Passer au contenu
TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 11 mai 1995

.0932

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte. Nous continuons notre examen du projet de loi C-68, Loi concernant les armes à feu et certaines autres armes.

Nous recevons ce matin l'Association médicale canadienne, représentée par le Dr Bruno L'Heureux, son président, et le Dr David Walters, directeur des Soins de santé et de la Promotion. Nous recevons également l'Association canadienne des médecins d'urgence, représentée par Harold Fisher et le Dr Alan Drummond, président sortant.

[Français]

Nous avons aussi l'Association québécoise de suicidologie, représentée par M. Robert Simon. Est-ce qu'il y a d'autres personnes avec vous?

[Traduction]

Nous recevons également l'Association canadienne pour la prévention du suicide, représentée par le Dr Robert Mishara.

Les témoins s'expriment habituellement dans l'ordre présenté sur notre avis de convocation. Nous écouterons donc d'abord l'Association médicale canadienne, puis l'Association canadienne des médecins d'urgence, puis l'Association québécoise de suicidologie. On me dit que vous avez présenté des mémoires. Nous nous efforçons de limiter les exposés à 15 minutes. Si vous pouvez lire votre mémoire en 15 minutes, très bien. Autrement, je vous demande de nous en présenter les faits saillants. Bien entendu, votre mémoire a été distribué aux membres du comité.

Je donne d'abord la parole à l'Association médicale canadienne, soit au Dr Bruno L'Heureux ou au Dr Walters. À vous de décider.

.0935

Dr Bruno L'Heureux (président, Association médicale canadienne): Merci, monsieur le président.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, l'Association médicale canadienne est heureuse d'avoir l'occasion de s'adresser au Comité permanent de la justice et des questions juridiques dans le cadre du projet de loi C-68, Loi concernant les armes à feu et certaines autres armes.

[Français]

Comme vous l'avez dit tantôt, monsieur le président, mon nom est Bruno L'Heureux. Je suis le président de l'Association médicale canadienne et je pratique aussi la médecine familiale à Laval, au Québec. Le Dr David Walter, le directeur du Département des soins et de la promotion de la santé de l'AMC, m'accompagne ce matin.

[Traduction]

L'Association canadienne, porte-parole de la profession médicale au Canada, est un organisme professionnel bénévole représentant la majorité des médecins au Canada. Fondée en 1867, l'AMC a pour mandat de jouer un rôle de chef de file auprès des médecins et de promouvoir les normes les plus élevées de santé et de soins de santé pour les Canadiens.

Notre mémoire, qui insiste sur la santé du public et la sécurité, a reçu l'appui de l'Association des psychiatres du Canada, de la Fédération des femmes médecins du Canada et du Collège des médecins de famille du Canada.

Le contrôle des armes à feu a toujours été considéré surtout comme une question de criminalité, de législation et de sanction plutôt que de santé et de sécurité. Or, les médecins traitent les répercussions des armes à feu et des autres formes de violence depuis des siècles et la recherche sur la santé porte de plus en plus sur les armes à feu, leur contrôle et le problème de la violence dans la société dans l'optique de santé.

[Français]

L'Association médicale canadienne appuie les mesures législatives et les programmes de lutte contre la violence au Canada qui aident à réduire le nombre des blessures et des décès causés par l'utilisation inappropriée des armes à feu, tout en renforçant leur utilisation sécuritaire et légitime dans le domaine des loisirs.

[Traduction]

Je sais que vous avez déjà entendu ces statistiques, mais elles valent la peine d'être répétées. Les armes à feu sont une des grandes causes de décès et de blessures graves. En 1991, on a enregistré au Canada 1 444 décès causés par des armes à feu. On estime à 2,37 par 10 000 armes à feu possédées le risque global de décès causés par une arme à feu.

Sur le total des décès causés par une arme à feu au Canada, il y a environ 80 p. 100 de suicides, 15 p. 100 d'homicides et 5 p. 100 d'accidents mortels involontaires causés par une mauvaise utilisation. Outre les décès causés par des armes à feu, on a enregistré au Canada en 1991 plus de 1 200 hospitalisations à la suite de blessures causées par une arme à feu, accidentelles dans la plupart des cas. Comme ce chiffre ne comprend pas les cas traités en contexte de soins ambulatoires comme les cabinets de médecin, le total réel des blessures causées par une arme à feu est certainement beaucoup plus élevé.

Ce fardeau de blessures et de décès est très coûteux. Le Canada consacre environ 60 millions de dollars par année aux soins médicaux et aux soins de santé nécessaires pour traiter des blessures causées par des armes à feu.

Ce n'est pas la première fois que l'AMC exprime ses préoccupations au sujet du contrôle des armes à feu.

[Français]

En 1992, l'Association médicale canadienne a approuvé une politique dans laquelle elle recommandait les mesures suivantes pour lutter contre le problème des blessures et des décès causés par des armes à feu.

D'abord, une réglementation afin de décourager les personnes à risque de comportement violent ou autodestructeur d'avoir un accès facile aux armes à feu. L'Association médicale canadienne a recommandé qu'une politique de réglementation porte sur les aspects suivants: l'acquisition, les méthodes sécuritaires d'entreposage et des peines sévères à la suite de l'utilisation d'une arme à feu pour commettre un crime ou un acte de violence, y compris de violence familiale. Notre association est heureuse de voir qu'on a donné suite à cette recommandation dans le projet de loi C-68.

[Traduction]

Notre deuxième recommandation portait sur la formation au maniement sécuritaire des armes à feu, particulièrement dans le cas des nouveaux utilisateurs. Là encore, l'AMC approuve l'inclusion de dispositions sur la formation dans le projet de loi.

Notre troisième recommandation portait sur la recherche au sujet de l'effet des armes à feu sur la santé. Notre Association recommande d'envisager la mauvaise utilisation des armes à feu non pas dans l'isolement, mais dans le contexte plus général de la violence dans la société.

Je le répète, l'AMC s'est prononcée à plusieurs reprises au sujet des effets de la violence sur la santé des Canadiens. Dans notre document publié en 1994 au sujet de la santé des autochtones, Refermer l'écart, nous signalions que le taux de criminalités violentes dans les réserves est 3,7 fois plus élevé que dans le pays au total et que la majorité des femmes autochtones ont été victimes de violence familiale physique.

.0940

En 1992, l'AMC a présenté un mémoire au Comité canadien sur la violence faite aux femmes. L'AMC a participé, avec huit autres organisations, au Projet interdisciplinaire sur la violence familiale, le PIVF, qui visait avant tout à promouvoir la collaboration interdisciplinaire dans l'identification et le traitement de la violence familiale.

[Français]

En 1989, l'Association médicale canadienne a publié un énoncé de politiques au sujet de la course aux armements nucléaires et de ses répercussions dans le domaine de la santé. Il était question non seulement des répercussions possibles de la guerre nucléaire, mais aussi du besoin urgent pour la société de trouver d'autres solutions que la violence pour régir les conflits.

En 1985, nous avions aussi publié La violence au foyer: Directives pour la détection et l'intervention, où l'Association médicale canadienne a présenté des recommandations aux médecins sur la détection des signes et des symptômes, l'évaluation et le traitement et la référence à d'autres professionnels. Comme vous le voyez, monsieur le président, nous connaissons bien ce sujet.

[Traduction]

Nous reconnaissons que les médecins peuvent jouer un rôle en réduisant le fardeau que représentent pour le Canada les décès et les blessures causées par des armes à feu. Un médecin peut intervenir au niveau suivant: tout d'abord, dans le traitement des patients. L'AMC recommande que les médecins continuent d'être à l'affût des signes avertisseurs indiquant qu'un patient peut causer un préjudice à autrui ou à lui-même.

Deuxièmement, la divulgation de renseignements médicaux. Dans certains cas, le médecin peut juger que le risque qu'un patient représente pour autrui ou pour lui-même est assez grand pour justifier qu'on signale son cas aux autorités compétentes.

Dans notre politique sur le contrôle des armes à feu, nous recommandons que le médecin juge si le risque de préjudice posé par le patient l'emporte sur le droit du patient à la confidentialité. Je dois ajouter que toute obligation de déclarer un tel cas aux autorités sociales, judiciaires ou policières doit être définie dans des lignes directrices et des procédures claires sur les aspects suivants: a) identification des patients à risque de comportement violent ou suicidaire; b) déclaration de ces cas aux autorités; c) responsabilités des organismes qui reçoivent l'information; d) protection explicite des médecins contre toute répercussion résultant de la déclaration obligatoire. Ce domaine difficile ne se prête pas aux solutions simples.

Troisièmement, il y a la recherche sur les armes à feu et la violence, qui en est à ses premiers pas. À mesure que la collecte des données devient plus poussée et que de plus en plus de renseignements sont mis à la disposition des chercheurs canadiens, il se peut que nous puissions en découvrir davantage au sujet de l'effet de la disponibilité des armes à feu sur la criminalité, les blessures et les décès, les causes du problème de la violence dans la société et les solutions à y apporter, ainsi qu'au sujet des répercussions de la violence sur la santé par rapport à d'autres problèmes de santé. Les médecins participent à fond à ces recherches depuis quelques décennies et continueront certainement de le faire.

[Français]

Quatrièmement, l'éducation sur la santé. Le médecin est une source précieuse d'information sur les comportements sains et sécuritaires. Tout comme les médecins peuvent conseiller leurs patients de cesser de fumer et de boucler leur ceinture de sécurité, ils peuvent aussi conseiller les utilisateurs actuels ou éventuels d'armes à feu au sujet de l'importance d'une formation et d'un entreposage appropriés et les aider à comprendre les risques que représentent les armes à feu et toute forme de violence comme problème de santé potentiel pour le patient et les membres de sa famille.

Cinquièmement, la promotion d'attitudes saines. Les médecins peuvent promouvoir de saines activités autrement qu'au cours de consultations individuelles avec leurs patients. En fait, depuis plusieurs années déjà, la profession médicale exerce des pressions afin qu'on adopte des mesures législatives qui visent à promouvoir un comportement sain et sécuritaire, tel que l'utilisation de ceintures de sécurité, une limite légale au taux d'alcool sanguin et l'utilisation des casques pour cyclistes, pour ne citer que quelques exemples.

[Traduction]

L'AMC recommande en outre que les médecins préconisent la sensibilisation générale de la population au règlement sans violence des conflits dans le cadre d'un effort de réduction de la violence dans la société.

L'AMC reconnaît qu'il n'y a pas suffisamment de preuves pour démontrer la meilleure façon de réduire la violence et l'utilisation indue des armes à feu dans la société. Il est peu probable que la mesure législative en soi réussira à le faire. La disponibilité accrue possible des armes à feu et le danger qu'elles posent pour la santé des Canadiens nous incitent toutefois à croire que des mesures de réglementation s'imposent.

L'AMC est d'avis que certains aspects en particulier du projet de loi visent peut-être davantage à interdire le crime qu'à trouver une solution de santé publique aux problèmes fondamentaux et à la violence dans la société en général.

.0945

L'AMC est d'accord sur la mesure législative actuelle qui vise à interdire aux civils de posséder et d'utiliser des armes militaires; réduire considérablement l'utilisation des armes de poing par les civils en dehors de compétitions précises; alourdir les peines dans le cas des crimes commis avec une arme à feu; resserrer les mesures de contrôle des importations, des exportations et des transferts; et imposer des programmes de formation à la sécurité de l'utilisation et de l'inspection de l'entreposage.

[Français]

L'Association médicale canadienne demande que l'on élabore avec soin des plans de contrôle des armes à feu afin de les concentrer sur les utilisateurs et les armes qui posent le principal problème, si l'on veut réduire le fardeau que les armes à feu imposent à la santé des Canadiens.

L'Association médicale canadienne reconnaît que, comme le contrôle des armes à feu est une question de santé publique, la profession médicale peut aider à promouvoir l'utilisation responsable des armes à feu et à réduire au minimum la violence dans la société canadienne.

[Traduction]

L'Association médicale canadienne reconnaît que, comme le contrôle des armes à feu est une question de santé publique, la profession médicale peut aider à promouvoir l'utilisation responsable des armes à feu et à réduire la violence dans la société canadienne.

[Français]

Merci monsieur le président. Le docteur Walters et moi-même serons prêts à répondre à toutes les questions du Comité.

[Traduction]

Le président: Merci.

Nous recevons maintenant l'Association canadienne des médecins d'urgence, dont nous avons reçu le mémoire. L'association est représentée par Harold Fisher et le Dr Drummond. À vous de décider qui fera l'exposé; vous avez la parole.

Dr Alan J. Drummond (président sortant, Association canadienne des médecins d'urgence): Au nom de l'Association canadienne des médecins d'urgence, je tiens à vous remercier, monsieur le président, et mesdames et messieurs les membres du comité, de nous permettre de vous présenter notre mémoire sur le projet de loi relatif au contrôle des armes à feu.

La médecine d'urgence, contrairement à d'autres spécialités médicales dont votre comité a entendu parler, a une expérience concrète des traumatismes et tragédies associées aux blessures par balles au Canada. Il y a environ 6 000 médecins qui pratiquent la médecine d'urgence au Canada et qui voient, en moyenne, 18 millions de patients dans 1 000 services d'urgence.

Le Dr Fisher est un urgentologue à temps plein de l'hôpital Mount Sinai, à Toronto, et je suis un médecin d'urgence à temps partiel dans un secteur rural de l'Ontario, soit à Perth. Je pense que nous représentons les divers types de médecine d'urgence qui se pratiquent au pays.

Je suis un propriétaire d'armes à feu, comme la plupart des gens qui habitent la campagne. Quant au Dr Fisher, il n'a jamais tiré de sa vie, pas même avec un pistolet à eau.

Partie intégrante du réseau des services sociaux du Canada, les urgentologues ont un point de vue unique sur les liens entre la médecine et les échecs des politiques sociales. Depuis des décennies, nous assistons aux problèmes causés par des chauffards, des conducteurs en état d'ébriété, par la violence familiale et la violence contre les enfants. Dans les urgences de tout le pays, que ce soit dans la grande ville de Toronto ou dans les campagnes de la Saskatchewan...

Le président: Excusez-moi, docteur Drummond. Vous parlez beaucoup trop rapidement pour l'interprète qui traduit vos bonnes paroles.

Dr Drummond: J'ai dû oublier mon lithium, ce matin. Je vais m'efforcer de ralentir.

Tous les soirs, les urgentologues assistent aux tragédies liées aux traumatismes dans notre pays. De plus en plus, ils voient avec horreur les dommages causés par des plaies ouvertes, particulièrement des blessures par balles. Avec l'amélioration générale des soins pour traumatismes dans les années 1980 et, malheureusement, la stagnation du développement des services d'urgence dans les années 1990, nous estimons que notre capacité de traiter les blessures par balles est certainement à son maximum. Pour réduire les pertes humaines associées à la mauvaise utilisation des armes à feu, les urgentologues commencent donc à se tourner vers la prévention.

Au sujet des blessures au Canada en général, il vous intéressera peut-être d'apprendre que c'est la principale cause de décès chez les Canadiens âgés d'un an à 44 ans et qu'au total ces blessures sont responsables de plus d'années de vie perdues jusqu'à l'âge de 65 ans que les maladies cardiovasculaires et le cancer.

La plupart des décès à la suite de blessures par balles se produisent bien avant que puisse intervenir le médecin d'urgence. D'ailleurs, 50 p. 100 des décès découlant d'une blessure par balle se produisent sur les lieux mêmes, avant que le personnel médical puisse jouer son rôle. Les décès causés par des blessures par balles à la tête se produisent dans les minutes qui suivent, dans plus de 70 p. 100 des décès. À notre avis, la prévention doit donc avoir préséance sur le traitement.

Les statistiques sur les décès ne vous disent pas tout. Pour chaque décès découlant d'une blessure par balle, il y a 45 admissions à l'hôpital et 1 300 visites aux services d'urgence, dans tout le Canada. Un Canadien sur cinq est blessé chaque année, et le fardeau économique qui en découle est colossal.

Ce qui est particulièrement malheureux, c'est que la plupart des blessures ne sont pas des accidents; on aurait pu les prévoir et les prévenir. C'est pourquoi les médecins d'urgence vous exhortent à changer d'optique dans cet exercice: vous ne formulez pas simplement une loi sur le contrôle des armes à feu, vous préparez une loi sur la santé et la sécurité publiques.

.0950

Au sujet des blessures par balles au Canada, il faut signaler que les armes à feu, de par leur conception même, sont destinées à causer des blessures. Les armes à feu sont une cause de décès et de blessures importantes au Canada, et 35 000 Canadiens sont décédés des suites d'une blessure par balle depuis 1970.

On vous a sans doute rebattu les oreilles avec les statistiques, mais il faut dire qu'il y a probablement 1 300 à 1 400 décès par an causés par des armes à feu au Canada, dont la majeure partie sont des suicides, soit 77 p. 100, et des homicides, à raison de 17 p. 100. Le nombre d'accidents, grâce peut-être à l'éducation du public, a beaucoup diminué.

Il est particulièrement triste de constater que les suicides sont au deuxième et troisième rang pour les années de vie perdues en raison d'une blessure, après les accidents d'automobile. Et le tiers des décès intentionnels sont causés par des armes à feu.

En 1990, il y a eu environ 1 100 suicides au Canada, dont 300 chez les 15 à 24 ans, ce qui en fait la troisième cause de décès pour ce groupe d'âge.

Chaque année, il y a dans les hôpitaux canadiens au moins 1 000 admissions associées aux armes à feu. On ne peut pas dire combien de victimes de blessures par balles sont traitées dans les salles d'urgence sans être admis à l'hôpital. D'après des données américaines, il y aurait cinq blessures pour chaque décès causé par des armes à feu.

Dans certains endroits, le problème semble s'aggraver. D'après le Dr Barry McLellan, chef du département des traumatismes de l'hôpital Sunnybrook, avec qui j'ai eu un entretien, entre 1987 et 1993, il y a eu une augmentation de 400 p. 100 des admissions dans cet hôpital en raison de blessures par balles graves, à la tête ou au tronc, alors que les traumatismes de nature générale augmentaient seulement de 20 p. 100.

Le problème des blessures par balles ne se limite pas uniquement aux centres urbains, comme le laisse entendre une étude du Dr Brian Rowe, de Sudbury. Je dirais la même chose, en fonction de mon expérience personnelle.

Les armes à feu acquises légalement sont responsables de la majorité des blessures par balles traitées dans les urgences canadiennes. Dans la moitié des suicides par armes à feu, les armes utilisées le plus couramment sont des carabines de calibre .22 ou des fusils de calibre 12.

Du côté des homicides, les armes à feu sont impliquées dans 33 p. 100 des décès, alors que les carabines et les fusils de chasse le sont dans 61 p. 100 des cas.

La meilleure possibilité de réduction de la morbidité et de la mortalité associées aux blessures par balles semble se trouver du côté des suicides, suivis par les homicides et les accidents.

Je vais maintenant demander au Dr Fisher de nous parler du gros des blessures graves.

Dr Harold Fisher (porte-parole, Association canadienne des médecins d'urgence): Merci, docteur Drummond. Merci, monsieur le président, et mesdames et messieurs les membres du comité, de donner à l'Association canadienne des médecins d'urgence l'occasion de vous présenter des renseignements.

J'ai d'abord quelques observations à faire. J'ai suivi un cours sur le maniement sécuritaire des pistolets à eau, et, s'il le souhaite, je peux administrer des médicaments au Dr Drummond.

Je vais vous présenter quelques données, dont vous avez déjà sans doute entendu parler. On estime à 3 500 le nombre annuel de suicides. En 1989, il y en a eu 3 600. Pour chaque suicide exécuté, environ huit personnes survivent à leur tentative. C'est la principale cause de décès chez les hommes de 30 à 40 ans, suivie de près par le sida et les accidents d'automobile. Le suicide est une cause de décès plus importante que le sida.

Le suicide est la deuxième cause de décès chez les adolescents canadiens. Comme vous le savez, il y a chaque année au Canada environ 1 100 à 1 200 suicides exécutés au moyen d'une arme à feu. Cela représente environ 80 p. 100 des décès par balles. Je le répète, le suicide représente 80 p. 100 des décès par balles. Le tiers des suicidaires qui parviennent à leurs fins utilisent une arme à feu. Par conséquent, l'arme à feu est la méthode de suicide qui a le taux de réussite le plus élevé.

Dans un article du New England Journal of Medicine, on conclut qu'il y a cinq fois plus de risques de suicide chez les gens qui ont des armes à feu à domicile. Une étude semblable comparait l'incidence du suicide dans deux régions semblables, celle de Seattle et celle de Vancouver, en Colombie-Britannique. Parmi les jeunes de 15 à 24 ans, le taux de suicide était plus élevé à Seattle. Cet écart était presque entièrement expliqué par un taux élevé de suicide au moyen d'une arme de poing. Autrement dit, il n'y a pas eu de compensation par l'utilisation d'une autre méthode.

Comme je le disais, les suicides par armes à feu ont le plus haut taux de réussite. Si on peut parler ainsi, le taux de réussite est de 92 p. 100 pour cette méthode. D'après les données recueillies, le nombre d'armes à feu et leur disponibilité sont associés aux risques accrus d'homicides, de suicides, et de ce qu'on appelle des accidents, particulièrement lorsqu'il y a un entreposage non sécuritaire et que les armes sont chargées. Autrement dit, il s'agit d'actes surtout impulsifs et associés à l'accès aux armes à feu.

Je vais vous parler brièvement des homicides. De 1978 à 1987, les armes à feu étaient le principal instrument d'homicide au Canada. Habituellement, la victime connaît son agresseur. Comme on vous l'a dit, ces homicides se produisent habituellement dans le cadre d'une dispute familiale, ou entre un agresseur et une victime qui se connaissent.

.0955

Au sujet des homicides entre conjoints au Canada, de 1985 à 1989, environ 40 p. 100 avaient résulté de l'utilisation d'une arme à feu. De ce nombre, dans 84 p. 100 des cas, la victime était une femme. Dans un autre article du New England Journal of Medicine, on concluait que le fait de garder des armes à feu à domicile était un facteur de risque important et indépendant et multipliait par trois le risque d'homicide, habituellement commis par une connaissance ou un membre de la famille.

Encore une fois, je tiens à dire qu'il y a une corrélation manifeste, dans les recherches médicales, entre le nombre de ménages possédant des armes à feu, particulièrement des armes à feu non militaires, et les taux nationaux d'homicide et de suicide, quand on compare différents pays.

Pour ce qui est des accidents, il y a eu 2 500 décès accidentels depuis 1970. Le Dr Drummond vous a dit que la plupart de ces décès auraient pu être évités. Environ le tiers des victimes sont des enfants de 5 à 19 ans.

La question du coût pose problème. Toutefois, on a récemment essayé d'estimer le coût pour les Canadiens. Il y a les coûts directs et indirects. On vous a déclaré que les coûts directs étaient d'environ 60 millions de dollars par an au Canada, probablement 70 millions si l'on tient compte des autres services publics.

Au Canada, on estime que les coûts d'hospitalisation pour les blessures par balles vont de 15 000$ à 30 000$ par patient. Aux États-Unis, on estime que les coûts directs et indirects sont supérieurs à 25 milliards de dollars, sans tenir compte de la douleur, de la souffrance et d'autres conséquences.

En faisant une extrapolation pour le Canada, on obtient un chiffre de 1,75 milliard de dollars par an, ce qui représente probablement le budget de la santé pour une petite province de l'Atlantique. En 1990, Ted Miller a produit des données sur les blessures au Canada. D'après son évaluataion, si on comprend les coûts associés à la douleur, à la souffrance et à la perte de productivité, on obtient 6,5 milliards de dollars par an au Canada.

Comme le disait le Dr Drummond, il y a la prévention des blessures et l'amélioration du traitement des blessés. En raison des progrès réalisés dans le traitement, nous avons atteint un plateau pour ce qui est de notre capacité de sauver des vies. Nous devons maintenant nous orienter vers la prévention de ces blessures.

Il y a diverses méthodes de prévention en santé publique: l'éducation, l'application des lois et règlements et la conception des produits. Vous trouverez une explication détaillée de ces trois méthodes dans notre mémoire. Pour ce qui est de la conception des produits, il s'agit de modifier les produits dangereux de manière à ce qu'ils puissent être utilisés en toute sécurité, sans que l'utilisateur fasse d'efforts ou se conforme à une règle. Pour ce qui est des armes à feu, on peut penser à des verrous qui rendent impossible leur utilisation par des enfants, à des indicateurs de charge et à une réduction de la létalité des munitions.

On peut voir les blessures comme résultant de divers éléments qui sont tous essentiels. L'agent est l'arme à feu, le destinataire est la victime, le moyen est la munition, le vecteur est le tireur, et l'environnement, c'est l'environnement social et physique. Nous pouvons nous attaquer à tous ces éléments.

L'éducation semble être un processus lent et incertain. Les lois et la protection automatique par modification du produit et de l'environnement sont peut-être plus efficaces.

Nous savons que pour réduire les blessures, le moyen le plus efficace et le plus rentable, c'est la prévention. Il suffit de songer au coussin gonflable et aux ceintures de sécurité, pour les voitures, et à l'interdiction sur le marché de jouets dangereux.

J'aimerais vous parler brièvement de la tendance depuis 1978. Nous savons que les lois sur les armes à feu ont efficacement réduit le nombre de décès et de blessures depuis leur mise en oeuvre. Il y a eu une réduction du nombre de décès accidentels, bien que 24 p. 100 des victimes soient encore des enfants. Il y a également eu une réduction du nombre total de suicides et du pourcentage de suicides par armes à feu, même si cela représente encore un problème grave. Il y a eu de légères diminutions du nombre total d'homicides et de décès totaux pour le groupe des 15 à 24 ans. Nous avons maintenant l'occasion d'encourager ces tendances en adoptant une nouvelle loi qui aura un effet positif à long terme sur la santé publique.

Je rends la parole au Dr Drummond.

.1000

Dr Drummond: L'Association canadienne des médecins d'urgence croit que le projet de loi C-68 se révélera un apport important pour aider à réduire la morbidité et la mortalité, conséquences de blessures infligées par balles. Les propriétaires d'armes à feu ne seront que responsabilisés davantage s'ils doivent enregistrer leurs armes à feu et obtenir des permis de propriétaire. Un entreposage sécuritaire les rendra plus difficile d'accès, ce qui est important si nous voulons diminuer et les suicides et les homicides qui se produisent à domicile. En rendant plus difficile l'acquisition de pistolets, d'armes prohibées et de munitions, ces dernières seront éliminées, ce qui changera ainsi nos milieux de vie et modifiera les risques au niveau des blessures causées par balles.

Comment rendre ce projet de loi plus fort? En ne permettant pas de l'affaiblir. Chaque année, des milliers de Canadiens sont soit tués, soit blessés. Pouvons-nous attendre encore cinq, six ou sept ans l'entrée en vigueur pleine et entière des dispositions du projet de loi?

Deuxièmement, il devrait comporter des dispositions prévoyant l'introduction d'un système de rapport médical pour ceux qui sont le plus menacés: les schizophrènes et les maniaco-dépressifs non traités, mais victimes d'abus d'alcool ou de violence familiale.

À notre avis, on devrait mettre l'accent sur la création d'un registre national des armes à feu afin de savoir quelles armes à feu servent à telles ou telles fins, ce qui nous permettrait de créer une base de données pour faciliter nos recherches au niveau de la violence impliquant les armes à feu.

On devrait faire un effort concerté pour créer des programmes éducatifs sur la violence et le règlement des conflits pour les enfants d'âge scolaire au Canada.

Nous tenons à vous remercier. Nous avons ici l'occasion idéale de faire quelque chose de positif pour notre pays, et nous sommes prêts à répondre à toute question que vous pourriez nous poser.

Le président: Merci beaucoup.

[Français]

Maintenant, je demanderais à M. Robert Simon, de l'Association de suicidologie, de prendre la parole, suivi de M. Mishara. Monsieur Simon.

M. Robert Simon (représentant, directeur, Centre de prévention du suicide du Saguenay - Lac-Saint-Jean): Merci, monsieur le président. Mesdames, messieurs les membres du Comité, il me fait plaisir de représenter ce matin l'Association québécoise de de suicidologie.

J'aimerais que les membres du Comité se servent de la version française du document puisque nous présenterons ce matin des données tout à fait nouvelles, qui ont été préparées à l'intention des membres du Comité, afin de les informer de certaines choses tout à fait nouvelles, qui n'ont pas été rendues publiques à ce jour.

L'Association québécoise de suicidologie regroupe l'ensemble des centres de prévention du suicide de l'ensemble du Québec. Ces centres de prévention du sucide que regroupe l'Association québécoise de suicidologie sont composés de bénévoles et d'intervenants professionels qui, ensemble, tentent de réduire les taux de suicides élevés que nous connaissons.

L'Association regroupe aussi des individus et des organismes sensibles à la prévention du suicide. Nous croyons à la nécessité d'agir en commun avec l'ensemble des intervenants, du milieu scolaire, de la justice, et aussi avec nos députés, et c'est pour cette raison que nous sommes ici ce matin.

Aussi, nous croyons fortement - et le document que nous vous présenterons ce matin en témoignera - que les armes à feu ont une incidence sur le phénomène du suicide au Québec et probablement ailleurs au Canada.

Quant à moi, je suis directeur général d'un centre de prévention du suicide, celui du Saguenay-Lac St-Jean, qui est membre de l'Association québécoise de prévention du suicide et j'oeuvre dans ce domaine depuis 1986.

Le suicide par arme à feu au Canada: en 1992, il y a eu au Canada 3 709 suicides. Mille quarante-six personnes s'étaient servie d'une arme à feu, ce qui constitue plus du quart des décès par suicide. Quant aux décès par arme à feu, ce qui inclut les suicides et les homocides évidemment, ainsi que les accidents, on compte 1 354 cas.

Donc, on peut considérer qu'en fait, les suicides comptent pour 77 p. 100 des décès par arme à feu. Si on regarde pour l'ensemble du Québec, de 1990 à 1992, on a connu 3 559 suicides, dont 936 avaient été causés par armes à feu, ce qui représente aussi 26 p. 100 de l'ensemble des décès par armes à feu. Vous ne disposez pas encore, je pense, des documents français. Est-ce que vous avez les schémas des documents français? J'aimerais que les membres du Comité le...

.1005

Le président: Nous sommes en train de distribuer ce document. Il est dans la salle de photocopie en ce moment, mais il sera distribué.

M. Simon: Si on regarde le phénomène du suicide au Québec - ou pour l'ensemble des régions - on remarque qu'au Québec, le suicide par arme à feu varie d'une région à l'autre. Cela veut dire que, d'une région à l'autre, la proportion de personnes qui se suicident par arme à feu n'est pas la même.

En Gaspésie, par exemple, 48,9 p. 100 des gens qui ont commis un suicide entre 1990 à 1992 se sont suicidés par arme à feu. Dans le Nord du Québec, c'est 47,4 p. 100. Donc, 47,4 p. 100 - une personne sur deux - s'est suicidée par arme à feu.

En Abitibi-Témiscaminque, le taux est de 44,8 p. 100; c'est-à-dire que presque une personne sur deux se suicide par arme à feu. Dans la région de Montréal et Laval, la rive nord de Montréal, cette proportion tombe à 17,5 et à 13,7 p. 100 à Montréal. Cela veut dire que dans une région fortement urbanisée comme Montréal, la proportion de personnes qui se suicident par arme à feu est beaucoup plus mince.

Regardons, maintenant, le type d'arme utilisé pour se suicider. Au Québec, entre 1990-1992 - ces données sont du Bureau du coroner du Québec - les armes longues sont utilisées dans 83,7 p. 100 des cas. Donc, huit fois sur dix, ce sont des armes longues, probablement destinées à la chasse sportive, qui sont utilisées. Les armes courtes comptent pour 12,9 p. 100 des cas.

L'Association québécoise de suicidologie que je représente s'est donc intérrogée à savoir s'il existait un lien entre les armes en circulation et le taux de suicides par arme à feu et, par conséquent, le taux total de suicides.

À défaut de disposer de données fiables sur la proportion de foyers disposant d'une arme - situation que devrait corriger le contrôle des armes à feu, tel que proposé dans le projet de loi C-68 - nous ne connaissons pas le nombre de foyers où se trouve une arme à feu. Nous avons donc eu recours aux données du ministère de l'Environnement et de la Faune du Québec sur l'émission de certificats de chasseurs.

Ce certificat donne le droit d'obtenir par la suite un permis de chasse. Il faut évidemment être prudent à l'égard de ces données car elles fournissent des indications sur la popularité de la chasse sportive et non sur la présence d'armes à feu.

Les détenteurs de certificats peuvent, à la limite, ne plus avoir d'armes en leur possession. Ils peuvent avoir plus d'une arme et avoir reçu un certificat. Cela ne donne aussi aucune indication sur la façon dont ces armes sont entreposées. Et, évidement, on peut avoir une arme à feu et ne pas diposer d'un certificat de chasseur.

En dépit de ces réserves, l'Association québécoise de suicidologie croit qu'il est sensé de croire que plus on a de certificats dans une région donnée, plus on a de chasseurs et, par conséquent, d'armes à feu.

Nous avons donc essayé de vérifier s'il y avait une relation entre la proportion de certificats de chasseurs et le taux de suicides par arme à feu. Évidemment, si on constatait qu'il y avait un lien entre le taux de suicides par arme à feu et l'existence de certificats, il faudrait vérifier s'il existe un lien entre le taux de suicides par arme à feu et le taux de suicides en général.

Si les armes ne sont pas disponibles, on pourrait peut-être substituer ce moyen par un autre. Il n'y a toujours pas, je pense, le graphique dont je fais mention. L'Association a donc fait un traitement pour vérifier s'il y a effectivement un lien dans une région.

.1010

On a ordonné les régions du Québec, de la région où il y a le moins de certificats de chasseurs à la région où il y en a le plus. Que constatons-nous? Nous constatons qu'à mesure que la proportion de certificats de chasseurs augmente, le taux de suicides par armes à feu augmente aussi.

On retrouve donc, au bas de l'échelle, les municipalités de Montréal, Laval et la Montérégie. La Montérégie, pour vous situer, est la rive sud de Montréal. La grande région de Montréal est celle où il y a le moins d'armes à feu et le moins de certificats de chasseurs émis au Québec. Curieusement, c'est là que le taux de suicides par armes à feu est le plus bas.

Si on regarde les régions, cependant, où la proportion de certificats de chasseurs émis est importante, on retrouve le Nord du Québec, la Gaspésie, la Côte-Nord et l'Abitibi-Témiscamingue. Curieusement, encore une fois, ce sont les régions du Québec où le taux de suicides par armes à feu est le plus élevé. Il s'avère donc qu'il y a un lien entre la possession d'armes à feu et l'existence, qui laisse croire qu'il y a augmentation du taux de suicides par armes à feu au sein des foyers qui en possèdent.

Il faut donc maintenant se livrer à une deuxième vérification. Il faut vérifier s'il peut y avoir un lien entre le taux de suicides par armes à feu et le taux de suicides en général. J'ai hâte que nous ayez le graphique devant vous. Il est fort éloquent. À mesure que la courbe du taux de suicides par armes à feu augmente, le taux de suicides, en général, augmente lui aussi. Donc, force nous est de constater qu'il y a un lien entre le taux de suicides par armes à feu et le taux de suicides en général.

C'est donc dire qu'il n'y a pas, comme certains le prétendent, une substition de moyens lorsque l'arme à feu n'est pas disponible. Peut-être effectivement que certaines personnes tentent de se suicider en ayant recours à des moyens moins létaux. Peut-être tentent-ils de se suicider, mais la mort n'est pas la conséquence qui en résulte. Il faut savoir que la personne suicidaire est une personne ambivalente.

[Traduction]

Je dirai maintenant quelques mots en anglais, même si mon anglais n'est pas très bon.

Les personnes suicidaires sont ambivalentes. Personne ne veut se suicider avant le dernier moment. Personne ne veut vivre avec sa douleur. Ces gens ont un problème; ils ne veulent pas vivre comme ils le font déjà, mais ils ne veulent pas mourir. Lorsqu'ils font face à de nombreux problèmes, il leur arrive parfois d'agir sous le coup de l'impulsion. Ils prennent la décision de se suicider. Si vous ne retenez qu'une chose de ce que je vous ai dit ce matin, rappelez-vous que la personne suicidaire ne veut pas mourir, mais qu'elle veut mettre un terme à la douleur ressentie. Ces gens sont ambivalents jusqu'au tout dernier moment. Ils ne veulent pas vraiment mourir.

Les jeunes adolescents, surtout, sont impulsifs, et s'ils peuvent trouver un moyen rapide, ils se suicideront très rapidement. Certains adultes aussi sont très impulsifs, surtout lorsqu'ils sont consommateurs de drogues ou d'alcool.

Les enquêtes de coroners ont abouti à la conclusion suivante: si la personne qui s'est suicidée s'est servie de l'arme à feu de quelqu'un d'autre et si cette arme à feu avait été bien entreposée, il est probable que le suicide aurait pu être évité. Les personnes suicidaires ont des sentiments équivoques, et tout retard à trouver le moyen de leur suicide joue en faveur de la prévention de ce suicide.

.1015

[Français]

Donc, plus il est difficile de passer à l'acte, plus il est long d'obtenir un moyen, plus la crise a des chances de se résorber et plus les gens vont avoir la chance de trouver de l'aide. Quatre-vingt pour cent des personnes qui se suicident lancent des messages. Pourquoi lancent-ils des messages? C'est parce qu'ils n'ont pas envie de mourir. Ils ont envie de trouver de l'aide. Sinon, pourquoi lanceraient-ils, dans 80 p. 100 des cas, des messages à leur environnement?

Lorsque les individus ont recours à d'autres moyens, il est parfois possible d'interrompre le processus. Il est fréquent, au Québec comme dans tout le Canada, que des individus téléphonent dans les centres de prévention du suicide après avoir consommé des médicaments. Cela démontre évidemment le phénomène de l'ambivalence. On a noté des cas d'individus qui ont sauté d'un pont et qui, par après, ont nagé jusqu'à la rive. Il y a aussi des gens intoxiqués aux médicaments qui se sont rendus à l'hôpital et des gens qui se sont décrochés de leur corde, mais avec une arme à feu...

Alors, si on rendait les armes à feu plus difficilement accessibles, on n'épargnerait pas tous les suicides par armes à feu, mais peut-être ceux d'individus impulsifs, d'adolescents ou peut-être même de gens que vous connaissez. L'Association québécoise de suicidologie appuie le principe d'enregistrement universel des armes à feu.

De plus, l'Association québécoise de suicidologie demande au ministère de la Justice de déployer les moyens nécessaires pour faire connaître plus largement le règlement sur l'entreposage des armes à feu et de faire preuve de vigilance pour le mettre en application. Il faut donc considérer l'enregistrement universel, le projet de loi C-68, comme un outil de prévention. C'est grâce à cette loi que le ministère va pouvoir informer les gens du danger de l'arme à feu. Il faut pouvoir dire à la population canadienne qui dispose d'armes à feu que ce sont des objets dangereux et qu'il ne s'agit pas là d'outils ordinaires.

Lors de l'enquête du coroner Anne-Marie David, au Québec, on a constaté que, dans plusieurs cas de suicides d'adolescents, les jeunes avaient trouvé l'arme à feu, qu'ils ont utilisée pour se suicider, dans la garde-robe, exactement à la même place où j'aurais mis ma raquette de tennis avec mes balles de tennis, juste à côté. Cependant, ce n'est pas une raquette de tennis avec des balles Wilson, c'est une arme à feu avec des munitions tout à fait appropriées à l'arme à feu en question. Les jeunes savaient utiliser cette arme à feu, tout comme mes fils savent utiliser ma raquette de tennis. Il faut donc lancer un message à la population canadienne qu'une arme à feu n'est pas un jouet, ni une raquette de tennis, et que le gouvernement du Canada considère l'arme à feu comme un objet qui peut être dangereux pour elle-même ou pour ses jeunes.

Lorsqu'on saura enfin, dans ce pays, qui possède des armes, on pourra leur dire comment les entreposer. Malheureusement, le règlement sur l'entreposage demeure encore inconnu. On peut inonder de publicité nos écrans de télévision et nos journaux, mais pour faire connaître le règlement sur l'entreposage, il faut viser directement la clientèle cible, c'est-à-dire ceux et celles qui sont propriétaires d'armes à feu.

Le président: Merci, monsieur Simon.

.1020

[Traduction]

Nous accueillons maintenant M. Mishara, de l'Association canadienne pour la prévention du suicide.

Je crois savoir que, vous aussi, vous avez quelque chose à dire au comité.

M. Brian L. Mishara (ancien président, Association canadienne pour la prévention du suicide, professeur de psychologie, Université du Québec à Montréal): J'aimerais compléter l'intervention de Robert Simon en ajoutant quelques renseignements concernant les armes à feu et le suicide au Canada en général.

L'Association canadienne pour la prévention du suicide, The Canadian Association for Suicide Prevention, est un organisme à but non lucratif d'envergure nationale regroupant organismes, professionnels et particuliers de tous horizons qui ont un but commun: faire la promotion du traitement, de l'éducation et de la recherche concernant la prévention et la diminution des comportements suicidaires au Canada.

L'Association canadienne pour la prévention du suicide ne donne son aval à aucune thèse morale quant à savoir si le suicide est une bonne ou une mauvaise chose. Cependant, d'après nos recherches et notre expérience clinique, nous savons que le suicide est une tragédie que l'on peut souvent prévenir. Une des façons de le prévenir, et de nombreuses recherches bien documentées le démontrent, c'est de rendre plus difficile l'accès aux moyens et de diminuer la létalité de ces derniers.

Pendant la période de 1990 à 1992, 36 p. 100 des suicides chez les hommes et seulement 9 p. 100 chez les femmes ont impliqué l'usage d'armes à feu. Même si le nombre de décès par balles a diminué par rapport à la même période il y a dix ans, les armes à feu composent la catégorie la plus importante des méthodes de suicide employées par les Canadiens et, dans une moindre mesure, par les Canadiennes.

Les armes de poing comptaient pour très peu, soit 3 p. 100 environ. La plupart des armes à feu servant au suicide étaient des armes d'épaule, soit des fusils ou des carabines, ou d'autres genres d'armes d'épaule, comme les armes de combat semi-automatiques ou automatiques. Comme d'autres l'ont dit, l'arme à feu est la méthode de suicide la plus choisie au Canada. Ainsi, l'Association canadienne pour la prévention du suicide s'intéresse au contrôle des armes à feu et à la possibilité que la loi aura le résultat positif de faire diminuer les suicides par balles.

Les études, les recherches et les expériences cliniques des professionnels oeuvrant dans les centres de prévention du suicide dans tout le Canada nous montrent que, dans bien des cas, le suicide par balle semble se commettre sous l'impulsion du moment et sans véritable préméditation. Même si un grand nombre de Canadiens ont pensé un jour ou l'autre au suicide, la pensée ne se transforme que rarement en geste, parfois de façon impulsive à la suite d'un événement particulièrement pénible, comme un conflit ou un échec au niveau des études ou des relations interpersonnelles.

Les jeunes hommes canadiens sont particulièrement vulnérables au suicide impulsif inspiré par un événement pénible. Dans ces circonstances, l'accès à un moyen d'une létalité instantanée, comme une arme à feu, signifie que rien ne contraint à une période d'attente ou de planification pendant laquelle une personne en détresse aurait l'occasion de surmonter ce qui ne pourrait être qu'une situation de crise temporaire. Si la méthode létale n'est pas accessible dans l'immédiat, le temps supplémentaire nécessaire pour trouver un autre moyen se traduit souvent par une diminution des risques de suicide.

De plus, les recherches portent à croire qu'une personne ayant l'intention d'attenter à sa vie par un moyen précis, comme une arme à feu, n'aura pas nécessairement recours à une autre méthode si celle qui a été choisie n'est pas disponible.

D'après les recherches et les études, il est plus probable qu'un homme se suicidera si l'on garde une arme à feu chargée au foyer. Quelques études aux États-Unis ont démontré tout d'abord que les adolescents victimes d'un suicide qui ne souffraient d'aucun désordre psychiatrique apparent se trouvaient à avoir plus souvent une arme à feu chargée au foyer que les victimes de suicide qui souffraient de désordre psychiatrique. Dans une autre étude, on a trouvé que ceux qui sont morts après une tentative de suicide avaient le plus souvent une arme à feu au foyer et s'en sont servis, ce que démontre la comparaison avec ceux qui ont survécu à leur tentative de suicide.

On avait deux fois plus de chances de trouver des armes à feu dans les foyers de ceux qui avaient réussi leur suicide par opposition à ceux qui y avaient survécu. Et ce risque plus élevé de suicide existe même dans ces foyers où les armes sont entreposées sous clé ou à l'écart des munitions.

.1025

Dans une vaste étude américaine comportant des entrevues avec les parents de 328 personnes qui s'étaient suicidées par balle, dans les États du Tennessee et de Washington, on a effectué une comparaison détaillée avec un nombre identique de personnes qui ne s'étaient pas suicidées. Les auteurs de l'étude ont pu déterminer, avec un intervalle de confiance de 95 p. 100, que le fait d'avoir accès à une arme à feu au foyer augmente le risque de suicide. Le risque de suicide était cinq fois plus élevé dans les foyers où il y avait des armes à feu que dans ceux où il n'y en avait pas.

Ces études, qui participent d'une méthode rigoureuse, sont un argument de poids pour appuyer la conclusion selon laquelle l'accès aux armes à feu au foyer augmente le risque de suicide, notamment chez les hommes.

Bien qu'il soit prouvé que, quand une personne se sent tellement désespérée qu'elle songe à se tuer, elle est plus susceptible de se suicider quand il y a une arme à feu au foyer, il n'en reste pas moins que la personne qui est bien décidée à se suicider peut essayer de se donner la mort par un autre moyen si elle n'a pas accès à ce moyen privilégié.

Les résultats des recherches sur le sujet indiquent toutefois que, dans bien des cas, elles ne cherchent pas d'autres moyens. On peut citer plusieurs exemples pour montrer que, quand on a moins facilement accès à une méthode en particulier pour se suicider, il en résulte une diminution du taux de suicide, laquelle diminution ne semble pas être compensée par un accroissement du nombre de ceux qui se donnent la mort par d'autres méthodes.

En Grande-Bretagne, par exemple, les taux de suicide ont baissé dans les années 1960, à l'époque où le gaz naturel est venu remplacer le gaz de houille dans les appareils de chauffage domestiques. Le suicide par inhalation de houille, dont la teneur en oxyde de carbone est beaucoup plus élevée que celle du gaz naturel, était fréquent chez les personnes âgées en Grande-Bretagne. Ainsi, le taux de suicide chez les personnes âgées qui avaient recours à cette méthode a chuté avec l'avènement du chauffage au gaz naturel, et cette baisse s'est maintenue même si les taux de suicide pour les autres groupes d'âge qui avaient recours à d'autres méthodes ont continué à augmenter.

De même, on a constaté une baisse radicale du nombre de ceux qui se suicidaient en se jetant sous les roues des trains du métro de Singapour, après que des murs eurent été érigés dans le métro afin de réduire la consommation d'énergie attribuable à la climatisation.

Seiden, qui a réalisé une étude sur ceux qui avaient essayé de se suicider en sautant du pont Golden Gate a San Francisco, a constaté que, de manière générale, ceux qui avaient été frustrés dans leur tentative de suicide par cette méthode ne s'étaient pas donné la mort par un autre moyen.

Beaucoup de Canadiens, des jeunes hommes pour la plupart, rêvent de se suicider par balle pour pouvoir mourir rapidement. On pourrait être tenté de se demander si le fait d'imposer un contrôle législatif sur les armes à feu qui aurait pour effet de les rendre moins facilement accessibles contribuerait vraiment à faire baisser le nombre de cas tragiques de suicide par balle, sans qu'il y ait une augmentation parallèle du nombre de ceux qui se donnent la mort par d'autres moyens.

Les recherches sur le sujet montrent que, pendant les huit années qui ont suivi le dépôt au Canada du projet de loi C-51, le taux de suicide global et le taux de suicide par balle étaient à la baisse comparativement aux huit années qui l'avait précédé. Les études sur le sujet ont également montré que, pendant la période qui a précédé le dépôt du projet de loi C-51, c'est-à-dire de 1965 à 1977, le taux de suicide global et le taux de suicide par balle avaient augmenté dans neuf des dix provinces canadiennes, alors qu'après l'avènement du projet de loi - entre 1979 et 1989 - les deux taux étaient stables ou à la baisse dans les dix provinces canadiennes. Après l'adoption du projet de loi C-51, le nombre de suicides par des méthodes autres que le recours à une arme à feu n'a augmenté dans aucune des provinces canadiennes.

Des comparaisons qui ont été faites entre des villes de la côte ouest des États-Unis et des villes canadiennes, où l'accès aux armes à feu est plus contrôlé, montrent qu'il existe une corrélation entre le contrôle plus rigoureux des armes à feu et l'abaissement des taux de suicide. Les États américains où les armes à feu sont soumises à un contrôle plus rigoureux ont des taux de suicide moins élevés que les États où il n'existe pas de contrôle semblable.

Les recherches réalisées jusqu'à présent tendent fortement à confirmer le bien-fondé de la conclusion voulant que, de manière générale, les impulsions suicidaires ne soient pas transférées à d'autres méthodes de suicide quand les armes à feu sont moins facilement accessibles. En outre, la loi canadienne déjà adoptée en ce sens, le projet de loi C-51, semble avoir fait baisser le nombre de décès par suicide au Canada. Nous arrivons donc à la conclusion que toute nouvelle loi qui ferait en sorte de réduire le nombre d'armes à feu dans les foyers contribuerait fort probablement à sauver bien des vies.

.1030

Qui plus est, toute nouvelle loi qui allongerait le délai d'obtention d'une arme à feu, en imposant par exemple une période d'attente et l'obligation d'obtenir un permis, aurait probablement pour effet de réduire le nombre de cas tragiques de morts par suicide que nous connaissons chaque année au Canada.

Certes, la personne suicidaire qui ne peut pas avoir facilement accès à une arme à feu peut toujours trouver un autre moyen de se donner la mort, mais il reste qu'un nombre important de suicides par balle se produisent pendant une période de crise passagère où la personne suicidaire agit par impulsion.

Les suicides par balle résultent souvent d'une impulsion et, si l'on n'a pas facilement accès à une arme à feu, il est peu probable que l'on cherche aussitôt à se donner la mort par un autre moyen, de sorte que, avant que l'on puisse mettre la main sur une arme à feu, la crise se sera atténuée, et il aura été possible d'éviter un cas tragique de mort prématurée.

Chaque année, plus de 1 000 Canadiens se suicident par balle. L'adoption d'une loi qui aura pour effet de réduire le nombre de foyers canadiens où il y a des armes à feu et qui limite l'accès aux armes à feu ou qui le retarde un tant soit peu permettrait selon toute vraisemblance de sauver chaque année des centaines de vie.

L'Association canadienne pour la prévention du suicide demande respectueusement que les arguments ci-dessus soient pris en considération dans l'examen de toute loi canadienne tendant à un contrôle plus rigoureux des armes à feu.

Le président: Je vous remercie.

Nous passons maintenant aux questions. D'après nos règles, nous commençons par un tour de 10 minutes, chacun des trois partis politiques ayant droit à 10 minutes. Puis nous aurons des tours de cinq minutes, où nous alternerons entre les députés ministériels et ceux de l'opposition.

J'inviterais les membres du comité à adresser leurs questions à une personne ou à un groupe en particulier, étant donné le grand nombre de témoins que nous avons devant nous ce matin. Vous n'avez qu'un temps de parole limité, et je vous demande de bien vouloir adresser vos questions à l'un ou l'autre des témoins.

[Français]

Je commence avec Mme Venne, pour 10 minutes.

Mme Venne (Saint-Hubert): Merci, monsieur le président, bonjour messieurs.

Ma question s'adresse à l'Association médicale canadienne. Vous soulignez à la page 10 de votre mémoire, en français, que votre association n'est pas convaincue que l'enregistrement réussirait à réduire le nombre de suicides ou d'homicides.

Pourtant, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, qui fait partie de votre association et qui représente 6 400 membres, appuie sans réserve le projet de loi C-68, y compris l'enregistrement. Comment expliquez-vous cet état de fait?

Dr L'Heureux: Monsieur le président, d'abord, je dois souligner que l'Association médicale canadienne regroupe 12 divisions, les 10 provinces et les deux territoires, elle regroupe 45 000 médecins. Évidemment, chacune de ses composantes peut prendre une position tout à fait appropriée en ce qui concerne son territoire.

Dans l'ensemble du Canada, l'Association médicale canadienne doit tenir compte de différentes opinions et doit aussi se questionner sur la valeur réelle des effets recherchés.

Je vais demander au Dr Walters de répondre à la partie technique du rôle de l'enregistrement. Je vais essayer de vous expliquer la différence entre la FMOQ et l'AMC.

Mme Venne: Quand nous avons choisi nos témoins, nous avons décidé à l'unanimité de prendre des associations pancanadiennes parce qu'elles représentaient également les associations provinciales et territoriales. Dans ce cas-ci, nous nous sommes largement trompés puisque vous ne représentez pas l'opinion de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec sur ce projet de loi-là.

Dr L'Heureux: Je dois vous dire que la FMOQ, dont je fais partie, a pris cette position-là de façon très appropriée. Au niveau national, nous avons étudié les effets à long terme. Le docteur Walters va répondre spécifiquement à cette problématique.

[Traduction]

Le président: Docteur Walters.

.1035

Dr David Walters (directeur, Service des soins de santé et de la promotion, Association médicale canadienne): La question que vous soulevez là porte sur un point technique très important, et je crois que vous avez entendu aujourd'hui le point de vue de groupes qui sont d'avis que la mesure proposée aura sans doute un effet bénéfique.

Il est toutefois important - et je crois que cela s'inscrit dans le rôle de certains des groupes spécialisés - de poser des questions de fond pour faire en sorte que la loi soit aussi efficace que possible.

Comme vous l'avez entendu dire - nous acceptons tous ces statistiques et nous les utilisons tous - , le risque est plus élevé dans les foyers où il y a des armes à feu. Divers facteurs contribuent à accroître encore davantage le risque, à savoir quand les armes sont mal entreposées ou qu'elles sont chargées. Nous sommes tous entièrement d'accord là-dessus.

La mise sur pied d'un système d'enregistrement permettra-t-il véritablement de retirer les armes à feu de la circulation et, par conséquent, d'en restreindre l'accès? Il existe à l'heure actuelle sept millions d'armes à feu. Qu'arrivera-t-il le 1er janvier 1996? Certaines de ces armes à feu devront être accompagnées d'un énième document ou figurer sur une liste informatique, n'est-ce pas? Le nombre d'armes à feu demeurera toutefois inchangé.

Nous approuvons entièrement l'intention de restreindre l'utilisation de certains types d'armes à feu. Autrement dit, il y aura moins d'armes de poing et moins d'armes de type militaire. Voilà ce que nous disons dans notre mémoire: ces armes seront moins facilement accessibles du fait que leur utilisation sera restreinte, de sorte que le risque sera réduit. Nous voulons toutefois faire remarquer que le simple fait d'obliger le détenteur d'armes à feu à obtenir un autre bout de papier, c'est-à-dire un permis d'armes à feu, ne permet pas nécessairement de corriger le sérieux problème de santé mentale de celui qui est dans un état d'abattement ou de désespoir tel qu'il envisage le suicide.

Nos collègues spécialisés dans la prévention du suicide savent qu'il faut pouvoir compter sur un réseau complet d'intervenants, qu'il faut offrir une ligne 1-800, qu'il faut déployer des efforts intensifs sur le plan communautaire. Des programmes de santé comme ceux-là sont plus susceptibles de contribuer de façon importante à prévenir le suicide que les contrôles exercés par la voie des autorités policières ou législatives, qui n'ont pas vraiment pour objectif spécifique de contrer le suicide.

[Français]

Mme Venne: Je ne veux pas vous interrompre, mais je pense que vous avez amplement répondu à ma question qui portait sur la différence de points de vue entre l'Association médicale canadienne et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. Comme mon temps est très limité, j'aimerais passer à une autre question.

J'aimerais, avant de passer à ma deuxième question, vous dire qu'à la page 10 de votre mémoire, vous affirmez être d'accord sur la mesure législative actuelle qui vise à: «Interdire aux civils de posséder et d'utiliser des armes militaires».

Je voudrais vous préciser qu'il y a une erreur. Cela n'interdira pas aux civils de posséder une arme militaire. Ceux qui en ont présentement auront des droits acquis et pourront d'ailleurs se les transférer entre membres du même groupe. Donc, cela n'interdira pas aux gens de posséder des armes militaires. Je voulais vous faire part de cette erreur qu'il y a dans votre mémoire.

Mon autre question porte sur vos collègues de l'Association canadienne des médecins d'urgence qui conviennent, à la page 9 de leur mémoire, qu'en légiférant sur les permis d'enregistrement, le gouvernement rendra les propriétaires plus responsables vis-à-vis de leurs armes à feu.

J'aimerais savoir ce que l'Association médicale canadienne en pense et ce que vous répondez à cette affirmation de vos collègues.

Dr L'Heureux: La réalité de L'Association médicale canadienne, tout comme la société canadienne, regroupe différentes tendances d'opinions. Je respecte tout à fait l'opinion des médecins d'urgence. Je pense qu'ils ont une vision bien particulière de la pratique de la médecine et nul doute que quand ils font une telle affirmation, ils se posent en experts dans ce domaine-là.

Nous, nous représentons des médecins qui oeuvrent dans différents secteurs d'activité, que ce soit en psychiatrie, en radiologie, etc... Évidemment, notre position doit être plus générale.

.1040

Il ne fait nul doute dans notre esprit que des mesures additionnelles de contrôle des armes à feu vont avoir un effet. Ce qu'on vous dit, par contre, comme Association médicale Canadienne, c'est qu'on ne connaît pas l'effet que cela va avoir en bout de ligne et que, par conséquent, c'est une mise en garde, tout simplement. On ne vous dit pas: Ne procédez pas. Ce qu'on vous dit, c'est: N'allez pas vous imaginer que cette mesure-là seule va régler le problème. C'est une mesure parmi d'autres qui va faire en sorte que pour la société canadienne en général, cela va sûrement améliorer les choses.

Mme Venne: Merci. Est-ce que mon collègue peut continuer?

Le président: Vous avez seulement une minute.

M. de Savoye (Portneuf): Je vais laisser ma place et je me reprendrai.

[Traduction]

Le président: Vous avez la parole, monsieur Hill.

M. Hill (Macleod): Je suis Grant Hill. Je suis médecin albertain. Je pratique la médecine depuis 25 ans dans une ville de banlieue. J'ai travaillé pendant un an comme médecin d'urgence dans un grand centre urbain. Je connais donc la réalité des salles d'urgence en milieu urbain. Tout au long de ma vie, j'ai eu à traiter des cas de suicide. Vous êtes mes collègues, mes amis, mes camarades, et c'est dans cet esprit que je m'adresse maintenant à vous.

C'est à vous que je m'adresse en premier lieu, docteur L'Heureux. Je tiens à vous dire comme je suis fier de l'Association médicale canadienne, qui a à mon avis décrit de façon très juste les conséquences du projet de loi C-68.

Vous donnez votre aval à cinq des objectifs du projet de loi C-68. Vous poursuivez en disant que l'AMC n'est pas convaincue que l'enregistrement aura un effet sur les questions liées à la santé. Cependant, depuis le dépôt de son projet de loi, le ministre de la Justice insiste pour dire qu'il a l'appui de l'Association médicale canadienne. L'affirmation que vous faites ici semble être en contradiction directe avec ce que dit le ministre. Comment a-t-il pu s'imaginer qu'il avait l'appui inconditionnel de l'association qui me représente, alors que vous venez devant notre comité nous dire exactement le contraire?

Dr L'Heureux: Monsieur le président, je ne sais pas au juste ce qu'a pu dire le ministre de la Justice. Comme je l'ai dit, cependant, nous appuyons les objectifs du projet de loi. C'est d'ailleurs la réponse que j'ai donnée à la députée qui vous a précédé. Nous ne sommes pas convaincus que l'enregistrement en tant que tel permettra de régler tous nos problèmes. C'est une mesure parmi d'autres, qui devrait avoir un effet, mais nous ne pouvons pas l'affirmer sans aucun doute.

M. Hill: Si vous me permettez d'entrer dans les détails, l'enregistrement des armes à feu est au coeur même de ces nouvelles dispositions. Le ministre de la Justice l'a dit très clairement. En l'absence d'un système d'enregistrement universel pour les armes à feu, ses propositions n'auraient guère d'effet. Bon nombre des éléments dont parlent vos autres collègues - l'accès, l'entreposage, et que sais-je encore - font déjà l'objet de mesures législatives.

Si l'association qui me représente n'approuve pas l'enregistrement des armes à feu et qu'elle n'est pas convaincue, comme vous le dites, que l'enregistrement sera efficace, comment le ministre de la Justice a-t-il pu dire à la Chambre, comme il me l'a dit personnellement, qu'il avait l'appui de l'Association médicale canadienne pour son projet de loi C-68? Le ministre de la Justice s'est-il trompé? Sur quoi s'est-il fondé pour dire cela? Comment a-t-il pu s'imaginer avoir votre appui?

Le président: Vous pouvez répondre, bien sûr, mais le ministre reviendra témoigner devant nous dans quelques jours, et il me semble que ce serait plutôt à lui qu'il faudrait poser la question. Nous avons le texte de votre mémoire. Nous savons quelle est votre position. Vous pouvez répondre à la question si vous le voulez.

Dr L'Heureux: C'est précisément ce que j'allais dire, monsieur le président. Notre position est clairement énoncée dans notre mémoire. Vous devriez demander au ministre pourquoi il affirme avoir l'appui de l'AMC, comment il a fait pour en arriver à cette conclusion.

M. Hill: Permettez-moi d'aborder la question sous un autre angle. Avez-vous remis au ministre quelque document qui aurait pu lui permettre d'affirmer qu'il avait l'appui de l'AMC pour son projet de loi C-68?

Dr L'Heureux: Monsieur le président, le seul document que nous avons fourni est le mémoire que nous vous communiquons aujourd'hui.

.1045

M. Hill: Très bien. C'est non. Vous n'avez envoyé au ministre de la Justice aucun document sur lequel il aurait pu se fonder pour affirmer que l'AMC appuyait le projet de loi C-68.

Dr L'Heureux: À ma connaissance, le seul document que nous ayons produit est celui-ci.

M. Hill: C'est exactement ce qui est rapporté dans les organes de communication destinés aux médecins. La position de l'AMC, son énoncé de politique, est très claire: l'AMC appuie toutes les mesures bien pensées qui contribueront vraiment à la santé publique, notamment l'entreposage et l'éducation. C'est tout ce que vous avez communiqué au ministre de la Justice. N'y a-t-il rien d'autre?

Dr L'Heureux: Que je sache, monsieur le président, le seul document que nous ayons est l'énoncé de politique et le mémoire que voici.

M. Hill: Devrais-je poser la question à l'autre représentant de l'AMC? A-t-il eu connaissance d'une autre communication qui aurait pu être faite au ministre?

Dr Walters: Non. Je suis d'accord avec ce que vient de dire le Dr L'Heureux. La position de l'AMC est celle qui est énoncée dans notre mémoire.

M. Hill: Le secrétaire de l'AMC est ici. Puis-je lui poser la question? Y a-t-il eu autre chose?

Je vais peut-être un peu trop loin.

Le président: Il me semble, monsieur Hill, que le président et le Dr Walters seraient au courant. Je ne sais pas si nous voulons vraiment chercher à opposer le secrétaire au président. Il me semble que nous devons nous en remettre au président.

M. Hill: Vous comprendrez toutefois que je sois préoccupé...

Le président: Oui.

M. Hill: ...car beaucoup d'entre nous ont entendu ces déclarations.

Le président: Je ne les ai pas moi-même entendues, mais vous avez raison de soulever la question, et nous pourrons la poser à M. Rock quand il viendra témoigner devant nous.

M. Hill: Vous savez bien que la question lui sera posée avant qu'il ne revienne devant nous. C'est une question assez importante.

Le président: Bon, d'accord. C'est votre droit.

M. Hill: D'accord. Je veux maintenant aborder un certain nombre d'autres questions. Y a-t-il un autre document qui devrait être porté à notre connaissance?

Dr L'Heureux: Si vous me permettez, monsieur le président, nous avons publié un communiqué de presse le 15 février, avant le dépôt du projet de loi, et nous disions dans ce communiqué que les médecins appuient les objectifs visés par l'adoption d'une mesure législative sur les armes à feu. Comme je l'ai déjà indiqué, nous approuvons les objectifs de toute mesure de contrôle des armes à feu. Nous n'avons pas dit, dans ce document, que nous étions pour ou contre l'enregistrement. Je vous cite le texte du communiqué:

Bien que nous reconnaissions qu'il soit possible d'autoriser l'utilisation légitime d'armes à feu pour la chasse et comme objets de collection, nous avons l'intention d'examiner le projet de loi pour veiller à ce qu'il contribue à régler le problème de la violence dans notre société et à réduire les blessures et les décès causés par l'utilisation des armes à feu à mauvais escient. Nous considérons qu'il s'agit là d'une importante question de santé publique. Le nombre de blessures et de décès qu'elle cause nous incite à bien réfléchir à l'utilisation des armes à feu et à envisager toute mesure raisonnable visant à régler le problème de manière efficace.

C'est ce que nous avons dit à ce moment-là.

Le président: Pourriez-vous remettre une copie du communiqué au greffier pour qu'il puisse le distribuer aux membres du comité? C'est peut-être sur ce communiqué que le ministre se fonde pour dire qu'il a votre appui, puisque vous dites, dans le texte du communiqué, que vous appuyez les objectifs, sans pour autant entrer dans les détails comme vous venez de le faire aujourd'hui.

Dr L'Heureux: Tout à fait. Le communiqué a été publié le lendemain du dépôt du projet de loi sur les armes à feu par le ministre.

Le président: C'est peut-être ce qui explique qu'il se soit senti autorisé à faire cette affirmation. Vous pouvez poursuivre, monsieur Hill.

M. Hill: Vous avez une multitude de membres dans les différentes régions du Canada, et leurs points de vue sont sûrement très différents. Quel processus de consultation avez-vous suivi pour en arriver à un consensus sur cette question?

Dr L'Heureux: La position de l'AMC a été élaborée par son conseil d'administration, qui regroupe 28 représentants des différentes régions du pays. La représentation est assurée à peu près comme elle l'est à la Chambre des communes, mais à plus petite échelle.

M. Hill: Ainsi, les opinions qui ont cours dans les différentes régions du pays se trouvent représentées?

Dr L'Heureux: Oui, monsieur.

M. Hill: Ainsi, votre position n'est pas uniquement le fait de représentants du milieu urbain ni des membres d'une élite. Il s'agit plutôt d'une position élaborée à partir des opinions de la base.

Dr L'Heureux: Notre position reflète les opinions de la base, monsieur le président. Nos administrateurs viennent des Territoires du Nord-Ouest, du Yukon, de la Nouvelle-Écosse, de l'Île-du-Prince-Édouard, de Terre-Neuve, du Québec et de l'Ontario. Toutes les provinces et les deux terrritoires ont leurs représentants. Si vous prenez, par exemple, la délégation ontarienne, elle ne comprend pas que des médecins de la région de Toronto. Il y en a d'autres régions également.

.1050

M. Hill: Le document que nous avons ici a donc été rédigé par le personnel après que ces consultations eurent lieu?

Dr L'Heureux: Il a été rédigé par le personnel et par le Comité de promotion de la santé, après quoi il a été soumis au conseil d'administration, corrigé, puis soumis à nouveau et il a ensuite été mis aux voix suivant nos règles à la dernière réunion du conseil d'administration, il y a une semaine ou deux.

M. Hill: Très bien. Il y a sans doute eu des divergences de vues au comité? Il y a sans doute eu des discussions? C'est donc la volonté de la majorité qui se trouve exprimée dans ce rapport qu'a rédigé mon association, cette organisation cadre qui représente l'ensemble des médecins canadiens?

Dr L'Heureux: Tout à fait. Il y a effectivement eu dissension, comme c'est toujours le cas. Comme je l'ai déjà dit, nous sommes un microcosme de la société canadienne. Certains médecins n'étaient pas d'accord avec la position énoncée, mais la grande majorité des médecins ont dit que la mesure législative partait d'un objectif louable et que nous devrions par conséquent l'appuyer.

M. Hill: Je conclus donc en vous disant que je suis fier que mon association ait procédé à une consultation de sa base, et qu'elle l'ait fait selon des principes qui conviennent parfaitement à une association qui regroupe un si grand nombre de membres. Merci.

Mme Barnes (London-Ouest): Avant de passer à mes questions, monsieur le président, je tiens à signaler que j'ai remarqué que certains des paragraphes qui se trouvaient dans les mémoires ont été omis dans les exposés que nous avons entendus. Je demanderais que le texte intégral des mémoires, y compris celui des annexes, soit consigné au compte rendu.

Le président: Les membres du comité sont-ils d'accord? Très bien.

Mme Barnes: Je vous suis très reconnaissante du témoignage que vous nous apportez aujourd'hui. Il est normal que l'examen de données et de travaux de recherche très scientifiques nous amène à exprimer des réserves. C'est assez curieux de constater que plus on est professionnel et plus on a de données à sa disposition, plus les opinions fermes cèdent la place aux opinions nuancées.

Nous entendons une multitude d'opinions de la part de ceux qui viennent témoigner devant nous; dans certains cas, ces opinions sont tout à fait fondées, alors que, dans d'autres, elles sont tout à fait erronées. Notre rôle consiste à disséquer ces opinions pour en dégager une position équilibrée qui réponde aux besoins actuels de la société canadienne, aux besoins des Canadiens, non pas d'une région en particulier, mais de l'ensemble du pays.

Vous témoignez ici aujourd'hui à cause de votre champ de compétence particulier, à savoir le suicide et les questions de santé, et vous nous avez bien sûr fait part de données concernant les décès par balle, non pas seulement les suicides, mais aussi les homicides et les accidents. Je considère que vous êtes très bien placé pour évaluer tant les risques que les besoins.

J'ai un certain nombre de questions à vous poser. Tout d'abord, vous dites dans votre mémoire:

L'AMC est d'accord sur la mesure législative actuelle.

Vous énumérez ensuite... ainsi, vous donnez clairement votre approbation à la mesure législative dont nous sommes saisis. Vous incluez ensuite une phrase où vous exprimez des réserves quant à l'enregistrement et au suicide. C'est la seule réserve que vous émettez si je ne m'abuse. C'est juste?

Dr L'Heureux: Oui, c'est juste.

Mme Barnes: Je veux obtenir un éclaircissement tant pour moi que pour ceux qui liront votre témoignage. Vous êtes notamment d'accord avec l'objectif de la mesure législative que vous libellez en ces termes à votre point 4: «resserrer les mesures de contrôle des importations, des exportations et des transferts».

Seriez-vous d'accord pour dire qu'on pourrait penser - il s'agit peut-être là d'une question qui dépasse votre champ de compétence et qui est plutôt du ressort de la GRC et des forces policières qui ont témoigné devant nous - que c'est dans ce contexte que l'enregistrement prévu dans la mesure législative serait le plus utile?

Dr L'Heureux: Vous avez signalé, je crois, que notre champ de compétence est celui, non pas de l'application de la loi, mais des soins de santé. C'est là notre rôle selon vous.

Mme Barnes: Il serait donc raisonnable de penser que vous vous êtes intéressés d'abord et avant tout aux questions de santé dans l'examen que vous avez fait du projet de loi?

Dr L'Heureux: Oui.

Mme Barnes: Diriez-vous que vous êtes au courant des dispositions du projet de loi concernant l'application de la loi et que vous les approuvez?

Dr L'Heureux: Oui.

Mme Barnes: Seriez-vous donc d'accord pour dire que l'enregistrement aurait peut-être une importance plus grande quand il s'agit d'appliquer la loi que quand il s'agit des soins de santé?

.1055

Dr L'Heureux: Probablement.

Mme Barnes: «Probablement» ne nous sert pas à grand-chose.

Le président: Mais vous pouvez répondre ce que vous voulez.

Mme Barnes: Je ne veux pas trop insister là-dessus. J'aimerais des explications.

Dr Walters: Je voudrais simplement dire qu'il y a toutes sortes de détails particuliers dans ce projet de loi sur l'enregistrement des armes. Comme vous le savez, il est très long et il faut l'étudier ligne par ligne.

Mme Barnes: Oui, je l'ai fait.

Dr Walters: Cela devrait certainement permettre à la police et au système judiciaire d'intervenir davantage et de recevoir plus d'informations, etc. Son mode de fonctionnement... là encore, nous n'avons pas encore essayé de déterminer quels résultats le système d'enregistrement auprès de la police pourra avoir, et nous ne prétendons pas avoir les qualifications nécessaires pour cela.

Lorsque nous avons examiné cela, nous avons eu l'impression que, vu la complexité des données relatives à la santé et le nombre de questions qui n'ont pas encore été résolues dans ce domaine, nous ne pouvons encore rien dire de précis en ce qui concerne les suicides, les homicides ou la prévention des accidents, ce qui bien sûr nous intéresse énormément. Nous pouvons simplement dire que nous voulons nous assurer qu'on réfléchira sérieusement à l'efficacité de tout programme éventuellement appliqué dans ce domaine en ce qui concerne les questions de santé. Voilà ce qui nous intéresse vraiment; nous voulons améliorer les choses du point de vue de la santé. Nous voulons être sûrs que cela a été étudié à fond, notamment par les experts en matière de santé, ainsi que la police ou les experts juridiques.

Vous avez déjà certainement entendu les interventions du Dr Chapdelaine et des responsables de la santé publique et vous devez vous pencher sur ce type de possibilités. Est-ce que l'enregistrement suffit ou bien doit-on envisager cela comme un problème relié à la criminalité et dans une optique policière?

Mme Barnes: Je vous remercie beaucoup de cette précision.

On a dit à quelques reprises, et je crois que cela crée une certaine confusion dans le pays, que les accidents, les décès ou les suicides reliés aux armes à feu sont un problème urbain. Dans les régions rurales, il y a plus d'armes à feu mais il y a moins de risques parce que tout le monde sait comment les utiliser; on s'en sert quotidiennement.

Je pourrais peut-être demander aux médecins d'urgence de me donner leur avis là-dessus.

Dr Drummond: En premier lieu, si je peux dire brièvement quelques mots au sujet de l'enregistrement des armes à feu, je pense que, selon nous, on devrait modifier le contexte d'ensemble. J'ai deux fusils chez moi et je sais très bien que je ne m'en occupe pas très bien mais si, d'un seul coup, je pense que la police va venir et risque de faire de moi un criminel du jour au lendemain, je vais certainement les mettre en sûreté et m'assurer que mes munitions sont entreposées correctement. Je le reconnais et j'espère que la GRC ne m'attend pas dehors.

La deuxième chose, c'est qu'il se trouve que j'ai passé deux années merveilleuses dans la force d'opérations spéciales au camp de Petawawa. Je sais qu'on n'aime pas parler de cette force sur la Colline parlementaire, mais ce furent néanmoins deux années intéressantes. C'était une société contrôlée, qui privilégiait la violence, si l'on veut, mais on respectait et on contrôlait très bien les armes à feu. En conséquence, pendant les deux années que j'ai passées là-bas, je n'ai constaté aucune blessure due à une arme à feu. J'ai vu beaucoup de fractures de la cheville, de problèmes dorsaux, de rhumes ainsi qu'un éclat de grenade, mais je n'ai vu aucune blessure due à une arme à feu.

Lorsque j'ai travaillé dans des hôpitaux dans les zones urbaines de Montréal et de Vancouver, j'ai parfois vu des gens blessés par une arme à feu dans le cadre d'activités criminelles. J'ai vu en tout une douzaine de blessures de ce genre. J'ai passé 12 ans à Perth, juste au sud d'ici, j'étais allé à Mayberry en pensant que ce serait un excellent endroit pour élever mes enfants et que ce serait une petite ville tranquille et ensoleillée où il ne se passait rien, et j'y ai vu toutes les sortes possibles de blessures par armes à feu. En fait, dans les zones rurales du Canada, tout le monde a une arme à feu. Il y a toutes sortes de raison à cela. En novembre, on ne peut pas faire réparer sa voiture ou sa plomberie à Perth parce que tout le monde est à la chasse.

Chez moi, j'ai des fusils, surtout pour lutter contre les animaux nuisibles. Des écureuils entrent dans ma maison et font peur à ma femme, les ratons-laveurs font des dégâts dans ma poubelle - je sais que c'est un horrible aveu, mais c'est la triste vérité.

Mme Barnes: Je vous suis reconnaissante de ce témoignage.

Dr Drummond: Je sais qu'au Canada, c'est un crime que de tuer des castors, mais le fait est qu'ils mangent beaucoup d'arbres et j'ai tiré sur eux à quelques reprises, mais d'habitude, je rate mon coup.

En fait, les groupes de prévention du suicide nous disent que l'accès à des armes à feu est un facteur déterminant. Si vous prenez des pilules, je peux vous sauver. Comme cela m'est arrivé récemment, quelqu'un peut se jeter devant une semi-remorque, et je peux le sauver. Si quelqu'un se tire un coup de feu dans la bouche, je ne peux rien faire. Si on supprime l'accès aux armes à feu, on diminue donc le risque de suicide.

.1100

Dans les régions rurales du Canada, le suicide est souvent le résultat d'une crise familiale qui est allée trop loin. Il s'agit d'un geste impulsif. Encore une fois, rendre plus difficile l'accès aux armes à feu, omniprésentes en milieu rural, diminue ce risque.

Comment l'enregistrement fonctionne-t-il? J'ai un fusil de calibre 12 et une carabine 22. Ces armes ne sont pas enregistrées. Tout d'un coup, je dois prendre possession de ces deux objets dans une perspective juridique. La question: me suis-je servi d'une de ces armes pendant les trois dernières années? Non. Ai-je besoin de ces armes? Peut-être pas. On peut faire les choses autrement. Ensuite, je dois me demander si je veux garder les armes à feu des ancêtres et dans bien des cas, j'ai l'impression qu'il faudrait me départir de l'arme à feu en question. Papa l'a ramenée de la guerre, personne ne s'en est jamais servi, en a-t-on vraiment besoin?

Je crois que cela inculque un sens des responsabilités vis-à-vis des armes à feu et que ça oblige les gens à assumer leurs responsabilités, à entreposer leurs munitions de façon sécuritaire et cela pourrait servir à diminuer ou même à empêcher les suicides et les homicides commis sous le coup d'une impulsion.

Mme Barnes: Il ne me reste qu'une minute et je vois dans votre mémoire, chose que je trouve absolument étonnante, dans le mémoire de l'Association canadienne des médecins d'urgence, que le risque de mourir d'un coup de feu au Canada est à peu près le même que celui de mourir dans un accident d'automobile, soit 2,37 décès par 10 000 armes à feu comparé à 2,4 décès par 10 000 automobiles immatriculées en 1990. Je n'en croyais pas mes yeux. Je croyais que les accidents d'automobile, les décès causés par les armes à feu... donnez-nous quelques détails.

Dr Drummond: Il n'y a pas grand-chose de plus à dire. Les chiffres sont là, c'est factuel. Pour la gouverne des membres du Parti réformiste, ces données sont tirées d'une base internationale... La Nouvelle-Zélande a le même taux de mortalité pour le même nombre d'armes à feu enregistrées appartenant à des civils. Les données sont les données, et on peut se servir des données comme on veut. Néanmoins, d'après ces données, il semble y avoir un problème important.

[Français]

M. de Savoye: Merci, monsieur le président.

Monsieur Simon, j'ai été très impressionné par les chiffres et les graphiques que vous nous avez fournis.

Il est évident qu'il y a une corrélation directe de cause à effet entre la présence des armes à feu et le taux de suicides dans une région donnée. C'est la première fois, je crois, que ce comité était saisi de données qui le démontraient d'une manière aussi évidente. Je crois que nous devons tous et toutes vous en être reconnaissants.

À la page 11 de votre mémoire, vous proposez un certain nombre de recommandations qui se poursuivent jusqu'à la page 12. Vous avez, en tout, sept recommandations. Chacune de ces recommandations est intéressante en soi: faire connaître le règlement, faire preuve de vigilance de la part des autorités policières quant à l'application du règlement, rendre inaccessibles aux adolescents les armes à feu, et ainsi de suite.

Aucune de ces recommandations ne fait partie du projet de loi. Alors, ma première question est celle-ci: Est-ce que vous croyez que ces recommandations devraient être intégrées sous forme d'articles de loi dans le projet de loi?

M. Simon: Non, monsieur le président, pas nécessairement.

En fait, nous avons mis ces recommandations-là parce que nous avons jugé bon de sensibiliser les députés à ces questions et parce que nous croyons que le projet de loi C-68 devrait finalement être un outil pour aller plus loin. C'est un levier pour aider à voir plus loin dans le domaine de la prévention du suicide.

Donc, effectivement, je pense qu'à partir du moment où on disposera d'une législation comme celle-là, on pourra faire davantage, dont évidemment, sensibiliser les gens qui ont des armes à feu, pour finalement voir à ce qu'ils les entreposent très rigoureusement.

M. de Savoye: Effectivement, ça confirme ce que je percevais de votre intention, c'est-à-dire d'encourager, d'inciter ceux qui auront à appliquer la loi à aller plus loin pour la faire connaître et pour s'assurer que les objectifs initiaux sont véritablement atteints.

.1105

En quoi l'enregistrement universel permet-il, davantage qu'actuellement, de poursuivre les recommandations que vous nous faites?

M. Simon: D'accord.

Selon nos informations, beaucoup de propriétaires d'armes ne savent même plus, à la limite, où sont entreposées leurs propres armes.

Nous pensons qu'en responsabilisant les foyers, en leur passant le message qu'il s'agit d'un outil dangereux, on a des chances que ces armes-là soient entreposées correctement.

Il y a des gens qui n'ont pas utilisé leurs armes à feu depuis fort longtemps et qui n'en voient plus la nécessité. Nous pensons, grâce au projet de loi C-68, que ces gens vont reconsidérer les motifs qu'ils avaient de posséder une arme autrefois. Ils vont peut-être s'en départir et faire de notre société, finalement, une société où les risques d'événements tels que les suicides et les homicides vont être réduits.

J'étais ici lors des audiences, hier, et le ministre de la Justice de l'Alberta réclamait qu'on lui démontre que le projet de loi C-68 va réduire les homicides et, par le fait-même, la criminalité.

En fait, je pense, mesdames et messieurs les députés, que vous ne devez pas considérer le projet de loi C-68 comme un projet de loi qui vise seulement la prévention de la criminalité, mais aussi comme un projet de loi qui vise la prévention du suicide.

M. de Savoye: Effectivement, vous avez raison. Le projet de loi doit aussi, et peut-être en premier lieu, viser à assumer une meilleure santé et une réduction de la violence, outre les questions de crimes, de vols à main armée et d'autres choses.

Vous êtes donc d'avis que l'enregistrement va appuyer, va aider à l'atteinte des objectifs initiaux que M. Allan Rock, le ministre de la Justice, avait proposés dès le départ?

M. Simon: Définitivement. Je pense que l'association que je représente n'aurait pas appuyé l'enregistrement universel des armes à feu si, dans tous les foyers canadiens, les armes étaient correctement entreposées.

M. de Savoye: Je comprends bien vos arguments et je suis convaincu que tous mes collègues sont dans la même situation.

Cependant, nous savons que l'AMC n'a pas les mêmes convictions que vous. Nous avons, ce matin, une occasion rêvée pour éclairer notre jugement par deux visions différentes.

Alors, je demanderais à l'AMC de nous expliquer en quoi elle diverge de point de vue, non pas sur les objectifs parce que je comprends que vous êtes d'accord à ce sujet, mais sur le moyen de l'enregistrement universel, en quoi vous différez de point de vue avec votre collègue, M. Simon?

Je vous écoute, les personnes de l'AMC.

[Traduction]

Dr Walters: Je crois que nous approuvons votre plan, monsieur Allmand. À mon avis, nous essayons tout simplement d'en affiner les détails pour trouver la voie la plus efficace.

Comme on l'a déjà souligné, nous croyons que les programmes de formation et d'inspection ainsi que les exigences au niveau de la sécurité en matière de manutention et d'entreposage sont critiques et qu'on peut même les améliorer. On peut prévoir des améliorations au niveau du respect de ces exigences.

En préparant notre document de fond, j'ai été frappé par l'information en provenance des tenants de l'hygiène publique qui croient que c'est un problème très important. J'ai aussi écouté le point de vue de gens qui manipulent ces armes, qui les collectionnent, qui s'en servent à des fins récréatives et ainsi de suite. Je n'ai pas de préjugés. Je n'ai pas d'armes à feu et nos enfants n'ont pas d'armes à feu. Je ne suis pas chasseur ou autre chose du genre.

Cependant, pour en revenir au problème de la santé, quand nous voyons que la plupart des décès ici... Je ne sais pas si vous avez consulté Santé Canada à ce propos pour en faire un programme de santé. À lire le document, je ne crois pas que ce soit le cas.

Pour parler strictement sur le plan de la santé, certains intervenants nous disent que même si nos armes à feu sont bien entreposées, qu'elles se trouvent sur la tablette du fond et que les munitions sont ailleurs, il ne faut qu'une minute ou deux pour mettre la main sur tout ça. Pour quelqu'un de déprimé, qu'il agisse sous le coup de l'impulsion ou pas, tout le nécessaire est là.

Si nous avons bien compris le projet de loi, il ne s'agit pas d'enlever aux gens leurs armes à feu. Ce matin, question d'éclaircissement, j'ai entendu dire que vous ne confisquez même pas les armes d'assaut militaire. Vous en interdisez la possession future, mais pas rétroactivement. C'est bien exact? Ces armes-là seront donc toujours disponibles.

.1110

Je crois que c'est comme cela que nous essayons de déterminer ce qui sera le plus efficace, et même si toutes ces armes à feu sont encore disponibles... nos collègues ont peut-être raison, mais nous ne savons pas combien de gens se déferont de leurs armes simplement parce qu'on leur impose toute une paperasse et qu'il faut acquitter des droits, etc. Ce sera peut-être le cas, mais nous continuerons de penser qu'il y aura encore beaucoup d'armes à feu chez les gens.

Pour intervenir de façon véritablement efficace à l'heure actuelle, cela me paraît beaucoup plus compliqué que simplement de dire qu'il faudra maintenant avoir une carte dans son portefeuille. Je ne sais pas quelle influence cela pourra avoir. Cette information me semble vouloir dire que si quelqu'un possède 100 armes à feu, il devra avoir 100 documents. Cela pourrait jouer un rôle dissuasif; en fait, je pense que cela pourrait déprimer certains propriétaires d'armes à feu.

Néanmoins, je pense que pour savoir si ces mesures seront efficaces, nous devons nous efforcer de concevoir un système donnant de bons résultats plutôt que de mettre sur pied un énorme ordinateur très cher avec beaucoup de paperasse sans tenir compte des problèmes reliés à la santé. Voilà en gros ce que nous voulons dire.

Dr Drummond: Puis-je faire un commentaire?

Le président: Oui. Auparavant, je demanderai une précision à M. Gallaway.

Monsieur Walters, je ne sais pas si vous êtes au courant des dispositions du projet de loi relatives aux permis de possession. Pour accorder un tel permis, on prend en considération la santé mentale et toute demande doit être cosignée par deux personnes de la localité, comme c'est actuellement le cas pour les certificats d'acquisition d'armes à feu. Ce système sera élargi à tous les propriétaires. Un requérant souffrant de schizophrénie, de dépression ou de je ne sais quoi, comme on l'a dit, pourrait se voir refuser un tel permis s'il n'arrivait pas à trouver deux personnes à Perth ou ailleurs prêtes à signer, parce qu'elles sauraient qu'il a des antécédents d'instabilité.

Donc, si l'on combine les procédures relatives à l'émission d'un permis et l'enregistrement, on ne peut pas en déduire que tout le monde pourra recevoir un certificat de possession. Il se fait un tri, et si on n'obtient pas le certificat de possession, on ne peut pas faire enregistrer une arme en son nom. Je ne sais pas si vous l'aviez compris. Vous semblez croire que le nouveau système proposé en matière de possession et d'enregistrement ne va rien changer et que tous les gens qui ont des armes à feu maintenant pourront continuer de les avoir. Voyiez-vous les choses ainsi?

Dr Walters: Si vous me posez directement la question, je vous dirais que c'est un peu difficile à comprendre. Si vous dites que tout le monde ne recevra pas un certificat de possession...

Le président: Exactement. On pourrait en refuser un pour toutes sortes de raisons.

Dr Walters: Je vois, vous faites simplement référence aux personnes qui essuient un refus?

Le président: Oui.

Dr Walters: Je comprends.

Le président: Si quelqu'un a des antécédents d'instabilité...

Dr Walters: Oui. J'avais compris que si l'on pouvait spécifier certains paramètres en matière de danger, c'est-à-dire un problème grave en matière de santé mentale...

Le président: Cela figure dans le projet de loi.

Dr Walters: C'est exact, mais j'ignore combien de gens avouent avoir un problème, de toute façon.

Le président: M. Drummond voulait répondre à la question de M. de Savoye.

Dr Drummond: Je ferai un bref commentaire; tout le monde a des problèmes avec cette question de l'enregistrement en ce qui concerne... Je ne vais pas parler de la criminalité, mais des mesures de prévention en matière de santé. Il me semble que l'on aura un processus en deux étapes et qu'on peut décider quelle demande autoriser. En fin de compte, je pense que l'on devrait avoir un système de déclaration des personnes à risque. Dans les services d'urgence ou dans les cabinets de pratique familiale de notre pays, comme les médecins ici présents pourront en témoigner, il y a souvent des gens qui viennent dire qu'ils envisagent de se suicider ou qu'il y a de la violence dans leur famille, et l'on peut aussi avoir quelqu'un de complètement fou qui vient dire qu'il veut tuer tous les avocats...

Le président: C'est quelque chose de compréhensible.

Dr Drummond: En fait, c'est peut-être même souhaitable.

Des voix: Oh, oh!

Le président: Il ne faudrait pas que les lecteurs de ce compte rendu se méprennent; M. Drummond et moi plaisantions quand nous avons dit cela.

Dr Drummond: Tout à fait. C'est juste une plaisanterie.

Mais je pense que le vrai problème se pose lorsque quelqu'un de vraiment suicidaire vient nous voir; la procédure est simple. On l'interne en vertu de la Loi sur la santé mentale et le patient examiné par un psychiatre pendant un certain nombre de jours. La situation se corse lorsqu'il n'y a pas de menace aussi directe mais plutôt des paroles sans suite, si bien que l'on ne sait pas si la personne est sérieuse ou non.

.1115

Du point de vue de la médecine d'urgence, c'est très bien de dire: «Savez-vous que vous n'arrivez plus à contrôler la violence dans votre famille, est-ce qu'il y a une arme à feu dans la maison? Pendant que vous essayez de régler vos problèmes avec des spécialistes, sortons les armes de la maison avant qu'il y ait une escalade et un événement tragique.» Si quelqu'un pense constamment au suicide et fait toutes sortes d'allusions devant les médecins, il faut retirer les armes de sa maison.

Il faut mettre au point un système de déclaration médicale. Dans les régions rurales du Canada, il y a généralement des familles élargies et on peut demander à la tante Marthe d'enlever les fusils de la maison de son neveu, et elle s'en occupe. Ce n'est pas toujours le cas dans les secteurs urbains. Il serait peut-être bon d'avoir un système identique à ce qui se fait pour les conducteurs d'automobiles et les pilotes d'avions: on pourrait retirer le permis des personnes à risque tant que leur problème médical n'est pas réglé.

Pour que ce système soit efficace, il faut avoir un enregistrement universel. Il n'est pas question de déclaration médicale dans le présent projet de loi, mais cela pourra apparaître dans une version ultérieure. Est-ce qu'il faut que l'enregistrement soit en place et que l'on passe ensuite à la déclaration médicale, ce qui est important pour bien appliquer tout cela? Ou doit-on d'abord introduire la déclaration médicale, puis l'enregistrement? Une déclaration sans enregistrement ne servira à rien.

Le président: Il y avait d'autres personnes qui voulaient répondre à cette question; je donnerai ensuite la parole à M. Gallaway.

Monsieur Simon, vous vouliez répondre.

[Français]

M. Simon: Je voulais seulement préciser aux membres du Comité que l'Association québécoise de suicidologie, avant de se faire une opinion par rapport à l'enregistrement universel des armes, a effectué une revue de la littérature qui figure dans le document français; vous pouvez y jeter un coup d'oeil. En fait, ce sont surtout des ouvrages en anglais. Donc, il ne devrait pas y avoir de problème. Entre autres, un ouvrage de la Canadian Medical Association de 1993, et The New England Journal of Medecine, qui sont la plupart du temps des ouvrages émanant du monde médical.

Ce qui nous étonne, finalement, dans tous ces articles - et on le démontre bien - , c'est que l'on connaît une diminution du nombre de suicides dans l'ensemble des groupes d'âge et parfois, plus particulièrement chez les jeunes, lorsque les législations sont plus sévères à l'égard des armes à feu.

Merci, monsieur le président.

Le président: Dr L'Heureux.

Dr L'Heureux: J'aimerais faire juste un petit commentaire, monsieur le président, à l'intention de M. Savoye. À toutes fins pratiques, les deux positions ne sont pas irréconciliables. On vous dit que l'enregistrement fait partie d'un ensemble de processus et qu'à lui seul, il n'aura peut-être pas l'effet escompté.

Mais on vous a présenté d'autres mesures qui sont quand même importantes pour assurer la sécurité en ce qui concerne les armes à feu. Ces gens ont beaucoup plus d'expertise; ce sont eux qui travaillent avec des gens qui se suicident ou qui se présentent à l'urgence. Comme je vous le disais au départ, nous devons représenter un groupe beaucoup plus large.

[Traduction]

Dr Fisher: Je voudrais simplement présenter un autre commentaire au sujet des questions du même genre et de celles dont a parlé mon collègue, M. Drummond.

Je voudrais d'abord parler de ce qu'a dit M. Allmand au sujet du tri. Il faudrait peut-être procéder à un tri encore plus précis que ce n'était le cas. En tant que médecins, nous savons que certaines personnes souffrant de troubles de la personnalité ou d'autres troubles psychiatriques arrivent à donner très bien le change. On ne s'en rend peut-être pas compte tant qu'elles ne se présentent pas devant un médecin.

Nous avons notamment recommandé que les médecins servent éventuellement de personnes de référence ou participent d'une façon ou d'une autre au processus de présélection en ce qui concerne l'octroi de permis d'acquisition d'armes à feu.

En ce qui concerne l'enregistrement, je voudrais donner quelques précisions. On a dit qu'il y avait environ 1 400 personnes qui étaient tuées chaque année au Canada par des armes à feu et que beaucoup d'autres étaient blessées. Notre association n'est pas prête à accepter que le Canada continue à servir de laboratoire et que les Canadiennes et les Canadiens continuent à servir de cobayes pour cet éventuel projet de recherche destiné à déterminer si l'enregistrement réduira ou non ce vaste nombre de décès et de blessures. Cela coûte 1 400 vies et jusqu'à 6,5 milliards de dollars chaque année.

Nous avons des preuves, dont beaucoup ont été présentées par les spécialistes du suicide et bien d'autres, qui montrent qu'une diminution de l'accès aux armes à feu et un renforcement des restrictions entraînent manifestement une diminution du taux d'homicides et de suicides. Nous savons qu'il existe des données montrant qu'environ la moitié des armes à feu présentes dans des habitations familiales n'ont pas été utilisées depuis un an ou deux. Vous avez entendu une anecdote personnelle montrant ce qu'il fallait penser de cela.

Si les gens doivent demander un permis, cela leur permet de se demander s'ils ont véritablement besoin d'une arme à feu. Nous savons que cela ne s'applique pas seulement aux armes de poing et aux fusils d'assaut. Les armes le plus souvent utilisées pour tuer quelqu'un sont les carabines de calibre 22 et les fusils de chasse de calibre 12. Si les gens réévaluent leurs besoins, il y aura moins d'armes susceptibles d'être utilisées pour des actes impulsifs comme ceux dont ont parlé les spécialistes du suicide. Nous savons que, lors des conflits familiaux, il se produit souvent des actes impulsifs.

.1120

Si les armes ne sont pas entreposées de façon sûre et qu'on en autorise la possession de façon injustifiée, il en résultera une augmentation du nombre de personnes tuées par un membre de leur famille. Nous le savons, et nous avons entendu des anecdotes à ce sujet: si nous légiférons à cet égard, les dispositions relatives à l'entreposage seront sans doute mieux respectées.

M. Drummond a signalé que, de notre point de vue, et en particulier dans l'optique de la recherche, nous avons besoin d'une base de données nationale pour déterminer quelles sortes d'armes à feu sont utilisées, dans quel contexte physique et social elles le sont, quelle est la situation démographique, comment on peut empêcher cela à l'avenir et quelles recherches on peut effectuer. Nous avons besoin d'un système à l'échelon national, par exemple d'un système d'enregistrement, pour assembler ce genre de données.

J'ai une automobile, je respecte la loi et j'ai un permis de conduire. Je suis tout à fait prêt à respecter les lois et à payer mes frais d'immatriculation. Je pense que les propriétaires d'armes à feu respectueux des lois et responsables - et c'est l'avis de l'Association canadienne des médecins d'urgence - ne se voient pas imposer un fardeau particulier du fait de devoir demander un permis pour leurs armes à feu afin de protéger la santé et la sécurité de l'ensemble de la population du Canada.

Pour finir, je voudrais simplement signaler qu'il est également bien connu que l'enregistrement des armes à feu permettra d'en suivre les mouvements illégaux. On sait que beaucoup d'armes à feu sont volées chaque année. On sait également que les armes détenues illégalement sont celles qui sont le plus souvent utilisées dans les cas de suicide et d'homicide et peut-être même pour les activités criminelles, même si cela ne relève pas de notre compétence.

En résumé, nous recommandons fortement que le système proposé inclue l'enregistrement des armes à feu. Tel est le point de vue de l'Association canadienne des médecins d'urgence.

Le président: Je vous remercie pour toutes les réponses que vous avez données aux questions de M. de Savoye.

Nous avons peu de temps et je demanderais donc aux témoins, quand ils répondent, de... Je ne veux pas admettre qu'il y a d'autres gens qui ont des questions précises à poser.

Avant de passer à M. Gallaway, je voudrais vous renvoyer à l'article 5 du projet de loi, en page 5. Il y est stipulé qu'avant de délivrer un permis, le contrôleur des armes à feu doit, en ce qui concerne le demandeur, prendre en considération si:

b) qu'il ait été interné ou non, il a été traité, notamment dans un hôpital, un institut pour malades mentaux d'une clinique psychiatrique, pour une maladie mentale caractérisée par la menace, la tentative ou l'usage de violence contre lui-même ou autrui;

Je n'attends pas de votre part une réponse maintenant, mais cela fait partie du processus de sélection.

M. Gallaway (Sarnia-Lambton): Je voudrais poser mes questions à M. Walters.

Dans notre pays, certains gouvernements exigent que les médecins signalent certaines choses. Par exemple, en Ontario, si un médecin soupçonne qu'un enfant est victime de violence, la loi lui impose de le faire savoir à certaines autorités.

La législation relative à la circulation routière de certaines provinces oblige parfois les médecins à signaler toute personne titulaire d'un permis de conduire en règle que des raisons médicales rendraient incapable de conduire. On pense par exemple à la cécité, ou plutôt à une diminution ou à un affaiblissement de la vue.

Au nom de votre association, pouvez-vous nous dire si vous considéreriez comme un problème le fait de devoir signaler aux autorités une personne qui a précédemment été légitimement propriétaire d'une arme à feu mais qui, pour quelque raison médicale que ce soit, ne devrait plus en posséder? Est-ce que cela vous poserait des problèmes?

Dr Walters: Je voudrais vous renvoyer à la page 7 du mémoire. C'est, là encore, un domaine très complexe. Nous pensons qu'il y a beaucoup à faire pour établir des directives et des procédures claires à cet égard.

C'est par exemple l'Association médicale canadienne qui a rédigé le livre de référence pour l'examen du permis de conduire, détail qui pourrait vous intéresser. Nous le diffusons à tous nos nouveaux membres, etc. C'est la référence reconnue pour ce qui est de l'évaluation de la santé des conducteurs.

En ce qui concerne la cécité, c'est là encore un exemple. Il y a toutes sortes de lignes directrices et de références secondaires quant à ce que l'on doit légalement considérer comme constituant la cécité. Cela peut devenir compliqué et il faut procéder à un examen détaillé.

Par exemple, si l'on veut retirer à un conducteur de poids lourds son gagne-pain sur la base du critère visuel, il faut être très précis.

.1125

On peut être très précis pour certains de ces états médicaux, en ce qui concerne par exemple le fonctionnement des yeux. Mais appliquons cela maintenant à l'exemple que vous avez soulevé, la santé mentale. Existe-t-il actuellement des lignes directrices très claires pour déterminer si quelqu'un peut conduire, posséder une arme à feu ou faire je ne sais quoi d'autre? À l'heure actuelle, il n'y en a pas. Nous en avons parlé avec l'Association des psychiatres du Canada, à cause des implications de cette question en matière de travail. Cette association a appuyé notre mémoire.

Nous avons signalé ce qu'il faudrait inclure. Il faudra établir des lignes directrices et des procédures précises permettant d'identifier les patients à risque en matière de violence ou de comportement suicidaire. La loi oblige-t-elle le médecin à signaler ces patients aux autorités ou est-ce à lui d'en décider? Il faut répondre à toutes ces questions, comme pour le permis de conduire.

Quelles sont les responsabilités des organismes qui reçoivent de tels renseignements confidentiels? Que se passe-t-il à ce moment-là? S'agit-il de la police? Ou du système judiciaire? À qui ces renseignements sont-ils transmis et qu'en advient-il? Certains organismes ne respectent pas la confidentialité autant que les médecins.

En outre, la responsabilité civile des médecins est-elle protégée explicitement s'ils doivent signaler ce genre de choses? Nous en avons parlé dans le mémoire et nous avons abondamment réfléchi à la question. On ne peut pas se contenter d'une réponse simpliste, il y a beaucoup de travail à faire à ce sujet. Il faut penser que cela concerne 55 000 médecins, dont certains sont des médecins d'urgence, d'autres des psychiatres... Certains sont des médecins de famille qui peuvent se trouver dans la situation délicate de devoir procéder à cette évaluation et à cet examen pour tous leurs patients dans les régions rurales où les gens ont beaucoup d'armes à feu. Il faut réellement tenir compte de tout cela avant de se prononcer.

C'était une réponse un peu longue, excusez-moi.

M. Gallaway: Monsieur Drummond, je voudrais simplement faire une comparaison. Vous avez, je crois, mentionné The New England Journal of Medicine. L'un des problèmes que tout cela pose est que divers témoins qui se sont présentés devant nous ont dit que les experts avaient des partis pris.

Un médecin de l'Ontario s'est récemment présenté devant nous en tant que porte-parole d'un groupe; il disait, dans son mémoire: «Le rédacteur en chef de la revue The New England Medical Journal, Jerome Kassirer, un adversaire des armes à feu, publie des études subjectives aux conclusions établies d'avance dans un magazine médical, par ailleurs renommé». Êtes-vous d'accord avec lui?

Dr Drummond: Je ne connais pas le rédacteur en chef de cette revue, mais je suppose que c'est une personne honorable. La plupart des journaux scientifiques sérieux adoptent, en fait, le système d'examen par les pairs. Les opinions exprimées ne sont pas celles d'une personne mais d'un conseil de rédaction. Toute étude contestable aurait pu être réfutée ultérieurement par d'autres publications. En fait, il n'en a pas été ainsi. Je pense que je ne suis pas d'accord.

M. Gallaway: Par ailleurs, cette personne, le Dr Sobrian, nous a expliqué que les suicides ne sont pas des actes impulsifs. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?

Dr Drummond: Oui. C'est une absurdité.

M. Gallaway: Merci.

Le président: Monsieur Mishara, vouliez-vous commenter cela?

M. Mishara: Il est très fréquent de penser au suicide. La plupart des Canadiennes ou des Canadiens pensent une fois ou l'autre à se suicider, mais très peu effectuent réellement une tentative. Les gens qui se suicident y pensaient certainement déjà depuis longtemps. Bien peu de ceux qui y ont pensé passent ensuite véritablement à l'acte.

Toutes les recherches connues jusqu'à présent montrent que le risque augmente si la personne a accès à une méthode garantissant une issue mortelle. Les gens se suicident lorsque les choses vont vraiment mal. On a étudié le cas de gens que l'on a réussi à empêcher de sauter du pont Golden Gate. Le lendemain, ils étaient de nouveau dans la rue et ils ne se dirigeaient pas vers un autre point ou n'achetaient pas d'arme à feu. Tout ce qui retarde l'acte ou l'accès à un moyen de le réaliser chez une personne en proie à un stress ou à des difficultés particulièrement graves se traduit par une diminution du nombre de suicides.

La question importante est donc de savoir si ce projet de loi retardera le moment où un certain nombre de Canadiennes et de Canadiens auront accès à des moyens de se donner la mort. Si la réponse à cette question est oui, nous pouvons alors prédire, en nous fondant sur presque toutes les études connues, qu'il y aura une diminution du nombre de suicides. Si ce projet de loi permet de réduire le nombre des foyers où se trouvent des armes à feu, d'après toutes les recherches effectuées jusqu'à présent, je dirais que nous pourrons sauver des vies. Si ce projet de loi fait en sorte que les armes à feu seront mieux entreposées, nous sauverons également d'autres vies, car la victime potentielle n'est pas tellement le propriétaire, qui a la clé, que son fils adolescent, qui n'aura peut-être pas la clé et n'y aura pas accès.

.1130

Quelle est la valeur de la vie d'un Canadien si on la compare aux désagréments et au coût de cette mesure? Je laisse cela à votre réflexion.

M. Hill: J'aimerais adresser mes observations à mes collègues des services d'urgence. Une grande partie de votre mémoire porte sur le suicide, comme celui de nos autres collègues. Pour donner un cadre de référence général, nous parlons ici d'un tiers des suicides au Canada. Nous perdons quelquefois de vue le fait que les suicides par arme à feu représentent un tiers des suicides. C'est pourquoi, lorsque nous parlons d'armes à feu, elles représentent une proportion importante des suicides mais certainement pas la majorité.

La plupart de vos suggestions ont porté sur l'entreposage en lieu sûr, le fait de séparer les armes et les munitions, la difficulté d'accès à l'arme, l'examen des personnes pour déterminer un risque possible, l'éducation en matière de sécurité. Tout ceci est déjà présent dans notre texte de loi.

Comme vous le savez, ce texte est nouveau. Il n'est pas encore passé par tout le processus. Un nombre important de gens n'ont pas encore renouvelé leur autorisation de possession d'armes à feu, s'ils en avaient déjà une.

Le problème de ce nouveau texte de loi est qu'il n'exige pas l'enregistrement de toutes les personnes qui utilisent une arme à feu. Étant donné que ce texte comprend tout ce que vous avez suggéré - et, monsieur Drummond, vous avez proposé l'enregistrement comme un moyen de réduire l'accessibilité - pensez-vous que la délivrance d'un permis plutôt que l'enregistrement de chaque arme à feu serait plus efficace?

Le président: Monsieur Drummond, si vous permettez, dans le texte de loi actuel, même si le certificat d'acquisition d'une arme à feu est un processus de dépistage, il ne s'applique qu'à ceux qui acquièrent des armes à partir du moment où ils obtiennent le certificat. Dans le projet de loi, la méthode s'applique à tous les propriétaires, c'est pourquoi...

M. Hill: J'allais y venir.

Le président: Vous avez donné l'impression que tout ce processus de dépistage existe déjà. Ce n'est pas le cas. Ce n'est le cas que pour les nouvelles acquisitions, alors que le projet de loi permettra que cela s'applique à tous les propriétaires.

Dr Fisher: En ce qui concerne cette question, lorsque vous avez parlé du fait que nous n'avons pas actuellement de programme complet de dépistage, l'enregistrement aura donc un effet sur l'accessibilité.

J'ai déjà dit que selon nous, le processus d'enregistrement inciterait le propriétaire à réévaluer son besoin d'une arme à feu et permettrait ainsi de réduire l'accessibilité si les armes à feu ne s'avéraient plus nécessaires dans ce foyer. Vous avez mentionné que les armes en feu étaient en cause dans 30 p. 100 des suicides, mais en réalité, pour garder les choses en perspective, c'est toujours la méthode la plus couramment utilisée et cela représente 80 p. 100 des décès par arme à feu.

Nous avons également mentionné que l'un de nos objectifs est l'établissement d'une base de données complète qui permettra de faire des recherches sur ce problème de façon scientifique et de réduire les décès dont le plus grand nombre est dû au suicide. Donc, dans cette mesure, nous croyons toujours...

.1135

M. Hill: Vous n'avez pas vraiment répondu à ma question. Pensez-vous que la délivrance d'un permis à chaque personne qui souhaite avoir une arme à feu au Canada serait une mesure raisonnable plutôt que l'enregistrement de toutes les armes à feu?

Dr Drummond: Monsieur Hill, en fait, d'une certaine façon, M. Fisher vient probablement juste de répondre à votre question, formulée en tant que médecin et scientifique, et selon laquelle il faut des données précises, des données scientifiques. Comme vous le savez, il est très difficile d'obtenir des données précises dans une perspective canadienne.

En insistant sur l'enregistrement, l'AMC dit simplement qu'il faut davantage de données scientifiques. Pour ce faire, nous avons besoin du système d'enregistrement pour savoir où sont les armes à feu et à quoi elles servent. C'est le premier point.

Dans votre question et dans votre résumé des recommandations de notre association, vous avez également omis de mentionner le concept des rapports médicaux. Je vous rappelle mes premières observations concernant le lien entre le fait de signaler les personnes à risques qui se présentent aux services d'urgence et la nécessité de savoir si oui ou non il y a des armes à feu chez elles.

M. Hill: Vous savez bien entendu que cela ne figure pas dans le projet de loi C-68 et que cela n'est pas dans la loi.

Dr Drummond: Exactement, mais je sais, en tant que jeune parent, qu'il faut d'abord marcher avant de courir. Il ne sert à rien d'avoir un système de rapport médical si l'on ne sait pas qui possède des armes à feu et où.

M. Hill: Bien. Nous ne sommes pas d'accord là-dessus.

Dr Drummond: Je suppose que nous sommes d'accord sur nos désaccords.

M. Hill: Dans votre document au paragraphe 3.110, vous avez noté avec raison que la majorité des blessures dues aux armes à feu au Canada sont causées par des armes à feu légales. Par conséquent, l'enregistrement ne modifierait pas la majorité des blessures dues aux armes à feu à moins que cet enregistrement, comme vous l'espérez, ne réduise considérablement le nombre des armes à feu. Ai-je raison?

Dr Fisher: Pas nécessairement; dans la mesure seulement où les armes sont utilisées de façon plus responsable, dans la mesure où elles sont entreposées de façon plus responsable, où elles sont moins accessibles à des gens impulsifs qui sont susceptibles de se tuer ou de tuer un membre de leur famille. Dans cette mesure, nous pensons que lorsque nous aurons examiné les données qui existent actuellement, cela fera effectivement une différence.

M. Hill: J'aimerais parler des statistiques internationales sur le suicide, des statistiques précises. Il est possible de faire une petite analyse, si vous examinez l'analyse à l'échelle du pays, nous voyons que... et les deux pays que j'aimerais comparer sont la Finlande, qui s'est dotée d'une loi sur les armes à feu très restrictive, et la Suisse, qui n'a pas de loi de ce genre. La Suisse a une loi très laxiste qui encourage en fait les gens à utiliser des armes à feu. Ce sont les deux pays qui ont les taux de suicide par 100 000 habitants les plus élevés du monde. Du fait qu'ils sont tellement différents dans leur façon d'aborder la question des armes à feu, et si semblables - le nombre de suicides est exactement le même, soit 25 suicides par armes à feu pour 100 000 habitants. Comment pouvez-vous expliquer cette divergence?

Dr Drummond: Je ne le peux pas. Je ne suis jamais allé en Finlande, et même si je vivais en Finlande, je serais sans doute très déprimé. Le fait est qu'il faut examiner la situation de notre pays et j'ai déjà fait allusion à la proportion de la société canadienne qui est étroitement réglementée, où les armes à feu sont très étroitement réglementées, et pourtant on ne constate pas le même niveau de violence associée aux armes à feu que dans la société canadienne en général.

M. Hill: Je viens de vous donner des preuves du contraire.

Dr Fisher: Une autre observation sur cette preuve. D'après les informations que nous avons vues - et mes collègues qui traitent des suicides pourraient avoir davantage de renseignements là-dessus - lorsque l'on compare les tendances internationales en général, la réduction de l'accessibilité correspond à une diminution des homicides et des suicides. Dans cet exemple, s'il existe - et je n'ai pas évalué leurs données en détail, mais si ce sont leurs données, c'est une aberration par rapport à toutes les données internationales.

[Français]

Le président: Monsieur Simon.

M. Simon: Oui, effectivement, il y a une étude importante de Killias, qui a d'ailleurs été publiée dans le Canadian Medical Association Journal, en 1993. Elle s'intitule International Correlation between Gun Ownership and Rates of Homocides and Suicides in Switzerland et elle compare les données de plusieurs pays. Nous y faisons référence, à la page 18, de la bibliographie du mémoire français que nous avons présenté.

À la lumière des études internationales qui ont été faites, ce document démontre effectivement que, d'un pays à l'autre, lorque le contrôle des armes à feu est plus sévère, nous avons un effet sur les tentatives de suicide. Finalement, plus le contrôle est sévère, moins il y a de suicides par arme à feu et de suicides en général. Enfin, ils arrivent aux mêmes conclusions que nous.

.1140

[Traduction]

Le président: Avant d'appeler Mme Torsney, comme M. Hill l'a mentionné, j'ai été récemment en contact avec le gouvernement suisse. J'ai avec moi un document de l'ambassade de Suisse. Du fait des préoccupations de ce pays à l'égard de l'abus des armes à feu, on y a adopté une nouvelle loi qui entrera en vigueur au début de 1996 et qui imposera un contrôle beaucoup plus sévère des armes à feu. Je suis prêt à distribuer ce document à tous les membres du Comité s'ils le souhaitent.

M. Ramsay (Crowfoot): J'aimerais en avoir un exemplaire.

Mme Torsney (Burlington): Tout d'abord, j'ai été très intéressée par les experts sur les traumatismes, les urgences et les suicides, et en particulier par les observations sur les entreposages en lieu sûr et le choix d'avoir une arme à la maison.

J'ai entendu dire de la part de bon nombre de mes commettants qu'ils ont effectivement des armes qu'ils ont achetées pour leurs fils lorsque ceux-ci avaient 15 ans et voulaient aller chasser. Dix ans plus tard, ils ne savent même plus si l'arme fonctionne et s'ils souhaitent toujours l'avoir. Cette loi les forcera à prendre une décision à ce sujet. Cela aura peut-être un effet sur la vie de leurs enfants.

J'ai été également heureuse de vous entendre dire que vous vous préoccupez du tiers de nos jeunes gens qui se suicident en choisissant d'utiliser des armes à feu, et que vous essayez de réduire considérablement ce chiffre. Je pense que ces vies sont certainement très précieuses. Je suis particulièrement touchée de voir que ce sont surtout les jeunes gens qui passent par des périodes difficiles dans leur vie et qui choisissent d'utiliser des armes à feu parce qu'ils y ont accès. Ces jeunes pourraient devenir des membres très productifs de notre société.

Je voulais demander aux deux groupes comment vous en êtes arrivés à votre processus décisionnel. J'aimerais savoir si vous avez procédé, dans vos organisations, à des consultations, sur la violence familiale et sur les questions des femmes.

Je suppose que l'AMC s'est déjà efforcée de réduire la violence familiale. Quel aurait été l'apport de ce comité ou de ce groupe à la position définitive que vous avez adoptée? Je veux également savoir si l'AMC, après avoir entendu les experts sur le suicide et les urgences, est un peu plus favorable au concept de l'enregistrement. Veuillez nous dire clairement si vous êtes réellement contre l'enregistrement ou si vous n'êtes pas tout à fait favorables à ce concept, ce qui n'est pas la même chose que d'y être totalement opposés. Voilà mes questions, j'espère que vous pourrez y répondre.

Le président: Qui va parler le premier?

Mme Torsney: M. Drummond va parler en premier.

Dr Drummond: Merci de vos questions. En fait, je vais laisser M. Fisher répondre à la première partie de la question.

Dr Fisher: Je suis désolé, il va falloir que vous répétiez la première partie, je n'ai pas bien compris.

Le président: Peut-être pourrions-nous passer à la deuxième partie?

Dr Drummond: En ce qui concerne la façon dont nous sommes arrivés à notre décision, il vous intéressera peut-être de savoir que tout cela a commencé en 1991, lorsque le Dr Ron Stewart est revenu des États-Unis pour devenir député libéral dans une région rurale de la Nouvelle-Écosse. M. Stewart pratiquait la médecine d'urgence. En fait, il était l'un des fondateurs mondialement reconnus de la médecine d'urgence et avait largement contribué à la création des systèmes médicaux d'urgence aux États-Unis. Il a ramené une part de son expérience au Canada.

Plusieurs des membres de notre association de médecins étaient formés en médecine d'urgence, car cette spécialité a été reconnue aux États-Unis dix ans avant de l'être au Canada.

Ces gens sont revenus avec les mêmes préoccupations. Ils sont revenus au Canada parce que la vie y est meilleure. Ils avaient l'impression que les armes à feu représentaient un grave problème aux États-Unis et ils ne voulaient pas que le Canada devienne la version nordique de la vie qu'ils avaient connue dans les services d'urgence de Denver, Chicago et New York.

On a demandé à notre association de participer à la prévention des blessures, en particulier les blessures causées par les armes à feu. Vous devez bien comprendre que la médecine d'urgence est une spécialité relativement nouvelle. Elle n'a que 12 ans. Il nous a fallu dix ans pour mettre au point des normes de formation, un enseignement, et ainsi de suite. Pour nous, la prévention des blessures est une entreprise relativement nouvelle.

Néanmoins, pour répondre à plusieurs appels à l'aide, si vous voulez, de la part de médecins d'urgence, à la fois ruraux et urbains, nous avons décidé d'endosser les objectifs généraux de la coalition pour le contrôle des armes à feu en 1993.

.1145

En ce qui a trait à l'élaboration de cette position précise, nous croyons qu'en grande partie la documentation médicale parle d'elle-même. On y trouve l'expérience de médecins de par le monde, qui signalent les mêmes choses. Notre conseil l'a appuyée et nous vous la présentons maintenant.

Dr L'Heureux: Monsieur le président, je veux répondre à ces deux aspects. Premièrement, nous avons bien consulté le comité sur les questions liées au sexe, qui traite de toutes les choses pouvant arriver aux femmes dans notre société.

L'autre réponse à votre question serait que nous avons exprimé l'opinion de l'AMC. Nous ne sommes pas nécessairement venus ici aujourd'hui pour vous faire changer d'idée ou quoi que ce soit. Ce que nous avons fait, je l'ai dit auparavant, c'est d'entreprendre une démarche qui a abouti à la conclusion que nous avons présentée aujourd'hui.

[Français]

L'Association médicale canadienne n'est pas une organisation statique; c'est évident qu'au fur et à mesure que cette notion de violence domestique et d'acquisition d'armes à feu va évoluer, l'Association va réexaminer sa position. Mais, actuellement, vous comprendrez qu'il s'agit là d'opinions qui, je le disais tout à l'heure, ne sont pas irréconciliables.

La seule chose contre laquelle nous vous avons mis en garde, c'est que l'enregistrement en soi, le fait d'avoir un papier de plus dans ses poches, n'est peut-être pas la seule solution. Ce que nos confrères nous ont dit, c'est que, pour eux, s'il y a un enregistrement et qu'il y ait une diminution du nombre d'armes à feu disponibles, cela aura un effet.

Le président: Monsieur Simon!

M. Simon: Le conseil d'administration de notre Association est composé de membres qui dirigent des centres de prévention du suicide dans l'ensemble du Québec, donc y compris évidemment et majoritairement les régions périphériques, rurales ou semi-rurales. C'est le fruit de nos réflexions depuis un an sur le phénomène du suicide par arme à feu qui nous a amenés à déposer le présent mémoire.

Le président: Monsieur de Savoye, vous avez cinq minutes.

M. de Savoye: Merci, monsieur le président. Je voudrais porter certaines réflexions à l'attention de M. Simon et de M. Drummond, pour avoir leurs réactions. M. Walters tantôt déplorait que le projet de loi n'ait pas eu une approche incluant les préoccupations médicales. D'autre part, Monsieur Drummond, vous suggériez l'avènement de ce que vous appelez un medical reporting system. Or, je vous dis que l'avènement d'un tel système, tout comme la mise en oeuvre de toutes les recommandations de l'AQS, peut être réalisé indépendamment du projet de loi C-68 qui ne prévoit rien de toute manière sur ces sujets.

M. Simon a aussi déclaré tantôt que le registre de détenteurs d'armes à feu permettrait au gouvernement de faire parvenir une information directement au détenteur d'armes à feu et que cela aurait davantage d'effet que de la publicité télévisée pour le public en général.

Je soumets également à votre réflexion deux éléments: la campagne anti-alcool au volant a été faite auprès du grand public, pas seulement des conducteurs de véhicules automobiles; deuxième réflexion, la conjointe d'un détenteur d'armes à feu qui serait en détresse psychologique se doit d'être au courant des mesures préventives auxquelles elle a recours et elle ne pourra pas faire cela, si c'est exclusivement le détenteur qui a été informé.

Monsieur Simon, les corrélations que vous nous avez montrées indiquent que le taux de suicide dans une région est en relation directe avec la présence d'armes à feu dans cette région. Or, je prétends que l'enregistrement des armes à feu ne réduira pas la présence des armes à feu dans une région et, vraisemblablement, ne conduira pas ainsi à réduire le taux de suicide.

J'aimerais que vous réagissiez à ces propos et que vous me donniez vos points de vue, en commençant par M. Drummond et en terminant avec M. Simon.

.1150

[Traduction]

Dr Drummond: Je vous remercie de votre commentaire. Encore une fois, je crois qu'il est inévitable qu'on mette sur pied un système de rapports médicaux. Si nous sommes tous ici aujourd'hui, c'est parce qu'il y a eu quelques situations assez médiatisées, où l'on a vu une utilisation inopportune d'une arme à feu par une personne qui d'autre part, avec le recul, aurait été à risque et aurait pu être clairement identifiée comme risquant d'utiliser abusivement une arme à feu.

Encore une fois, un système de rapports médicaux sans un enregistrement adéquat ou avec une connaissance inadéquate de qui détient l'arme et de l'endroit où cette arme est rangée ne fonctionnera pas.

Deuxièmement, comme l'a souligné M. Fisher, nous cherchons aussi à obtenir des données précises et scientifiques. Les données précises et scientifiques ne peuvent pas exister sans qu'il y ait des données d'enregistrement exactes. Donc, si nous voulons qu'il y ait un registre national des armes à feu - cette idée ne fait pas partie du projet de loi mais je crois qu'à la longue, elle devrait en faire partie - il va falloir faire participer la science.

Vos commentaires en ce qui a trait à l'éducation sont bien reçus. Je crois qu'il est probablement inopportun d'isoler l'enregistrement comme étant la façon de résoudre le problème de la mauvaise utilisation des armes à feu dans ce pays. Il va falloir entreprendre des campagnes d'éducation de grande envergure en ce qui a trait à la violence domestique, à la résolution de conflits.

[Français]

M. Simon: Effectivement, si on considère les campagnes «grand public», telle celle sur la conduite en état d'ébriété, je ne sais pas si le gouvernement est prêt à se lancer dans une campagne de ce type-là en ce qui a trait aux armes à feu; cela m'étonnerait. Et je pense qu'il y a plus de propriétaires de voitures dans un pays que de propriétaires d'armes à feu et le type de publicité qu'on veut y faire doit varier selon le type de clientèle que l'on vise.

D'après nous, l'enregistrement universel va amener effectivement des gens qui ne sont pas des chasseurs; il faut bien comprendre qu'il y a beaucoup plus d'armes que de chasseurs présentement au Canada. Donc, il y a des gens qui vont faire le ménage dans leur quincaillerie, leur artillerie, qui vont vérifier, finalement, pour voir quels sont les armes qu'ils utilisent; on croit qu'effectivement l'enregistrement universel des armes à feu va amener des gens qui n'utilisent plus ces armes à feu à s'en départir; donc, il y aura une diminution.

Effectivement, le projet de loi C-68, pris sans autre forme d'insistance sur l'entreposage, serait finalement, à mon avis, insuffisant. Mais il nous donne la possibilité d'aller plus loin. Toutes les études démontrent, lorsqu'on renforce les lois relatives aux armes à feu, qu'il y a une décroissance du taux de suicides par arme à feu et, par conséquent, du taux de suicides en général. Il faut ajouter à cela les gens qui vont se départir de leurs armes; je pense que oui, on aura une diminution du nombre de suicides au Canada, grâce au projet de loi C-68.

[Traduction]

M. Bodnar (Saskatoon - Dundurn): Je suis heureux d'avoir entendu les renseignements que vous nous avez fournis aujourd'hui ainsi que vos préoccupations en ce qui a trait à ce qu'il y a de plus fondamental, la vie humaine, et comment faire en sorte de la préserver pour les gens qui vivent des situations angoissantes.

Ceci contraste heureusement avec certains autres renseignements que nous avons entendus. En particulier, il me vient à l'esprit cette personne qui était préoccupée par l'effet qu'une loi sur les armes à feu aurait sur les populations animales, et qui pensait qu'il y aurait une infestation de cerfs, d'ours et de loups. Il est bon d'entendre des gens préoccupés par la vie humaine plutôt que par les loups et les ours.

En ce qui a trait à l'AMC, je n'ai pas vraiment de questions mais plutôt un commentaire. M. Hill s'est reporté à un de vos commentaires, à savoir que vous n'étiez pas convaincu à propos de l'enregistrement. Je me rends compte, en lisant votre mémoire, que l'AMC soutient l'intention de notre loi...lorsque vous l'indiquiez, avec l'intention de la loi de renforcer les contrôles importation-exportation et de cession, ainsi que d'exiger des programmes de formation et d'inspection ayant trait à l'utilisation et à l'entreposage sécuritaire.

J'aimerais tout simplement vous rappeler que votre appui est grandement apprécié, mais qu'un tel appui n'a pas de poids, à moins d'avoir les outils pour travailler et le mettre en oeuvre. L'outil nécessaire pour contrôler les cessions, les inspections et l'utilisation sécuritaire est l'enregistrement. S'il n'y a pas d'enregistrement, le contrôle des cessions est impossible. Et s'il n'y a pas d'enregistrement, l'inspection serait presque aléatoire. J'aimerais simplement vous le signaler, et je vous demanderais de revoir cet article précis dans votre mémoire.

.1155

Autrement, je n'ai pas vraiment de questions.

Le président: Y a-t-il une réponse?

[Français]

Dr L'Heureux: Le seul commentaire que je peux faire, c'est que, comme nous vous l'avons indiqué initialement, notre expertise réside dans les soins de santé au Canada et non pas sur les moyens qu'on doit utiliser pour renforcer les lois. Je pense que c'est le travail des gens qui nous représentent à Ottawa et nous allons vous laisser cette partie du travail.

[Traduction]

M. Hill: J'aimerais faire mes commentaires à M. Simon, si je peux.

Vous avez lancé un appel passionné, et c'est un appel que j'apprécie beaucoup, à propos du patient suicidaire qui est ambivalent, qui ne s'est pas encore décidé à se suicider. C'est à 100 p. 100 vrai. Mais vous avez dit par la suite que la plupart des armes à feu utilisées pour le suicide sont détenues par quelqu'un d'autre. J'aimerais que vous fassiez un lien entre le fait que l'arme est détenue par quelqu'un d'autre et l'enregistrement. Comment l'enregistrement peut-il aider alors qu'il est évident que le patient suicidaire prend l'arme de quelqu'un d'autre ?

[Français]

M. Simon: À partir du moment où le gouvernement, nos instances civiles, savent qui est propriétaire des armes à feu, je pense que c'est un élément qui a pour conséquence d'amener les propriétaires d'armes à agir de façon plus correcte à l'égard de leur arme et cela les incite à se conformer aux lois en vigueur au regard de ces armes-là. Donc, si j'avais une arme à feu et si je savais que le gouvernement sait que j'ai une arme à feu et que celle-ci ne sera pas entreposée comme il se doit, je craindrais que cela puisse éventuellement me retomber sur le bout du nez. Donc, je ferais en sorte qu'elle soit entreposée correctement.

Présentement, on ne connaît pas les propriétaires d'armes; donc, ils ont beau jeu d'entreposer leurs armes comme ma raquette de tennis, dans le fond de leur garde-robe et de ne pas la verrouiller. Je pense que l'enregistrement va avoir un effet coercitif sur les propriétaires d'armes à feu.

[Traduction]

M. Hill: Vous savez, et je suis certain que vous le savez, que les Canadiens doivent entreposer leurs armes à feu de façon sécuritaire, que les lois existent. L'arme doit être verrouillée. Les munitions doivent être entreposées ailleurs. La détente doit être verrouillée. On doit enlever la culasse d'une carabine. Comme ces choses font déjà partie des textes de loi, comment le fait de mettre en place plus de lois va-t-il rendre les gens plus responsables? Il faut les respecter. Il faudrait s'attendre à 100 p. 100 de respect. Pouvez-vous m'expliquer comment l'enregistrement changerait la façon de penser de ceux qui, aujourd'hui, n'entreposent pas leurs armes à feu de façon sécuritaire?

[Français]

M. Simon: Écoutez, il existe des lois en fait qui nous amènent à poser certains gestes et que l'on ne pose pas quand on peut fonctionner dans l'anonymat. Présentement, les propriétaires d'armes fonctionnent sur une base anonyme. On ne sait pas qui en a. Comment peut-on craindre un contrôle si personne ne sait qu'on a une arme à feu. À partir du moment où on le sait, que l'État connaît l'existence de notre arme à feu, que nous en sommes le propriétire, je pense que les propriétaires auront intérêt à respecter la loi.

Et je vous rappelle que si les armes étaient correctement entreposées, c'est 30 p. 100 des suicides qu'on pourrait éviter.

.1200

J'imagine que les pères et les mères de famille au Canada qui sont propriétaires d'armes à feu verraient à entreposer leurs armes si le ministère pouvait leur dire qu'effectivement, ces armes représentent un plus grand danger pour eux-mêmes que beaucoup d'autres choses qu'ils pourraient avoir à la maison. Donc, ils feraient en sorte de bien entreposer ces armes.

[Traduction]

M. Hill: Finalement, dans la mesure où le coût entre en jeu dans la plupart des choses que nous faisons, et l'on doit considérer le suicide dans une perspective globale, s'il faut choisir entre consacrer des fonds à plus de mécanismes de prévention du suicide, comme la publicité et des programmes comprenant des numéros de téléphone 1-800, en particulier dans les régions rurales, dépenseriez-vous cet argent pour tenter de prévenir le suicide en général ou le consacreriez-vous à l'enregistrement des armes à feu? Il faut faire ce choix.

[Français]

Le président: On voit que le ministre a dit que le propriétaire de l'arme à feu doit payer pour le système en transit.

M. Simon: Je répondrai au député Hill qu'il existe présentement un bon nombre d'organismes qui voient à la prévention du suicide à travers tout le Canada. Les lignes, d'après l'écoute dont vous faites mention, existent déjà. Il en existe au Québec, partout à travers le Canada, et peut-être même dans votre région. Il existe déjà des services. La prévention du suicide ne passe pas que par le contrôle des armes à feu. Ce contrôle est un élément supplémentaire pour prévenir le suicide. Au début de mon exposé, je vous ai parlé d'une action concertée, que nous tous finalement pouvions travailler à la prévention du suicide. Je dirige un organisme qui effectivement exploite une ligne d'intervention téléphonique, qui fait de la prévention du suicide sur l'ensemble du territoire du Saguenay-Lac-St-Jean. Il faut de la sensibilisation, il faut de la formation auprès des professionnels qui voient à rencontrer les jeunes en milieu scolaire, qui voient à rencontrer les groupes à risque; il se fait déjà beaucoup de choses pour la prévention du suicide, Dr Hill. Ce que nous vous demandons, c'est de contribuer vous aussi à la prévention du suicide en y allant d'une loi qui va rendre davantage difficile l'accès aux armes à feu.

[Traduction]

Le président: Je crois comprendre que MM. Drummond et Mishara souhaitent répondre à la question également. Je vais demander à un membre de chaque organisation de répondre.

M. Hill: J'aimerais y revenir, si je peux, monsieur le président.

Le président: Bien entendu, dans une autre série de questions. Il ne vous reste plus de temps pour le moment. Vous pourrez y revenir plus tard.

Dr Fisher: Je voudrais parler des coûts dont il a été question. Tout d'abord, selon certaines données, cela pourrait coûter 6,5 milliards de dollars par an au Canada. Il me semble qu'un coût qui serait assumé par les propriétaires responsables n'est pas excessif pour un problème de 6,5 milliards de dollars.

Sur la question de la sensibilisation, nous savons qu'il y a un plateau, une limite que les programmes de sensibilisation et de prévention atteindront, après quoi il faudra prendre probablement d'autres mesures de santé publique.

Quand on parle du problème de la violence familiale et des homicides, les médecins et probablement la plupart des gens savent que c'est un problème progressif. Cela se produit sur une longue période. On constate un certain nombre d'épisodes de violence sur une très longue période avant qu'un conjoint essaie réellement de tuer l'autre conjoint ou un membre de la famille.

.1205

Avec le système des rapports obligatoires, si l'arme a été enregistrée et que le médecin soit au courant d'une situation de violence familiale, il aurait le moyen de faire retirer l'arme du milieu en cause. Dans cette mesure, l'enregistrement est un outil nécessaire.

M. Mishara: En tant que chercheur, je peux dire que cela n'est pas une question controversée. Presque toutes les études montrent que tous les efforts déployés pour contrôler l'accès aux armes à feu ont abouti à une réduction importante des décès par suicide.

Une étude menée à Toronto, qui avait d'abord constaté une augmentation compensatoire des pendaisons, a été de nouveau analysée en utilisant une meilleure méthodologie, et cette étude concluait que le contrôle des armes à feu aboutissait à une réduction réelle des suicides.

Je ne crois pas que nous ayons jusqu'à maintenant une base de recherche convaincante dans bien des domaines, pour ce qui est de la prévention du suicide. L'enregistrement n'aura d'effet que si on trouve moins d'armes à feu dans les maisons canadiennes après l'adoption de la loi. Mais l'enregistrement aura également un effet pour une autre raison, même si cela ne touche pas le nombre de foyers qui ont des armes à feu.

En effet, toute mesure qui permet de retarder l'obtention d'une arme à feu va probablement réduire le nombre des suicides. Pour les gens qui sont suicidaires, tout ce qui retarde un peu le moment de se procurer la méthode - obtenir des signatures de quelqu'un d'autre, remplir une formule, devoir aller quelque part - permet, d'après les recherches, de sauver des vies.

Le président: J'ai quelques questions en tant que président. J'ai également ici les noms deM. Wappel et de M. Lee et nous avons encore le temps de leur donner la parole.

Plusieurs témoins qui ont comparu devant le comité ont tourné en dérision la suggestion voulant qu'un contrôle plus strict des armes à feu puisse réduire le nombre de suicides. Ils ont généralement affirmé que si l'on resserre le contrôle des armes, ces gens-là vont continuer à se suicider avec des pilules ou par pendaison, etc. Vous avez parlé de la question ce matin. Vous dites que la recherche montre que ces gens ne cherchent pas généralement un autre moyen.

J'aimerais également aborder un autre sujet. Est-il exact que le taux de réussite des suicides par arme à feu est beaucoup plus élevé qu'avec les autres méthodes comme les pilules, la pendaison ou l'oxyde de carbone? J'aimerais que MM. Drummond et Simon me répondent. Monsieur Drummond, je crois que vous avez mentionné très rapidement comment vous pourriez sauver des gens qui utilisent ces autres méthodes. Avez-vous des renseignements précis? Je parle de ceux qui se suicident en avalant des médicaments, par pendaison ou en s'enfermant dans la voiture en marche dans le garage.

Dr Drummond: Oui, ils essaient toutes ces méthodes et d'autres encore. Les tentatives de suicide par arme à feu réussissent dans 92 p. 100 des cas. Pour l'exposition à l'oxyde de carbone, ce taux est de 78 p. 100, de 78 p. 100 également pour les pendaisons et de 67 p. 100 pour la noyade. Est-elle d'environ 30 p. 100 pour la surdose de drogues?

Dr Fisher: Je pense que c'est environ 23 p. 100.

Dr Drummond: C'est donc 23 p. 100 pour la surdose.

[Français]

Le président: Monsieur Simon, avez-vous plus ou moins la même information?

M. Simon: Oui, tout à fait. Il s'avère que c'est l'arme à feu qui est la plus létale. Il faut penser que si on rend le moyen plus difficile d'accès, il y a des chances qu'on trouve une solution entre-temps. On dit bien: Le temps joue en faveur de la prévention. Donc, si cela prend plus de temps pour trouver des ressources, tant mieux!

En plus, lorsqu'on entreprend le processus suicidaire en choisissant un autre moyen, les risques de décès sont beaucoup moins grands. Des gens vont tenter de se suicider par d'autres moyens, mais ils ne décèderont pas de cette tentative de suicide. Donc, nous sauvons aussi des vies en bout de ligne.

[Traduction]

Le président: Pour terminer, je suppose que les praticiens de la médecine d'urgence au Canada traitent parfois des gens qui ont tenté de se suicider. Ces gens ont été amenés à l'hôpital. Ils ont essayé de prendre des médicaments ou de se pendre, et vous essayez de les sauver. Vous tentez peut-être de les sauver également lorsqu'ils se sont blessés avec une arme à feu. Vous nous avez donné les taux de succès.

Monsieur de Savoye, vous avez une observation?

.1210

M. Mishara: Pourrais-je ajouter quelques données qui ne figuraient pas dans notre mémoire? Une personne sur dix survit à une tentative de suicide par arme à feu. Il existe une étude menée en Grande-Bretagne qui a conclu que parmi ceux qui ont utilisé cette méthode et qui ne sont pas morts immédiatement, ou sont devenus inconscients, presque 50 p. 100 ont été en mesure de se rendre à un téléphone et d'appeler à l'aide - ce qui signifie qu'ils voulaient être aidés et avaient changé d'avis. Un certain pourcentage de ces gens sont décédés plus tard malgré l'aide qu'ils avaient reçue. Ils ne sont pas arrivés à temps à l'hôpital par exemple. Mais le fait que quelqu'un recoure à un moyen dramatique, à une arme à feu par exemple, ne signifie pas nécessairement que cette personne ne veut pas être sauvée, ni que, si elle est sauvée, qu'elle ne souhaite pas continuer à vivre.

[Français]

M. de Savoye: Ce matin, nous avons eu une information extrêmement riche. C'est probablement une des sessions les plus productives en matière d'information et je vous en remercie. Cependant, je remarquais, il y a quelques instants, que nous avons beaucoup parlé de suicide.

C'est probablement parce que nous avons ici quelques experts sur la question. Le problème des armes à feu ne se limite pas aux questions de suicide dans le domaine de la santé. Il traite aussi du domaine des blessures et également du domaine de la violence familiale, entre autres.

J'aimerais savoir de l'Association médicale canadienne, tout comme de M. Drummond et de M. Simon, si sur ces autres plans, il y a aussi une corrélation entre la présence d'armes à feu dans une région et le taux de blessures et de violence familiale. En d'autres termes, ce que l'on vient de dire sur le suicide se transpose-t-il également dans les autres domaines où la santé est touchée? Je vous écoute.

Dr L'Heureux: Monsieur le président, la disponibilité d'armes à feu dans une région fait en sorte que les taux de suicides augmentent, les taux d'homicides également et les taux de blessures non intentionnelles par l'usage inapproprié augmentent aussi. Vous avez raison quand vous reliez la présence d'armes à feu à la violence familiale. C'est une donnée que nous avons pu vérifier. Plus il y a d'armes, plus les conséquences de la violence familiale deviennent dramatiques.

[Traduction]

Dr Drummond: C'est toujours la même réponse.

[Français]

M. de Savoye: Merci, monsieur Drummond. Monsieur Simon.

M. Simon: Oui, nous nous sommes intéressés surtout au domaine de la prévention du suicide et au phénomène du suicide par arme à feu, mais je connais l'existence d'autres recherches scientifiques qui démontrent qu'effectivement, il peut y avoir un lien entre la présence d'armes à feu et les homicides.

M. de Savoye: Monsieur Mishara, je crois que vous aviez tantôt, dans votre mémoire, certains chiffres à ce sujet.

M. Mishara: Je n'ai pas de chiffres sur d'autres types de violence dans notre mémoire, mais de tout ce que j'ai lu là-dessus, il y a un lien assez évident qui est démontré dans la littérature.

Dr L'Heureux: Le docteur Walters pourrait fournir des données supplémentaires.

Le président: Docteur Walters.

[Traduction]

Dr Walters: Ce sont des informations que vous pouvez obtenir du Centre canadien de la statistique juridique qui possède un très bon document sur les homicides contre un conjoint. Je pense que nous aurions tort de ne pas reconnaître que, dans les homicides contre les conjoints la violence familiale est un élément précurseur, tout comme les conflits conjugaux sont les précurseurs de la violence. C'est un aspect très important. Ce sont des données très intéressantes et leur analyse dans le cadre d'un programme de santé montre qu'il y a certainement des facteurs de risque bien définis dont on doit tenir compte.

Les suites d'une séparation, la fin d'un mariage sont des événements évidemment très menaçants et représentent une période très difficile. Les hommes sont particulièrement bouleversés dans ces situations, bien qu'ils ne le montrent peut-être pas aussi ouvertement que les femmes. Et par conséquent, ils vont broyer du noir, refouler leurs émotions, d'où la possibilité de violence, que ce soit contre eux-mêmes ou, très souvent, contre leur conjointe.

.1215

Ce sont là des facteurs de risque très nets. C'est beaucoup plus courant quand les gens vivent en union libre que lorsqu'ils sont véritablement mariés. Les adolescentes sont celles qui courent le plus de risques de se faire tuer par leur mari. Ce sont des choses dont les médecins et les autres intervenants dans le domaine de la santé, par exemple, les psychologues, les suicidologues et les travailleurs sociaux, devraient savoir. Je pense que cette information est essentielle pour déterminer la menace que constitue la violence conjugale, surtout pour les femmes, qui sont proportionnellement les plus nombreuses à être victimes d'homicides.

[Français]

Dr L'Heureux: Monsieur le président, actuellement, 40 p. 100 des femmes sont tuées par armes à feu.

Le président: Monsieur de Savoye.

M. de Savoye: J'aimerais obtenir une information additionnelle, si l'un d'entre vous la possède: Sur ces 40 p. 100, avez-vous une répartition en fonction des régions, face à la présence d'armes à feu par milliers d'habitants dans une région?

Dr L'Heureux: Je ne peux pas vous donner de réponse précise, mais nous l'avons au niveau du même document provenant de Statistique Canada, qui dit que le nombre de conjoints tués varie d'une région à l'autre. Si on fait une corrélation avec ce que nous disait M. Simon tout à l'heure, on se rend compte que dans les endroits où il y a le plus d'armes à feu, il y a un taux plus élevé de conjoints tués.

[Traduction]

M. Wappel (Scarborough-Ouest): J'ai trouvé, moi aussi, les témoignages de ce matin très intéressants et très utiles. Je voudrais me concentrer tout particulièrement sur le suicide; mes questions s'adressent donc à l'Association canadienne pour la prévention du suicide.

Combien y a-t-il eu de suicides au Canada en 1991?

M. Mishara: Je ne connais pas ces statistiques par coeur.

M. Hill: Mille cent dix-neuf.

[Français]

M. Simon: En 1992, au Canada, 3 709 suicides. À ma connaissance, ce sont les données les plus récentes.

[Traduction]

M. Wappel: Parfait. Nous allons donc nous concentrer sur les données les plus récentes. Sur ces 3 709 suicides, combien ont été commis à l'aide d'une arme à feu?

[Français]

M. Simon: Mille quarante-six. Cela représente plus du quart.

[Traduction]

M. Wappel: Dans l'ensemble du Canada?

M. Simon: Oui.

M. Wappel: Avez-vous des chiffres sur l'année 1972, par exemple, il y a 20 ans?

Dr L'Heureux: En 1972, il y a eu, au total, 505 morts par homicide, dont 203 causées par une arme à feu, ce qui représente 40,2 p. 100. Le nombre des suicides était de 2 657 et sur ce nombre, 935 ont été commis à l'aide d'une arme à feu, ce qui représente un pourcentage de 35,2 p. 100.

M. Wappel: Je m'excuse, je n'ai pas bien saisi ces chiffres.

Dr L'Heureux: Il y a eu 2 657 suicides, dont 935 à l'aide d'une arme à feu, ce qui représente 35,2 p. 100. Ce sont les données de 1972. Vous avez demandé les chiffres pour 1991?

M. Wappel: Je veux simplement faire une comparaison. Les chiffres de 1992 me conviennent. Je ne sais pas comment vous calculez ce pourcentage. Est-ce par 1 000 ou par 100 000 personnes? Est-ce que les pourcentages sont à peu près semblables pour 1972 et 1992? Par exemple, les 2 657 suicides enregistrés en 1972 représentent-ils à peu près la même proportion, par 100 000 habitants, que les 3 709 suicides constatés en 1992?

M. Mishara: À l'heure actuelle, le taux de suicides a baissé au Canada.

M. Wappel: D'accord. Pouvez-vous me dire quel était le taux par 1 000 ou par 100 000 habitants, quel que soit le calcul que vous utilisez, pour ces deux années-là?

M. Mishara: Je n'ai pas les mêmes années, quelqu'un qui a en mains les données pour ces années-là pourrait peut-être vous répondre.

Au Canada, pour les deux sexes - pour quelles années?

M. Wappel: Pour 1972.

.1220

M. Mishara: En 1972, le taux global était de 11,9 p. 100.

M. Wappel: Pour combien d'habitants?

M. Mishara: Pour 100 000 habitants. De fait, le taux global est plus élevé en 1992, 13 p. 100. Pendant cette période, il y a eu des hauts et des bas, mais le taux varie peu d'année en année.

M. Wappel: J'essaie de déterminer s'il y a eu, en 1992, plus de suicides par 100 000 habitants qu'en 1972.

M. Simon: C'est exact.

M. Wappel: Pourtant, les suicides à l'aide d'une arme à feu ont baissé de 10 p. 100 en l'espace de 20 ans, d'après ce que montrent les totaux.

M. Mishara: Oui.

M. Wappel: Et depuis 20 ans, le contrôle des armes à feu s'est resserré.

M. Mishara: Les études sur les taux de suicide au cours des huit années qui ont précédé le projet de loi C-51 et sur ce qui s'est passé ensuite indiquent une diminution; mais quand on regarde ces chiffres, il faut tenir compte du groupe d'âge et du sexe des personnes qui se servent des armes à feu.

Les armes à feu sont la méthode de prédilection des hommes, ceux qui font partie de certains groupes à risque entre 30 et 40 ans, ainsi que les adolescents et les jeunes adultes. Le suicide a augmenté chez les hommes, et plus particulièrement chez les hommes âgés du Canada, qui forment un des principaux groupes à risque. Au Canada, ces hommes ne se servent généralement pas d'une arme à feu aussi souvent que les autres. Mais chez les femmes, le taux de suicide a baissé pendant la même période: vous avez raison.

Quand on effectue une étude comme celle-là, on examine les différents groupes d'âge et les gens qui risquent le plus de décéder de cette façon-là. Les études comparatives sur les périodes qui ont précédé et qui ont suivi l'adoption de la loi ont révélé des augmentations sensibles avant l'adoption de la loi, et une stabilisation ou une diminution des taux par la suite. Il faut dire également qu'une variation de 1 par 100 000 habitants ne constitue pas un changement spectaculaire sur une période de 20 ans.

M. Wappel: Vous avez indiqué dans votre mémoire que c'est seulement dans une minorité de cas - 3 p. 100 des suicides réussis, si on peut parler de réussite - qu'une arme de poing a été employée.

M. Mishara: Nous préférons parler de suicides «commis».

M. Wappel: Seulement 3 p. 100 des suicides commis l'ont été à l'aide d'un arme de poing. Avez-vous effectué des études pour essayer de déterminer pourquoi?

M. Mishara: Il y a eu des spéculations, mais aucune recherche n'a été effectuée sur ce sujet-là. Nous ne pouvons pas demander aux gens pourquoi ils se sont servis d'une arme d'épaule ou de poing, une fois qu'ils se sont enlevé la vie. Les quelques recherches à ce sujet-là permettent de croire que si le nombre de suicides par arme de poing est moins élevé au Canada qu'aux États-Unis, c'est parce que ces armes sont moins facilement disponibles ici.

M. Wappel: Merci.

Dr Walters: Je voudrais insister sur cet aspect de la question. Il est clair qu'il est beaucoup plus facile de se procurer une arme de poing aux États-Unis. Par conséquent, le risque est beaucoup plus élevé. Les armes de ce genre sont utilisées pour des homicides et des suicides.

À mon avis, le projet de loi sera efficace dans la mesure où il interdit de nombreuses catégories d'armes de poing. Cette interdiction aura un effet important. Je pense que c'est ce que cette statistique montre. Nous avons moins tendance à utiliser des armes de poing. Nous avons traditionnellement des armes d'épaule ici, pour la chasse, et c'est surtout ce genre d'armes qui nous posent un problème. Mais si nous permettons la libre distribution des armes de poing et si nous facilitons l'accès à ces armes, nous importons un problème dont nous n'avons pas besoin. Nous pourrions peut-être aller vendre cette loi aux États-Unis. Cela permettrait de sauver bien des vies.

Le président: Monsieur Hill, vous avez cinq minutes.

M. Hill: Je voudrais revenir aux statistiques globales qui viennent d'être mentionnées au sujet du suicide. Ces statistiques révèlent une augmentation du nombre total de suicides depuis 1972, malgré de légères dimninutions en cours de route. Mais le fait est que le taux de suicides est passé d'environ 12 à 14 par 100 000 habitants. La proportion des suicides par arme à feu n'a à peu près pas changé. Elle a peut-être légèrement augmenté. Nous n'allons pas discuter de cela. Les données que j'ai ici réfutent ce que vous venez de dire.

.1225

J'aimerais maintenant m'adresser à tous mes collègues de façon générale, et à chacun des groupes... J'aimerais bien m'adresser à vous en tant que groupe. La discussion que nous avons eue ici entre collègues portait sur l'efficacité de l'enregistrement des armes à feu, tant pour sauver des vies que du point de vue de la rentabilité. Ma propre association a soulevé la question de savoir si ça serait rentable ou pas.

Un grand nombre des mesures dont vous avez parlé dans vos présentations sont déjà en place: Entreposage sécuritaire, réduction de l'accès... Ces choses-là figurent déjà dans la loi. J'aimerais entendre les commentaires de chacun d'entre vous. Je voudrais savoir ce que vous pensez exactement de ce que j'ai dit.

Le président affirme que ce sont les propriétaires d'armes à feu qui vont assumer les coûts de tout cela. C'est bien beau en théorie, mais dans les autres endroits où l'on a mis en place un système d'enregistrement des armes à feu, cela a fini par devenir très coûteux.

L'initiative a échoué pour trois raisons: le coût, la difficulté d'application - et il faut que la loi soit respectée à 100 p. 100 pour réaliser tout ce que vous espérez réaliser - et l'absence de répercussions sur l'utilisation à des fins criminelles. Les criminels n'enregistrent pas leurs armes.

Je vous le demande directement: personnellement, est-ce que vous seriez prêt à dépenser l'argent qu'il faudra pour enregistrer vos armes, plutôt que de consacrer ces mêmes sommes, qui sont importantes, à d'autres aspects de la médecine préventive? J'aimerais que chacun de vous disent s'il dépenserait cet argent pour l'enregistrement des armes ou autrement; préférez-vous l'enregistrement ou d'autres mesures préventives? Je ne veux pas de longs discours à ce sujet parce que l'on n'en finirait jamais.

Dr Fisher: Je ne suis pas sûr que nous ayons le choix actuellement. Je crois que...

M. Hill: J'en suis sûr.

Dr Fisher: À ce que je sache, ce choix n'existe pas. Mais en théorie, d'après les chiffres qu'on nous a présentés, le coût potentiel de 6,5 milliards de dollars justifierait le coût de l'enregistrement.

M. Hill: Vous enregistreriez vos armes?

Dr Drummond: Oui, je les enregistrerais.

Dr L'Heureux: Je ne changerais rien à ce que nous avons déjà dit.

M. Hill: Vous n'enregistreriez pas vos armes?

Dr L'Heureux: Non, non. Ce n'est pas ce que nous avons dit.

M. Hill: Alors, j'aimerais avoir une réponse. Est-ce que vous seriez prêt à enregistrer vos armes ou préféreriez-vous que les fonds soient consacrés à autre chose?

Dr L'Heureux: À mon avis, c'est un incitatif. On ne peut pas mettre l'enregistrement d'un côté et la prévention de l'autre. L'enregistrement est probablement un moyen de prévention.

M. Hill: Vous ne pouvez pas répondre à ma question?

Dr L'Heureux: Non.

[Français]

Le président: Monsieur Simon.

M. Simon: Je ne pense pas vraiment que nous ayons le choix. Comme je l'ai dit tantôt, nous consacrons déjà les ressources matérielles, humaines et financières à la prévention du suicide. C'est maintenant au tour du ministère de la Justice de faire sa part et de faire en sorte de rendre plus difficile l'accès aux armes à feu. Merci.

[Traduction]

M. Mishara: La possibilité de sauver des centaines de vie au Canada chaque année n'a pas de prix. Je ne pense pas qu'il soit raisonnable de nous demander d'en fixer un.

M. Hill: Ce n'est vraiment pas ce que je vous ai demandé. Pas du tout.

Nous parlons de sauver des vies. Mais cela n'a pas seulement un effet sur cet aspect de la prévention médicale. Il y a beaucoup d'autres vies à sauver. Ce que je voudrais savoir, c'est si c'est la façon la plus rentable de dépenser notre argent dans le domaine de la prévention. Préférez-vous consacrer cet argent à l'enregistrement des armes à feu ou à d'autres moyens de prévention du suicide?

N'allez surtout pas croire que je recommande de ne pas s'occuper des gens qui se suicident.

M. Mishara: La seule façon de répondre à cette question, c'est d'essayer de déterminer à quel point ce mécanisme sera efficace et de faire également l'essai d'autres méthodes, pour voir si elles sont efficaces elles aussi pour sauver des vies.

Le président: Monsieur Hill, vous avez cité des statistiques qui semblent différentes des autres. Pourriez-vous nous dire où vous les avez prises?

M. Hill: Je me ferai un plaisir de les fournir au comité. Elles sont tirées de «Gun Control Is Not Crime Control», de Gary Mauser, parues dans le Fraser Forum.

Le président: Très bien.

.1230

Mme Torsney: Pourrais-je demander une précision?

Le président: Oui, mais soyez brève.

Mme Torsney: Est-ce que le Dr L'Heureux a dit que l'enregistrement des armes à feu était un élément de la médecine préventive? Je ne sais pas exactement ce que vous avez dit.

[Français]

Dr L'Heureux: Le problème auquel je suis confronté, monsieur le président, c'est qu'on me demande une réponse: noir ou blanc. Le docteur Hill, probablement plus que quiconque ici, sait qu'en médecine, il y a souvent des zones grises.

Je vous réfère toujours à notre mémoire qui dit que l'enregistrement en soi ne produira peut-être pas les résultats escomptés. Il y a d'autres mesures que nous devons mettre en vigueur. Nul part, dans le texte, nous disons que ce ne sera pas efficace. Nous vous disons que nous ne sommes pas convaincus que c'est le seul moyen ou le moyen utile, mais c'est un moyen parmi d'autres.

[Traduction]

Le président: Avant de lever la séance, je voudrais signaler trois petites choses aux membres du comité. Premièrement, je tiens à remercier les témoins de nous avoir donné cette perspective très utile sur le projet de loi. Vos témoignages ont été très instructifs, et je vous remercie tous.

Deuxièmement, je souligne aux membres du comité que, demain matin, nous n'entendrons pas de témoins qui nous présenteraient des mémoires. Nous recevrons des fonctionnaires et des experts, entre autres. Je vous recommande donc de préparer à l'avance vos questions sur les points de forme, pour que nous puissions profiter au maximum de la présence de ces témoins et du temps que nous pouvons leur consacrer demain.

Pour finir, je dois vous transmettre l'information qui m'a été communiquée par les gens de la télévision. Comme vous le savez, toutes les séances de la semaine ont été télévisées. Elles seront rediffusées pendant la fin de semaine. Samedi, ce sera de 7h30 à minuit, et dimanche, de 7h30 à 19h30.

La séance est levée jusqu'à 15h30 cet après-midi.

Retourner à la page principale du Comité

;