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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 6 juin 1995

.1537

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte.

Mme Meredith (Surrey - White Rock - South Langley): Y a-t-il d'autres exemplaires du mémoire?

Le président: Je ne le sais pas. On le distribue actuellement aux membres du comité. C'est un mémoire bilingue.

Nous poursuivons notre examen du projet de loi C-72, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire).

Nos témoins sont des représentants de l'Association du Barreau canadien, soit Michelle Fuerst, présidente de la Section nationale du droit pénal, Sheldon Pinx, que nous avons vu récemment - j'ai l'impression que vous étiez ici il y a à peine quelques semaines, monsieur Pinx...

M. Sheldon E. Pinx (vice-président, section nationale de la justice criminelle, Association du Barreau canadien): C'est exact, monsieur le président.

Le président: ...et Joan Bercovitch, directrice supérieure, affaires juridiques et gouvernementales.

Nous vous remercions de votre mémoire. Tous les membres du comité en auront un exemplaire, je crois qu'il suffirait que vous le résumiez, au lieu de le lire au complet. Cela dit, vous pouvez aussi le lire, si vous y tenez vraiment. Sachez cependant qu'il sera joint en annexe au compte rendu de la séance d'aujourd'hui.

Je vous donne la parole.

Mme Joan Bercovitch (directrice supérieure, affaires juridiques et gouvernementales, Association du Barreau canadien): Comme vous l'avez dit, Mme Fuerst et M. Pinx sont respectivement présidente et vice-président de la Section nationale du droit pénal de l'Association du Barreau canadien.

L'association du barreau canadien est une association national regroupant plus de 34 000 juristes de tout le pays. Ses objectifs fondamentaux sont de contribuer à l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. Le mémoire que nous vous avons remis est conforme à cet objectif.

Mme Michelle K. Fuerst (présidente, Section nationale du droit pénal, Association du Barreau canadien): Comme vous le savez, l'Association du Barreau canadien appuie le projet de réforme de la partie générale du Code criminel, et nous avions cru comprendre que le problème d'intoxication volontaire serait traité dans le cadre de cette partie générale.

Nous continuons de penser qu'il serait préférable d'en traiter dans le cadre d'une réforme des principes généraux du droit pénal. Cela dit, nous savons qu'il y a des préoccupations dans la population au sujet de l'arrêt de la Cour suprême du Canada sur l'affaire Daviault, qui semble étendre les possibilités d'utilisation de l'intoxication comme motif de défense.

.1540

Comme l'a souligné la Cour suprême du Canada dans son arrêt, nous avons la conviction que l'acquittement complet pour raison d'intoxication serait devenu l'exception plutôt que la règle si l'on avait laissé se développer la jurisprudence. Cela dit, il est clair qu'un problème de politique publique se pose suite à cet arrêt, et que le législateur peut légitimement souhaiter le régler dans l'immédiat, sans attendre. C'est dans ce contexte que nous vous présentons notre opinion aujourd'hui.

Je dois dire dès le départ qu'il est à nos yeux indispensable de préserver la distinction entre les crimes d'intention générale et les crimes d'intention spécifique tant et aussi longtemps que l'on n'aura pas entrepris une réforme plus exaustive du droit pénal. Telle était d'ailleurs l'opinion exprimée par la Cour suprême dans l'arrêt Daviault, et nous pensons que ce principe est entériné par le projet de loi C-72.

En préservant l'intoxication comme motif de défense dans les crimes d'intention spécifique tout en l'interdisant pour les crimes violents d'intention générale, notre droit revient en grande mesure à ce qu'il était avant l'arrêt Daviault, et l'on répond aux préoccupations de la population.

Nous croyons que la démarche envisagée dans le projet de loi C-72 est adéquate dans la mesure où nous estimons qu'il existe en effet un lien entre l'intoxication et les crimes violents. Avec le projet de loi C-72, le législateur établit que c'est le caractère violent de l'infraction qui doit être le critère limitant le recours à la défense d'intoxication pour les crimes d'intention générale.

Il se peut, considérant les opinions exprimées par la Cour suprême du Canada dans la décision majoritaire de l'arrêt Daviault, que le projet de loi C-72 soit contesté en vertu de la Charte, mais nous constatons, après avoir examiné l'arrêt Daviault, que l'article 1 de la Charte ne semble pas avoir influé sur la décision de la Cour suprême. En effet, l'arrêt majoritaire exprime l'opinion qu'il n'est pas nécessaire d'envisager une justification du projet de loi en vertu de l'article 1 puisque la cour traitait alors d'une règle de common-law plutôt que d'une disposition statutaire.

Nous estimons que l'on pourrait avancer des arguments sérieux pour justifier le genre de dispositions statutaires que l'on trouve dans le projet de loi C-72, eu égard à l'article 1 de la Charte.

Les recommandations que vous trouverez dans notre mémoire visent essentiellement à préciser la terminologie du projet de loi, afin d'en éliminer certaines ambiguités.

Voilà les remarques liminaires que nous voulions faire, et nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

Le président: Très bien. Nous allons suivre la méthode traditionnelle, soit dix minutes au premier tour pour chacun des trois partis politiques, en commençant avec le Bloc québécois, puis cinq minutes pour chaque tour suivant, en passant à tour de rôle, aux représentants du gouvernement et de l'opposition.

[Français]

Monsieur Caron, vous avez le droit de commencer, mais si vous préférez, je peux revenir plus tard.

M. Caron (Jonquière): Je vais commencer. Je vous remercie de la présentation de votre mémoire. Je déplore un peu de ne pas avoir eu le temps d'en prendre connaissance et mes questions ne porteront peut-être pas directement sur vos recommandations. Vous avez dit d'entrée de jeu que vous étiez en faveur d'une réforme du Code criminel et que vous auriez vu les modifications qui sont actuellement présentées dans le projet de loi C-72 être introduites à l'occasion de cette réforme. Pensez-vous qu'il pourrait y avoir des inconvénients majeurs à ce que les dispositions du projet de loi C-72, qui sont actuellement devant nous, soient adoptées maintenant ou si vous pensez qu'à l'avenir, lorsque la réforme du Code se fera, il faudra encore revenir aux dispositions relatives à l'intoxication volontaire?

[Traduction]

Mme Fuerst: Il se peut fort bien que l'on doive revenir sur cette question dans le cadre d'une réforme exhaustive du droit pénal, au cours de laquelle on se pencherait sur les principes généraux qui fondent à la fois les infractions et les défenses, ainsi que les principes généraux du droit pénal. Ce serait d'autant plus vrai si cette réforme nous amenait à nous pencher sur la distinction qui existe entre les crimes d'intention générale et les crimes d'intention spécifique.

.1545

Je ne pense pas qu'il faille nécessairement fermer la porte à toute possibilité de réexamen du problème de l'intoxication dans le cadre d'un processus de réforme exhaustif.

[Français]

M. Caron: À la page 8, à la recommandation numéro 4, vous proposez de modifier le projet de loi de façon à y incorporer une énumération complète des actes criminels auxquels les moyens de défense d'intoxication ne s'appliquent pas. Pourriez-vous nous donner - je ne sais pas si c'est dans votre mémoire - une illustration de ce que pourrait être une énumération complète? Il est peut-être difficile de faire une énumération complète. Est-ce que votre organisme s'est penché sur une telle liste?

[Traduction]

M. Pinx: Nous n'avons pas procédé à l'examen du Code criminel article par article pour voir quelles infractions devraient ou ne devraient pas figurer dans la liste que nos souhaitons. Il est cependant incontesteable que bien des dispositions du Code criminel sont parfois formulées de manière assez imprécise, c'est-à-dire qu'il est difficile de savoir si elles concernent des crimes d'intention générale ou des crimes d'intention spécifique.

À notre avis, il serait utile que vous vous penchiez sur une telle liste afin de préciser les infractions pour lesquelles cette défense ne pourrait être utilisée. Notre objectif, en formulant cette recommandation, est simplement d'essayer de préciser les dispositions pénales, afin qu'il soit plus facile pour ceux qui se penchent sur les faits - les juges ou les jurys - de mieux savoir si cette défense peut être invoquée ou non.

Mme Meredith: Je voudrais apporter des précisions sur cette nécessité de préciser les cas dans lesquels cette défense ne serait pas disponible. Ne croyez-vous pas qu'il serait préférable de préciser les cas dans lesquels cette défense serait disponible, en l'indiquant de manière très précise?

M. Pinx: Il me paraît tout à fait clair que le législateur tente dans le projet de loi de se limiter très précisément aux domaines qu'il expose dans le préambule, où l'on parle de choses telles que l'intention générale ou l'intention fondamentale.

L'objectif du projet de loi ne saurait faire de doute. Il ne s'agit pas de traiter des crimes d'intention spécifique. En conséquence, nous estimons que les crimes d'intention spécifique ne sont pas censés être touchés par ce projet de loi.

Cela dit, quand on passe ensuite aux autres catégories d'infractions envisagées dans le Code criminel, et il y en a beaucoup, on constate que le degré d'intention n'est pas nécessairement toujours très clair. Voilà pourquoi nous aimerions certaines précisions, en indiquant éventuellement à quelles catégories de crimes cette défense ne pourrait être appliquée.

Très franchement, je crois pouvoir affirmer sans aucune ambiguïté que ce projet de loi se limite aux crimes d'intention non spécifique. En ce qui concerne les crimes d'intention spécifique, il me semble que le législateur les a très clairement définis. Il y a toutefois un beaucoup plus grand nombre d'infractions qui risquent de tomber entre les deux, et c'est pourquoi nous aimerions certaines précisions à cet égard.

Mme Meredith: Je dois dire que votre explication ne m'aide pas beaucoup. S'il n'y a pas tant de crimes d'intention spécifique que cela - et je suppose que le meurtre au premier et au deuxième degrés serait considéré comme un crime d'intention spécifique - quels autres...? S'il y en a moins, pourquoi ne pas indiquer clairement dans le projet de loi les crimes d'intention spécifique pour lesquels cette méthode de défense ne pourrait s'appliquer?

M. Pinx: Ce serait sans doute une solution, mais je me suis sans doute assez mal exprimé. Il y a dans le Code criminel une vaste catégorie de crimes pour lesquels il est difficile de faire la distinction entre l'intention spécifique et l'intention générale. Je pense qu'il est possible d'indiquer quels crimes sont manifestement des crimes d'intention spécifique. Par exemple, le vol, le meurtre, la tentative de meurtre ont toujours été considérés comme des crimes d'intention spécifique.

.1550

Mme Meredith: Voulez-vous dire que les crimes d'intention spécifique devraient être identifiés pour que la défense ne soit pas utilisable?

M. Pinx: En quelque sorte.

Mme Meredith: Vous présentez donc l'argument inverse.

Je vais passer à un autre sujet, car je n'ai que dix minutes. La situation est toujours aussi trouble dans mon esprit qu'au début de cette discussion.

Mme Fuerst: Puis-je dire une chose? Si vous examinez d'autres dispositions du Code criminel, par exemple celles concernant les infractions à caractère sexuel, on a pris la peine d'indiquer quand tel ou tel motif de défense ne peut être invoqué. Par exemple, pour la défense du consentement, il y a des dispositions du code qui indiquent très clairement quand on ne peut l'invoquer.

Apporter les mêmes précisions avec la défense d'intoxication témoignerait au moins d'une certaine cohérence.

Mme Meredith: Je comprends bien cet argument mais, si les crimes ne sont pas clairement définis, comment pensez-vous pouvoir dresser une liste de ceux qui ne sont pas d'intention spécifique? Il y a une grande zone grise à ce sujet. Comment s'assurer que tous les cas soit vraiment pris en compte? Quoi qu'il en soit je vais passer à autre chose.

Les témoins de ce matin ont exprimé des réserves au sujet de ce très long préambule qui ne fera pas partie du Code criminel. À leur avis, ce texte pourrait constituer un élément de dissuasion très important, il pourrait être utile à la fois aux agents de police, pour déterminer l'intention et la possibilité de porter ou non des accusations, mais aussi aux avocats. Qu'en pensez-vous?

Les témoins pensaient qu'il conviendrait peut-être d'inclure dans le texte de loi lui-même un résumé des éléments les plus importants du préambule, sous forme d'énoncé d'intention. Qu'en pensez-vous?

M. Pinx: Je ne vois pas en quoi un énoncé d'intention peut être utile lorsqu'il s'agit de porter des accusations. Les accusations sont portées parce que la police peut raisonnablement croire qu'une infraction a été commise.

N'oublions pas par ailleurs que ce projet de loi concerne l'autre membre de l'équation, c'est-à-dire la défense et non pas l'accusation. L'accusation relève purement et simplement des pouvoirs de la police. À mes yeux, il n'est pas nécessaire d'inclure les arguments qu'un accusé pourrait invoquer à son procès.

En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, à savoir s'il serait utile d'inclure le préambule dans le texte de loi, il y a du pour et du contre. Ce qui est important, pour l'Association du Barreau canadien, c'est que l'on puisse examiner les dispositions dont nous parlons en sachant clairement ce qu'elles veulent dire et quand elles s'appliquent. Voilà ce qui compte. Je ne suis pas sûr que nous ayons atteint cet objectif avec le texte tel qu'il nous est proposé, mais nous n'en sommes pas loin.

Mme Meredith: Quelles seraient les conséquences négatives de l'inclusion d'un résumé du préambule dans la loi? Quand vous dites qu'il y a du pour et du contre, quel serait le contre?

Mme Fuerst: Dans le passé, l'Association du Barreau canadien considérait qu'il devrait y avoir un énoncé de principes dans le Code criminel. Mais il devrait cependant s'agir d'un énoncé de principes s'appliquant généralement au Code criminel. Si vous cherchez un précédent, prenez la Loi sur les jeunes contrevenants, qui contient un énoncé de principes s'appliquant à tous les aspects de cette loi et visant à faciliter l'interprétation de ses dispositions.

Dans le cas qui nous préoccupe, j'ai le sentiment que vous envisagez plutôt d'intégrer un énoncé de principes d'application relativement plus restreinte, ce qui soulève la question suivante: Chaque fois que vous modifiez le Code criminel, allez-vous y inclure un énoncé de principes concernant uniquement la catégorie d'infraction ou les motifs de défense pour lesquels vous apportez des modifications? Notre préférence est clairement qu'il y ait un énoncé de principe général, d'application globale.

Mme Meredith: Et c'est donc à l'occasion d'une révision globale des dispositions générales du Code criminel qu'il faudrait s'occuper de cela?

M. Pinx: Exactement.

.1555

Mme Meredith: Les témoins de ce matin ont également évoqué la défense fondée sur l'automatisme, en demandant si c'est une défense légitime sur le plan scientifique. Qu'en pensez-vous?

M. Pinx: Dans le cadre de...

Mme Meredith: D'après eux, il n'existe aucune preuve scientifique qu'une personne atteignant un certain degré d'intoxication atteigne en même temps un certain degré d'automatisme.

M. Pinx: Je ne sais pas si l'Association du Barreau canadien a pris position dans un sens ou dans un autre à ce sujet. Cela dit, nous acceptons l'opinion qui a été exprimée par les juges qui estiment que cette notion est légitime.

Mme Meredith: Cela ne vient pas des juges mais des témoins que nous entendus ce matin.

M. Pinx: Si je ne me trompe, on y fait allusion dans le préambule. Je crois me souvenir que l'on soulève le problème de la preuve scientifique ou, en tout cas, le fondement d'une défense à la Daviault.

En fait, la réponse à cette question viendra peut-être - et je dis bien sur le peut-être - lorsque cette loi sera contestée, ce qui est fort possible, en vertu de l'article 1, c'est-à-dire que la limite est raisonnable dans la mesure où nous sommes prêts à vivre avec, et que l'une des raisons pour lesquelles nous sommes prêts à l'accepter est précisément son fondement scientifique.

Est-ce vraiment une méthode de défense que l'on peut accepter si l'on constate que son fondement scientifique n'est pas très solide? Ce sont là des questions qui seront probablement soulevées ultérieurement, et je pense qu'il serait prématuré de prendre position à ce sujet aujourd'hui.

Mme Meredith: Merci.

M. Bodnar (Saskatoon - Dundurn): On parle dans le projet de loi d'intention de base, expression qui n'est pas couramment utilisée, si je ne me trompe, et qui ne semble pas vous convenir non plus, à en juger d'après votre mémoire. Croyez-vous que cette expression exprime une norme inférieure ou supérieure à l'intention générale, ou est-ce la même chose?

M. Pinx: Nous avons eu de longues discussions à ce sujet. Le problème qui se pose est que le législateur utilise là, à notre avis, une nouvelle expression. Nous savons qu'elle a été utilisée dans les opinions rédigées par la Cour suprême dans l'arrêt Daviault.

La situation n'est pas claire. Si vous lisez le préambule, vous verrez qu'on y parle d'intention générale. Ensuite, si vous lisez le paragraphe 33.1(1), on parle d'intention de base. La position de l'Association du Barreau est que tous les avocats ont appris leur droit et le pratique en ayant recours au concept d'intention générale, concept qui a été largement analysé et disséqué et qui a fait l'objet de décisions judiciaires.

D'après nous, s'il y a une distinction, elle ne saurait être profonde et il serait sans doute préférable de revenir à des expressions que nous comprenons tous, c'est-à-dire à la notion d'intention générale.

Cela dit, monsieur Bodnar, je dois reconnaître que je ne sais pas s'il y a vraiment une distinction. On ne trouve aucune définition des deux expressions dans la législation, ce qui peut porter à conclure que ce sont des expressions relativement identiques, puisqu'on n'a pas pris la peine de les définir ou d'en tracer la distinction. Si tel est le cas, il serait sans doute préférable de s'en tenir à la notion d'intention générale en abandonnant l'intention de base.

M. Bodnar: Examinons de plus près l'article 33.1, notamment le paragraphe 33.1(1), afin de voir les changements que l'on pourrait y apporter. Voici ce que dit ce paragraphe:

.1600

À mon avis, cet article est trop complexe. On y trouve trop de choses.

M. Pinx: Lequel?

M. Bodnar: Au premier paragraphe, on pourrait simplement mettre un point après «intention de base» ou, si l'on veut, «intention générale».

M. Pinx: Cela dit, les rédacteurs de ce projet de loi ont consacré beaucoup de temps à trouver une formulation répondant aux préoccupations qui ont été soulevées par l'arrêt Daviault. Il se sont également efforcés de formuler un texte qui puisse être validé sur le plan constitutionnel.

Dans l'arrêt Daviault, on aborde simultanément deux principes différents. Le premier est la notion d'intention, de base ou générale, et le deuxième, la notion d'automatisme, c'est-à-dire l'acte involontaire, c'est-à-dire un acte qui ne répond pas à l'intention de l'auteur. Il faut donc conserver les deux notions, à notre avis.

L'arrêt Daviault a été considéré comme un arrêt concernant soit une absence d'intention, soit un acte involontaire. Voilà pourquoi on s'est efforcé d'intégrer les deux notions dans ce texte de loi, et je crois qu'il faut les conserver dans le but de répondre aux questions que les juges ont essayé d'anticiper.

M. Bodnar: Je voudrais aborder une autre question, déjà soulevée par Mme Fuerst. Il s'agit, au paragraphe (2), du recours à l'expression «porte atteinte ou menace de porter atteinte volontairement ou involontairement». Cela risque de s'appliquer à un cas vraiment accidentel, c'est-à-dire à une blessure causée par un accident purement involontaire. Avec ce texte, cela risque d'être considéré comme une infraction.

Cela ne me semble pas juste. Cela ne devrait pas relever de la justice pénale.

Si ce risque existe avec ce paragraphe, comment l'éliminer? Comment modifier le paragraphe pour résoudre le problème? Je pose cette question parce que je constate que ce qui ne serait pas une infraction si la personne n'était pas intoxiquée le deviendrait dans le cas contraire.

Est-ce vraiment un problème et comment le résoudre? Devrions-nous simplement compter sur nos juges très brillants pour qu'ils ne condamnent personne dans un cas comme celui-ci.

M. Pinx: C'est une question que nous avons abordée dans notre mémoire, si je ne me trompe.

On pourrait d'abord indiquer très clairement que cette disposition n'empêcherait pas d'invoquer l'accident comme motif de défense, c'est-à-dire l'accident réel. Voilà, à mon avis, comment on peut limiter la portée du principe d'exclusion, si je puis m'exprimer ainsi, qui est ce dont traite cet article.

On exclut un motif de défense mais en faisant en sorte que l'exclusion ne s'applique pas au cas que vous venez d'évoquer.

M. Gallaway (Sarnia - Lambton): Comme le projet de loi est très bref, je ne reviendrai pas sur les questions qui ont déjà été posées. Nous avons entendu ce matin des gens nous dire qu'ils avaient été complètement surpris et choqués lorsque Daviault a été disculpé par la Cour suprême. Croyez-vous qu'il y a dans ce projet de loi des dispositions qui permettraient à la Cour suprême de prendre une décision allant à l'encontre de l'intention générale du projet de loi C-72?

M. Pinx: Voulez-vous parler du cas où la Cour suprême appuierait ou rejetterait le texte?

M. Gallaway: Le rejetterait.

M. Pinx: Cela ne nous paraît pas possible car, même si l'on affirme que le texte enfreint les articles 7 et 11, on sera toujours protégé par l'article 1. À notre avis, avec une audience adéquate et des preuves correctement présentées en vertu de l'article 1, cet article sera jugé constitutionnel.

.1605

M. Gallaway: Dans votre mémoire, vous parlez de la norme objectif. C'est à page 4, au paragraphe 3, à peu près au milieu. Vous dites:

M. Pinx: En ce qui a trait à... ?

M. Gallaway: Développer ce que vous dites dans cette phrase.

M. Pinx: Nous paraphrasons tout simplement ce qui est dit essentiellement dans le projet de loi, c'est-à-dire que même si quelqu'un est dans un état d'intoxication volontaire qui le rend incapable d'avoir conscience de ce qu'il fait volontairement ou involontairement, cette personne ne respecte pas la norme de diligence, comme on le dit dans cet article, qui s'applique aux devoirs que nous avons les uns envers les autres - c'est essentiellement une paraphrase - dans une société où l'on s'assure de ne pas violer l'intégrité physique d'autrui.

Par conséquent, ce que l'on dit essentiellement dans le projet de loi, c'est qu'il existe une norme de diligence dans notre société, et l'on pousse cela un peu plus loin pour évoquer non seulement cette norme de diligence mais pour décrire la façon marquée de s'en écarter et dire que si vous ne vous comportez pas comme on s'attend à ce que se comportent les citoyens de ce pays, c'est-à-dire ne pas s'intoxiquer au point de ne pas pouvoir se maîtriser et de commettre un acte criminel violent, vous ne respestez pas la norme de diligence imposée aux citoyens de ce pays.

Mme Fuerst: C'est une notion que la Cour suprême du Canada a reconnue dans d'autres contextes, notamment en ce qui concerne la conduite automobile.

M. Pinx: Dans les cas de conduite dangereuse, d'homicide involontaire et autre situation de ce genre.

M. Gallaway: Très bien. C'est tout, monsieur le président.

Mme Torsney (Burlington): Pensez-vous que l'on devrait référer la décision de ce comité ou celle du gouvernement à la Cour suprême avant que ce projet de loi soit adopté?

Mme Fuerst: À notre avis, procéder ainsi présente certains avantages, même si nous nous demandons dans notre mémoire dans quelle mesure on peut véritablement demander à la Cour suprême du Canada d'examiner ce point en l'absence d'un fondement d'ordre factuel. Idéalement, toutefois, il y aurait à notre avis un avantage à procéder ainsi afin que, encore une fois, la loi soit claire.

Mme Torsney: Les témoins que nous avons entendus ce matin ont mentionné qu'ils ne feraient pas nécessairement confiance à la Cour suprême - confiance est peut-être un mot trop fort, mais ils estimaient qu'une telle décision n'entrait pas dans le cadre de ce que la Cour suprême aurait dû faire dès le départ. Selon eux, il est préférable de faire simplement adopter le projet de loi et de nous battre comme des beaux diables afin de nous assurer que notre point de vue l'importe chaque fois qu'une décision doit être prise; c'est cela la véritable démocratie.

L'autre question que j'aimerais vous poser - je m'excuse si vous en traitez également dans votre mémoire, mais j'ai pensé qu'il serait bon de l'apporter au compte rendu - porte sur le préambule. On ne trouve pas beaucoup de préambule dans d'autres lois. Je sais qu'il y en a un dans la loi visant la protection des victimes de viol et quelque part ailleurs. On nous demande de plus en plus souvent d'intégrer des préambules aux textes de loi que nous adoptons. Pourquoi a-t-on besoin d'un préambule dans ce projet de loi? À votre avis, quel avantage cela présente-t-il? Est-ce que cela renforce la mesure législative? À quoi cela sert-il, dans le contexte du processus d'éducation du public?

M. Pinx: Je pense qu'à certains égards, c'est une façon de rendre le texte plus accessible au public qui a souvent de la difficulté à comprendre le droit pénal car parfois, les avocats et les gens qui rédigent ces projets de loi ne disent pas les choses aussi clairement qu'ils aimeraient le faire. Dans le cas qui nous occupe, le préambule est très clair et, à mon avis, les raisons pour lesquelles cette mesure législative est proposée sont également très évidentes. N'importe qui, je pense, même des profanes, des gens qui ne sont pas avocats, pourrait lire ce texte et saisir les raisons pour lesquelles cette mesure législative est présentée.

À mon sens, il est bon que, dans une société, les gens comprennent les lois qui sont adoptées et, à certains égards, les raisons pour lesquelles il en est ainsi, à quels besoins et à quelles préoccupations répondent les parlementaires. Par conséquent, j'estime que cela est positif tout simplement parce que l'on pourrait dire qu'un préambule est manifestement utile dans ce contexte.

.1610

Mme Fuerst: Cela est aussi parfois utile aux tribunaux et aux avocats qui cherchent à déterminer à quoi s'applique la mesure législative et quelle est sa signification. Par exemple, il est fréquent de voir des avocats ou des juges aller assister aux délibérations de la Chambre des communes. Cela a été le cas pour la Loi sur la protection des victimes de viol car les tribunaux cherchaient à déterminer quelle était la portée de l'application de la loi et quelle était l'intention du Parlement.

Mme Torsney: Merci.

M. Wappel (Scarborough-Ouest): Bonjour.

J'ai une ou deux questions à vous poser. Est-ce que la Section national du droit pénal approuve tous les préambules?

M. Pinx: Il me semble que cela cache une autre question.

M. Wappel: Vous essayez de deviner pourquoi je... Vous feriez mieux de ne pas essayer de deviner pourquoi je pose cette question. C'est dangereux.

Mme Cohen (Windsor - Sainte-Claire): Cela dépend de qui est le plus habile, de l'avocat ou du témoin.

M. Wappel: Eh bien, nous allons le savoir bientôt.

M. Pinx: Est-ce que vous vouliez parler d'un passage en particulier, ou...

M. Wappel: Non, tout simplement en général - tous les préambules.

Étant donné l'importance du préambule, je présume évidemment que cela a fait l'objet d'un débat lorsque vous avez examiné le projet de loi. Certains de vos membres ont-ils exprimé des réserves sur l'un ou l'autre paragraphe du préambule? Si oui, lequel et quelles étaient ces réserves?

M. Pinx: Si vous vous reportez à la page 2 du projet de loi, vous y retrouverez je crois la déclaration dont nous parlons dans notre document, dans notre mémoire, c'est-à-dire:

Mais, comme nous l'avons mentionné plus tôt, si l'on passe de ce préambule à l'article 33.1, il y a, d'un côté, la notion d'intention générale et, de l'autre, celle d'intention de base. De notre point de vue, il serait préférable, si ces deux notions recouvrent la même chose, de parler d'une infraction d'intention générale car c'est cela qui a été utilisé pour invoquer des circonstances atténuantes et c'est une notion qui est bien définie dans la jurisprudence du droit pénal.

M. Wappel: C'est précisément là-dessus que porte ma deuxième question. À part ce paragraphe, y a-t-il dans la préambule autre chose qui préoccupe l'ABC et sur quoi vous aimeriez attirer notre attention?

M. Pinx: C'est le seul point que nous avons soulevé dans notre mémoire.

M. Wappel: L'ABC a-t-elle d'autres préoccupations sur lesquelles elle souhaite attirer notre attention?

M. Pinx: Pas à ce stade.

M. Wappel: J'ai réfléchi à ce que vous dites à propos du changement dans l'énoncé. Avez-vous évoqué avec les fonctionnaires du ministère de la Justice la raison pour laquelle ils ont utilisé l'expression «intention de base»?

Mme Fuerst: Je ne me permettrai pas de parler au nom de ces fonctionnaires mais, d'après ce que nous croyons comprendre, cette expression est utilisée dans l'arrêt Daviault.

M. Wappel: Est-ce que cela est tiré de la décision rendue par la majorité, ou est-ce une expression utilisée par un certain juge, ou...

M. Pinx: Je pense que c'est le juge Cory qui, entre autres, a utilisé l'expression «intention de base» dans l'énoncé de son opinion.

M. Wappel: S'exprimait-il au nom de la majorité?

M. Pinx: Oui.

M. Wappel: Je me demande simplement si l'on ne pourrait pas arguer que cela a à voir avec la grammaire, que dans un cas, il s'agit d'un nom et dans l'autre, d'un adjectif ou d'une forme d'adjectif. Dans le préambule, les mots «d'intention générale» modifient le nom «infraction», et jouent donc le rôle d'adjectif, alors que dans l'article lui-même, c'est l'expression «de base» qui joue le rôle d'adjectif pour qualifier le nom «intention». Je me demande simplement si les gens qui ont rédigé ce texte ont, pour une raison quelconque, conclu que c'était une meilleure façon de procéder.

Je suis tout à fait d'accord avec vous lorsque vous dites que l'on devrait suivre ce qui est connu, a été mis à l'épreuve et compris depuis longtemps par les professionnels. Avec tout le respect que je dois aux juges, si l'un d'entre eux décide tout simplement sur un coup de tête de changer une expression parce que c'est son bon plaisir, cela ne veut pas dire que nous devrions tous lui emboîter le pas, si je peux m'exprimer ainsi. Nous allons certainement demander au ministère de la Justice pourquoi on a décidé de changer cela.

J'ai également été intéressé par vos commentaires sur le paragraphe 33.1(3) et j'ai noté que la version française ne vous posait aucun problème. Je ne suis ni interprète, ni traducteur et je ne suis pas bilingue. Toutefois, je remarque qu'en français - et la traduction n'est pas une reproduction servile car - selon toute apparence, pour rédiger comme il faut, il ne faut pas traduire mot à mot mais rendre le sens... Quoi qu'il en soit, je ne peux m'empêcher de remarquer que si la version française était traduite mot à mot en anglais, cela donnerait «one of the constituent elements». Il est clair que «an element» et «one of the constituent elements» sont deux choses tout à fait différentes.

.1615

Ce qui m'intéresse, c'est de savoir pourquoi vous avez recommandé d'ajouter le mot «legal» et non de dire «that includes as a constituent element», par exemple.

M. Pinx: Je pense que c'est du pareil au même. Nous voulions simplement nous assurer que cela constituait un élément essentiel de l'infraction. Nous avons choisi le mot «legal», mais il n'y a rien d'irrationnel là-dedans. «Constituent element» rend exactement la même idée, à mon avis. Nous serions satisfaits si l'on utilisait l'un ou l'autre, à condition que cela soit clairement défini dans ce contexte.

M. Wappel: Bon, mais il serait plus facile de convaincre les fonctionnaires si les deux versions correspondaient, ce qu'il faut faire dans une certaine mesure.

Est-ce que la Section nationale de droit pénal a pris position sur l'arrêt Daviault; c'est-à-dire en faveur de la décision de la majorité ou des dissidents?

M. Pinx: Non.

Mme Meredith: J'aimerais revenir sur le point que Mme Torsney a soulevé, c'est-à-dire savoir si vous pensez que cette mesure législative devrait être référée à la Cour suprême pour être testée, si j'ose dire. Cela posait beaucoup de problèmes aux témoins que nous avons entendus ce matin, même s'ils étaient d'accord pour reconnaître que cela présentait certains avantages.

Lorsque je parle avec des Canadiens ordinaires, je me rends compte que cela leur cause un gros problème de voir les responsabilités changer de mains et passer aux tribunaux alors qu'à leur avis, le Parlement est élu pour faire des lois et que cette responsabilité lui incombe alors que le rôle des tribunaux est d'appliquer ces lois.

J'ai beaucoup de difficultés à admettre qu'à titre de parlementaires, nous soyons chargés d'élaborer une mesure législative et de la faire adopter à la Chambre pour ensuite la tester auprès des tribunaux. Soit notre rôle est de faire des lois, soit non. Le Parlement ne devrait pas avoir à tester les lois avant de les faire entrer en vigueur. Au cas où vous penseriez qu'il est plus approprié de référer des mesures législatives aux tribunaux avant de les tester dans la société, cela m'inquiéterait; en d'autres mots, ce qui me préoccupe, c'est que les tribunaux remplacent le Parlement lorsqu'il s'agit de faire des lois.

M. Pinx: Il n'entrait certainement pas dans notre intention d'essayer de miner les pouvoirs du Parlement. D'après ce que nous croyons comprendre, le ministère de la Justice a proposé d'examiner cette façon de procéder parmi d'autres: rédiger le projet de loi et le référer à la Cour suprême pour tenter de régler la question avant que la loi soit adoptée et appliquée aux affaires qui seront présentées devant les tribunaux.

Il ne faut pas sauter aux conclusions. Je ne pense pas que nous ayons voulu de quelque façon que ce soit vous manquer de respect à vous, les parlementaires, ni remettre le processus en question, mais je crois comprendre qu'il y a toujours eu une procédure d'examen judiciaire.

Bien des mesures législatives aboutissent devant la Cour suprême du Canada et, comme nous le savons tous, certaines sont maintenues, d'autres rejetées et parfois leur application est limitée à certains cas et leur portée est réduite par cette instance. C'est parce que nous avons un système dans lequel, en bout de ligne, la Cour suprême a le droit de déterminer si nos mesures législatives correspondent aux normes établies dans la Charte des droits et libertés.

Nous n'essayons donc pas de priver le gouvernement du droit d'adopter cette mesure législative. Nous disons simplement que c'est peut-être le genre de législation que vous pouvez souhaiter faire examiner par la Cour suprême pour qu'elle rende une décision claire avant qu'elle ne soit appliquée dans notre société.

Mme Meredith: Ce qui m'inquiète, c'est que notre système judiciaire n'a aucune valeur si les gens qu'il est censé servir ne lui accordent pas leur soutien. Lorsque la société, par l'entremise de ses représentants élus, adopte une certaine position et que cette décision est renversée par les tribunaux, par quelques personnes triées sur le volet qui ne sont pas élues et qui n'ont pas de compte à rendre à la population canadienne... l'évolution que cela dénote inquiète beaucoup les gens.

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Je crains que le ministre de la Justice donne suite à cette tendance ou même qu'il l'appuie en demandant à la Cour suprême de se prononcer sur cette loi avant même qu'elle ne soit adoptée.

Mme Fuerst: N'oubliez pas que, avec l'arrêt Daviault, la cour n'a pas invalidé de loi créée par les Canadiens par l'entremise de leur Parlement. En fait, si le tribunal a invalidé quoi que soit, ce sont des principes de droit remontant à plusieurs dizaines d'années.

On pourrait soutenir que, lorsque la Cour suprême du Canada énonce clairement des principes de droit comme elle l'a fait dans l'affaire Daviault et qu'il n'existe aucune loi traduisant ces principes, il pourrait être indiqué, pour plus de clarté, de lui demander de réexaminer la question dans le contexte d'un projet de loi créé par le Parlement.

Si vous lisez l'arrêt Daviault, vous constaterez que M. le juge Cory, dans la décision de la majorité, indique clairement qu'il existe un principe de droit reconnaissant la suprématie du Parlement. Il fait la distinction entre ce principe et le fait de reconnaître qu'une règle de common law ne satisfait pas aux exigences constitutionnelles.

C'est pour ces motifs que nous disons qu'on serait bien avisé de saisir dès maintenant la Cour suprême de ce projet de loi.

Mme Meredith: Mais ne croyez-vous pas que cela mine l'intention du législateur? Dans l'arrêt Daviault, le tribunal a laissé entendre qu'il incombait au Parlement d'adopter une loi en matière d'intoxication. Une mesure législative a donc été déposée, mais on veut maintenant la renvoyer à la Cour suprême en lui disant: c'est à vous d'élaborer la loi nécessaire. Nous, les parlementaires, disons essentiellement: nous allons rédiger une loi, mais vous devrez la vérifier. À mon avis, nous refusons d'assumer nos responsabilités si nous renvoyons le projet de loi au tribunal.

M. Pinx: En fait, vous soulevez deux questions. La première est celle de l'apparence et la deuxième est la question du moment. Il ne fait aucun doute que la Cour suprême du Canada devra un jour ou l'autre se prononcer sur cette loi. Ça ne fait aucun doute pour quiconque ici présent. La question est donc de savoir quand cela se fera.

La question de l'apparence est liée à votre pouvoir d'adopter des lois. Devriez-vous d'abord obtenir l'aval de la Cour suprême? À cette question, Michelle et moi ne pouvons que répéter ce que nous avons dit, à savoir que vous pourriez opter pour cette solution si vous estimez qu'il est préférable que la situation soit clarifiée une fois pour toute dès maintenant. Bien sûr, c'est à vous qu'il incombra de prendre cette décision.

Mme Meredith: Merci.

Le président: J'aimerais vous poser quelques questions. Il semble que l'arrêt Daviault s'applique à tous les crimes en général, alors que le projet de loi C-72 a une portée plus limitée. Il ne s'applique en fait qu'à certaines infractions violentes contre la personne. D'après vous, est-ce que cela est suffisant? Nous avons le pouvoir d'élargir quelque peu la portée du projet de loi de façon à ce qu'il s'applique à une plus grande gamme d'infractions. Qu'en pensez-vous?

M. Pinx: Essentiellement, nous appuyons les principes qui sous-tendent le projet de loi. Nous approuvons l'idée de limiter le recours à ce moyen de défense particulier - c'est-à-dire de limiter le recours à ce moyen de défense au seul scénario décrit dans le projet de loi.

En termes plus simples, nous estimons que, en limitant l'application de cette loi aux cas de violence contre la personne, on répond aux préoccupations qui ont été soulevées par la population.

Le président: Examinons plus attentivement le paragraphe 33.1(3) du projet de loi, la disposition restrictive. J'aimerais savoir ce que vous, à titre d'avocats, pensez du libellé. Moi, je le trouve plutôt alambiqué. Le paragraphe dit ceci:

Je me demande s'il n'aurait pas été préférable d'énumérer les infractions auxquelles s'applique cette disposition, comme on l'a fait dans la Loi sur les jeunes contrevenants, par exemple, en ce qui concerne le renvoi devant un tribunal pour adultes, car, avec un libellé de ce genre, on se demande toujours ce qui est inclus et ce qui est exclu.

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Dans la première question, j'ai employé les termes «crime violent contre la personne», mais le projet de loi parle plutôt de «atteinte à l'intégrité physique d'une personne». J'ignore si cette expression a déjà été employée auparavant. C'est peut-être le cas.

Cela exclurait certainement des infractions telles que l'incendie criminelle. Or, il est déjà arrivé que des gens allument des incendies, délibérément ou par négligence, pendant qu'ils étaient ivres.

Que pensez-vous de ce libellé? Il me semble plutôt mauvais. J'ignore ce que vous en pensez. Je vous pose la question. Ce libellé nous permet-il vraiment de réaliser notre objectif? Même si nous ne voulons cibler que certains crimes violents, ce libellé est-il le meilleur qui soit?

Mme Fuerst: C'est une des raisons pour lesquelles nous avons indiqué qu'il pourrait être préférable d'énumérer les infractions plutôt que de tenter de les décrire de façon générale.

Le président: Vous préféreriez donc qu'on énumère les infractions auxquelles cette disposition s'applique?

M. Pinx: Oui, qu'on énumère les infractions pour lesquelles on ne pourrait invoquer la défense d'intoxication.

Le président: Avez-vous envisagé la possibilité de régler ce problème en créant une infraction distincte, telle qu'une infraction d'intoxication extrême? Préférez-vous qu'on attende la révision de la partie générale du code? Qu'est-ce qui vous semble préférable comme solution au problème par l'arrêt Daviault: ce genre d'approche ou une infraction précise? Une infraction d'intoxication extrême serait une solution.

M. Pinx: L'Association du Barreau canadien, dans le cadre de ses travaux sur la réforme du Code criminel, a déjà recommandé qu'on traite des moyens de défense au moment de la révision générale de toutes les dispositions du Code criminel. Par conséquent, comme Michelle l'a déclaré au début de son exposé, il serait certainement préférable de traiter de cette question dans le cadre de la réforme du Code criminel.

Voudriez-vous ajouter quelque chose?

Mme Fuerst: Oui. Nous avons examiné le concept que vous suggérez, la création d'une infraction d'intoxication volontaire. Nous en avons traité dans le rapport du groupe de travail de l'Association du Barreau canadien qui a examiné les principes généraux de recodification du droit pénal. Ce genre d'approche est surtout utile dans le cadre d'une réforme des principes généraux.

Il faudrait toutefois, et nous le reconnaissons, régler bien d'autres questions, par exemple, que se passe-t-il si vous portez des accusations d'infraction substantielle auxquelles s'ajouterait une accusation d'intoxication dangereuse. En faisant la preuve de son intoxication, l'accusé ne se disculpe-t-il pas de l'autre infraction?

Nous reconnaissons que cette approche présente des difficultés et nous exprimons qu'elle s'imposerait plutôt dans le cadre d'une réforme générale.

M. Pinx: Je vous donne un autre exemple des problèmes que nous avons examinés dans ce contexte - et nous ne discuterons de façon exhaustive de cette autre infraction qu'on pourrait créer - le cas où une accusation d'intoxication serait portée en guise d'accusation de rechange. Disons que vous avez porté une accusation d'infraction substantielle, par exemple, d'entrée avec effraction, mais qu'il s'agit d'un crime que l'accusé aurait commis en état d'ébriété. Il faudrait faire la preuve de la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable. Si l'accusé parvient à soulvever un doute raisonnable au sujet de son intoxication pendant la perpétration de l'infraction substantielle, il pourrait être acquitté.

Que dites-vous alors au jury en ce qui concerne la deuxième accusation? Le fait de soulever un doute raisonnable au sujet de la première accusation suffit-il à soulever un doute raisonnable au sujet de la deuxième accusation?

Ce n'est là qu'un exemple des problèmes que pourrait entraîner la création d'une infraction distincte d'intoxication. Ce n'est qu'un exemple; nous pourrions vous en donner bien d'autres.

C'est une question difficile et très complexe, à notre avis.

Le président: Merci.

J'ai oublié de demander aux membres du comité s'ils sont d'accord pour que le mémoire du Barreau soit annexé au compte rendu de notre séance d'aujourd'hui, puisqu'il n'a pas été lu.

Des voix: D'accord.

Le président: Je cède la parole à M. MacLellan et je demande à la vice-présidente de bien vouloir présider la séance pendant quelques minutes.

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M. MacLellan (Cap-Breton - The Sydneys): On vous l'avait déjà bien expliqué, mais aux fins du compte rendu, pourriez-vous commenter l'efficacité du moyen choisi par le ministre.

Dans votre mémoire, vous dites que, à votre avis, après un certain temps, le moyen de défense d'intoxication n'en serait plus un. Ne croyez-vous pas que le ministre est allé encore plus loin, qu'il a bien fait d'agir dès maintenant plutôt que d'attendre la suite des événements? Ne croyez-vous pas que c'est la meilleure façon de faire? Je sais que vous auriez préféré qu'on attende la réforme de la partie générale du Code criminel, mais, compte tenu des pressions qu'exerce le public...

Mme Fuerst: Comme on l'a déja dit, il est essentiel que la population comprenne et respecte les lois pénales. S'il semble que les gens ne respectent ni ne comprennent ce qui a résulté de l'arrêt Daviault, nous croyons que le Parlement doit s'attaquer à ce problème dans les meilleurs délais.

M. MacLellan: Mais plutôt que de ne rien faire, ce qui aurait été l'autre solution extrême, la première étant de permettre le recours au moyen de défense d'intoxication extrême - il y avait en fait trois options - on a opté pour la meilleure solution.

M. Pinx: En dernière analyse, c'est à vous, les parlemantaires, à qui il incombera de répondre à cette question. Nous espérons simplement avoir pu vous aider avec nos remarques, avoir contribué à améliorer ce projet de loi si cela est possible.

M. MacLellan: Je voudrais vous poser une question sur votre troisième recommandation:

Cette recommandation vous apparaît-elle essentielle? Pourquoi devrions-nous y donner suite?

M. Pinx: Voici ce que dit le paragraphe 33.1(3) du projet de loi:

L'application de cette disposition n'est nullement limitée. De toute évidence, l'autre camp ferait valoir que son application est limitée. Si vous lisez le préambule et les paragraphes 33.2(1) et 33.1(2), vous serez certainement d'accord avec moi pour dire, comme toute autre personne raisonnable, que cette disposition ne s'applique qu'aux infractions de base ou d'intention générale.

Par prudence, nous estimons qu'il faudrait clarifier ce libellé, dire en une seule phrase que ce moyen de défense ne peut être invoqué dans les cas d'infractions d'intention spécifique. On n'aurait rien à perdre à apporter cette modification, et on y gagnerait en clarté, on indiquerait clairement à quelles infractinos cette disposition s'applique et à quelles infractions elle ne s'applique pas.

M. MacLellan: Si nous n'apportons pas la modification que vous suggérez, estimez-vous qu'on ne pourra conserver la distinction entre les infractions d'intention générale et les infractions d'intention spécifique tel que vous le souhaitez?

M. Pinx: Ce qui nous préoccupe, c'est que nous ignorons comment les juges et les tribunaux appliqueront ces dispositions aux faits des différentes causes. C'est ce que nous tentons d'anticiper. Nous tentons aussi de déterminer si, un jour, un tribunal ne pourrait pas aller à l'encontre du législateur dans l'application de cette disposition. Nous estimons qu'on pourrait prévenir ce problème avec un simple énoncé indiquant que ce moyen de défense ne peut être invoqué pour les infractions d'intention spécifique.

La vice-présidente (Mme Barnes): Je n'ai pas d'autre nom sur ma liste.

Je vous remercie beaucoup de votre témoignage et de votre mémoire. Je vous remercie d'être venus.

La séance est levée jusqu'à notre séance de demain, à 15h30, dans cette salle-ci.

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