Une autre approche innovatrice en matière de consultation transparaît dans les efforts de la sénatrice Pearson, qui réunit des enfants de partout dans le monde dans un symposium international où ils débattent eux-mêmes des droits de l'enfant et proposent leurs propres solutions.

J'espère que les Canadiens saisiront l'occasion qu'offre le 50e anniversaire de l'UNICEF pour se pencher sur la nécessité de faire des questions touchant l'enfance une priorité dans nos collectivités et de mettre au point des réponses à l'échelle locale. Il n'appartient pas au seul gouvernement d'agir. Et nous tous, gouvernements aussi bien que collectivités, devons non seulement susciter un débat, mais aussi prendre des mesures se traduisant par des résultats concrets.

Nous sommes réalistes et nous savons combien difficile est la tâche que nous poursuivons, compte tenu des ressources limitées dont nous disposons. Nous devrons évaluer avec soin les domaines où nous pouvons vraiment faire la différence, et agir en conséquence. Nous invitons les Canadiens, y compris vous qui êtes assemblés ici aujourd'hui, à en faire autant.

Pendant l'été, j'ai fait du canoë dans certaines régions du Manitoba. Au cours de l'une de ces excursions, nous avons eu une discussion au sujet des enfants avec certains aînés des groupes autochtones dans ma province. Ils m'ont laissé quelque chose que je chéris depuis ce moment-là et que je garde presque toujours avec moi. Ce sont les paroles des aînés de la nation crie sur la façon dont ils voient les enfants. En terminant, j'aimerais vous lire ces paroles, car je pense qu'elles pourront donner le ton aux travaux de votre sous-comité.

Monsieur le président, j'appuie vos efforts pour que les enfants soient traités avec respect et dignité, principe que nous devrions tous respecter et obéir.

Merci.

Une voix: Bravo!

Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre.

M. Axworthy: La sénatrice Pearson m'a beaucoup conseillé dans ce dossier, et je pense qu'elle aimerait dire quelques mots au sujet du travail qu'elle fait.

Le président: Sénatrice Pearson, nous serions ravis de vous entendre.

L'hon. sénatrice Landon Pearson (Ontario): Merci beaucoup.

Avant de passer aux questions, je voudrais faire quelques observations qui porteront principalement sur les thèmes que vous avez choisis pour aujourd'hui: ce que les Canadiens devraient savoir au sujet de la main-d'oeuvre enfantine et ce que le Canada peut faire pour aider.

J'aimerais lire aux fins du compte rendu la meilleure définition que j'ai trouvée de la main-d'oeuvre enfantine, car l'une de vos tâches consiste à déterminer clairement ce dont il s'agit. Parlons-nous ici des enfants qui font la livraison des journaux? De quoi parlons-nous ici?

Cette définition vient en fait de l'Inde, mais elle résume assez bien ce dont il s'agit. Elle complète certainement ce qu'a dit M. Axworthy:

Je pense que vous comprendrez les nuances. Pour moi, c'est une définition qui peut être utile. Il faut qu'il y ait exploitation, dans une certaine mesure. Cela limite donc ce dont nous parlons.

Une autre chose que je voulais faire concernant ce que les Canadiens devraient savoir au sujet de la main-d'oeuvre enfantine, c'est vous faire part de certaines observations qui ont été faites au forum mondial sur le bien-être des enfants qui s'est tenu la semaine dernière à Mont Gabriel, au Québec. Voici ce qu'a dit Margaret Catley-Carlson, anciennement, comme bon nombre d'entre vous le savent, présidente de l'ACDI, sous-ministre de la Santé et du Bien-être, et actuellement présidente du Conseil de la population à New York.

.1615

Le Conseil de la population vient de terminer une étude approfondie des tendances internationales dans les formes et les fonctions familiales et dans la population active, étude qui a révélé certains faits troublants. Ces faits sont importants lorsqu'on parle de main-d'oeuvre enfantine dans les pays en voie de développement et dans les pays industrialisés, car si nous ne comprenons pas bien la situation des familles, nous ne pourrons pas atteindre les enfants.

Voici certains de ces faits. Il y a une augmentation frappante du nombre de familles monoparentales, surtout des familles où la mère est à la tête, dans les pays les plus industrialisés, et du nombre de ménages où les femmes sont à la tête dans les pays les moins développés. Ces augmentations sont dues aux pourcentages élevés de dissolution des mariages dans les pays moins développés; à l'augmentation des divorces dans les pays plus industrialisés; à la maternité chez les femmes non mariées, particulièrement les adolescentes; et à la migration de conjoints qui cherchent un emploi. Même dans les ménages où les pères sont présents, les mères ont une plus grande responsabilité économique à l'égard des enfants. Les changements dans l'économie mondiale ont donné lieu à une augmentation constante du pourcentage de femmes qui se joignent à la population active, à une diminution de l'emploi chez les hommes, et à un pourcentage croissant de familles à double revenu tant dans les pays industrialisés que dans les pays moins développés. Les conséquences de ces tendances sont très graves pour les enfants et expliquent dans une certaine mesure l'augmentation de la main-d'oeuvre enfantine.

Ce ne sont que quelques notes tirées de l'allocution, mais je suis prête à les laisser à l'attaché de recherche. Je pense que ce sont des renseignements très intéressants et que vous pourriez avoir plus de détails en communiquant avec le Conseil de la population, à New York.

Mme Catley-Carlson nous a rappelé que jamais auparavant la génération des adolescents n'a été aussi importante en nombre. Peut-être que jamais elle ne sera de nouveau aussi importante en nombre, en partie en raison des tendances qui commencent à descendre sur le plan de la fertilité.

Un très grand nombre d'adolescents parmi ceux qui sont les plus âgés sont sans emploi ou sous-employés, ce qui s'explique en partie par le fait qu'il y a des enfants et des jeunes adolescents qui travaillent. C'est véritablement le monde à l'envers, et je pense que c'est une question que vous devrez examiner. À mon avis, cela ajoute un nouveau caractère urgent à la question dont vous êtes saisis. Si nous ne répondons pas aux besoins de tous les jeunes en matière d'éducation et de débouchés, le monde paiera pour cela pendant des centaines d'années à venir. Pour ceux d'entre nous qui savent ce que c'est que de vivre avec des adolescents à un certain âge, l'image d'un monde rempli d'adolescents sans travail est plutôt angoissante. Je ne veux pas rire de la situation, mais je pense que c'est une question à laquelle nous devons accorder de l'attention.

J'aimerais maintenant parler de la deuxième question à l'ordre du jour: ce que le Canada peut faire pour aider. J'aimerais vous donner l'exemple, comme l'a fait M. Axworthy, d'un incident particulier concernant la main-d'oeuvre enfantine qui incorpore les principes les plus appropriés d'une réponse canadienne.

Il y a trois ans, à Bangalore, en Inde, j'ai évalué un projet pour l'ACDI, qui avait à l'époque un fonds pour les enfants qui se trouvent dans des circonstances particulièrement difficiles. Ce projet portait sur des petites filles qui vont ramasser des guenilles dans les poubelles des rues de Bangalore pour les recycler. Ce sont essentiellement les boîtes bleues de l'Inde. Le projet visait à donner une éducation non officielle à ces petites filles, à les amener à des endroits où elles pourraient acquérir certaines compétences de base en lecture, en hygiène, etc. On a voulu leur apprendre à s'exprimer, à s'organiser et à agir, en supposant que leur montrer à être actives dans leurs collectivités était l'une des façons les plus efficaces d'amener des changements.

Ce projet, qui ne représentait pas beaucoup d'argent et qui, à mon avis, était un excellent investissement de fonds canadiens, nous a permis d'apprendre plusieurs choses. Tout d'abord, il faut aller là où se trouvent les enfants si on veut s'attaquer aux problèmes de la main-d'oeuvre enfantine. On ne peut pas éloigner ces enfants de leurs familles, qui ont besoin de la moindre petite chose que ces enfants peuvent ajouter, de sorte qu'il faut leur offrir un programme d'éducation au moment où ils sont disponibles. Le matin, les petites filles sortent et font la première tournée des dépotoirs. Lorsqu'elles rentrent à la maison, elles doivent s'occuper de leurs petits frères et de leurs petites soeurs, les amener à l'école pendant que la mère sort faire la deuxième tournée des poubelles.

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Ils viennent donc à l'école, en arrivant ils se lavent et lavent leurs petits frères ou leurs petites soeurs qu'ils ont amenés avec eux. Ensuite c'est avec enthousiasme qu'ils profitent de cette possibilité d'apprendre à lire et à écrire et d'apprendre certaines autres choses.

Certains d'entre eux vont ensuite suivre la scolarité normale. Certains apprennent d'autres choses qui leur permettent d'avoir un certain choix dans la vie et de ne pas être forcés de ramasser les ordures et peut-être qu'un jour, l'Inde sera obligée de passer aux boîtes bleues pour remplacer les petites filles.

On va où sont les enfants, on travaille en fonction des circonstances, on les prépare à entrer dans le circuit général, s'ils le veulent, ou dans d'autres métiers. On leur offre des choix.

On utilise l'infrastructure qui existe. C'est un projet qui a marché avec l'Église catholique en Inde. Il y a déjà une infrastructure. Il s'agit d'ajouter un petit peu pour permettre que cela fonctionne. Cela permet d'assurer la poursuite du projet et, en fait, dans ce cas, nous ne finançons plus le projet, d'autres sources le financent.

On s'associe à des pays qui veulent vraiment faire quelque chose à ce sujet, comme l'Inde, où les lois voulues ont été adoptées, où il y a des responsables au sein de l'administration et des organisations non gouvernementales; où l'on essaie beaucoup de coopérer pour parvenir à une solution à ce problème. Les ressources que nous pouvons utiliser sont limitées mais en apportant une aide à des projets qui existent, on peut changer les choses. Nous essayons d'intervenir là où l'on peut obtenir des résultats rapides.

Voilà ce que je voulais ajouter à ce qu'a dit le ministre, pour vous faire un peu comprendre ce dont il est réellement question. Je dois dire que ces petites filles étaient magnifiques. Je suis sûre que d'ici quelques années, elles auront beaucoup d'influence autour d'elles.

Le président: Sénatrice, vous nous avez parlé d'informations que vous auriez reçues à New York. Pourriez-vous les communiquer à notre greffière pour que nous puissions les distribuer aux députés.

Merci beaucoup. Cette intervention fut très utile. Cela illustre très bien l'expérience que vous avez eue dans ce domaine.

Monsieur le ministre, j'espère que vous pourrez rester pour répondre à quelques questions. Je sais que nous avons commencé un peu en retard, mais peut-être que la sénatrice Pearson et Mlle Edwards pourront poursuivre si vous devez vous en aller.

[Français]

Vous avez une question, madame Debien?

Mme Debien (Laval-Est): Bonjour, monsieur le ministre. Bienvenue aux travaux de notre sous-comité.

Monsieur le ministre, vous nous avez fait part, dans le document que vous nous avez remis, d'un certain nombre de préoccupations du gouvernement canadien, préoccupations que nous partageons, bien sûr.

Vous avez fait aussi état de certaines réalisations canadiennes concernant les droits de la personne et le travail des enfants, et aussi de certains engagements du gouvernement canadien, entre autres ceux liés à la Convention relative aux droits de l'enfant.

Or, vous savez que la Convention ne prévoit aucune sanction. C'est une convention qui n'a qu'une valeur morale, et vous l'avez très bien expliqué vous-même en disant que sur 188 pays, il y en avait 90 qui venaient de remettre le rapport, ce qui est à peu près la seule obligation principale souscrite par les États concernés aux fins de la Convention. Alors, ça reste encore, malheureusement, à l'état de voeux pieux.

Il reste donc un travail énorme à faire, comme vous l'avez très bien dit, et Mme Pearson également.

Certains témoins que nous avons rencontrés la semaine dernière nous ont fait dresser les cheveux sur la tête en nous donnant des exemples de pays où on exploitait le travail des enfants.

Ce que vous nous avez dit, monsieur le ministre, s'insère dans le cadre d'une approche multilatérale. Toutes les réalisations et tous les engagements du gouvernement canadien s'insèrent dans le cadre d'une approche multilatérale.

.1625

Je me demande si, compte tenu de la gravité de la situation, le gouvernement canadien ne pourrait pas faire preuve de leadership. Pourrait-il prendre des mesures bilatérales au sujet du travail des enfants, par exemple en annonçant sa volonté de négocier des accords avec certains pays en voie de développement?

On pourrait, par exemple, accorder un traitement préférentiel aux pays qui prennent des mesures pour régler le problème du travail des enfants. On pourrait prévoir des incitatifs commerciaux supplémentaires pour les pays qui ont déjà éliminé le travail des enfants et accorder des mesures spéciales d'aide au développement pour aider les pays en développement qui veulent se conformer à ces normes.

Ce seraient des mesures concrètes que le gouvernement pourrait prendre dans l'immédiat, tout en s'engageant, bien sûr, à travailler dans le cadre de ses engagements multilatéraux.

J'aimerais savoir, monsieur le ministre, jusqu'où le gouvernement canadien est prêt à s'engager au niveau de mesures immédiates et concrètes dans ce dossier, puisque vous semblez en faire une priorité au ministère des Affaires étrangères cette année.

C'était la question que je voulais poser.

M. Axworthy: Merci, madame. Il est essentiel de travailler dans les systèmes multilatéraux et aussi dans une relation bilatérale.

Nous avons maintenant plusieurs projets en Afrique, avec 25 pays je pense, pour appuyer l'éducation des filles.

Je voudrais aussi dire que, lors des réunions que j'aie eues avec le ministère des Affaires étrangères de l'Inde, nous avons discuté de la façon de développer des projets bilatéraux sur le travail des enfants et en particulier d'un projet-pilote spécial.

En ce qui concerne les types de projets mentionnés par la sénatrice Pearson, j'ai discuté avec plusieurs gouvernements d'Asie afin de fournir une aide policière qui aiderait à faire respecter la Convention relative aux droits des enfants.

[Traduction]

Il arrive souvent que les pays adoptent les lois nécessaires, mais qu'ils ne disposent pas des ressources voulues pour les faire appliquer. La Thaïlande en est un bon exemple. Ce pays voulait absolument que nos services de police aillent assurer la formation de leur personnel pour traiter des cas d'enfants maltraités et autres.

Au congrès de Stockholm, nous comptions au nombre des membres de notre délégation le chef de police de London en Ontario qui a acquis une réputation nationale pour la façon dont il a organisé ses services pour faire face aux problèmes que rencontrent les enfants et nous l'avons mis à la disposition de la conférence de Stockholm pour qu'il fasse part aux délégués de son expérience et qu'il collabore avec eux à trouver des moyens de faire appliquer les lois.

Je conviens donc que ce que nous allons faire, c'est bien de réorienter nos programmes d'aide publique au développement pour qu'ils soient plus sensibles aux besoins des enfants. M. Pettigrew pourra vous en parler demain, mais je crois que ces cinq dernières années, nous avons dépensé plus de 600 millions de dollars pour ces programmes qui, de plus en plus, sont des programmes bilatéraux.

Comme je suis responsable de toute l'enveloppe, j'ai dit que c'était une priorité de la politique étrangère du Canada et qu'ainsi notre assistance et nos décisions devaient tenir compte de cette priorité. Il nous a toutefois fallu obtenir le consentement des pays hôtes eux-mêmes. C'est pourquoi il s'avère souvent très efficace de travailler par l'intermédiaire d'organismes multilatéraux, d'organismes de l'ONU ou d'autres, ou encore d'ONG. Nous faisons beaucoup de travail par l'intermédiaire de groupes tels que Care Canada et d'autres pour apporter ce genre de soutien.

.1630

Ce qui m'ennuie - je suis désolé de vous répondre si longuement - et ce que j'essaie d'obtenir, c'est une stratégie coordonnée de sorte que les choses ne se fassent pas au hasard, que nous concentrions nos efforts sur les domaines dans lesquels nous pouvons vraiment obtenir des résultats plutôt que de nous éparpiller. Nous préférerions choisir un ou deux pays que nous pourrions vraiment aider et avec lesquels nous pourrions collaborer étroitement plutôt que de nous lancer dans tout un éventail de projets, un peu partout, qui ne sont pas mauvais en soi mais avec lesquels on ne parvient pas à cette masse critique nécessaire. C'est ce à quoi M. Pettigrew et moi-même travaillons actuellement.

Le président: Merci. Si vous pouviez répondre brièvement... tout le monde voudrait poser une question. Je ne vous gronde pas, monsieur le ministre, mais...

[Français]

La sénatrice Pearson: Si je comprends bien votre question, vous voudriez qu'on prenne une position qui corresponde à la carotte ou au bâton à l'égard de certains pays en leur donnant des tarifs préférentiels s'ils respectent la Convention ou le contraire.

Il me semble que c'est très compliqué. Je connais bien l'Inde, par exemple, parce que j'y ai vécu. C'est un pays qui comprend très bien qu'il faut arriver à résoudre ce problème. Il sera tout à fait inutile que nous leur fassions des problèmes au sujet du travail des enfants, parce qu'il y a beaucoup d'enfants qui travaillent en Inde.

Il ne faut pas oublier que la question que nous devons résoudre est de nous assurer qu'il y ait moins d'enfants qui travaillent. Si nous essayions de donner des leçons à l'Inde, ce pays serait bien moins enclin à se pencher sur ce problème que si nous le laissons essayer de le résoudre par lui-même. Cela a toujours été mon impression.

Sur ce problème du travail des enfants, il faut savoir que, bien souvent, les enfants travaillent parce que leur famille a besoin d'argent. Si on veut résoudre ce problème, il faudra pouvoir dédommager les familles pour le manque à gagner. Je voudrais vous faire remarquer que le Brésil va dorénavant payer l'équivalent de 25 $ à chaque famille qui va retirer son enfant du travail pour le mettre à l'école. C'est le Brésil lui-même qui a trouvé cette solution. Ce ne sont pas les autres pays qui lui ont donné la solution.

Je crois personnellement que c'est dans cette direction-là qu'on doit travailler.

Le président: Merci, madame la sénatrice.

[Traduction]

Madame Gaffney.

Mme Gaffney (Nepean): Merci beaucoup et bienvenue, monsieur le ministre et madame la sénatrice.

Sachant que j'allais siéger à ce comité, j'ai un peu réfléchi à la façon dont nous pourrions agir et dont le Canada pourrait aider à lutter contre ce problème dans le monde. Mme Debien a demandé ce à quoi nous nous sommes engagés. Je ne pense pas que nous le sachions encore.

J'ai pensé à toutes les organisations que nous avions - et on nous critique toujours pour l'Union interparlementaire ou l'Association des parlementaires du Commonwealth, etc., il y a des députés et certains secteurs de la population qui estiment que cela ne sert pas à grand-chose. Je trouve pour ma part que ces organisations seraient un bon point de départ et que cela ne nous coûterait probablement rien au début. Nous pourrions déjà démarrer certaines choses.

Je suis au conseil de l'APC. Nous avons eu une réunion à midi aujourd'hui et j'ai soulevé la question. J'ai demandé si ce n'était pas quelque chose que le Canada pouvait mettre à l'ordre du jour de la prochaine réunion afin que nous puissions essayer d'assumer un rôle de chef de file à cet égard.

Comment s'y prendre, toutefois, sans blesser certains? Nous savons qu'il y a beaucoup de pays du Commonwealth - et l'Inde en fait partie - où il y a beaucoup d'enfants maltraités, d'enfants que l'on force à travailler. Comment s'y prendre avec délicatesse? Je suppose qu'au sein du ministère des Affaires étrangères, il y a des gens qui pourraient nous conseiller, mais j'ai l'impression que de façon générale, tout le monde était assez d'accord pour que nous présentions une motion à la prochaine réunion de l'APC pour voir ce que nous pourrions faire dans ce sens. En fait, je vous demande un peu votre avis à ce sujet.

M. Axworthy: Tout d'abord, je pense que vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que les organisations parlementaires internationales peuvent être une bonne tribune pour parler de cette question. Vous vous adressez directement aux législateurs qui sont là pour adopter des lois et pour les examiner et cela peut être beaucoup plus efficace que les contacts que nous pouvons avoir de gouvernement à gouvernement, au sein d'organisations.

.1635

Deuxièmement, j'ai abordé de la question avec un certain nombre d'autres ministres des Affaires étrangères et j'ai eu des rencontres avec eux dans le contexte d'organisations régionales ou de rencontres bilatérales. J'ai l'impression que dans l'ensemble, on souhaite collaborer à condition que personne ne vienne dicter à un autre pays ce qu'il faut faire et que l'on se contente de dire qu'il y a un gros problème et que l'on voudrait essayer de trouver ensemble des solutions, d'aider. Autrement dit, comment peut-on envisager une telle collaboration?

Je répète que dans les discussions que j'ai eues avec le ministre des Affaires étrangères de l'Inde et avec les autres ministres que j'ai vus aux réunions de l'UNICEF lundi matin et qui venaient du Bangladesh, du Mali, du Costa Rica et d'Égypte, tout le monde disait: «Nous savons que le problème existe. Il est temps de faire quelque chose. Nous ne pouvons rien faire tout seuls.» C'est certainement un partenariat que l'on envisage beaucoup plus qu'un droit divin.

Troisièmement, nous serions tout à fait heureux de travailler avec n'importe quelle organisation parlementaire qui voudrait aller présenter des résolutions à des assemblées internationales pour que ces tribunes ne servent pas simplement à s'entendre sur telle ou telle résolution mais également à faire venir des parlementaires ici - nous recevons beaucoup de délégations - afin de leur expliquer ce que nous faisons à propos de certains de ces problèmes.

Je répète que la présence du chef de police de London à la conférence de Stockholm a été très appréciée. Il nous a fait part de son expérience. C'est le genre de chose qui intéresse beaucoup ces pays. Ils estiment que nous avons en général de très bonnes méthodes pour faire appliquer la loi, un bon système judiciaire et ils veulent savoir comment tout cela marche parce qu'ils étaient pour beaucoup jusqu'ici soumis à des régimes dictatoriaux. Ils voudraient simplement savoir ce que l'on fait. Nous pouvons leur apporter beaucoup en leur faisant part des connaissances et de l'expérience que nous avons.

Si le comité veut recommander que les associations parlementaires puissent jouer un rôle dans ce sens, nous serions tout à fait prêts à coopérer.

M. Godfrey: Merci, monsieur le ministre.

Le président: Monsieur Martin.

M. Martin (Esquimalt - Juan de Fuca): Merci, monsieur le ministre, madame la sénatrice et Mlle Edwards d'être venus nous voir.

Tout d'abord, je voudrais vous féliciter, monsieur le ministre, du discours que vous avez prononcé devant les Nations Unies à propos des problèmes de sécurité internationale que nous connaîtrons au XXIe siècle car personne ne semble vraiment s'en préoccuper beaucoup à l'heure actuelle.

Le Canada occupe une place unique dans le monde. Il peut vraiment entraîner d'autres nations qui partagent les mêmes idées afin d'inciter d'autres pays à parvenir à un consensus sur la façon de faire face à ces problèmes, et en particulier d'orienter nos politiques étrangères non plus sur la gestion mais sur la prévention des conflits.

Vous avez l'un et l'autre parlé des enfants qui sont terriblement affectés par la guerre. Nous ne savons pas exactement quel effet la guerre a sur eux ni quelles seront les conséquences pour l'avenir. Je me demande si nous allons vraiment insister davantage sur les politiques de prévention de conflits dans notre politique étrangère, sur le repérage des causes de conflits qui couvent pendant longtemps avant que les conflits n'éclatent réellement et sur la façon constructive dont on pourrait avec nos partenaires traiter avec les belligérants eux-mêmes.

Je me demande à ce sujet si vous allez déclarer que nous allons interdire les mines terrestres. Pour ce qui est de la main-d'oeuvre enfantine ou, pire, de l'esclavage des enfants, comme vous l'avez dit, on n'arrivera à rien si l'on ne s'attaque pas d'abord au problème de la pauvreté et si l'on ne se dote pas des outils législatifs nécessaires.

Allez-vous envisager une forme de coopération avec les pays concernés, en recourant en particulier au micro-crédit, ce qui a si bien marché au Bangladesh et en Inde, dans le sens de ce qu'a fait la Banque Grameen? Allons-nous collaborer avec les institutions financières internationales afin de consentir des micro-prêts à ces gens-là tout en offrant aux enfants des possibilités de scolarisation, comme vous l'avez dit afin de rompre le cycle du travail forcé des enfants qui a des conséquences tellement énormes?

M. Axworthy: Me donnez-vous une demi-heure pour répondre à cela, monsieur le président?

Le président: Pas une demi-heure.

M. Axworthy: Tout d'abord, je répondrai à M. Martin qu'il est certain que nous aimerions pouvoir être aussi compétents et aussi bien organisés pour les organisations de maintien de la paix civile que pour celles de maintien de la paix militaire. Il nous faudrait notamment pouvoir disposer d'une liste de personnes auxquelles on pourrait avoir recours dans diverses situations lorsque l'on relève des signes de danger. Comme je l'ai dit dans mon discours à l'ONU, cela veut dire qu'il faudrait constituer une liste de spécialistes des droits de l'homme qui pourraient aller travailler dans ces pays pour les aider à améliorer leur système judiciaire et à se doter de commissions des droits de la personne.

.1640

J'espère que le comité ne m'en voudra pas de dire que cela suppose aussi une action au niveau des médias, par exemple, afin de s'assurer de la liberté d'expression. L'étude qui a été faite sur le génocide au Rwanda a montré que le précurseur de ce génocide était la propagande haineuse qui a été utilisée. Les radios étaient devenues les outils qui encourageaient ces haines ethniques. Nous connaissons tous les avantages et les inconvénients de la liberté de la presse dans notre pays. C'est merveilleux parce que l'on est certain que ce genre de chose ne se produit pas de la même façon. Nous voudrions ainsi examiner comment nous pourrions aider ces pays à assurer la liberté de presse.

Nous voudrions également nous pencher sur les problèmes que pose le respect de la loi afin de mettre sur pied des institutions qui ne relèvent pas d'une hiérarchie quelconque, mais sont tenues de présenter des rapports publics. Je travaille ainsi avec mes collègues du portefeuille international à ce que nous appelons un exercice de consolidation de la paix, par lequel nous mettrions de côté certaines ressources et collaborerions avec les ONG pour nous doter d'une capacité d'intervention très rapide lorsque l'ONU ou l'OEA ou quelque autre organisation internationale et, même, dans certains cas, un pays, nous demandent assistance. Haïti nous permet de tester un peu ce genre d'action. Nous y sommes présents militairement, mais nous sommes également très actifs dans le secteur de l'éducation, du respect de la loi et du système judiciaire.

Christine Stewart et moi-même revenons d'Amérique centrale où nous avons eu des rencontres avec les ministres des Affaires étrangères pour parler de la façon dont, dans un contexte maintenant démocratique - le Guatemala est un bon exemple, on en est à la signature des accords de paix - on peut envisager ces questions très délicates. Ces pays ont en fait grand besoin de spécialistes de l'administration publique, d'arpenteurs, pour répondre à des problèmes très pratiques. Ils essaient de trouver les ressources humaines et financières qui leur permettront de faire la transition nécessaire.

J'espère donc, monsieur le président, qu'à votre prochaine réunion ou peut-être un peu plus tard, nous pourrons exposer aux membres du Comité des affaires étrangères et du commerce international ce que nous entendons par cette initiative de consolidation de la paix et comment cela peut marcher.

À propos des mines terrestres, le ministre de la Défense a annoncé aujourd'hui qu'il a été décidé de s'acheminer vers l'élimination totale des mines et la destruction immédiate de deux tiers du stock. Au fur et à mesure que nous signerons des ententes avec d'autres pays, nous en arriverons à l'élimination totale. C'est donc une autre étape. Cela met le Canada à l'avant-garde dans ce dossier. Pour la conférence qui commence demain, c'est un excellent moyen de faire pression sur d'autres pays afin qu'ils en fassent autant.

Pour ce qui est de la main-d'oeuvre enfantine et l'esclavage des enfants, nous avons donné quelques exemples. Si je puis encore vous faire une suggestion, je crois que la proposition de M. Martin touchant le micro-crédit - l'idée de la Banque Grameen - est extrêmement intéressante. Il y a tellement de bons exemples des succès de cette banque. Huguette Labelle, la présidente de l'ACDI, s'y intéresse personnellement et a travaillé là-dessus. Vous pourrez également demander des précisions à M. Pettigrew.

Nous examinons donc la question, mais je crois que si le comité voulait s'en occuper et faire des recommandations afin de voir dans quel sens nous pourrions réorienter notre assistance, cela pourrait nous être très précieux.

Le président: Merci, monsieur Axworthy.

[Français]

Monsieur Paré.

M. Paré (Louis-Hébert): Monsieur le ministre, vous avez à juste titre reconnu que le travail des enfants n'était pas une cause mais une conséquence de la pauvreté. La pauvreté en est donc la cause et il faudrait travailler à trouver les moyens de l'éliminer.

Je ne pense pas, d'autre part, que le fait de mettre l'accent principalement sur les relations commerciales du Canada avec les pays en voie de développement constitue, à lui seul, le moyen d'éliminer la pauvreté. En effet, on constate souvent, dans les pays en développement, que la croissance économique fait augmenter l'écart entre les riches et les pauvres.

Il ne fait pas de doute que l'élimination de la pauvreté passe aussi par le développement humain durable. On peut penser à l'éducation de base, principalement à l'éducation des filles. On peut aussi penser à l'établissement de services de santé, à la démocratisation et à favoriser l'émergence d'une société civile.

.1645

Une fois qu'on croit en ce principe - et là j'aurai une question bien précise - , est-ce que la mondialisation et la recherche effrénée de la compétitivité absolue ne viendront pas mettre en danger l'établissement de normes qui auraient pu permettre aux pays en voie de développement d'atteindre la sécurité humaine durable dont vous avez parlé?

[Traduction]

M. Axworthy: Je pense que la mondialisation elle-même peut représenter un gros avantage en favorisant une plus forte croissance économique à condition qu'on puisse veiller à ce que cette croissance soit, vous le disiez, durable et soit répartie de façon plus équitable. C'est la raison pour laquelle les travaux du Sommet de Rio, que l'on poursuit actuellement dans un certain nombre de tribunes spécialisées dans les questions d'environnement, sont très précieux. Deuxièmement, comme je le disais dans mes observations liminaires, nous avons investi 700 000 $ cette année avec l'OIT afin de commencer à nous pencher sur la définition de normes de travail et sur leur utilisation.

Nous reconnaissons qu'il n'y a pas de solution miracle. Certes, beaucoup de pays en développement avec lesquels j'ai eu des contacts souhaitent beaucoup favoriser le commerce international parce qu'ils y voient une façon de créer des emplois chez eux. Je suis convaincu que la croissance exponentielle du commerce international a donné dans l'ensemble des résultats très positifs. Nous avons vu naître en Asie les fameux tigres qui, il y a 10 ou 15 ans, étaient des pays en développement. Ils deviennent très rapidement des pays industrialisés. Pensons à la Malaysie, à la Thaïlande et même aux Philippines. Il y a donc de bons exemples et nous commençons même à voir quelques signes encourageants en Amérique latine, en Amérique centrale. Maintenant que ces pays se sont libérés des régimes dictatoriaux, le commerce international se développe. L'entente mercusor en Amérique latine entre le Brésil, l'Argentine, le Chili et d'autres a eu des conséquences énormes et très réelles.

Comme nous l'avons constaté toutefois au Canada, le marché ne suffit pas en soi à éliminer la pauvreté. Il faut également investir dans les ressources humaines, dans l'éducation et la formation, dans la distribution. Du point de vue du développement, c'est la raison pour laquelle nous consacrons maintenant environ 25 p. 100 du budget de l'APD à la satisfaction des besoins élémentaires de la population. Nous allons de plus en plus vers l'assistance technique où nous pouvons fournir du personnel qualifié pour aller aider dans les collèges et les universités, dans l'administration publique et dans les tribunaux. Nous pouvons transférer nos compétences et non pas seulement nos technologies.

Je mentionnerai un troisième point et je crois que M. Paré en a parlé. Peut-être que nous ne devrions pas trop insister là-dessus mais le ministre des Finances y a fait allusion aujourd'hui à la Chambre. Un des obstacles les plus féroces à l'élimination de la pauvreté est l'endettement que connaissent beaucoup de pays. Il a tout à fait raison. La décision prise à Washington cette semaine de radier une grande partie de la dette du tiers monde est très importante. Le Canada en a fait autant il y a quelques années avec certains pays. Maintenant que cela s'est fait au Club de Paris à l'échelle internationale, les conséquences seront énormes. Cela signifie que plutôt que d'aller verser des sous à une banque étrangère, ces pays pourront investir dans la création d'emplois, des projets liés à l'environnement ou dans l'infrastructure. Je crois, comme M. Martin, que ce sera très important.

Le président: Monsieur le ministre, avez-vous le temps de répondre à deux autres questions de M. Godfrey et M. Bergeron?

M. Axworthy: Certainement.

M. Godfrey (Don Valley-Ouest): Monsieur, je me demande - et je ne suis probablement pas le seul - ce qui donne des résultats. Qu'est-ce qui est le plus efficace? Les macro-décisions et instruments multilatéraux dont vous avez parlé ou le genre de petites dépenses de 20 000 $ dont vous nous avez aussi parlé et qui permettent de changer concrètement des situations réelles? On peut se demander si ce genre de succès peut devenir la règle ou si c'est plutôt une anomalie.

En considérant la liste des choses que vous avez soulignées, qu'il s'agisse de l'exploitation sexuelle commerciale des enfants, des enfants vivant dans des situations dangereuses, de la main-d'oeuvre servile, des enfants victimes de conflits armés, il me semble qu'il n'y a qu'à propos de l'exploitation sexuelle commerciale des enfants que nous pouvons vraiment faire quelque chose dans le monde industrialisé parce qu'il arrive souvent que le consommateur soit membre de notre société et que ce que nous décidons de faire puisse être accepté. Comme vous l'avez dit, dans les autres cas, les produits fabriqués par la main-d'oeuvre enfantine ne représentent qu'un très faible pourcentage des exportations et nous ne pouvons donc pas avoir une très grande influence.

.1650

Ce que je me demande en fait, et c'est peut-être plus une question théorique qu'autre chose, car d'autres sociétés ont déjà essayé de suggérer des changements à d'autres sociétés, c'est s'il n'est pas plus efficace d'oeuvrer tranquillement avec des groupes travaillant dans ces pays afin de multiplier les exemples que vous nous avez donnés? Pensez-vous au contraire que dans certains cas des pressions internationales - ou l'action d'organisations internationales ou une action multilatérale - puissent suffire?

M. Axworthy: Monsieur Godfrey, j'aimerais qu'il y ait des solutions faciles, des remèdes magiques, la trousse d'outils idéale où l'on vous indiquerait dans quel trou mettre telle ou telle vis pour construire tel ou tel élément. Ce n'est pas comme cela que cela marche. Il faut envisager une action multidimensionnelle.

Je suis fermement convaincu qu'il nous faut des codes, conventions et protocoles internationaux parce que cela permet d'établir une norme. La plupart des pays - je dirais tous les pays sauf quelques rares exceptions - souhaitent respecter de telles normes. Ils veulent faire partie de la communauté internationale. Ils ne veulent pas être considérés à part ou être laissés pour compte. Cela ne veut pas dire qu'ils respectent toujours les codes: aucun pays n'est irréprochable. Nous ne le sommes pas non plus. Nous avons encore beaucoup à faire pour respecter nos propres normes.

Mais si l'on n'a pas ces codes, il n'y aura pas d'action et je vais vous donner deux exemples précis de ce que peut faire une convention multilatérale internationale... Tout récemment, les nations de l'Asie du Sud-Est - l'Inde, le Pakistan, le Bangladesh et d'autres - ont signé un engagement régional pour mettre fin au travail des enfants dans les secteurs d'activités dangereux d'ici à l'an 2000 et je crois que c'est uniquement le résultat de pressions internationales parce qu'ils ont signé le code.

De même, en Amérique centrale, dans chacun des pays de cette région du monde, où il y a cinq ou six ans, il n'était absolument pas question de droits de l'enfant, tous ont signé la convention et, qui plus est, ils ont chacun un code et une convention et viennent demander à des pays comme le nôtre de les aider à les mettre en oeuvre.

Ce genre de conventions internationales est donc absolument nécessaire. Parallèlement, des changements structurels s'imposent sur le plan économique. On ne va pas éliminer la pauvreté - M. Paré a raison - simplement avec un ou deux travaux d'aménagement. C'est important mais il faut aussi des changements structurels - qu'il s'agisse du commerce, des investissements, de la façon dont sont distribuées les choses. Il faut également certaines normes de travail et c'est la raison pour laquelle nous appuyons les efforts de l'OIT à ce sujet comme nous l'avons fait dans le cadre des accords de l'ALENA. Nous avions déclaré qu'une des conditions pour nous était que l'on adopte des normes en matière d'environnement et de travail.

Troisièmement, et cela revient à la question de M. Martin, il faut trouver la façon la plus efficace de cibler notre assistance. J'ai l'impression que beaucoup de pays sont tout à fait disposés - si nous sommes prêts à leur offrir certaines ressources et une forme d'assistance technique - à commencer à essayer de régler certains problèmes liés à la main-d'oeuvre enfantine. Cela signifie faire respecter les lois et, comme le disait la sénatrice Pearson, travailler à des mesures correctives afin de permettre aux familles de laisser leurs enfants retourner à l'école sans nécessairement que cela entraîne une perte de revenus. Ce sont les projets pilotes dont nous avons discuté avec le ministre des Affaires étrangères de l'Inde cette semaine.

La sénatrice Pearson: Me permettriez-vous de faire une observation supplémentaire? À propos de l'Inde, leurs propres économistes ont analysé les choses et en sont arrivés à la conclusion que le développement n'est pas durable s'il se fait sur le dos d'enfants non instruits - on avance un certain temps, puis on bloque - et qu'ainsi les pays qui peuvent soutenir le développement sont ceux où le niveau d'instruction est élevé. Une région de l'Inde comme le Kerala s'en tire mieux et a moins de main-d'oeuvre enfantine que d'autres régions du pays. Elle reste très pauvre mais même dans ce contexte, on comprend les conséquences économiques d'une population non instruite. En Inde même, ils commencent donc à se pencher très sérieusement sur cette corrélation.

M. Axworthy: Il nous suffit de nous reporter au rapport qui a été déposé il y a deux semaines sur l'alphabétisation qui montre que même dans notre propre pays, il y a une corrélation très étroite entre l'alphabétisation et l'emploi. Je crois que c'est un facteur assez commun dans pratiquement tous les pays du monde.

Le président: Merci, monsieur le ministre.

.1655

Monsieur Bergeron.

[Français]

M. Bergeron (Verchères): Monsieur le ministre, merci pour le temps que vous nous consacrez cet après-midi.

D'après les réponses que vous avez données aux questions qui ont été posées et d'après le texte de la présentation que vous nous avez faite, il semble que vous soyez conscient, comme nous le sommes, du fait que le travail des enfants est en fait un épiphénomène de problèmes beaucoup plus globaux comme ceux de la pauvreté et de la guerre dans les pays en voie de développement.

Vous savez, à cet égard, que je suis particulièrement sensible à la situation qui prévaut actuellement au Burundi. J'aimerais vous poser une question un peu plus précise et un peu plus technique que celles qui ont été posées jusqu'à présent.

Vous faites allusion dans votre présentation à un certain nombre de réunions et de tables rondes qui ont eu lieu avec le secteur privé sur la possibilité d'adopter des codes volontaires de conduite dans le domaine du travail des enfants.

La question que je voudrais vous poser, monsieur le ministre, est de savoir si vous êtes en mesure, au moment où l'on se parle, de faire le point sur ces discussions avec le secteur privé et de nous dire si on semble se diriger vers l'établissement d'un tel code de conduite volontaire au niveau des entreprises du secteur privé canadien et québécois.

[Traduction]

M. Axworthy: Monsieur le président, j'essaierai dans toute la mesure du possible. Peut-être que Lucie Edwards pourra ajouter quelque chose.

Quand j'ai accepté ce portefeuille, j'ai demandé au Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne de l'Université d'Ottawa d'examiner, en consultation avec les milieux d'affaires, quels pourraient être les techniques ou mécanismes les plus efficaces pour essayer de faire respecter les droits des travailleurs. Leur rapport, et je suis sûr que nous pourrions le communiquer au comité, concluait que...

Le président: Nous en parlerons avec M. Mendes tout à l'heure.

M. Axworthy: Parfait, je ne veux pas empiéter sur votre temps, monsieur Mendes.

Leur recommandation était que nous ne devrions pas travailler à un code d'éthique vague et général parce que cela ne marche pas, mais plutôt nous intéresser à certains pays ou régions. Le Niger est un exemple de pays où nous essayons d'exercer certaines pressions, comme vous le savez. Il y a aussi le Burundi où mon collègue, M. Pettigrew, a eu en juin une rencontre avec tous les pays donateurs dans cette région. Si nous obtenions dans certaines régions ou pays que les entreprises qui ont des activités sur place se mettent d'accord sur la façon de respecter les conventions que nous avons signées sur les droits, nous aurions peut-être là un outil utile.

Nous tenons une consultation... Je crois que la première se tiendra le 10 octobre.

Peut-être que Mme Edwards pourra vous donner plus de détails sur cette orientation générale que nous prenons.

[Français]

Mme Lucie Edwards (directrice générale des enjeux globaux et humanitaires, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Merci, monsieur le ministre.

Nous avons cela à l'esprit. Les hommes d'affaires du Canada sont également très intéressés par cette initiative parce qu'ils ne veulent pas se trouver dans une situation où les consommateurs font du boycottage parce qu'ils ne comprennent pas ce qui arrive. Ils veulent savoir clairement quelle attitude et quelle ligne de conduite adopter dans certains pays étrangers.

L'impulsion est surtout venue de ces hommes d'affaires. Ils ont agi en collaboration avec les universités et les gouvernements et ils préféreraient que ce soit volontaire. Ce n'est pas uniquement une question de droits des syndicats ou de droits des enfants. Ils cherchent aussi des solutions pour les questions environnementales. Qu'est-ce qu'ils peuvent faire à l'étranger, au niveau de l'environnement, qui serait acceptable? C'est un travail que nous devons faire en collaboration avec eux. Je ne peux pas vous dire qu'il y aura un échéancier ou un document national à cet égard. Ce genre de chose se fait quelquefois par secteur. Nous avons vu qu'Hydro Ontario avait déjà commencé à entreprendre ce genre de chose.

Cela se fera probablement industrie par industrie et secteur par secteur. Il y a aussi d'autres solutions. Des compagnies comme Bridgehead d'OXFAM Canada sont créées essentiellement pour identifier le travail et les produits qui peuvent se faire par des formes plus efficaces de coopération avec des travailleurs à l'étranger et pour trouver des façons d'encourager les consommateurs, au Canada, à choisir les meilleurs produits qui ont été identifiés.

.1700

Les consommateurs ne pourront pas trouver tous leurs vêtements de cette façon, mais cela leur permettra de faire un choix, comme ils en font dans les magasins canadiens. Cela va permettre de changer l'environnement et ce sera aussi une forme d'éducation.

[Traduction]

M. Axworthy: J'aimerais faire une observation. Si le comité pense que je me trompe, je suivrai certainement ses recommandations.

Lorsqu'il s'agit d'appliquer des normes au Canada, je pense que l'une des plus grandes ressources inexploitées ce sont les jeunes eux-mêmes. Nous ne passons certainement pas suffisamment de temps à les écouter ou à les aider à se mobiliser.

Je vais vous donner un exemple qui, je pense, intéressera mes collègues du Québec. L'été dernier, un groupe d'étudiants de ma circonscription est revenu d'un échange au Québec. Je suis allé déjeuner avec eux pour savoir de quoi ils parlaient.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ils ne parlent pas de choses dont il est souvent question à la Chambre des communes. Ils ont dit que cela les intéressait vraiment de parler des droits des enfants à l'étranger. Ils avaient convenu - il s'agit surtout d'élèves d'écoles secondaires du Québec et du Manitoba - de se rendre dans des magasins comme Gap et d'autres genres de magasins et de poser la question suivante: D'où proviennent vos produits? Que faites-vous avec ces produits? De quelle façon est-ce que vous transigez?

Ils parlaient de ces petites visites qu'ils allaient faire un peu partout. C'est ce qui leur redonnait réellement un certain dynamisme. Ils estimaient que c'était là une grande cause à laquelle ils devaient travailler ou un objectif qu'ils devaient essayer d'atteindre.

Je vous le dis, en tant que députés, lorsque vous vous rendez dans les écoles, parlez-en à ces jeunes. Je vous garantis qu'ils seront prêts à s'organiser. Il y a réellement un potentiel inexploité chez les jeunes, car ils comprennent l'importance de cette cause. Bon nombre d'entre eux travaillent chez McDonald et d'autres endroits semblables, et ils savent qu'ils sont parfois exploités. Ils comprennent très bien le problème. Ils savent également qu'ils peuvent faire quelque chose pour changer la situation.

Je pense que si votre comité pouvait recommander des façons d'appuyer ce genre de participation de la part des jeunes, nous pourrions faire vraiment beaucoup de choses.

[Français]

M. Bergeron: Monsieur le ministre, permettez-moi de poser deux autres questions.

Je sais qu'on parle actuellement d'un code de conduite volontaire, mais seriez-vous prêt à aller jusqu'à l'adoption de mesures législatives dans ce sens-là dans un premier temps, et seriez-vous prêt à envisager la publication périodique d'une liste des entreprises qui dérogent à ce code de conduite volontaire?

[Traduction]

M. Axworthy: C'est l'une des questions spécifiques que nous avons posées au Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne. Ils étaient d'avis que cela ne fonctionnerait pas là où il a été appliqué dans d'autres pays.

Dans le cas de l'Afrique du Sud, il y a eu le code Sullivan, qui est essentiellement un code de conduite volontaire, et cela a fonctionné beaucoup plus efficacement. Je vous suggère de poser ces questions à M. Mendes et à d'autres personnes.

À ce moment-ci, j'ai l'impression, comme Mme Edwards l'a souligné, que les gens d'affaires sont très intéressés par l'idée de trouver une solution à ce problème. Si on commence à parler de mesures législatives, alors on parle de principes assez abstraits qui ne s'appliquent peut-être pas à toutes les situations. J'espère que vous examinerez la question dans le cadre de vos audiences et que vous me ferez part de vos conclusions.

Le président: M. Mendes attend pour répondre à la question.

Je vous remercie d'avoir été aussi généreux de votre temps. Vous avez été des plus généreux et vous nous avez beaucoup aidés à lancer nos audiences. Je tiens à remercier également la sénatrice Pearson et Mme Edwards de leur contribution. Vous nous avez été très utiles. Je vous remercie d'être venus. Je remercie également mes collègues pour leurs questions.

.1704

.1713

Le président: Nous allons commencer la deuxième partie de la réunion. Certains membres du comité doivent partir tôt, mais nous avons le quorum. Un vote est prévu dans environ 25 minutes. Nous devrons peut-être faire une pause pour aller voter, mais nous sommes en train d'essayer de parler aux whips. J'espère que nous pourrons rester ici sans avoir à interrompre les témoignages.

Nous avons avec nous six témoins qui représentent cinq organismes et j'aimerais vous les présenter brièvement. Betty Plewes a souvent comparu devant le comité permanent à titre de présidente et directrice générale du Conseil canadien pour la coopération internationale. Le ministre nous a déjà présenté Errol Mendes qui représente le Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne.

[Français]

Jean Rock Roy est directeur des communications au Club 2/3. Serge Fleury est coordonnateur des programmes jeunesse à Jeunesse du Monde. Jacques Tremblay et Manon Bernier représentent l'organisme Défense des enfants internationale.

Merci.

[Traduction]

Nous allons commencer en suivant l'ordre de la liste que nous avons ici. Nous allons d'abord entendre Betty Plewes du Conseil canadien pour la coopération internationale.

Mme Betty Plewes (présidente et directrice générale, Conseil canadien pour la coopération internationale): Merci. Nous sommes très heureux d'être ici aujourd'hui et nous vous félicitons d'avoir choisi d'aborder cette question. La semaine dernière, j'ai reçu dans mon bureau deux femmes, une de l'Inde et une du Bangladesh, deux militantes pour les droits de la personne.

Je leur ai dit que la semaine prochaine notre comité parlementaire allait examiner la question des droits de la main-d'oeuvre enfantine. Je leur ai demandé ce qu'elles aimeraient dire à ce sujet.

Une des femmes a demandé pourquoi les gens des pays de l'Ouest se préoccupaient tant des droits de la main-d'oeuvre enfantine, pourquoi on ne se préoccupait pas des droits de la famille et des droits des femmes et des enfants à de l'eau propre et à l'éducation? Donc, je suis très satisfaite des observations liminaires du ministre et des questions qui ont été posées par les membres du comité, car cela démontre que nous allons situer les droits de la main-d'oeuvre enfantine dans le contexte plus général du développement.

.1715

[Français]

Le Parlement a demandé au sous-comité de proposer des mesures que devrait prendre le Canada pour enrayer le travail des enfants. Le Parlement a déjà reçu certains signaux. Le premier ministre a déclaré publiquement qu'il comptait imposer des restrictions à l'importation de biens produits par les enfants.

Deux projets de loi d'initiative parlementaire proposent des modifications au Code criminel qui permettraient de poursuivre en justice les Canadiens s'adonnant à l'exploitation sexuelle des enfants à l'étranger. M. Axworthy a aussi indiqué que les droits des enfants devaient être au centre de la politique des droits de la personne du Canada.

Tous ces signaux montrent que le Parlement s'efforce d'améliorer la situation des enfants, à laquelle s'intéressent tant la majorité des Canadiens que les médias et de nombreux groupes oeuvrant au développement ou militant pour les droits de la personne.

Nous félicitons le sous-comité d'avoir amorcé des consultations sur ce dossier et nous lui souhaitons bonne chance dans ses choix parmi une multitude de faits et de recommandations qu'il entendra à l'occasion des tables rondes.

Toutes les organisations partiront de la prémisse que l'exploitation du travail de l'enfant est une pratique odieuse. Cependant, elles vous proposeront plusieurs façons d'enrayer le problème. Vous apprendrez que la main-d'oeuvre enfantine est une tradition millénaire dont l'origine varie selon les pays et qu'elle prend de l'expansion.

Vous entendrez aussi parler de l'urbanisation galopante qui grossit les rangs des enfants travailleurs dans les villes. Vous apprendrez que dans les régions rurales, neuf enfants sur dix effectuent des travaux agricoles qui, pour la plupart, sont dangereux. On vous dira aussi que certains enfants sont le principal gagne-pain de leur famille. L'Organisation internationale du travail ajoutera que les enfants payés pour leur travail ne représentent qu'une infime partie de la main-d'oeuvre enfantine dans le monde.

[Traduction]

On vous dira qu'au Bangladesh une fillette est plus en sécurité dans une usine de confection au côté de sa mère que toute seule à la maison et que le travail des enfants n'est pas toujours une mauvaise chose parce qu'il constitue un moyen traditionnel d'intégration à la vie des adultes. Mais d'autres vous rappelleront que toutes les formes de travail des enfants violent les droits internationaux des travailleurs ainsi que la Convention des Nations Unies relative aux droits des enfants, à la rédaction de laquelle le Canada a grandement contribué. Pourtant, certaines formes de travail des enfants, comme le travail domestique, peuvent constituer pour certains enfants ce qui se rapproche le plus d'un filet de sécurité sociale.

La documentation sur le travail des enfants est remplie d'analyses divergentes. Et même les analyses convergentes donnent lieu à des recommandations différentes. Certains analystes soutiennent que, comme le travail des enfants est un symptôme de problèmes sociaux et économiques profonds, il faut s'attaquer aux causes aussi bien qu'aux symptômes.

Certains groupes affirment que le travail des enfants est l'envers de la scolarité obligatoire et que, si les gouvernements assuraient la scolarité obligatoire, ils élimineraient du même coup le travail des enfants. D'autres, notamment certaines ONG au Pakistan, soutiennent que le système d'éducation public fonctionne mal, que les châtiments corporels et les humiliations y sont monnaie courante, ce qui fait fuir les enfants. Naturellement, ils voudraient que les choses changent. Certaines familles trouvent que l'instruction coûte trop cher et beaucoup de parents croient sincèrement que leurs enfants auront de meilleures chances en allant travailler et en apprenant un métier.

Parmi les défenseurs des droits des enfants, il y en a qui plaident avec éloquence pour l'abolition immédiate et totale du travail des enfants parce que c'est pour eux une question de principe. Ils disent que les mesures législatives internationales comme l'interdiction d'importer des produits fabriqués par des enfants ont une importance symbolique même si elles ne sont pas nécessairement efficaces. D'autres soutiennent que les menaces de représailles internationales vont pousser le travail des enfants dans la clandestinité et le soustraire ainsi à toute réglementation. Ils soutiennent aussi que la vaste majorité des enfants d'usine travaillent dans des industries nationales qui sont à l'abri des sanctions internationales.

.1720

Certains réformateurs estiment que nous devons chercher d'abord à abolir les formes les plus odieuses d'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine comme la servitude pour dettes et l'esclavage, la prostitution et le travail dangereux. D'autres encore pensent que le gouvernement canadien devrait, par le truchement de son programme d'aide internationale, encourager les syndicats, les groupes de défense des droits humains et les ONG à collaborer avec les employeurs et les gouvernements pour augmenter les salaires et améliorer les conditions de travail des enfants en relevant les normes de sécurité et en aménageant sur les lieux de travail des écoles et des installations de loisirs.

Mais les abolitionnistes soutiennent que tous les efforts pour améliorer les conditions dans lesquelles travaillent les enfants favorisent les employeurs alors que ceux-ci enfreignent déjà les lois nationales et les conventions internationales qui interdisent le travail des enfants ou garantissent le droit à l'éducation.

Après quelques heures de ces consultations, vous estimerez peut-être que pour chaque analyse il existe une contre-analyse tout aussi convaincante. Mais il existe tout de même des consensus fondamentaux. La situation n'est pas aussi désespérée qu'elle en a l'air.

Le Canada peut et doit faire quelque chose pour améliorer les perspectives des enfants du monde non seulement parce que le travail des enfants est répréhensible ou qu'il viole les droits garantis par des conventions internationales, mais parce qu'il prive les sociétés de leur ressource humaine la plus précieuse, à savoir des adultes instruits et en santé. Et sans eux, il ne saurait y avoir de développement humain durable. Sans eux, une société est condamnée à la pauvreté.

Alors, qu'est-ce que le Canada peut faire? Le travail des enfants s'inscrit dans un contexte socio-économique particulier. Nous croyons que les disparités croissantes entre les riches et les pauvres de la planète contribuent grandement à l'augmentation du travail des enfants. Nous en voulons pour preuve l'augmentation du travail des enfants non seulement dans les pays en développement, mais dans les secteurs les plus pauvres des pays développés.

Les programmes d'ajustement structurel axés sur l'exportation détruisent les économies locales et régionales, marginalisent les plus pauvres dans les pays les plus pauvres. Ils déracinent les familles rurales en affectant les sols à la production de cultures industrielles et forcent les gouvernements à réduire les dépenses sociales, notamment dans le domaine de l'éducation. Cette marginalisation va complètement à l'encontre du développement humain durable.

Le conseil maintient que la participation des populations à l'intendance des terres et des ressources est une condition préalable au développement humain durable. Lorsque les gens perdent le contrôle de leurs moyens de subsistance, ils perdent également le contrôle de leur avenir.

La situation tragique des travailleurs de l'industrie du vêtement au Bangladesh en est un bel exemple. Selon une étude que l'OIT et l'UNICEF ont menée au Bangladesh, l'économie de ce pays repose largement sur les exportations de vêtements, mais les usines appartiennent à des coentreprises et une bonne partie du capital provient de l'étranger.

Le rapport note qu'une main-d'oeuvre bon marché abondante est la principale contribution du Bangladesh à l'industrie; le savoir-faire, la gestion, l'équipement, les tissus, les fils, les boutons et les rivets, même les pierres qui servent à délaver les jeans, tout vient de l'étranger. Et le rapport ajoute que, si le climat de production au Bangladesh se détériorait ou qu'une main-d'oeuvre meilleur marché se présentait ailleurs, les propriétaires et les acheteurs étrangers pourraient s'en aller sans crier gare et à relativement peu de frais.

Le Canada devrait appuyer les politiques macro-économiques et le développement qui peuvent renverser ces tendances, c'est-à-dire celles qui favorisent l'équité dans la croissance économique; qui visent à permettre de créer des emplois en appuyant les petites et moyennes entreprises; qui visent à faire échec à la fixation des prix à l'échelle multinationale, aux mouvements de capitaux spéculatifs et à la monopolisation des nouvelles technologies par les pays de l'hémisphère nord; et qui auront pour effet de réduire les frais de service de la dette du gouvernement.

Au cours des semaines qui viennent, de nombreuses politiques axées sur le problème de la main-d'oeuvre enfantine et les pratiques commerciales déloyales vous seront proposées. Lorsque vous évaluerez ces recommandations, nous vous demandons de privilégier celles qui font appel aux mesures d'incitation plutôt qu'aux mesures de dissuasion punitives. Si vous choisissez d'appuyer les organismes internationaux de consommateurs, assurez-vous qu'ils sont fondés sur la solidarité et la compréhension mutuelle, et non sur le principe selon lequel «le Nord a raison». Au lieu d'exclure les produits fabriqués au moyen de procédés jugés moralement répréhensibles au Canada, pourquoi ne pas encourager le commerce avec des producteurs qui garantissent l'application, en matière de conditions de travail et salaires, de certaines normes propres à répondre aux besoins essentiels des enfants.

En Inde, les défenseurs des droits des enfants soutiennent depuis longtemps que les pressions visant à retirer les enfants de la main-d'oeuvre active doivent venir des consommateurs du marché intérieur indien, et non de l'étranger. Vous entendrez beaucoup de recommandations allant dans le sens du cadre proposé ici. Celles que nous voudrions faire portent principalement sur le programme canadien d'aide au développement, dont on peut dire qu'il est, parmi les instruments politiques relevant du contrôle exclusif du Canada, le plus puissant et le plus susceptible de contrer directement et indirectement l'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine. Certes, les sommes qui y sont affectées diminuent constamment - une réduction de 45 p. 100 au cours des huit dernières années - ; raison de plus pour l'utiliser judicieusement. Le Canada devrait donc examiner son propre comportement et sa façon de dépenser les fonds affectés à l'aide au développement et se demander si ces dépenses améliorent ou aggravent la condition des enfants et des familles.

.1725

L'ACDI devrait encadrer son aide au développement international à la lumière des principes et des dispositions de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Cette recommandation émane directement de la commission de dix membres de l'ONU qui a fait rapport au Parlement après sa rencontre avec une délégation canadienne, en mai dernier, et nous y souscrivons.

L'ACDI devrait créer un mécanisme d'évaluation des incidences sur le travail des enfants afin de s'assurer que les projets de développement qu'elle finance - qu'il s'agisse de projets bilatéraux, de coentreprises ou de projets conduits en association avec des ONG canadiens ou de l'hémisphère sud - n'accroissent pas la demande en main-d'oeuvre enfantine. Le Canada pourrait s'inspirer de l'excellent travail de la Direction générale de l'aide norvégienne au Tiers Monde et des travaux conjoints de plusieurs membres du CCCI, dont Pueblito Canada, Aide à l'enfance-Canada et Jeunesse Canada Monde, pour concevoir un mécanisme d'évaluation des projets des ONG.

L'ACDI devrait privilégier la réciprocité, et non la conditionnalité, dans sa politique afin de promouvoir l'adoption de normes favorisant les pratiques commerciales et d'emploi loyales. L'un de nos membres, le Fonds humanitaire des métallos, a suggéré de refondre les critères en matière d'encouragement commercial, d'aide au développement et de droits des travailleurs énoncés dans les pactes conclus entre le Canada et certains pays choisis en un accord bilatéral unique permettant aux deux parties signataires de favoriser des conditions de travail plus équitables, y compris la protection des travailleurs de l'industrie canadienne du vêtement.

L'ACDI devrait instaurer des programmes de sensibilisation du public et des consommateurs aux questions relatives aux droits de la personne dans le cadre de son Programme d'information sur le développement.

L'ACDI, conjointement avec les Affaires étrangères, devrait continuer d'encourager le dialogue entre le secteur privé, les groupes ouvriers, les gouvernements et les coalitions à base populaire. Ces tables rondes sont exemplaires, comme le soutien financier du Canada au Programme international pour l'élimination du travail des enfants de l'OIT, dont l'approche polyvalente se fonde sur le dialogue tripartite.

L'ACDI devrait porter l'aide ciblée visant à répondre aux besoins fondamentaux de la personne à 50 p. 100 de l'APD, objectif établi dans la Déclaration de Copenhague, et insister tout spécialement sur les besoins fondamentaux des enfants: enseignement primaire, soins de santé primaires et logement.

Enfin, puisque vous entendez des arguments favorables à l'adoption de restrictions à l'importation, de barrières commerciales, de lignes directrices sur le sourçage et de mesures en matière d'étiquetage, nous demandons à votre comité d'inviter Fair TradeMark Canada, qui s'est donné pour mission de faciliter l'accès des petits producteurs démocratiquement organisés aux principaux marchés canadiens, à lui soumettre un mémoire et à témoigner.

Merci beaucoup, monsieur le président.

Le président: Merci, madame Plewes.

J'ai oublié de mentionner que nous avons des exemplaires de ces exposés. Les membres du comité voudront peut-être consulter ces documents.

Deuxièmement, l'exposé de Mme Plewes a duré un peu plus de 10 minutes, ce qui est idéal et je demanderais aux autres témoins de se limiter eux aussi à 10 minutes, si possible.

Monsieur Mendes.

Le professeur Errol P. Mendes (directeur, Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne, Université d'Ottawa): Merci, monsieur le président.

[Français]

Je vais présenter ma conférence en anglais, mais j'essaierai de préciser mes idées en français pendant la période de questions.

[Traduction]

Mon exposé s'intitule «Le martyre des innocents: L'exploitation du travail des enfants en Inde». Ce document est le résultat d'une mission en Inde sur l'invitation de la Commission indienne des droits de la personne, en partenariat avec la Commission canadienne des droits de la personne et une autre ONG.

L'exemple de l'Inde nous montre avec éloquence que le scandale moral du travail des enfants dans les pays en développement n'est pas aussi simple à régler que nous le souhaiterions. Dans beaucoup de ces pays, les causes du problème sont plus ou moins les mêmes, soit:

Le fait que, dans la culture du pays, les enfants sont considérés par la famille et par la collectivité comme faisant partie intégrante des moyens de survie socio-économique.

Deuxièmement, une pauvreté implacable qui régit toute la logique de ceux qui en sont victimes: les familles nombreuses offrent de meilleures chances de survie économique, mais elles supposent un nombre plus grand d'exploités potentiels. Cela est particulièrement vrai dans les régions rurales, où l'on retrouve la très grande majorité des enfants qui travaillent, y compris dans des conditions d'esclavage.

.1730

Troisièmement, la détérioration de l'environnement dans les campagnes, ce qui engendre un exode massif vers les villes et une mort lente des économies rurales.

Quatrièmement, la désintégration, en raison de l'alcoolisme, du chômage, etc., des familles qui s'installent dans des villes surpeuplées, d'où l'apparition, par milliers, d'enfants dans des rues, qui travaillent ou qui se prostituent.

Cinquièmement, la naissance, dans les villes, d'industries d'exportation qui, fondées sur une production de masse en usine et sur l'utilisation de technologies exigeant peu de compétences, maintiennent leur compétitivité grâce à des salaires bas et à des normes de travail inférieures.

Sixièmement, le fait que le droit à l'enseignement primaire gratuit et obligatoire ne soit pas effectivement respecté, droit qui est inscrit dans les constitutions de bon nombre de ces pays, y compris l'Inde. Ce droit a récemment été inscrit dans la Convention sur les droits des enfants.

Septièmement, une discrimination à l'égard des petites filles qui est inscrite dans la culture.

Il est impossible de bien cerner statistiquement les paramètres du problème tels qu'ils se présentent en Inde. Une simple tentative dans ce sens exige au départ un certain nombre de définitions. L'OIT, par exemple, et, plus récemment, les normes dans la Convention sur les droits de l'enfant, ont pris comme norme l'enfant de moins de 14 ans qui exécute un travail mettant en danger sa sécurité, sa santé ou son bien-être. On peut aussi englober dans la définition toute exploitation de l'enfant à titre de substitut bon marché de travailleurs adultes. Ce travail empêche partiellement ou complètement l'enfant de s'instruire ou de se former, le prive de son enfance et détruit ses chances d'avenir.

Une statistique qui laisse deviner la profondeur du problème en Inde concerne le nombre d'enfants ne recevant aucune instruction scolaire structurée. En 1981, d'après le recensement effectué cette année-là, 179 millions d'enfants avaient le droit de fréquenter l'école alors que 13,59 millions étaient au travail et 99 millions fréquentaient l'école. Le reste, c'est-à-dire 66,72 millions d'enfants, ne figurent pas dans les chiffres. Beaucoup d'entre eux, peut-être la plupart, étaient au travail, en particulier ceux dont l'âge allait de 10 à 14 ans. Ces chiffres sont vraiment stupéfiants.

Cette situation existe en dépit des dispositions de la constitution indienne qui prévoient une instruction gratuite et obligatoire pour tous les enfants de moins de 14 ans - article 45 - et malgré les dispositions constitutionnelles et législatives interdisant le travail des enfants.

L'Inde est le pays du monde qui compte le plus grand nombre d'enfants ouvriers. Beaucoup sont employés dans des industries dangereuses. Pour vous montrer le martyre qu'on inflige à ces enfants qui travaillent dans des industries dangereuses, je vais vous donner quelques exemples qui m'ont été racontés par l'un des principaux activistes qui lutte contre le travail des enfants.

Les enfants qui travaillent dans des carrières de pierre et dans les industries de l'ardoise, respirent de la poussière de silicone, qui forme des taches de silice et réduit leur capacité d'absorber de l'oxygène. Dans un village où l'on mène ce type d'activités, on ne trouve pratiquement pas de personnes âgées. Près d'un tiers des personnes mariées ont perdu leurs conjoints. Les jeunes sont forcés de travailler pour aider leurs parents et leurs proches atteints de maladies mortelles, avant de mourir eux-mêmes étouffés à moins de 40 ans.

Dans les industries de la verroterie et du soufflage de verre, les enfants travaillent auprès de fournaises dont la température oscille entre 700 et 1 800 degrés Celsius. Souvent, ils sont forcés de travailler pendant 24 heures de suite, dans des vapeurs de cyanure et de silice, parce que les employeurs ne veulent pas gaspiller la chaleur des fours. La tuberculose est répandue et l'espérance de vie est faible. De nombreux enfants meurent lors d'accidents. On s'en débarrasse alors sans enquête, sans compensation et sans cérémonie.

Le cadre juridique en Inde - ou l'absence d'un tel cadre juridique - accroît le martyre de ces innocents. Les lois actuelles relatives au travail des enfants ont pour seul effet de modifier les conditions de ce travail, plutôt que de le supprimer ou de le réduire. Par exemple, les lois concernant les usines et les salaires minimums (Factories Act et le Minimum Wages Act) réglementent strictement le recours au travail des enfants dans les usines et les entreprises industrielles; les employeurs contournent leurs obligations légales en donnant du travail à contrat à des soi-disant maîtres-artisans qui emploient des enfants à domicile, sans crainte d'être poursuivis.

La sous-traitance permet également aux employeurs de falsifier leurs déclarations concernant la taille des lieux de travail et de violer les normes d'emploi. De plus, la corruption est très répandue parmi les inspecteurs du travail. Les gouvernements sont réticents à appliquer les dispositions relatives au travail des enfants, en raison du poids politique des employeurs et de l'attrait qu'exercent les devises étrangères apportées par les exportations de ces secteurs industriels. Le travail forcé représente une forme particulièrement pernicieuse de l'exploitation des enfants. Bien qu'illégale depuis 1947, cette pratique continue aujourd'hui.

.1735

Une loi de 1976 en prescrit l'abolition (Bonded Labour System Abolition Act) et prévoit trois ans d'emprisonnement et une amende pour ceux qui s'y adonnent. Pourtant, les puissants propriétaires terriens, en faisant en sorte que des hommes politiques leur soient obligés, arrivent à maintenir le système impunément.

On constate une féminisation croissante du travail des enfants, aussi bien dans les villes que dans les campagnes. Cette tendance s'explique par la tradition de discrimination à l'égard des petites filles pour ce qui est tant de leur classe au sein de la famille que de l'accès à l'instruction et à la formation. Les statistiques relatives au travail des petites filles ne sont pas fiables, car ces dernières sont souvent invisibles dans les données démographiques. Il est possible que la majorité des petites filles qui travaillent échappent au décompte parce qu'elles sont cantonnées dans des secteurs non productifs et certaines industries marginales.

Dans mon mémoire, je donne quelques exemples de réussites et d'échecs en Inde. Je voudrais attirer votre attention sur la réussite de l'État de Kerala. Comme le ministre l'a dit, cette réussite montre que le fait d'augmenter l'alphabétisation et la sensibilisation sociale à l'égard de la main-d'oeuvre enfantine sont des mesures extrêmement efficaces pour réduire la main-d'oeuvre enfantine, même dans des régions où il y a beaucoup de chômage et de pauvreté. Cela démontre que la pauvreté n'est pas nécessairement la seule et unique cause de l'exploitation du travail enfantin, et que les causes les plus profondes sont plutôt le manque de sensibilisation sociale et l'analphabétisme.

Pour ce qui est des domaines d'intervention possibles pour le Canada, dans mon mémoire j'en propose sept. Je vous laisse les lire vous-mêmes, puisque je n'ai pas beaucoup de temps, mais je veux attirer votre attention sur deux stratégies qui pourraient être particulièrement pertinentes étant donné les rares ressources dont dispose le Canada et la nécessité d'élaborer des partenariats et une collaboration.

À l'intervention numéro quatre, je dis que vous devriez aider le gouvernement, la société civile en Inde et les institutions nationales comme la Commission indienne nationale des droits de la personne, à faire enquête, tout particulièrement dans les industries dangereuses et dans le secteur agricole, pour ensuite diffuser les résultats de ces recherches auprès des collectivités concernées, de manière à sensibiliser ces sociétés à l'échelon local, national et international à ce qui doit être fait pour enrayer l'exploitation.

Il existe certaines industries dangereuses, par exemple celles du polissage des pierres précieuses, qui n'ont fait l'objet d'aucune enquête ni analyse quant aux éventuelles solutions à long terme susceptibles d'y remplacer le travail des enfants. Or, ce secteur compte parmi les secteurs fondés sur le travail des enfants qui rapportent le plus de devises étrangères.

Enfin, je voudrais lancer un défi à l'intervention numéro huit en disant qu'il est peut-être temps que le monde des affaires, la société civile et les universités mettent leurs forces en commun pour mettre en place et promouvoir, dans les secteurs industriels en Inde qui ont recours au travail des enfants, des technologies qui suppriment la nécessité de ce recours tout en améliorant la productivité et la compétitivité.

Lors de ma visite en Inde, j'ai constaté qu'il y avait des technologies qui demandaient très peu de compétences qui pourraient être facilement remplacées par des technologies de haut niveau que nous avons au Canada. Par conséquent, l'une des suggestions les plus importantes pour votre comité serait de réunir dans une conférence nationale les plus grands cerveaux de l'industrie, de la science et de la technologie des universités pour déterminer comment nous pourrions à la fois développer notre propre position commerciale en Inde tout en allégeant le problème de la main-d'oeuvre enfantine en Inde, par exemple, en remplaçant ces technologies qui demandent peu de compétences par des technologies de plus haut niveau.

Je tiens à conclure mon exposé en disant que parfois l'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine peut sembler être un problème qui est très loin des Canadiens, mais je dirais qu'il ne faut pas oublier que la famille est comme un arbre. Si on ne s'occupe pas des racines, qui sont les enfants du monde - et une grande partie des enfants de la planète se trouvent dans une autre région du monde - nous détruisons le tronc même de l'arbre qui représente la famille humaine.

Merci, monsieur le président.

[Français]

Le président: La prochaine présentation sera faite par M. Jean Rock Roy.

M. Jean Rock Roy (directeur des communications, Club 2/3): Monsieur le président, nous sommes très heureux, au nom du Club 2/3, d'être parmi vous devant ce comité.

Le Club 2/3 est un organisme d'éducation et de coopération internationale qui a vu le jour en 1970. Il a pris le nom du Club 2/3 parce qu'à ce moment-là, déjà plus des deux tiers de l'humanité étaient voués à l'appauvrissement progressif et à l'injustice sociale.

Ce sont des jeunes qui ont fondé ce club qui existe depuis 25 ans. Sa mission est orientée particulièrement vers ces jeunes, les jeunes d'ici et ceux du Tiers monde, qui représente les deux tiers de l'humanité. Nous parlons maintenant des trois quarts de l'humanité, mais nous ne changerons pas notre nom tous les ans. Cela signifie qu'il y a donc ici aussi des problèmes au niveau des jeunes, du travail et de l'appauvrissement progressif.

.1740

Voilà pourquoi, dans le premier volet de notre mission, nous nous dirigeons vers une sensibilisation et un éveil de la conscience des jeunes d'ici et d'ailleurs, de ce qu'on appelle le Tiers Monde par rapport au concept d'interdépendance mondiale. C'est dans ce sens que le Club 2/3 a favorisé la venue récente au Québec de Craig Kielburger sur la question du travail des enfants.

Ce n'était pas dans le but de lancer la pierre à d'autres pays ou à d'autres scandales qui existent ailleurs. C'était plutôt pour mettre la question devant les jeunes du Québec. Nous l'avons invité et il est venu rencontrer plusieurs étudiants dans plusieurs écoles. Il a exposé des situations exceptionnellement scandaleuses dans d'autres pays, ce qui a permis une sensibilisation du public.

Nous avons bien sûr cette mission d'éducation, dont je viens de donner un exemple. Nous avons aussi intégré des projets de développement à notre mission éducative.

Nous privilégions dans nos projets de développement et d'éducation la promotion et la lutte contre la pauvreté que vous avez tous, tant les témoins que le ministre, identifiée comme étant la source, la cause du travail des enfants.

Pour répondre à ces besoins, nous nous rendons sur le terrain. Nous sommes des praticiens et non de grands théoriciens. Nous n'avons pas beaucoup de sous pour faire d'énormes recherches. Voilà pourquoi nous sommes tellement reconnaissants à des organismes qui nous ont précédé et qui nous arrivent avec des statistiques très sophistiquées sur ces questions.

Nous nous trouvons cependant dans le coeur de l'action, et nous devons réfléchir au problème du travail des enfants. Par exemple, au Brésil ou à Manille, nous intervenons auprès des enfants de la rue. Nous les retirons souvent de la rue pour essayer de faire une réinsertion familiale et par la suite une réinsertion sociale. Et pour faire la réinsertion sociale, oh! quel malheur!, il arrive même que nous leur apprenions à travailler.

Nous, en coopération internationale, pensons qu'il existe un certain travail des enfants qui peut être un facteur d'intégration sociale. Il faudrait donc faire une distinction entre le travail libérateur des enfants et le travail opprimant. Bien sûr, nous ne faisons pas allusion au problème de l'esclavage des enfants. Lorsque les enfants sont exploités, nous le dénonçons avec beaucoup de vigueur et avec la même passion que toutes les autres personnes. C'est simplement pour montrer que sur le terrain, il est parfois beaucoup plus difficile de faire des choix concrets.

Quand nous réfléchissons aux solutions, nous nous attendons à ce que le ministère du Commerce extérieur et les échanges commerciaux entre les pays puissent présenter des normes renouvelées et des standards mieux ajustés. Il faudrait que cela se fasse vite, parce qu'après 50 ans d'échanges commerciaux, de travail bilatéral et d'aide au développement, il semble bien que les résultats ne soient pas des plus positifs. Il faudrait certainement que les réformes de standardisation de ces normes de travail soient faites très rapidement.

C'est pourquoi nous continuons à privilégier le travail le terrain. Nous mettons en contact les jeunes d'ici avec la situation des jeunes de là-bas. Ça tombe bien parce qu'ici aussi, beaucoup de jeunes sont obligés de travailler, dans notre beau pays du Canada et dans notre belle province de Québec, où nous sommes davantage présents.

On me révélait récemment qu'il y aurait quelque 30 p. 100 des enfants de 10 à 12 ans qui auraient déjà du travail au Canada. Il y aurait plus de 60 p. 100 des adolescents aux études secondaires qui travaillent. J'ignore si je dois donner mon plein assentiment à ces chiffres, mais il faut faire toujours attention à la poutre dans son oeil et à la paille dans l'oeil du voisin.

Nous travaillons au niveau de l'alphabétisation dans plusieurs pays. Nous travaillons aussi à libérer les familles de la pauvreté.

.1745

Nous pensons qu'il s'agit là très précisément des points d'impact et des points d'application les plus pointus de la solution du travail des enfants, c'est-à-dire la formation technique des enfants.

Le Canada doit, bien sûr, s'engager sur le plan juridique et législatif, et assumer un leadership s'il le peut. C'est peut-être un travail nécessaire, mais il ne faudrait pas qu'il serve d'écran de fumée ou de porte de sortie de côté pour faire oublier que, depuis quelques années, le Canada effectue des coupures radicales, continuelles et progressives dans les projets des ONG et les budgets de coopération internationale. Alors, on pourrait peut-être prendre le leadership sur la scène internationale au niveau des normes internationales du travail.

Les études que nous avons lues et que nous avons parcourues rapidement nous montrent qu'il y a beaucoup de standards internationaux. Le problème, c'est qu'ils ne sont jamais appliqués. Cela donnerait peut-être au Canada et au gouvernement canadien une très belle jambe sur le plan international, mais il ne faudrait surtout pas que ça devienne une belle jambe justifiant les coupures progressives du côté du développement. Il faudrait avoir le courage d'envisager des solutions très concrètes comme des barrières à l'importation des marchandises fabriquées à partir du travail des enfants. Il ne faudrait surtout pas que des ONG puissent rencontrer des enfants de pays en voie de développement qui travaillent dans des industries qui ont reçu des subventions de notre gouvernement. Ce serait pour le moins choquant, et le scandale serait double.

C'est sur ces réflexions prudentes que le Club 2/3 termine cette rapide présentation devant vous. Je vous rappelle encore notre difficulté à comprendre la cohérence gouvernementale qui prendrait le leadership sur le plan juridique et législatif, mais continuerait à couper les budgets de coopération internationale, alors que tout le monde semble indiquer que la solution est de ce côté. Merci.

Le président: Merci.

Monsieur Serge Fleury, de Jeunesse du Monde.

M. Serge Fleury (coordonnateur des programmes jeunesse, Jeunesse du Monde): Bonjour. Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier de nous avoir permis de nous exprimer sur ce sujet.

Je commencerai par faire une brève description de Jeunesse du Monde, de ses activités, de sa philosophie, et vous comprendrez rapidement où mes préoccupations m'amènent à l'égard des interpellations que nous adresserons au gouvernement du Canada quant à sa participation à des mesures concernant le respect des droits des enfants à l'échelle nationale et internationale.

Jeunesse du Monde est une organisation qui oeuvre, au Canada français, à l'éducation et à la solidarité internationale auprès des jeunes âgés de 12 à 30 ans. Chaque année, ce sont plus de 5 000 jeunes du Québec et des communautés francophones du Canada qui participent, à divers niveaux de l'organisation, à des activités d'information, d'éducation, d'intervention directe et de coopération. À leur tour, et de multiples façons, ces jeunes sont en lien avec d'autres organisations de jeunes au niveau international sur l'ensemble des continents.

À ce titre, sa vision de la jeunesse repose sur la conviction qu'alors que la moitié de la planète est âgée de moins de 25 ans, les jeunes doivent être considérés comme un acteur social majeur, tant au Canada que dans le reste du monde, dès à présent et pour l'avenir.

Au sein de Jeunesse du Monde, les enfants et les jeunes sont ainsi appelés à devenir des citoyens actifs, responsables et solidaires, chez eux et vis-à-vis du monde qui les entoure, dans leur milieu évidemment, dans leur communauté, leur pays, et également à l'échelle de la planète.

Les objectifs du mouvement s'articulent donc sur une compréhension du monde où les jeunes trouveront un terrain d'action et de changement social dans une perspective respectueuse de l'environnement, de la pluralité des populations, d'un développement durable et de l'amélioration des conditions de vie, tant au pays qu'à l'étranger. Cette approche repose sur la reconnaissance explicite des capacités des individus et des partenaires à se prendre en main et à contribuer à leur propre développement en harmonie avec leur société et avec le village global planétaire.

.1750

La collaboration et le partenariat respectueux et responsables sont également des pierres d'assise de l'action de Jeunesse du Monde avec ses partenaires tant canadiens qu'internationaux.

Les actions d'éducation, de formation et de coopération de Jeunesse du Monde sont basées sur une connaissance fouillée des enjeux internationaux et des problématiques mondiales. Jour après jour, elles s'axent sur des changements souhaités au plan des rapports multilatéraux et du développement international et local, dans le sens d'une meilleure compréhension mutuelle et de l'avènement d'une société plus juste par le rehaussement général de la qualité de vie de tous les jeunes du monde.

Une des originalités de Jeunesse du Monde repose en sa capacité à développer, en lien avec ses partenaires, des approches originales et innovatrices, jeunes diront certains, en réponse à divers problèmes sociaux. On a mentionné tantôt que les jeunes devaient être eux-mêmes interpellés dans la mise en place de solutions, et Jeunesse du Monde s'active depuis bientôt 40 ans à mettre en place des initiatives par les jeunes et pour les jeunes.

Cet engagement s'opère en mettant à contribution les acteurs directement concernés par une situation, en leur offrant un soutien et souvent également un rayonnement international original. À titre d'exemple, Jeunesse du Monde a su développer avec 12 organisations locales de trois pays et six villes sur trois continents, un projet visant l'exploration des activités de créativité et de développement de l'imaginaire par l'entremise d'activités liées au cirque, pour favoriser la réintégration sociale de jeunes de la rue de pays tant du Nord que du Sud.

Ce projet connaît présentement un rayonnement international majeur, alors que des organisations africaines et européennes, notamment, s'intéressent à l'approche développée et souhaitent l'implanter dans leur propre milieu.

C'est donc forte d'une vision constructive de la jeunesse et du développement international que Jeunesse du Monde vient témoigner de ses attentes à l'égard d'une politique étrangère du Canada concernant notamment la situation des droits des jeunes et des enfants.

Les attentes de Jeunesse du Monde s'articulent autour d'un certain nombre de points. Tout d'abord, elle a la conviction que ses problématiques et ses solutions ne doivent certainement pas être prises isolément.

On entend beaucoup parler de la question de l'exploitation des enfants comme étant une situation extérieure au Canada à l'égard de laquelle le gouvernement canadien devrait prendre des mesures d'ordre macroéconomiques ou des mesures d'ordre politique, mais à un niveau tout international et sans se soucier réellement de l'interpénétration de ces réalités-là à l'égard de la réalité d'ici et des pays en voie de développement.

M. Roy, qui me précédait, disait que 35 p. 100 des jeunes âgés de 10 à 12 ans seraient actifs sur le marché du travail. Ces données émanent du ministère de l'Éducation du Québec et qualifient la situation du Québec. Je ne crois pas qu'on puisse étendre aveuglément cette donnée à l'ensemble du Canada, mais il faut néanmoins convenir que la population québécoise est suffisamment importante pour sonner une alarme et, à tout le moins, soulever une interrogation à l'égard de nos décisions publiques.

Les données disent que 35 p. 100 des jeunes de 10 à 12 ans travaillent, et si on pousse cette étude jusqu'à l'âge de 16 ans, qui est l'âge de la scolarité obligatoire au Canada, c'est 60 p. 100 des jeunes qui sont actifs, d'une manière ou d'une autre, sur le marché du travail.

Il faut s'intéresser à ces données-là parce que, même si on ne peut faire de parallèle direct entre l'exploitation des jeunes dans les pays en voie de développement et la présence des jeunes Canadiens sur le marché du travail, il faut néanmoins constater que la participation des jeunes est à ce point massive ici qu'elle prend différentes formes. On a mentionné l'exemple des activités de camelot ou de petits travaux domestiques, et cela va jusqu'à l'autre extrémité du spectre de l'activité économique. Près de 10 p. 100 des jeunes travaillent plus de 30 heures par semaine tout en poursuivant des études. Il y a donc lieu de s'interroger grandement sur l'apport respectif du milieu du travail et du milieu de l'éducation quant au développement optimal d'un jeune.

À cet égard, Jeunesse du Monde tient à souligner certaines données qui sont peu connues, puisqu'une des questions du sous-comité consistait à demander ce que les Canadiens et les Canadiennes devaient savoir sur le travail des jeunes. Il faut savoir que le travail des jeunes Canadiens résulte souvent, et de façon moins documentée, en accidents de travail et qu'au cours des cinq dernières années, on a connu chez les jeunes au moins deux décès qui ont été formellement liés à l'exercice d'un travail.

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Je dis «au moins» parce que les données à cet égard sont difficilement accessibles et sont peu connues et reconnues. Il y aurait donc certainement lieu de fouiller la documentation sur cette réalité dans la perspective de soulever une interrogation à la fois sur notre réalité d'ici et sur l'interprétation qu'on en fait qui, à mon avis, peut également nous amener à nous repositionner sur le rôle qu'on souhaite jouer au niveau international.

Pour Jeunesse du Monde, il est important de positionner les besoins des jeunes et d'offrir une réponse plus globale aux besoins des jeunes. On a soulevé la question de la pauvreté et celle de la participation à titre d'intégration culturelle et sociale des jeunes à une société qui est la leur. Il est important pour Jeunesse du Monde de s'assurer que ce travail-là puisse s'effectuer dans des conditions qui soient acceptables pour les jeunes.

Le message que nous venons livrer aujourd'hui ne se veut pas une ligne dure à l'égard du travail des enfants.

À notre avis, l'opposition travail-éducation est une fausse opposition. On souhaite - et c'est un peu la teneur des débats qu'on entendait tout à l'heure - abolir le travail des jeunes alors que, pour nous, ce qu'il faut décoder face à cette situation, c'est que les jeunes, par le travail tout comme par la poursuite d'un processus éducatif, souhaitent explorer des passerelles d'intégration à la société civile et à la société active.

Oui, il faut s'alarmer des situations limites, des situations critiques, mais il faut surtout se questionner sur la valeur qu'on entend promouvoir de l'une et l'autre des solutions, du travail ou de l'éducation, et surtout sur les correspondances qu'on peut faire entre l'une et l'autre.

Souvent, on constate ici, et je ne sais pas si cela peut être étendu à la situation dans les pays en voie de développement, que l'exploration du travail en même temps que la poursuite d'études est une façon d'assurer ses arrières. On n'a plus confiance en un système exclusivement éducatif comme étant une voie d'avenir. On veut dès à présent s'offrir à soi-même et offrir à sa famille un minimum de sécurité ou d'amélioration de qualité de vie et de mieux-être. C'est donc dans ce cadre-là que des stratégies de travail et d'apprentissage se développent chez les jeunes.

Selon nous, le gouvernement canadien devrait certainement revoir les arrimages entre le travail et l'éducation par le développement d'une politique active de main-d'oeuvre, notamment ici, aux niveaux local et national, pour prévoir des passerelles efficaces entre le monde de l'éducation et le monde du travail, pour offrir des alternatives respectueuses de l'une et l'autre de ces réalités, puisque l'une et l'autre font partie d'une exploration, d'un développement et de l'acquisition de compétences chez les jeunes.

Des études qui ont traité de l'alternance études-travail ont démontré que, d'une part, cette méthode permettait de contrôler les conditions dans lesquelles un travail pouvait s'exprimer, et pouvait également donner au monde du travail une fonction éducative que les jeunes ne reconnaissent pas actuellement dans leur expérience du travail puisqu'ils se retrouvent souvent dans des sous-secteurs du travail.

À notre avis, l'exploration de normes nationales à cet égard pourrait avoir un impact au niveau international puisque, ce faisant, un message serait adressé à la communauté internationale quant à une optique du travail et de l'éducation et à la valeur de l'une et l'autre de ces sphères d'activités.

La responsabilité des employeurs est également capitale. Le gouvernement canadien doit les mettre à contribution de la façon la plus engageante possible. On a débattu un peu plus tôt de la notion de participation volontaire à l'égard des employeurs. Je pense qu'en matière d'exploitation abusive des enfants, il y a lieu de mettre en question l'engagement volontaire.

Par ailleurs, lorsqu'on pense à un rehaussement de la qualité de vie et à l'amélioration de conditions dans l'exercice de travail, une implication volontaire et amorcée par les employeurs eux-mêmes est certainement une façon intéressante mais non exclusive de mettre à contribution les partenaires que sont les employeurs à l'égard du travail des jeunes et des adolescents.

Il est important que nous offrions des alternatives valables aux jeunes. Nous déclarons et affirmons que la fonction première du jeune est de vivre sa jeunesse. La question, selon nous, ne doit pas se résumer au droit à un travail ou au droit à l'éducation, mais surtout au droit à une enfance et au droit à une jeunesse.

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Il est donc capital pour nous de reconnaître un droit à la créativité, à l'imaginaire, à l'exploration.

Les ONG doivent également être soutenus dans le développement de l'alternative-terrain concrète à offrir aux jeunes, pas uniquement dans la perspective d'offrir un travail non abusif, mais également dans celle d'offrir des alternatives d'éducation, d'apprentissage, de formation et surtout d'exploration des capacités, des compétences et des connaissances personnelles, collectives et communautaires des jeunes et de leur milieu, peu importe le pays dans lequel ces activités doivent se développer.

Jeunesse du Monde, tout comme le Club 2/3, s'inquiète du recul de l'engagement financier du gouvernement canadien au soutien des initiatives des organismes non gouvernementaux. Pour nous, il s'agit d'un double discours puisque, d'une part, le Canada se fait un porte-étendard de la Convention relative aux droits de l'enfant et que, d'autre part, il se retire souvent d'interventions directes à l'intention de ces enfants sous prétexte que ces interventions ne répondent pas à des critères d'utilité, de rentabilité et de productivité. Ces facteurs prédominants stimulent l'intégration des jeunes au marché du travail, mais cela dégénère souvent en exploitation de ces enfants.

Donc, selon nous, un des premiers devoirs du gouvernement canadien est de réviser ses interventions en termes de soutien aux organismes non gouvernementaux, en termes de soutien à l'aide internationale pour le financement d'activités concrètes-terrain pour offrir des alternatives aux jeunes, non seulement en matière d'éducation mais également en termes d'emplois et surtout d'exploration d'activités autres, notamment liées à la créativité, d'activités qui soient significatives au point de vue de la communauté sans nécessairement répondre à des impératifs de production, de productivité ou de rentabilité.

J'aimerais terminer en relevant un des arguments qu'on a entendus précédemment quant à l'emploi des plus jeunes. On a souvent le réflexe d'opposer leur emploi à l'emploi des personnes plus âgées, soit des jeunes adultes ou même des adultes, en disant qu'il faut essayer de sortir les jeunes de ces emplois car ces emplois sont autant d'emplois qui ne sont pas occupés par des adultes.

Il faut être réaliste. Cet emploi qui est actuellement occupé par un jeune ne serait pas forcément occupé par un adulte, en tout cas certainement pas dans les conditions dans lesquelles le jeune travaille actuellement. Donc, si on veut interpeller la question de l'exploitation des enfants, il ne faut pas opposer l'activité des enfants à l'activité des adultes, mais en parler en termes des conditions dans lesquelles cet emploi peut et doit s'effectuer, surtout dans la perspective de l'intégration des jeunes à une vie active, à une vie communautaire et à une vie familiale et sociale.

En terminant, je voudrais vous rappeler que, pour Jeunesse du Monde, il est important que les jeunes soient eux-mêmes les acteurs premiers, à la fois de leur développement et du développement de leur communauté, non seulement dans une perspective d'avenir, parce qu'évidemment les jeunes sont une force en devenir, mais aussi actuellement, et cela peu importe leur âge. On a trop souvent tendance à attendre l'âge de la majorité pour reconnaître aux jeunes une participation active à la société, alors que dans les faits, cette participation s'opère déjà maintenant par le travail et par toutes les autres activités qui sont développées par les jeunes.

À ce titre, il est primordial pour Jeunesse du Monde et pour certains de ses partenaires que la jeunesse et l'enfance soient reconnues comme une population cible prioritaire pour l'ensemble des activités du gouvernement canadien, tant au pays qu'à l'international.

Merci beaucoup.

Le président: Merci. Et maintenant, de l'organisme Défense des enfants internationale, monsieur Tremblay et madame Bernier.

M. Jacques Tremblay (représentant, Défense des enfants internationale): Bonjour. Ne vous découragez pas. Je suis le dernier à vous proposer une réflexion qui, je vous préviens, est une réflexion en cheminement.

Je m'excuse de ne pas avoir pu déposer de texte pour accompagner ma présentation, mais celui qui vous sera envoyé dans quelques jours sera heureusement enrichi de tout ce que nous aurons vécu ici en cette fin d'après-midi.

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Défense des enfants internationale est une organisation qui est engagée dans les débats sur le travail ou l'exploitation des enfants au travail depuis bon nombre d'années. Je relisais récemment des positions de Défense des enfants internationale qui avaient été proposées lors d'un congrès en 1985, positions qui vous seront présentées ces prochains jours.

Je pourrais citer, par exemple, le lien qu'il faudrait établir entre la pauvreté et l'exploitation des enfants au travail, la nécessité de s'ouvrir à des formules adaptées à la situation des enfants qui doivent combiner le travail rémunérateur pour répondre à leurs besoins de survie et des pratiques éducatives pour répondre à leurs besoins de développement. Tout cela a déjà été évoqué à maintes reprises.

Nous avons aussi évoqué très souvent notre déception à propos du manque de moyens, depuis une quinzaine d'années, pour soutenir de petits projets qui ne coûtent presque rien mais qui rapportent beaucoup. Nous avions déjà proposé ce genre d'action.

Il est indispensable que les acteurs engagés auprès des enfants, comme les acteurs gouvernementaux, intergouvernementaux et institutionnels, se concertent.

En 1985, on a vu l'importance d'amener cette question du travail des enfants à la table de ceux qui étaient en train d'élaborer la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant. Il est donc extrêmement important de mener des actions concrètes sur le terrain, même si elles sont parfois très modestes, et de travailler en même temps au niveau des normes et de la superstructure politique de gestion des conditions d'exercice des droits des enfants.

On a vu ce qui s'est passé en 1985 et il est probable que 10 ou 15 ans plus tard, vous allez réfléchir sur les mêmes problèmes. J'espère que vous le ferez habilement et, surtout, que vous serez entendus.

Une idée me vient à l'esprit concernant les différentes situations vécues par les enfants au travail et que m'inspire la conception que j'ai de la Convention relative aux droits de l'enfant.

Il y a deux types d'enfants exploités, ou il y a deux maux à l'origine de l'exploitation des enfants au travail. Le premier est, je dirais, intemporel, parce qu'il n'est pas lié à la conjoncture économique; il n'est pas lié à la situation de pauvreté qui afflige un bon pourcentage de l'humanité. Il est plutôt lié à la perception que l'on a de l'enfant: c'est un être humain ou ce n'est pas un être humain. Pour certains, c'est un sous-être, parfois même un non-être. Partout où ce phénomène peut être observé, dans un pays riche ou dans un pays pauvre, on doit attaquer ce problème à sa source. Ce n'est pas un problème économique, mais un problème de vision, de perception, de respect de la personne humaine. La plupart des situations les plus aberrantes que l'on voit à travers le monde, au niveau de l'exploitation des enfants, sont liées à cette perception de l'enfant selon laquelle ce n'est pas un être humain.

On a évoqué la situation des castes, par exemple, tout comme la situation de certaines cultures traditionnelles. À cet égard, je pense que l'intervention du Canada devra être d'apporter le plus judicieusement possible le message de la Convention relative aux droits de l'enfant selon lequel il ne faut pas identifier l'enfant à partir d'une préoccupation unique: le travail, l'école, la santé ou la famille. Cette convention a l'immense avantage de présenter l'enfant comme une globalité, comme un être qui a toutes sortes de besoins et surtout comme un être qui est en évolution, un être qui chemine du berceau jusqu'à l'âge adulte.

Plus le Canada soutiendra la diffusion, la compréhension, l'adoption et l'intégration du message de la Convention dans les pays où l'on observe des situations aberrantes, plus son intervention sera justifiée.

L'autre mode d'exploitation des enfants, c'est celui lié à la conjoncture. Il est bien évident que l'exploitation des enfants au travail et la pauvreté vont de pair.

Je disais que la Convention relative aux droits de l'enfant nous offre une certaine vision de l'enfant. La vision que l'enfant est un être en développement est celle que Défense des enfants internationale essaie de véhiculer. L'enfant n'est pas un être en situation de production; c'est d'abord un être en situation de développement personnel et social. C'est cette conception qu'il faut véhiculer en priorité.

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L'enfant peut travailler. La Convention ne le lui interdit pas, loin de là, mais elle suggère que ce soit par choix et non pas par obligation. Ce que la Convention dit par ailleurs, c'est que l'obligation d'assurer à l'enfant une survie matérielle, sociale, intellectuelle et morale incombe d'abord aux parents. Finalement, c'est en renforçant le rôle des parents et leur capacité d'assumer leur rôle que le Canada ira dans une bonne direction. Dans un deuxième temps, c'est en assumant la capacité des pays, des États à aider et soutenir les parents dans ce rôle-là qu'on va y arriver.

La Convention dit que cela va se faire en respectant les conditions nationales et les moyens de chaque pays, et c'est là que le problème est, à mon avis, de plus en plus dramatique aujourd'hui. Lorsqu'on parle des conditions nationales qui doivent pondérer un peu la vision qu'on a de l'exercice des droits des enfants, on se retrouve dans des conditions qui sont, partout dans le monde et même au Canada, en situation de détérioration considérable. La lutte à l'endettement, nos stratégies de rationalisation, de réductions et de coupures font en sorte que nos conditions nationales de bien-être sont en train de dégringoler. Les transferts vers les provinces à des fins de dépenses sociales diminuent. Les coupures s'observent partout dans l'éducation et dans la santé.

Nous vivons, nous, pays riches, une situation où nos conditions nationales sont en train de se détériorer et où nos moyens sont de moins en moins substantiels. On n'a plus d'argent et il faut couper. Cela se traduit naturellement par des coupures dans l'aide internationale et dans les dépenses intérieures.

Je suis persuadé que c'est le moment de mettre le doigt sur la situation ou sur l'enjeu de la mondialisation de l'économie. M. Paré en a parlé tout à l'heure. On a souvent tendance à évacuer cette dimension lorsqu'on parle du travail des enfants parce qu'on voit le travail des enfants comme la négation de leur situation d'être humain. À ce moment-là, on ne se préoccupe pas de la conjoncture.

Mais il y a aussi l'autre volet de la mondialisation de l'économie, dont la première caractéristique est de réduire considérablement la marge de manoeuvre de l'État dans la définition de ses règles du jeu intérieures et au niveau de l'économie et, par conséquent, au niveau de ses politiques sociales. On ne parle plus de politiques sociales universelles désormais. On parle de filet de sécurité pour ceux et celles qui sont dans des situations tellement dramatiques qu'il faut qu'on intervienne.

Mais cela n'empêche pas toutes les conséquences que subissent l'ensemble des familles, parce qu'il y a de plus en plus de personnes mises au chômage à l'âge adulte, de plus en plus de femmes monoparentales sans ressources, de plus en plus de personnes marginalisées parce qu'incapables de s'inscrire positivement dans le marché du travail. Tout cela est bien dommage, car tous ces gens-là ont des enfants. Ce sont eux qui paient. C'est la multiplication de ces enfants en situation précaire qui amène la multiplication des enfants qui travaillent, souvent par choix, mais c'est plus souvent un choix forcé qu'ils ne feraient pas s'ils n'avaient pas à le faire.

Si vous pouvez vous rendre compte de ce qui se vit au niveau canadien, vous pouvez imaginer ce qui se vit au niveau des pays en développement aux prises avec des mesures d'ajustement structurel ou des mesures de paiement de leur dette. Le Canada et d'autres pays ont beau leur faire un petit cadeau de temps en temps, il demeure que ces États sont dans une conjoncture où ils n'ont plus ni les moyens d'entreprendre des politiques économiques ni les moyens de conduire des politiques sociales. C'est d'ailleurs un effet de la conjoncture de la mondialisation.

Un autre effet de la conjoncture de la mondialisation est plus propre aux enfants: c'est la mondialisation d'un mode de consommation. Il s'agit d'un volet un peu plus pernicieux. Il n'y a pas un enfant au monde qui ne rêve d'avoir un baladeur, même s'il est dans le fond de la brousse, au Brésil ou en Afrique parce qu'il sait que ça existe, pas un enfant qui n'ait le goût de boire du Coca-Cola, qui ne veuille des espadrilles Nike. Cette espèce de mondialisation d'un concept de consommation vient s'ajouter à la situation objective des enfants, dans bien des pays du monde, qui ont besoin de travailler.

Ils n'ont plus besoin de travailler seulement pour répondre à leurs besoins immédiats, mais aussi pour répondre à la pression de leurs pairs et se conformer à l'image qu'ils se font du confort et de la réussite. C'est une dimension qui doit préoccuper toutes les entreprises dans les stratégies qu'elles implantent. On pense particulièrement aux entreprises du tabac qui ont développé toute une stratégie pour envahir le marché du Tiers monde au niveau des jeunes. En effet, si on développe le goût de la nicotine chez les jeunes de 10 à 13 ans partout dans le monde, vous pouvez imaginer ce que cela pourra rapporter à terme.

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Il faut donc être très attentifs à ces stratégies, à la fois au niveau de la production et à celui de la consommation, parce que ça dénature les besoins. Quels sont les vrais besoins des enfants? Est-ce que c'est consommer ou se former? Si on revient à la base, qui est la Convention, le jeune âge est une période où la valeur prépondérante est le droit à la formation, à l'éducation et au plein développement des potentialités de l'enfant. Cet effet de la mondialisation de l'économie n'est pas à sous-estimer.

Il ne suffit pas de multiplier les initiatives ponctuelles que l'on trouve charmantes ou extraordinaires. Il faut aussi imposer certaines règles de pratique économique qui vont contrer en quelque sorte la domination de l'hypercompétitivité, qui conduit, comme on peut le constater, au chômage, aux suppressions d'emplois et à la maximisation des profits pour une petite minorité de personnes, généralement au niveau des appareils financiers, des holdings et des grandes sociétés. Si le gouvernement canadien ne s'insère pas dans ce débat, on risque de laisser la situation se détériorer pour je ne sais combien d'années encore.

Je vais terminer par un parallèle que vous trouverez peut-être un peu osé avec l'époque de la révolution industrielle au XIXe siècle. Il est vrai que cette révolution industrielle, à l'époque où il n'y avait pas vraiment d'État interventionniste, a apporté beaucoup de bien-être, de nouvelles richesses et la simplification des modes de production. On pourrait comparer cela à la mondialisation d'aujourd'hui en disant que cela a apporté beaucoup de richesses à l'humanité, mais il faut dire aussi qu'il y a eu 60 ans d'exploitation, de malheur et de détérioration de la classe ouvrière de l'époque et qu'il a fallu 30 ans de soulèvements, de grogne et d'organisation pour que, finalement, le gouvernement décide de définir des règles s'appliquant aux conditions de vie et de travail des enfants. La première a été qu'il n'y ait plus d'enfants dans les mines la nuit.

Au XIXe siècle, les enfants sont ceux qui ont été les plus malmenés par cette espèce de merveilleux développement économique contrôlé par les chevaliers de l'industrie, comme on disait, où les capitaux contrôlaient tout. Maintenant aussi, la mobilité de ces capitaux et des profits échappe à tout le monde, en particulier à tous ceux qui pensent avoir de l'autorité et du pouvoir. On ne sait pas comment rattraper ces richesses inouïes qui ne servent qu'à enrichir quelques personnes et, pendant ce temps-là, on se débrouille avec nos réductions de budget, nos obligations de coupures, nos responsabilités, etc. Faudra-t-il attendre que la situation des enfants empire? On a, en effet, de plus en plus d'enfants qui sont en situation d'aller sur le marché du travail. Donc, de plus en plus d'enfants vont être exploités de façon aberrante parce qu'on n'a pas de moyen de contrôle structurel. Peut-être faut-il être fataliste, et je le suis parfois. Peut-être faut-il, comme au XIXe siècle, laisser se détériorer complètement la situation, le politique ne sachant pas comment agir.

Si le Canada agit unilatéralement, nous risquons de perdre nos entreprises qui vont aller s'implanter ailleurs, ce qui n'aidera personne. Il faut donc une stratégie internationale, mondialisée. Il faut créer une instance de gouvernement quelconque, et on continue à y réfléchir. Nous espérons que vous pourrez réfléchir là-dessus aussi parce que nous devons nous attaquer à deux sources de maux: la perception de l'enfant, dans un cas, et la conjoncture qui condamne une quantité de plus en plus importante d'enfants à travailler, et non à le faire juste par choix.

Je terminerai en disant qu'au Canada, l'article 32 de la Convention relative aux droits de l'enfant n'est pas respecté partout. Au Québec, notamment, il n'y aucune règle qui gère ça. Je vous remercie.

Le président: Merci, monsieur Tremblay. Est-ce que vous avez des questions, madame Debien?

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Mme Debien: Je dirais que l'intervention de M. Tremblay m'a particulièrement touchée. Je ne sais pas si vous connaissez le Groupe de Lisbonne, mais ce que vous avez énoncé s'insère très bien dans la théorie du Groupe de Lisbonne. C'est une observation que je fais, et non une question que je pose. J'irais même encore plus loin que vous en disant que dans nos sociétés dites évoluées, la course à la performance physique ou intellectuelle, la course à la compétitivité est aussi probablement une forme d'exploitation des enfants. C'est l'observation que je voulais faire.

Le président: Merci, madame Debien.

Monsieur Paré.

M. Paré: J'aurais une question à poser. Je ne sais pas si Mme Plewes et M. Mendes pourront y répondre.

Mme Plewes: Je m'excuse, mais je dois partir dans cinq minutes.

M. Paré: Au fond, je m'interroge. Je suis content que le dernier intervenant ait attaqué de front tout le problème de la mondialisation, du libre marché et de la compétitivité, parce qu'il y a là un leurre absolument extraordinaire dans lequel les politiciens de tous les pays ont l'air de tomber, en tout cas les politiciens des pays développés, sans y porter une grande attention. Or, il me semble que ces notions ne datent pas d'hier.

On a sans doute des statistiques qui pourraient démontrer qu'en particulier dans les pays en voie de développement, croissance économique n'est pas nécessairement synonyme de développement économique. Si on prend le produit intérieur brut et qu'on le divise par le nombre d'habitants, ça donne un chiffre, mais celui-ci ne tiendra pas compte du fait que les riches sont de plus en plus riches et que les pauvres sont de plus en plus pauvres. Est-ce qu'on pourrait utiliser certaines données pour réveiller les gens qui sont au pouvoir?

M. Roy: Vous me permettrez d'essayer de répondre à cette question. Il est évident que présentement, le système économique est pris entre deux positions. Il y a la position du système économique planifié, c'est-à-dire le plan, naguère illustré par l'économie russe, et il y a le libre marché. L'économie russe étant plus ou moins tombée, il y a eu une autofécondation des deux, ce qui fait que si on veut caractériser l'économie de marché, on peut dire que c'est donnant donnant, à savoir je te donne 2 $ et tu me donnes une chemise. En fait, je fais un don à quelqu'un pour satisfaire mon propre besoin. C'est un don volontaire alors que l'autre est un don obligatoire. Je donne à l'État l'impôt qui est, par exemple, un don obligatoire de chacun pour combler les besoins des autres.

Mais la majorité des gestes économiques qui sont posés dans une société ne répondent pas du tout à ces deux formes d'échange économique. Quand une mère de famille se lève le matin pour mener ses enfants à la garderie ou pour donner quelque chose à son fils, elle fait un don volontaire selon le besoin de l'autre. Mais cet échange économique n'est jamais quantifié. Évidemment, on a le régime de la compétitivité qui équivaut au libre marché. Maintenant, évidemment, puisque le plan soviétique a échoué, le monde entier est livré à la débandade absolue du libre marché et on en reste là.

Je pense qu'il faudra évidemment, et le Groupe de Lisbonne avait bien raison, madame, établir qu'il s'agit d'une impasse.

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Voilà pourquoi je me pose toujours des questions. Est-ce que notre gouvernement doit privilégier des ententes internationales au niveau du libre marché? On le fait et ça aura toujours des conséquences catastrophiques puisqu'on ne regarde que son besoin personnel.

Il y a des systèmes économiques réels et des écoles économiques qui soutiennent cela. Serge Christophe Kohm a des séries de livres qui montrent que le système économique basé sur la réciprocité générale, qui serait d'ailleurs une espèce de contrepartie économique de la fameuse relativité générale d'Einstein et qui reposerait sur la quantification des besoins et les échanges volontaires selon le besoin des autres, pourrait régler en grande partie les problèmes qui se posent.

Je dis donc qu'il faut faire attention de ne pas se ridiculiser sur le plan international en donnant un semblant de structure juridique ou législative à un commerce sauvage, à des échanges commerciaux sauvages, tandis qu'on va couper systématiquement et progressivement dans des tentatives d'échanges économiques, de coopération internationale, d'ONG, qui, eux, fonctionnent uniquement sur cette espèce d'économie de réciprocité générale. Lorsqu'on s'associe à un partenaire africain pour essayer de construire une école, on ne fait pas de compétition. Quand on arrive en Afrique, on ne se demande pas ce qu'on peut y gagner. On leur demande ce dont ils ont besoin. Nous, les ONG, pratiquons la réciprocité générale. Voilà pourquoi le double langage doit être dénoncé.

[Traduction]

Le président: Madame Plewes, vous devez partir alors peut-être pouvez-vous dire un dernier mot.

Mme Plewes: Si les statistiques pouvaient changer le monde, nous aurions déjà changé. Il y a énormément de statistiques du PNUD et de l'Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social qui montrent les effets négatifs et marginalisants des processus actuels. C'est pourquoi nous disons qu'il faut renforcer les États - le secteur public - et la société civile afin d'équilibrer ce secteur privé, ce troisième secteur, avec le secteur public et mettre en place une stratégie de développement cohérente.

Je pense qu'il est très évident ici que nous n'allons pas résoudre ces problèmes de main-d'oeuvre enfantine et améliorer la créativité et la vie des enfants uniquement grâce aux ONG, grâce à l'action du gouvernement ou celle du secteur privé. Il faut une stratégie globale. C'est pourquoi j'aime l'idée présentée par M. Axworthy - nous espérons que M. Pettigrew nous en parlera davantage demain - de choisir deux ou trois domaines où le Canada pourrait conclure des accords avec des pays. Nous pourrions ainsi apprendre collectivement à mieux nous y prendre dans ce domaine.

J'aimerais souligner qu'à mon avis, ce serait pour les Canadiens une façon efficace de partager son expérience dans ces trois secteurs. Nous travaillerions selon le principe de réciprocité plutôt que de dire aux gens qu'ils s'y prennent mal et que nous allons leur montrer comment changer. Nous travaillerions en collaboration avec les ONG, le secteur privé et les gouvernements des pays de l'hémisphère sud.

Le président: Merci, madame Plewes.

Professeur Mendes, je crois que vous aviez levé la main.

Le professeur Mendes: Je crois que nous nous éloignons de l'époque des entités nationales indépendantes pour aborder l'ère de l'interdépendance des entités nationales partout au monde.

La raison en est surtout l'internationalisation des facteurs de production soit les capitaux, la main-d'oeuvre et les autres intrants. Essentiellement, nous avons sous les yeux une vaste piste de course économique à l'échelle internationale où l'économie qui progresse la plus vite est celle qui a accès à la fois aux intrants les moins chers et au maximum de capitaux en provenance de tous les coins de la planète.

Pour le moment, cela se passe dans les économies de l'Asie et de l'Asie du Sud-Est. Cependant, comme l'économiste Paul Krugman l'a noté, nous sommes en présence d'une grosse bulle. Voici où nous pouvons probablement faire entrer en ligne de compte certaines de nos stratégies en matière de main-d'oeuvre enfantine. Par exemple, Krugman nous dit que cette dépendance envers les intrants à bon marché assortie d'un influx de capitaux internationaux ne peut pas durer et c'est pourquoi nous constatons une diminution de la croissance de certaines économies de pays de l'Asie du Sud-Est.

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Le cas de la Malaysie nous prouve que ce genre d'économies doit se transformer en économies fondées sur une diversité d'industries ou sur les industries à haute technologie et pour cela il faut s'éloigner du genre d'industries qui comptent sur la main-d'oeuvre enfantine.

Il faut donc nous demander comment nous pouvons aider certains de ces pays à planifier leur avenir au niveau du développement de leurs ressources humaines pour leur permettre de s'éloigner de ce modèle économique fondé sur les intrants à bon marché pour le remplacer par un modèle qui compte sur la diversité des technologies.

À mon avis, la raison capitale de l'existence de ce phénomène c'est que nous nous éloignons d'un monde où l'indépendance fait place à l'interdépendance.

M. Godfrey: J'aimerais revenir à ce que M. Mendes a dit pendant sa présentation. Mme Plewes a aussi parlé de l'Inde.

Il me semble qu'il est très difficile pour nous de parler dans l'abstrait d'un grand nombre de pays puisque les conditions varient tellement. Nous avons reçu des témoins la semaine dernière qui nous ont parlé de la main-d'oeuvre enfantine en Birmanie et au Viêt-nam, par exemple. Dans le cas de ces modèles économiques, je crois qu'il serait très difficile de réaliser des progrès dans le dossier de la main-d'oeuvre enfantine.

Il me semble qu'un pays comme l'Inde... Tout d'abord, c'est probablement là que se trouve la plus grande concentration de main-d'oeuvre enfantine au monde. Deuxièmement et malheureusement, ce problème ne semble que croître malgré ce que le ministre, M. Axworthy, nous a dit à propos de l'efficacité de nos institutions internationales. Peut-être ont-elles servi à ralentir le taux de croissance. Troisièmement, c'est un pays avec lequel nous entretenons des relations par l'entremise du Commonwealth. C'est un pays démocratique. C'est un pays avec lequel nous entretenons énormément de relations par l'entremise d'ONG et de tout le reste.

J'ai peut-être été un peu déçu quand vous avez parlé de certaines choses qu'on pourrait faire, monsieur Mendes, vers la fin de votre présentation. C'est peut-être parce que je n'ai pas vu la quadrature du cercle, en quelque sorte, où l'on aurait trouvé une concordance entre les gestes...

Prenons l'Inde comme cas type. Que doivent faire les membres du Parlement que nous sommes pour encourager le dialogue entre les gouvernements en nous servant des ONG pour changer une conscience sociale grâce au mouvement syndical? Comment prioriser cela? Faudrait-il commencer avec les substances dangereuses puisque je crois que cela fait déjà partie d'un accord? Faudrait-il s'attaquer à la question de la prostitution enfantine?

Il me semble que l'Inde serait un succès éclatant si nous pouvions atteindre nos objectifs grâce à la réciprocité plutôt que de continuer sur notre lancée. Je crois - et c'est peut-être là le premier élément d'une amorce de réponse - que le plus difficile serait peut-être de réaliser une conscientisation sociale en Inde de façon à ce que se crée une volonté politique qui amènerait tous les autres changements.

La question a été longue.

Le professeur Mendes: Dans deux minutes, je vous explique la quadrature du cercle.

Vous avez tout à fait raison pour l'Inde. Si, comme certains le soupçonnent, la main-d'oeuvre enfantine se chiffre à plus de 60 millions d'enfants, cela dépasse largement le total pour le reste du monde. L'Inde représente le plus grand défi dans ce domaine. Cela dit, on ne doit pas oublier que l'Inde est un pays d'énormes paradoxes. N'oublions pas que ce pays a aussi le plus grand nombre de scientifiques par habitant au monde. À vrai dire, l'Inde les exporte partout au monde. L'Inde, comme nous l'avons vu au cours des siècles, a toujours posé des défis et des paradoxes énormes pour le reste du monde.

Quant à ce que peut faire le Canada pour résoudre la quadrature du cercle, je crois qu'il faut encore faire un parallèle avec les tendances chez nous. Au niveau multilatéral, nous pourrions concerter nos efforts pour trouver ces principes que l'Inde et le Canada ont en commun, comme la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant et l'accord pour éliminer la main-d'oeuvre enfantine et les industries dangereuses.

Cependant, il nous faut dépasser l'étape des principes. Question d'unité nationale et de constitution, on peut toujours avoir des principes nationaux, mais il faut quand même les mettre en oeuvre ou prévoir la possibilité de ce qu'on appelle la subsidiarité. Cette subsidiarité ne peut s'accomplir que grâce à des méthodes de mise en oeuvre décentralisées comme, par exemple, par l'entremise des ONG en Inde, par l'entremise des ONG au Canada en partenariat avec les ONG en Inde et par l'entremise d'institutions nationales comme la Commission des droits de la personne en Inde.

Vous avez mis le doigt en plein dessus. Les meilleurs résultats pour notre dollar à la valeur sans cesse décroissante, nous les obtiendrons en essayant d'encourager partenariats et collaboration qui serviront à conscientiser la société en faisant valoir l'importance de l'éducation des enfants, en veillant à l'application du droit constitutionnel à l'instruction élémentaire gratuite et obligatoire en respectant ces valeurs. L'Inde reconnaît absolument que ce sont là les droits fondamentaux des enfants, mais il y a beaucoup à faire avant que ces désirs ne deviennent réalité. Que cela nous plaise ou non, il ne faut pas oublier que la valeur de notre dollar ne fera que diminuer et nous devons donc trouver quel investissement nous rapportera le plus. À mon avis, c'est en aidant nos collègues indiens à conscientiser leurs concitoyens dans ce domaine.

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Le président: Monsieur Martin.

M. Martin: Monsieur Mendes, j'ai deux petites questions. Je crois que vous avez mis en plein dans le mille dans un domaine bien important que l'on n'aborde pas de peur d'offusquer, pourrait-on dire. Il s'agit des répercussions du taux de croissance de la population des pays en voie de développement, de la dégradation que subissent certaines régions, de la poussée vers l'urbanisation et de la pauvreté qui peut s'ensuivre sans oublier les possibilités de conflits.

Pourriez-vous nous proposer des mesures que pourrait prendre le Canada pour fournir à l'Inde et à d'autres pays des méthodes simples et efficaces de régulation des naissances que les populations visées trouveraient acceptables?

Deuxièmement, vous recommandez que nous introduisions des technologies plus avancées de concert avec les industries qui exploitent les ateliers de pressurage et d'autres domaines où l'on exploite la main-d'oeuvre enfantine. Il me semble cependant que si vous adoptez des technologies plus avancées, la productivité va augmenter mais des enfants seront aussi mis à pied. Comme nous l'avons vu, mettre les enfants au chômage les pousse parfois vers des choses encore plus dangereuses pour eux comme la prostitution ou pire encore.

Qu'avez-vous à nous proposer pour que nous puissions en arriver à certains équilibres ou compromis qui nous permettraient d'assurer de meilleures conditions de travail pour ces enfants, sans oublier leur éducation, les soins de la santé, etc., et sans les pousser à la prostitution ou pire encore?

Le professeur Mendes: Pour ce qui est de la régulation des naissances, l'Inde offre un paradoxe étonnant au reste du monde. Dans ce domaine, l'Inde jouit de technologies à l'avant-garde de tout ce qui se fait ailleurs au monde. Croyez-le ou non, on y a récemment développé un vaccin qui, en soi, présente des problèmes moraux. Donc l'Inde est à l'avant-garde du reste du monde dans ce domaine et il s'agit, encore une fois, de savoir comment réaliser ce désir de stabiliser sa population. L'Inde sera le pays le plus populeux au monde en moins d'un siècle, dépassant même la Chine et sa population actuelle de 1,2 milliard d'habitants, et c'est quelque chose qu'il ne faut pas oublier.

En ce qui concerne la dégradation environnementale qui cause un exode massif vers les villes et condamne à une mort lente les économies rurales, puisqu'il faut reconnaître, que cela nous plaise ou non, que les ressources du Canada diminuent dans ce secteur, je crois qu'il faut utiliser les capacités technologiques énormes que les Canadiens dans toutes les régions du pays ont développées; par exemple, les techniques agricoles plus efficaces mises au point dans beaucoup de régions du Canada, les méthodes qui permettent de produire davantage avec moins de terres, la façon d'assurer la réforme foncière, la nécessité de trouver des méthodes plus efficaces de transmission de la propriété par l'héritage, qui est aussi un problème important en Inde. Je crois que le Canada n'a pas suffisamment exporté les connaissances technologiques qu'il possède dans ces domaines. Cela ne coûte rien aux contribuables canadiens d'entamer un dialogue avec nos partenaires d'outre-mer.

Pour ce qui est de la dernière partie de votre question et la façon d'amener notre secteur privé à collaborer avec celui de l'Inde et avec des partenaires scientifiques et universitaires, oui en effet il est vrai qu'il y aura une dislocation de la main-d'oeuvre enfantine, mais il faut aborder le problème dans son ensemble et voir en même temps comment on peut offrir au milieu de travail des programmes d'enseignement officieux. Au fur et à mesure qu'on utilise les technologies de pointe au lieu de travail, par exemple pour le polissage des pierres précieuses ou la fabrication des bracelets, on commence à mettre sur pied une structure globale. On peut utiliser les programmes d'enseignement officieux pour encourager les enfants à suivre des programmes spécialisés ou d'apprentissage, et les amener finalement au secteur d'enseignement officiel.

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Mais là encore, les coûts d'un tel projet sont énormes. Le Canada seul ne pourrait jamais aider, même dans un État, à défrayer les coûts énormes qu'entraînerait le transfert du lieu de travail à l'enseignement officiel. Mais nous pourrons apprendre, de concert avec nos partenaires indiens, comment mettre au point des techniques pour financer de tels programmes; nous pourrons améliorer les méthodes de perception d'impôts et de financement des services publics. Nous verrons si les Indiens eux-mêmes sont en mesure d'obtenir les recettes nécessaires pour transférer l'enfant du lieu de travail au secteur d'enseignement officieux, dans l'espoir de le transférer finalement au secteur officiel. Mais là encore, les connaissances techniques sont essentielles à l'établissement de tels partenariats.

Le président: Merci, monsieur Mendes.

[Français]

D'autres commentaires, monsieur Tremblay ou monsieur Roy?

M. Fleury: J'interviendrai peut-être pour compléter et revenir, à la suite de M. Mendes, sur un des points que j'ai soulevés tantôt, à savoir l'opposition un peu factice entre le travail et l'éducation. Je pense que vous avez bien mentionné ce point, mais je ne pense pas que l'on puisse substituer l'éducation au travail et vice-versa.

Il faut prévoir des passerelles qui permettent une intégration progressive, ce que M. Mendes appelait la formalisation de cette économie et de ses passerelles d'apprentissage. Ce qu'il faut décoder derrière le travail des enfants, c'est à la fois la nécessité d'un revenu supplémentaire, évidemment, mais aussi la nécessité d'une participation active.

Les jeunes, en abordant le marché du travail, refusent une mise au rancart ou une mise entre parenthèses, pendant plusieurs années de leur vie, d'une société active qui bouge autour d'eux, qui bouge en termes de consommation, mais aussi en termes de production et surtout en termes de participation. C'est la société civile.

Tant qu'on ne reconnaîtra pas ce besoin des jeunes de participer activement à la société civile, on restera dans un cul-de-sac où on ne fait qu'éliminer un problème pour se retrouver face à un autre problème. On ne fait que déplacer une réalité d'un secteur informel ou d'un secteur d'exploitation à un secteur plus ou moins formel, où les conditions, à terme, peuvent être tout aussi menaçantes.

Il est important de prévoir des passerelles, à la fois par l'entremise d'un travail qui peut être socialement acceptable et par l'entremise de passerelles d'éducation formelle ou plus ou moins formelle d'apprentissage ou de compagnonnage. Ce sont des passerelles de participation des jeunes à la société civile qui permettront de reconnaître une part active aux jeunes et qui feront que les jeunes ne seront pas exclus, pour une période de plus en plus longue de leur vie, de la vie active de leur société.

Le président: Merci, monsieur Fleury.

[Traduction]

Y a-t-il d'autres questions ou commentaires? Sinon, j'aimerais remercier les témoins de leurs exposés. Leur témoignage nous a été très utile.

Je suis désolé que la séance ait duré si longtemps. Nous avons commencé tard, mais votre témoignage nous a été très utile et était très intéressant.

Monsieur Mendes, notre attaché de recherche me rappelle qu'il y a une autre question. Dans son exposé, le ministre a fait allusion à une étude que vous avez réalisée. Il en a parlé précisément. Pourrions-nous obtenir un exemplaire de l'étude, ou est-elle cachée quelque part dans les entrailles du ministère?

Le professeur Mendes: Si le ministre dit que vous l'aurez, vous l'aurez.

Le président: Le ministre l'a dit, et je présume donc que nous l'aurons. Nous en parlerons donc avec le ministre.

Je vous remercie ainsi que tous les autres témoins.

[Français]

Merci beaucoup.

La séance est levée.

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