[Enregistrement électronique]
Le jeudi 26 octobre 1995
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte.
Nous continuons aujourd'hui l'examen du projet de loi C-78 portant sur le programme de protection des témoins. Nous allons entendre Steve Sullivan qui représente le Centre canadien d'aide aux victimes d'actes criminels, et Sharon Rosenfeldt qui représente le groupe Victimes de violence. Un mémoire de Steve Sullivan nous a déjà été soumis aujourd'hui.
Je vous invite à faire votre exposé après quoi nous passerons aux questions et réponses. À vous de décider qui doit commencer.
Mme Sharon Rosenfeldt (présidente, Victimes de violence): Merci beaucoup. Je m'appelle Sharon Rosenfeldt; c'est Steve qui fera l'exposé proprement dit. Nous avons travaillé de concert pour préparer cet exposé, à cause du peu de temps dont nous disposions. Nous avons beaucoup discuté de cette question à notre bureau ainsi qu'avec nos membres de tout le Canada. Nous avons décidé de nous en tenir à un exposé unique. Au cours de la période de questions qui suivra et à laquelle je participerai également, nous espérons bien pouvoir vous donner des réponses.
Je passe maintenant la parole à Steve. Je vous remercie.
M. Steve Sullivan (directeur exécutif, Centre canadien d'aide aux victimes d'actes criminels): Merci, Sharon.
Comme Sharon l'a mentionné, je parlerai au nom du Centre canadien d'aide aux victimes d'actes criminels et du National Justice Network, dont nous sommes membres, et qui comprend les principaux groupes de victimes importants du Canada, notamment les Victimes de violence, CAVEAT, CRY, et d'autres.
Je tiens à remercier le comité et vous-même, monsieur le président, de nous avoir permis de comparaître devant vous aujourd'hui pour vous parler de ce projet de loi. Notre exposé sera bref. Ce projet de loi suscite peu de réserves chez nous mais je crois qu'elles sont importantes. J'espère que le comité voudra bien en tenir compte.
Le National Justice Network et le Centre d'aide aux victimes ont donné leur aval au projet de loi d'initiative parlementaire présenté par M. Wappel, l'an dernier - et nous approuvons également l'esprit de ce projet de loi. Nous reconnaissons la valeur inhérente d'un système qui assurera la protection des personnes apportant leur aide aux poursuites intentées contre certains individus.
Nous avons cependant un certain nombre de réserves graves suscitées par un examen plus attentif du projet de loi et une comparaison entre le projet de loi C-78 et le projet de loi C-206.
Une des différences les plus importantes que nous avons relevées concerne le genre de personnes qui bénéficieront du programme. Selon la définition du projet de loi C-78 un témoin est:
- «une personne qui soit a fourni ou a accepté de fournir des renseignements ou des éléments de
preuve dans le cadre d'une enquête ou d'une poursuite relative à une infraction»
- La définition donnée dans le projet de loi C-206 est beaucoup plus étroite car elle s'applique
uniquement à «un témoin actuel ou potentiel».
Nous comprenons les raisons pour lesquelles on veut faire bénéficier ces informateurs des dispositions du programme car c'est probablement un mal nécessaire. Ce qui nous préoccupe surtout, comme pour tous les autres projets de loi sur lesquels nous témoignons, c'est la protection du public, et nous estimons que le projet de loi C-78 ne prévoit pas les mécanismes nécessaires pour cela.
Le paragraphe 4(2) du projet de loi de M. Wappel précise bien que le risque ou le danger pour le public doive être la préoccupation première du ministre lorsqu'il décide d'autoriser un témoin à participer au programme. Dans le projet de loi C-78, on considère simplement le danger résultant pour la collectivité comme un des huit facteurs dont le commissaire de la GRC doit tenir compte lorsqu'il prend sa décision. Rien n'indique que c'est là la considération la plus importante.
Comme nous le verrons un peu plus loin, il est déjà arrivé à la GRC de prendre des décisions discutables lorsqu'il s'agissait de choisir les bénéficiaires du programme. J'estime que le danger ou le risque pour le public devrait être sa principale préoccupation.
Nous craignons aussi que les bénéficiaires du programme ne continuent à enfreindre la loi car beaucoup d'entre eux ont déjà un casier judiciaire.
Le sous-alinéa 7(2)(iii) du projet de loi C-206 énonce que la personne faisant l'objet des mesures de protection doit s'engager à «ne pas commettre d'acte criminel». Le projet de loi C-78, quant à lui, contient un article qui impose à la personne protégée l'obligation de «s'abstenir de participer à une activité qui constitue une infraction à une loi fédérale». Rien ne garantit cependant qu'un bénéficiaire qui enfreint la loi sera exclu du programme. Certes, le projet de loi contient certaines dispositions qui permettent de le faire, mais la décision finale appartient au seul commissaire de la GRC. C'est à lui de décider si l'infraction est suffisamment grave pour justifier l'exclusion de cette personne.
En outre, rien ne garantit que le bénéficiaire qui enfreint la loi fasse l'objet de poursuites. Il demeure possible pour la GRC de ne pas tenir compte d'une infraction pénale ou de soustraire un bénéficiaire à sa responsabilité criminelle. La GRC peut intervenir auprès de la Commission nationale des libérations conditionnelles et influer sur ses décisions car ce genre de rapport est un des points dont la Commission tient compte lorsqu'elle se prononce sur la libération d'un contrevenant.
Venons-en maintenant à des situations qui, j'en suis sûr, ont été une source d'embarras pour la GRC. Je crois qu'il est indispensable de les examiner afin de mieux comprendre le type d'individus auxquels la GRC a affaire. L'exemple le plus tristement célèbre est probablement celui de Clifford Olson.
Madame Rosenfeldt vous expliquera tout à l'heure que Clifford Olson est le meurtrier de son fils. C'était également un informateur de la GRC. Nous ne parlons pas simplement de cette abominable entente dans laquelle, pour de l'argent, Olson a révélé l'endroit où les corps de ses victimes étaient enterrés; ce à quoi nous faisions allusion ici c'est à ses relations avec la police qui ont commencé beaucoup plus tôt, et qui se poursuivaient toujours à l'époque où il a tué 11 enfants.
Olson a passé la plus grande partie de sa vie d'adulte en prison, mais il l'a fait en détention protégée parce qu'il était un informateur. En 1977, il est devenu le témoin vedette du procès pour meurtre de Gary Marcoux, condamné pour le meurtre au premier degré d'une petite fille de neuf ans.
À l'époque, le procureur de la Couronne avait écrit une lettre de recommandation à la Commission nationale des libérations conditionnelles qui l'avait aidé à obtenir une libération anticipée. Bien entendu, selon sa bonne habitude, Olson commit d'autres actes criminels pendant qu'il était en liberté conditionnelle.
Depuis les années 80, la GRC est accusée ou soupçonnée d'avoir joué un rôle dans la suspension ou le retrait d'accusations portées contre Olson pour des infractions sexuelles.
Le cas d'Olson n'est cependant pas un incident isolé. Il rappelle celui d'un informateur de la GRC en liberté conditionnelle qui avait assassiné un jeune homme. Les rapports entre Paul Butler et la GRC à l'époque où il a commis le meurtre de Dennis Fichtenberg continuent à inspirer bien des soupçons. Pour des raisons évidentes, il m'a été impossible d'en obtenir confirmation. Comme vous le savez, le fait d'identifier un informateur de la police est un crime.
Cependant, ce comité voudra peut-être chercher à savoir quel genre de renseignements il pourra obtenir sur les informateurs de la GRC. Je sais que le projet de loi prévoit que le commissaire de la GRC devra déposer chaque année un rapport devant le Parlement. Il importe que vous vous renseigniez sur le genre d'information que ce rapport contiendra et sur le type de renseignements auxquels vous n'aurez pas accès.
Il est très probable que ce genre d'audiences auront lieu à huis clos, mais je crois que si le comité accepte de consacrer un peu plus de temps à ce projet de loi et examine, dans l'affaire Butler, par exemple, les conditions actuelles dans lesquelles la GRC admet ses informateurs dans le programme, il relèvera peut-être de graves lacunes dans le système existant. Au fond, tout ce que fait ce projet de loi c'est d'entériner le système actuel par voie législative.
Tous les cas d'informateurs de la GRC qui enfreignent la loi ne reçoivent pas autant de publicité que ceux de Paul Butler ou de Clifford Olson, ni ne sont aussi graves, mais je crois que nous pouvons pratiquement affirmer que beaucoup de ces informateurs contreviennent à la loi, commettent des crimes graves et utilisent leur situation pour couvrir et faciliter ces actes criminels.
Si le comité veut bien consacrer un peu plus de temps à l'examen des pratiques actuelles et de la situation des bénéficiaires du programme ainsi qu'au taux de récidivisme chez elles, je crois qu'il comprendra mieux comment le système fonctionne en réalité.
En conclusion, je dirai qu'un programme national de protection des témoins présente des avantages évidents pour le Canada mais que s'il n'est pas encadré par les dispositions législatives appropriées, il pourrait aussi avoir de graves répercussions. Des amendements mineurs mais importants à ce projet de loi s'imposent pour que la protection du public soit le facteur déterminant de chaque décision. Les Canadiens n'en attendent pas moins et ils le méritent indiscutablement.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci.
Madame Rosenfeldt, avez-vous des remarques à faire avant que nous passions à la période de questions et réponses?
Mme Rosenfeldt: Non, monsieur. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous nous sommes consultés sur ces questions. Nous nous sommes rencontrés pour en parler hier et nous avons tout passé en revue. Je pense ne rien avoir à ajouter.
Le président: Merci.
Monsieur Ramsay.
M. Ramsay (Crowfoot): Merci, monsieur le président.
Je vous remercie tous deux d'avoir bien voulu comparaître aujourd'hui. Nous avons une dette de reconnaissance à votre égard ainsi qu'à celui des autres témoins que nous avons déjà entendus et qui connaissent très bien ce qui se passe en réalité dans les programmes de protection des témoins fonctionnant actuellement au Canada, y compris celui de la GRC que ce projet de loi codifierait, encore que notre président ait fait remarquer hier qu'il ne codifiait même pas tout ce qui se passe en ce moment.
Il me semble que, dans votre témoignage de ce matin, vous avez exprimé la crainte qu'un bénéficiaire du programme de protection de la GRC puisse être à l'abri des répercussions d'autres actes criminels commis par lui. Vous avez cité le cas de Clifford Olson, puis celui de Butler, pour confirmer cet état de chose.
Je voudrais plus de détails à ce sujet. Voulez-vous dire qu'avant l'arrestation finale d'Olson pour les crimes qui ont conduit à son incarcération, la GRC était au courant des infractions d'ordre sexuel qu'il avait commises mais qu'il n'avait jamais été traduit devant les tribunaux ni inculpé parce qu'il faisait partie de ce programme de protection des témoins?
Mme Rosenfeldt: Je ferai de mon mieux pour vous répondre. Il était connu comme informateur de la police depuis des années. On disait même - et je ne suis pas tout à fait certaine de mes faits - que la GRC lui avait offert 3 000$ ou 3 500$ par mois pour la renseigner. La situation n'était certainement pas nouvelle pour lui. Avant son arrestation pour meurtre, il y avait déjà quatre actes d'accusation contre lui. Olson était en liberté surveillée, ce qui signifie qu'il lui restait un tiers de sa peine à purger dans la collectivité. Les huit chefs d'inculpation en cours étaient les suivants: viol d'une jeune fille de 14 ans, sodomie, infraction relative aux armes à feu et conduite en état d'ivresse... Il en avait huit au total.
La GRC a réussi à le retrouver - tout cela figure dans les dossiers du tribunal - et lui a dit que, comme il était sur le point de faire l'objet d'un mandat d'arrestation, il fallait qu'il comparaisse devant un juge de paix à propos des accusations en instance. Il a été libéré après avoir versé un cautionnement de 5 000$; trois jours, après il assassinait mon fils Daryn.
Et ça n'en finit pas. Il était sans doute plus utile en liberté, comme informateur.
Quant à dire s'il est possible d'abuser du système, je dirais que oui car cela a été prouvé par une personne que je connais. Je sais qu'il y en a d'autres, mais de celle-ci, je peux parler en toute connaissance de cause. Nous avons toute la documentation nécessaire pour cela.
Peut-on abuser du système? Oui. Il protège de plus en plus de criminels.
M. Ramsay: Je voudrais que vous répondiez à une question précise.
Dans le cas d'Olson, est-il prouvé que la police était au courant des infractions - ou d'une infraction - commises par Clifford Olson qui n'ont jamais été rendues publiques pour la simple raison qu'elle ne voulait pas que cela nuise à son rôle d'informateur?
Mme Rosenfeldt: Oui, cela est prouvé. Je ne peux pas vous donner plus de précisions pour l'instant, mais je pourrai certainement vous fournir les documents nécessaires.
M. Ramsay: C'est une accusation très grave car cela signifie qu'un ou plusieurs agents ont peut-être été complices de l'infraction. C'est très grave.
Ce projet de loi porte uniquement sur le programme de protection des témoins de la GRC. Il ne traite d'aucun des quinze programmes des polices provinciales ou municipales qui fonctionnent dans notre pays. Il est uniquement destiné à codifier dans une certaine mesure le programme de la GRC, et nous venons de voir les résultats de ce programme. Ce que vous nous dites ce matin est très inquiétant car il s'agit pour nous d'entériner un projet de loi qui permettrait au genre de situation dont vous parlez de perdurer.
Mme Rosenfeldt: C'est bien de cela que je parle. Je demande à ce comité d'étudier ce projet de loi de très près.
Pour les Victimes de violence comme pour moi-même, il devrait être exclu qu'on recommande l'adoption de ce projet de loi sous sa forme actuelle tant que certaines de ces accusations et de ces situations - comme vous les appelez - n'auront pas été examinées et prises au sérieux.
Le projet de loi que ce gouvernement va peut-être approuver est très important. Je vous demande donc instamment d'être prudents, de l'étudier de près. Je n'ai pas eu suffisamment de temps pour réunir toute la documentation nécessaire, mais je vais constituer un dossier que je remettrai à chaque membre du comité, car la question est extrêmement importante.
M. Ramsay: Je ne crois pas que ce projet de loi ait le moins du monde pour objet de permettre à des agents de police de l'utiliser indûment pour protéger certains témoins, mais s'il crée une atmosphère propice à ce genre d'abus, il faut que nous le sachions et que nous envisagions des amendements possibles lors de l'examen du projet de loi.
Mme Rosenfeldt: Je suis d'accord avec vous mais, compte tenu des dispositions du projet de loi C-78, comment saurons-nous que des irrégularités ont été commises et que certains problèmes se posent? Je ne pense pas que le commissaire les rendra publics. À qui le commissaire doit-il rendre compte?
M. Ramsay: J'ai été membre de la GRC pendant quatorze ans. Je sais que lorsque vous atteignez un certain niveau de la hiérarchie, vous perdez le contact avec ce qui se passe à la base à moins d'en être informé. Il est fort possible que le commissaire n'ait pas la moindre idée de ce qui s'y passe, sinon, je suis certain qu'il interviendrait.
Mais le problème relevé par M. Newark, de l'Association canadienne des policiers, est que la GRC a un système d'administration qui lui est propre. Contrairement aux autres corps de police, cette administration est purement interne. Il a donc recommandé qu'une tierce partie intervienne dans le choix et l'approbation des participants au programme.
L'article 19 sur l'immunité judiciaire nous préoccupe. L'avez-vous examiné?
- Sa Majesté du chef du Canada de même que le commissaire et les personnes agissant au
nom de ce dernier bénéficient de l'immunité judiciaire pour tout acte ou omission commis de
bonne foi dans l'exercice des pouvoirs et fonctions conférés par la présente loi.
M. Sullivan: Je ne pense pas que ce soit une simple coïncidence que ce projet de loi soit présenté après les procès que l'on a récemment intentés à la GRC et au gouvernement fédéral à cause des problèmes que l'on a connu avec ce programme dans le passé. Je crois qu'une de ces affaires est encore en instance - il s'agit d'un homme qui réclame des dommages-intérêts de 2,7 millions de dollars. Je crois savoir qu'une autre poursuite a été réglée à l'amiable. Je ne pense donc pas que la présentation de ce projet de loi soit une simple coïncidence. Il a en effet en partie pour objet de protéger le gouvernement contre d'autres poursuites de ce genre.
Le président: Merci.
Madame Barnes.
Mme Barnes (London-Ouest): Je vous remercie de votre témoignage. J'ai été particulièrement sensible au fait que vous ayez réussi à le préparer avec si peu de préavis.
En tant que membre de ce comité, j'estime que nous devrions procéder un peu plus lentement. Je suis totalement d'accord pour dire que c'est un projet de loi qui était nécessaire. J'ai relu les bleus de tous les autres procès-verbaux de nos réunions d'hier soir et il me paraît indispensable d'avoir un projet de loi. Personnellement, j'estime qu'il est possible d'améliorer la version actuelle, mais la question de la responsabilité est importante pour moi. J'ai aussi des réserves à exprimer au sujet de l'article 19 dont monsieur Ramsay vient de parler. Je ne suis même pas tout à fait sûre qu'il devrait être là ou alors, on devrait lui apporter des ajouts.
Notre comité aime réfléchir sur les questions importantes et il aime aussi écouter les témoins qui comparaissent devant lui. Nous finirons bien par avoir un projet de loi mais je crois qu'il serait bon que nous réfléchissions davantage à ce qu'on nous a dit et que nous nous efforcions d'élaborer un document qui ira un peu plus loin qu'une simple codification de la situation existante.
Hier, j'ai été très impressionnée par ce qu'a dit le témoin qui représentait certaines de ces personnes et faisait un travail important sur ce plan. Dans votre mémoire, vous déclarez que la plupart des bénéficiaires du programme ont des activités criminelles. Ne serait-ce que pour ma propre gouverne, je voudrais que vous reconnaissiez que tout cela concerne aussi des innocents - il y a des conjoints, peut-être des enfants - et qu'il ne s'agit pas simplement de protéger des criminels... qu'il y a aussi des personnes innocentes qui craignent pour leur vie et qui sont importantes pour notre justice pénale. Elles méritent ce type de protection... au même titre que les personnes qui sont indispensables à notre système judiciaire.
Ne serait-ce que pour ma propre gouverne, je souhaiterais entendre vos commentaires sur ce premier point.
M. Sullivan: Je vous remercie d'avoir dit que le comité devrait consacrer plus de temps à l'examen de ce projet de loi. Je crois que vous avez tout à fait raison de le faire.
Il est indéniable qu'on n'a aucune faute à reprocher à certains bénéficiaires du programme.
J'étais présent lorsque M. Wappel a pris la parole devant le comité; il était accompagné d'un Monsieur qui avait aidé la GRC - je ne connais pas très bien les détails de l'affaire - et qui, à en juger d'après ce qu'il disait, aurait eu besoin de la protection de la police mais n'en avait pas bénéficié. Il est indispensable que ce projet de loi tienne compte de la situation de ce genre de personnes qui ont besoin d'être protégées au maximum.
Vous avez raison de contester l'article 19. Si la GRC ne fait pas tout ce qu'elle peut pour ce genre de personnes, celles-ci n'ont guère de recours contre elle. Vous avez donc raison de dire qu'il y a beaucoup d'innocents qui ont désespérément besoin de ce genre de programme.
Mme Rosenfeldt: Je vous répondrai, madame Barnes, que c'est probablement aussi la raison pour laquelle nous avons vigoureusement soutenu le projet de loi C-206 présenté par M. Wappel. La différence entre ce projet de loi et le projet de loi C-78 est qu'on a ajouté le joli terme d'«informateurs». Bien sûr, étant donné le genre de travail que nous faisons, nous ne voyons jamais qu'un aspect de la situation. C'est pourquoi le comité entend des personnes qui lui présentent toutes sortes de points de vue. Nous sommes donc très inquiets lorsque nous lisons ce projet de loi et nous nous demandons quelles pourraient en être les conséquences, si nous ne consultons pas d'autres personnes avant de l'adopter.
Le projet de loi présenté par M. Wappel nous convenait parfaitement. Mais celui-ci donne la priorité à d'autres questions et il y a même des aspects que nous n'avons pas pu examiner.
Mme Barnes: Aux fins du compte rendu, je rappellerai encore une fois que M. Wappel a retiré son projet de loi. Lorsqu'il a témoigné, il a clairement exprimé son soutien au projet de loi C-78 et à ce que nous faisons ici. Il a recommandé certains changements et le comité en examinera sans doute un certain nombre attentivement, mais pas nécessairement tous.
Je n'ai pas vraiment beaucoup de questions à vous poser. Je préférerais continuer à étudier moi-même ce projet de loi avant d'en dire plus.
Je vous remercie vivement d'être venus.
Si quelqu'un veut utiliser le temps qu'il me reste, il est le bienvenu.
Le président: Merci, madame Barnes.
Monsieur Ramsay, avez-vous d'autres questions à poser?
M. Ramsay: Je crois que ma question sera peut-être utile à d'autres membres du comité. Ce que je voudrais vraiment comprendre, c'est comment un programme de protection des témoins peut dérailler et ne pas fonctionner dans l'intérêt de la société; je voudrais savoir comment il peut être détourné de sa fonction dans l'intérêt de l'agent de police, de l'escouade - que ce soit l'escouade antidrogue ou l'escouade des enquêtes criminelles - ou du corps de police tout entier au lieu de servir à ce pourquoi il avait été conçu. C'est la tâche qui nous incombe, nous les députés. Nous sommes censés veiller à ce que le projet de loi soit adopté et concilie les divers principes en jeu; le projet doit confier à la police les outils dont elle a besoin pour protéger efficacement la société et amener les criminels devant la justice.
Ce que j'ai entendu jusqu'à présent me donne l'impression que ce projet de loi est déséquilibré. Je voudrais donc avoir plus de détails sur certains des problèmes que le programme de protection des témoins de la GRC a rencontrés, compte tenu de ce que Pierre Untel a déclaré au comité qu'il avait eu affaire à quelques policiers véreux. Au fil des ans il m'est arrivé de critiquer assez sérieusement certaines activités de la GRC, mais je considère toujours que c'est un excellent corps de police; pourtant, j'ai toujours craint qu'il n'y ait pas suffisamment de moyens de contrôle pour que, si quelque chose allait de travers, il y ait des recours suffisants pour permettre aux citoyens de le signaler et d'obtenir qu'on intervienne.
Si donc vous avez quelque chose à ajouter à ce que vous avez déjà déclaré devant le comité à propos de certains problèmes que vous constatez dans le système actuel, ou si vous avez des suggestions pour l'améliorer, cela m'intéresserait beaucoup de vous entendre.
Je ne dispose que de cinq minutes, mais si je comprends bien le programme de protection, un témoin n'est pas du tout obligé de se présenter. Il peut se taire. Un informateur peut refuser ses services à moins d'être soumis à des pressions parce qu'il a commis une infraction ou qu'il fait l'objet d'une enquête et qu'il juge qu'il est donc dans son intérêt de coopérer avec la police, ce qui fait de lui un informateur. Il est indiscutable que ces personnes-là sont vulnérables, en particulier lorsque leur vie est menacée parce qu'elles sont des témoins. Dans de telles conditions, les pressions que l'agent de police peut exercer sur elle sont énormes. Comme Pierre Untel l'a dit, ces gens-là sont pratiquement prêts à tout faire pour continuer à être protégés et à bénéficier du programme.
Cela m'inquiète beaucoup. À moins qu'il n'y ait des mécanismes de contrôle appropriés... Comme Madison le disait au sujet de la Constitution des États-Unis, elle ne fonctionnera que pour les gens vertueux; cela ne marchera donc aussi que pour les policiers honnêtes, mais pas pour ceux que Pierre Untel appelle «les policiers véreux». Ceux-ci détourneront le programme de ses fins légitimes.
Comment nous assurer que tous les policiers aient accès à un tel instrument, tout en évitant que ce qui se serait passé dans le cas de Clifford Olson ne se reproduise? Avez-vous quelque chose à suggérer? Avez-vous d'autres histoires d'horreur à nous raconter? Je ne tiens pas à ce que vous le fassiez pour le simple plaisir de les raconter, mais j'aimerais que vous nous donniez des exemples pour que nous puissions dire que cela s'est produit et que nous décidions de ce que nous pouvons faire pour y mettre fin. Que faire pour apporter des amendements à ce projet de loi et pour mieux équilibrer les mécanismes de manière à ce que, si ce genre de situation se reproduit, il soit possible d'y mettre fin très vite?
M. Sullivan: Sharon a parlé du cas de Clifford Olson - je suis certain que le comité le connaît bien - mais j'ai mentionné le cas de Paul Butler. Encore une fois, il m'est impossible de vous dire s'il était informateur de la police. Je n'en sais rien. Je crois qu'il serait bon que le comité essaie d'établir la vérité, peut-être au cours d'une audience à huis clos. Si les allégations et les soupçons qui entourent cette affaire sont vrais, la GRC aura certainement beaucoup aidé M. Butler à jouir d'un régime de semi-liberté en dépit du fait qu'il était présenté comme psychopathe dans un rapport de Service correctionnel Canada. Il était en effet en semi-liberté quand il a assassiné Dennis Fichtenberg.
Voilà le genre de situations qui se produisent. C'est ainsi que se passent actuellement les choses. Je ne veux pas du tout dire par là que la GRC le voulait. Elle a sans doute pensé que si Butler devenait un informateur, il pourrait l'aider à faire d'autres captures. Je pense en tout cas que vous devriez voir qui sont les bénéficiaires actuels et quelles sont les faveurs que la GRC accorde à des personnes qui ne font peut-être même pas officiellement partie du programme de protection des témoins.
Clifford Olson a profité de son rôle d'informateur avant 1984, à l'époque où le programme était assez bien structuré. On lui a versé de l'argent. On a dit qu'on l'avait aidé, que la GRC était intervenue pour que certaines accusations d'agression sexuelle soient suspendues. Pendant qu'il était sous surveillance, il s'est rendu coupable d'un certain nombre d'introductions par effraction que la police a ignorées en espérant qu'elle pourrait l'arrêter pour quelque chose de plus grave.
Je ne crois pas que Sharon ou moi-même puisse vous dire grand-chose sur le fonctionnement de ce programme, car nous n'en savons vraiment rien. Vous devriez aller directement à la source pour examiner les échecs passés mentionnés par nous - le cas de Clifford Olson, celui de Paul Butler, et j'en suis certain, de beaucoup d'autres. Étudiez-les, voyez où l'on a fait fausse route et décidez ensuite des changements à apporter à ce projet de loi pour être certain que cela ne se reproduise jamais.
Le président: Madame Torsney.
Mme Torsney (Burlington): Je tiens tout d'abord à vous dire que j'ai beaucoup apprécié votre mémoire. Il est très concis mais j'aurais besoin de deux ou trois éclaircissements.
Dans votre paragraphe final, vous écrivez que les criminels peuvent être «protégés» même s'ils ont commis d'autres infractions et qu'ils présentent un danger pour le public, parce que l'on veut obtenir une condamnation.» En haut de la deuxième page, vous reconnaissez cependant qu'utiliser des informateurs et leur apporter une aide est en quelque sorte un mal nécessaire dans certains cas. Certes, nous comprenons tous la situation d'un témoin qui est parfaitement innocent et qui a besoin de cette protection mais nous reconnaissons aussi, comme vous semblez le faire, que les informateurs jouent un rôle important dans le système judiciaire.
Comment voyez-vous les choses? Quelle est la proportion d'informateurs et de témoins dans le programme, moitié-moitié ou 75 p. 100 d'informateurs et 25 p. 100 de témoins?
Mme Rosenfeldt: C'est probablement là une des questions qui demandent plus de réflexion. Ce que je tiens avant tout à dire au comité aujourd'hui - et madame Barnes dit qu'elle partage ce sentiment - c'est qu'il s'agit d'un projet de loi important et qu'il ne faut pas aller trop vite dans son examen.
Beaucoup de questions demeurent encore sans réponses. Il y en a une que je tiens particulièrement à poser au comité - il pourrait se renseigner, ou nous pourrions probablement le faire nous-mêmes - selon l'expérience de la police, quel est le pourcentage des criminels informateurs - c'est sans doute aussi la question que vous voulez poser - par rapport aux témoins dont la vie est en danger et qui ne sont pas, eux, des criminels?
Mme Torsney: Je ne pense pas que l'adoption de ce projet de loi dépende de ce genre de renseignements. Ce qu'il faut que vous nous disiez c'est à quel moment le pourcentage devient inacceptable. Peut-être est-ce lorsque 89 p. 100 des bénéficiaires du programme sont des informateurs, peut-être au contraire, est-ce là une bonne chose. Je crois que c'est au plan des principes qu'il faut que vous vous placiez.
Vous parlez également du danger pour le public. Nous savons que ce sont des informateurs, vous aussi, et vous pensez que c'est là un mal nécessaire. Il faut donc tenir compte de l'existence de ce danger mentionné à l'alinéa 7b). Le fait que ce point occupe une telle place dans l'article ne signifie pas qu'il soit secondaire, en fait, il est fort important et si je le lisais dans un esprit positif, je dirais que c'est un des principaux facteurs dont le commissaire doit tenir compte.
Comme le disait M. Wappel, vous avez le cas du criminel dont l'aide a été très précieuse pour obtenir une condamnation, et voilà qu'il vole une tablette de chocolat. Bien sûr, c'est un acte criminel, mais il ne justifie pas nécessairement que nous expulsions cette personne du programme. Nous avons donc besoin que vous précisiez vos idées à ce sujet.
Je crains que plus nous attendrons, plus la GRC commettra d'erreurs. Nous avons besoin que tout cela soit codifié. À la suite de la discussion d'hier, je me demande si un code précis de déontologie - la GRC en a un, mais il faudrait un code particulier - lié à ce programme, et la brochure dont nous avons parlé hier...
Un des problèmes, naturellement, est celui des témoins ou des informateurs qui se font des illusions sur ce que le programme peut leur apporter et qui se mettent en difficulté. C'est une situation très délicate. Les gens prennent littéralement des décisions de vie ou de mort sans s'être bien renseignés à l'avance. Il devrait y avoir une brochure qui leur explique «Voici ce que vous allez obtenir, un point c'est tout», qui leur signale ce dont ils devraient se préoccuper, d'autant plus que certains d'entre eux n'ont pas d'avocats auprès d'eux lorsqu'ils prennent la décision.
Un code de déontologie présenté dans une brochure ne répondrait pas vraiment à vos préoccupations car les infractions à ce code, en particulier en ce qui concerne le programme de protection des témoins, pourraient nous permettre en tant que députés qui examineront le programme, étant donné aussi que le commissaire devra rendre compte à notre comité du fonctionnement de ce programme... il sera donc possible de repérer les erreurs et de les traiter comme il se doit.
M. Sullivan: J'ai quelques remarques à faire. Vous avez dit que le danger résultant pour la collectivité faisait l'objet du deuxième paragraphe de l'article 7. J'estime qu'il faudrait revoir la hiérarchie établie dans cet article et placer le danger pour le public au premier rang et non au second.
Mme Torsney: Vous utilisez le paragraphe concernant les informateurs, alors que le premier concerne probablement les témoins.
M. Sullivan: Qu'il s'agisse de témoins ou d'informateurs, quelle que soit la décision du commissaire et les décisions prises à cet égard, je ne sais pas exactement s'il s'agit d'une hiérarchie ou plutôt de huit points à considérer. En tout cas, celui qui concerne le danger résultant pour la collectivité devrait être placé au premier rang ou même, si c'est nécessaire, être isolé dans un article distinct, comme M. Wappel l'avait fait.
J'ai un peu perdu le fil de mes idées concernant les autres points.
Mme Torsney: Les erreurs...
Le président: Vous avez déjà dépassé d'une minute le temps qui vous était alloué, madame Torsney.
Mme Torsney: Mais ne pourrions-nous pas le remettre sur la bonne voie pour qu'il réponde à ma question sur le code de déontologie et la brochure?
Le président: Je crois qu'un des problèmes lorsqu'on dispose de cinq minutes est que les questions elles-mêmes en prennent cinq, et les réponses, de trois à cinq minutes. Je ne crois pas que ce soit cela que l'on veut. Mais si le témoin peut reprendre le fil de ses pensées et nous donner une réponse, et nous contrôlerons plus rigoureusement le temps réservé aux questions.
M. Sullivan: Vous avez mentionné le code de déontologie et la brochure. Les deux idées sont excellentes. Je ne suis malgré tout pas convaincu que le commissaire de la GRC nous fournira toute l'information dans ce rapport. Il est déjà arrivé, par exemple, que des rapports du Service correctionnel ou de la Commission des libérations conditionnelles qui avaient été présentés au comité contenaient des sections qui avaient été caviardées. Il serait peut-être bon que vous réfléchissiez au type d'information que ces rapports devraient contenir. C'est peut-être un point que vous pourriez incorporer au projet de loi.
M. Ramsay: Je voudrais vous poser la question suivante, madame Rosenfeldt. Croyez-vous que Clifford Olson a commis des infractions criminelles parce que la GRC l'avait remis en liberté?
Mme Rosenfeldt: Oui, j'en suis convaincue, et je pourrai peut-être vous rencontrer plus tard pour vous en parler. C'est une histoire longue et compliquée.
M. Ramsay: Il y a certainement dû avoir une enquête interne sur ce qui s'est passé.
Mme Rosenfeldt: Non, il n'y en a pas eu. Il y a eu un rapport du médecin légiste. D'autres membres de la famille et nous-mêmes avons désespérément essayé d'obtenir une enquête. Nous voulions que toutes les allégations qui avaient été faites soient mises au grand jour et discutées.
Croyez-moi, j'ai beaucoup de respect pour la GRC. Il m'a toujours été très désagréable de devoir parler des erreurs qu'elle avait commises. La seule raison pour laquelle je parle constamment de tout cela c'est que je voudrais que quelqu'un m'écoute et qu'on commence peut-être à vérifier certaines de mes allégations.
Vous avez été membre de la GRC, monsieur, et peut-être serait-il bon que nous nous rencontrions pour discuter de tout cela. Vous pourriez peut-être examiner la question. Vous êtes membre du comité.
M. Ramsay: Oui.
Mme Rosenfeldt: C'est trop long pour que nous en parlions maintenant.
M. Ramsay: Avant de poursuivre mes questions, j'aurais besoin d'un renseignement, monsieur le président.
Il me semble que nous sommes parvenus à une croisée des chemins et qu'il va nous falloir décider si nous voulons examiner d'encore plus près le fonctionnement du programme de protection des témoins de la GRC sous sa forme actuelle - ainsi que ses rapports avec le projet de loi - ou si nous allons convoquer des témoins pour traiter des préoccupations que les témoignages que nous avons entendus jusqu'à présent, y compris ce matin, apaiseront. Le commissaire de la GRC sera-t-il convoqué? Je voudrais savoir si c'est possible.
Si nous ne convoquons pas le commissaire, je chargerai mon bureau de lui demander de me rencontrer afin d'apaiser certaines de mes inquiétudes dans ce domaine et de discuter avec lui de leur effet sur la forme que le programme a pris, possède actuellement, et aura dans l'avenir si ce projet de loi est adopté sous une forme ou sous une autre.
Ce que je veux savoir c'est si nous allons convoquer le commissaire pour qu'il réponde à certaines des inquiétudes que je viens d'exprimer et aussi peut-être, à celles que le programme inspire à d'autres membres du comité.
Le président: Voulez-vous répondre à cela, madame Barnes?
Mme Barnes: Oui.
Je ne juge pas absolument nécessaire d'entendre le commissaire, mais je voudrais beaucoup entendre encore une fois les représentants du gouvernement nous donner des explications sur ce projet de loi avant que nous prenions une décision.
Le président: De quels représentants du gouvernement parlez-vous?
Mme Barnes: Je voudrais entendre des représentants de la GRC, le solliciteur général et l'avocat-conseil du ministère de la Justice. Il y a un certain nombre de points dont je voudrais parler.
Je ne tiens pas du tout à ce que nous nous lancions dans une chasse aux sorcières. Comme le disait madame Torsney, nous avons besoin d'un projet de loi. Il en faut certainement un, mais nous tenons à ce qu'il soit le meilleur possible. Quand il s'agit d'affaires officielles, les chasses aux sorcières ne m'intéressent pas. Ce que je veux, c'est qu'on rédige un bon document législatif et j'estime qu'il serait bon que nous rappelions certains de ces représentants du gouvernement.
Il n'est pas nécessaire qu'on fixe une date pour cela dès maintenant. C'est un projet de loi qui me paraît... Je vais vérifier d'autres points cette semaine et la semaine prochaine.
Je tiens simplement à dire que ce n'est pas du commissaire de la GRC dont j'ai besoin, c'est beaucoup plus des personnes qui travaillent dans le système afin qu'elles répondent à des questions précises sur les programmes. Ce ne sont pas les cas individuels qui me préoccupent, c'est la manière dont le budget actuel de 3,4 millions de dollars est dépensé; le pourcentage des enfants innocents; les sommes allouées au counselling.
Je n'essaie pas de ralentir le travail. Ce travail est nécessaire. Mais ce ne serait peut-être pas une mauvaise idée de tenir une séance à huis clos avec ces gens-là avant de donner sa forme finale au projet de loi.
M. Ramsay: J'étais tout prêt, comme notre caucus, je crois, à aller naïvement de l'avant et à appuyer ce projet de loi. La raison pour laquelle j'hésite maintenant à le faire est que des témoins nous ont présenté des échecs individuels du programme. Nous savons qu'il a aussi donné de bons résultats puisque la police l'utilise. C'est pourquoi je me demande dans quelle mesure... Je ne tiens pas à ce que ce comité s'engage dans un examen approfondi de tous les cas de fonctionnement bon ou mauvais du système; il n'en reste pas moins qu'il serait bon que nous sachions comment le programme de protection des témoins a fonctionné sous l'égide de la Gendarmerie royale avant que nous entérinions automatiquement ce projet de loi.
Malheureusement donc - et je ne crois pas qu'il s'agisse là de chasse aux sorcières - je voudrais obtenir des réponses à certaines de ces questions. Clifford Olson s'est-il retrouvé en liberté à cause des mesures prises par la Gendarmerie royale dans le cadre du programme de protection des témoins? Je n'en sais rien; mais pour moi, la question est importante.
En dépit de ce qu'a dit madame Rosenfeldt, je suis certain que la GRC a procédé à une enquête interne, s'il y avait le moindre soupçon, pour s'assurer que la chose ne se reproduise pas. Je voudrais qu'on me renseigne à ce sujet - je suis certain qu'elle l'a fait - et qu'on me dise si on a pris des mesures que nous ignorons pour garantir que cela ne se reproduise pas.
Mme Torsney: Il existe un processus qui nous permet de convoquer des fonctionnaires et des représentants du gouvernement. Si vous les convoquez nous pourrons leur poser des questions aussi bien sur des aspects généraux que pour l'étude article par article. Cela me paraît une excellente idée et j'espère que vous agirez en conséquence.
Deuxièmement, au cours de l'examen article par article. Je suis convaincue que si certains d'entre nous ont des questions précises à poser ou des idées sur les moyens d'obtenir des renseignements ou de régler des problèmes, ce serait un excellent moyen d'utiliser le temps dont nous disposons. S'il était possible de prendre contact avec certains des témoins et de leur demander des renseignements utiles pour ce projet de loi, ce serait également une très bonne idée.
Le président: Le comité directeur doit se réunir mercredi prochain. Comme nous n'allons pas procéder aujourd'hui à l'examen article par article, nous pourrons en reparler plus tard, monsieur Ramsay. Je crois que madame Barnes a visé juste lorsqu'elle a dit que ce que nous voulions, c'était présenter un bon texte de loi. C'est ce qui compte avant tout.
Cela dit, je me demande s'il est vraiment utile d'examiner trop d'exemples du fonctionnement actuel du système. Ce qui compte c'est de savoir ce que sera le système en vertu de la nouvelle loi; comportera-t-il des différences et les mesures de protection continueront-elles à exister pour tout le monde? De toute façon nous pourrons décider au comité directeur s'il convient d'appeler d'autres témoins.
M. Ramsay: Peu importe que ce soit le commissaire ou une autre personne, pourvu qu'il y ait ici des représentants du gouvernement capables de répondre à nos questions, et qu'ils aient les connaissances nécessaires pour nous fournir des réponses exactes, correctes et appropriées.
Le président: Je suis d'accord. En fait, j'ai moi aussi quelques questions à poser à certaines personnes, monsieur Ramsay.
Avez-vous terminé, monsieur Ramsay?
M. Ramsay: Oui, merci.
Le président: Il n'y a plus personne du parti ministériel sur ma liste.
Je vous remercie d'être venus pour nous apporter des lumières sur ce sujet. Vous nous avez peut-être donné moins de réponses que soulevé de questions, ce qui est peut-être aussi une bonne chose. Merci d'être venus.
Nous allons suspendre brièvement la séance.
PAUSE
Le président: Reprenons la séance. Nous allons entendre le professeur Ed Ratushny, de l'Université d'Ottawa. Nous entendrons également Peter Shonicker de Toronto.
Vous savez très bien comment nous procédons, professeur Ratushny. Vous pouvez faire votre exposé. On vous demandera ensuite de répondre aux questions venant des deux côtés de la table.
M. Ed Ratushny (professeur, Faculté de Common law, Université d'Ottawa): Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai été convoqué il y a deux jours et, bien entendu, c'est un honneur pour moi d'être ici.
Je crois que ce projet de loi représente un équilibre entre les droits de l'individu et ceux de la société, dans un domaine où la confidentialité est cruciale. Partout où ce genre d'éléments intervient, il est naturellement difficile de maintenir l'équilibre entre ce qui intéresse le public et la protection de cette information contre l'accès par les médias, la presse, et c'est alors que le principe de la liberté d'expression entre en jeu.
La restriction générale imposée par le projet de loi à la divulgation du nom des participants serait probablement considérée comme une atteinte à la liberté d'expression. Cependant, il faudrait également tenir compte de l'article 1 de la Charte et vérifier s'il s'agit d'une atteinte dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
L'objectif de la loi est certainement justifiable. Le débat portera sur la question de la proportionnalité, c'est-à-dire, qu'il faudra déterminer si elle comprend des garanties suffisantes pour être jugée constitutionnelle. C'est toujours un équilibre difficile à établir. Je crois qu'il est légitime que le public soit informé de la nature de l'entente dans beaucoup de ces situations et bien entendu, cela intéresse aussi les médias.
Une des possibilités serait que le témoin présente une plainte au commissaire aux plaintes publiques, non seulement à propos de la manière dont il a été traité dans le cadre du programme ou à propos de l'arrangement qui a été conclu... mais il devrait être également possible à un membre du public de présenter une plainte au sujet de cet arrangement et d'obtenir que le commissaire aux plaintes publiques fasse une enquête à ce sujet. Reste à déterminer si le commissaire a vraiment compétence pour cela.
Pour que le projet de loi soit déclaré valide, la question clé à régler sera celle de savoir s'il comporte des mécanismes qui permettent au public de se faire une idée générale de ce qui se passe.
Je note également que le projet de loi comporte une disposition selon laquelle le commissaire de la GRC doit présenter un rapport public annuel dont un exemplaire doit être déposé. Je crois qu'il y a une référence précise à l'obligation de transmettre un rapport sur les activités dans ce domaine. L'ampleur des renseignements contenus dans ce rapport dépendra de la décision du commissaire en ce qui concerne le caractère de confidentialité plus ou moins grand du fonctionnement du corps de police et la nature des renseignements qui devraient être divulgués dans l'intérêt du public.
C'est tout ce que j'ai à dire pour le moment. Que je n'oublie pas de vous présenter mon collègue monsieur Shonicker qui est avocat à Toronto. Il représente actuellement un client dans l'enquête sur les événements de Somalie. Il a acquis une vaste expérience de ces questions au ministère du Procureur général à Toronto et il a participé à l'établissement d'un certain nombre de ces programmes de protection des témoins à l'échelon provincial en Ontario. Comme il se trouvait en ville, j'ai pensé qu'il serait très utile qu'il m'accompagne afin que l'on puisse, le cas échéant, faire appel à ses compétences.
Voulez-vous dire quelque chose pour commencer, Pete?
M. Peter Shonicker (présentation individuelle): Je crois que l'imposition de limites raisonnables en vertu de l'article 1 de la Charte est la question clé du point de vue constitutionnel. Lorsqu'on considère cette restriction, il faut se demander qui veut avoir accès à une personne protégée. Il y a en fait trois catégories fondamentales - les membres de la famille, les médias, et ceux contre lesquels nous essayons de protéger une telle personne. La loi me paraît offrir une solution tout à fait satisfaisante dans le cas de la famille. Quant aux médias, le professeur Ratushny en a déjà parlé, et il n'est pas nécessaire de s'étendre là-dessus.
Quant à protéger les bénéficiaires du programme contre ceux qu'ils leur veulent du mal, je crois qu'il est tout à fait clair que la situation justifie une restriction raisonnable en vertu de l'article 1.
Le président: Monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Merci beaucoup d'être venu. Nous y sommes sensibles.
Pensez-vous qu'un avocat de la défense devrait pouvoir convoquer un témoin ou un informateur protégé en vertu de cette loi afin d'obtenir un procès équitable?
M. Ratushny: Parlez-vous là de la divulgation de la déposition que le témoin fera probablement?
M. Ramsay: Cette loi accorde certains pouvoirs et fonctions au commissaire. Si je la comprends bien, le commissaire peut divulguer des renseignements ou protéger l'identité d'un témoin ou d'un informateur en vertu de la loi. Dans le cas d'un procès au criminel, quel est l'effet de cette loi sur l'équité et la transparence d'un procès, si le commissaire ne veut pas divulguer le nom d'un informateur ou l'endroit où se trouve un témoin que l'avocat de la défense veut peut-être citer à comparaître devant le tribunal pour que l'accusé bénéficie d'un procès juste et équitable?
M. Ratushny: Vous ne parlez donc pas du cas où l'informateur serait un témoin à charge.
M. Ramsay: Non.
M. Ratushny: Vous parlez d'une situation dans laquelle vous voulez avoir accès à ce témoin pour une autre raison.
M. Ramsay: Oui, pour l'avocat de la défense.
M. Ratushny: Je crois que cela pose un problème. Indiscutablement, on est tenu de divulguer ce que le témoin est susceptible d'apporter à une poursuite pénale. Il faut qu'il existe un moyen de fournir ces renseignements à l'avocat de la défense. Je pense cependant que la loi ne montre pas clairement comment procéder ni quelles sont les limites de cet accès.
Avez-vous eu affaire à ce genre de situation, Peter?
M. Shonicker: Dans un cas, oui.
Je crois que votre remarque est tout à fait pertinente, monsieur Ramsay. Premièrement, pour citer un témoin, il faut que vous puissiez justifier, comme l'a fait remarquer le professeur Ratushny, que le témoignage de la personne protégée est probant.
Une fois la divulgation faite et la citation à comparaître obtenue, je crois que vous vous trouvez dans une situation où il est possible pour quelqu'un de faire valoir qu'il lui est impossible de présenter une défense pleine et entière sans le témoignage de la personne protégée. Dans ce cas, il peut être justifié de faire venir cette personne du domicile où elle réside, quel qu'il soit, et de la soumettre à un interrogatoire, à titre de témoin de la défense.
Il y a des années que des personnes protégées entrent dans les salles de tribunal et en ressortent et je ne vois pas pourquoi cela créerait un très gros problème logistique.
M. Ramsay: Mais cela n'est pas prévu par une loi. Dans le cas présent, ce que nous envisageons de faire, c'est de promulguer une loi qui permettra au commissaire d'avoir les pouvoirs requis pour conserver, ou refuser de divulguer, tout renseignement concernant les personnes qui participent à ce programme.
Il me semble que nous nous heurtons à deux types de principes. Le premier est le pouvoir accordé au commissaire en vertu de cette loi; le second est le droit de l'avocat de la défense de convoquer des témoins pour assurer la tenue d'un procès juste et équitable.
En fait, ce que je vous demande, c'est votre opinion. Il me semble qu'il y a là deux principes contradictoires. Selon vous, la loi comporte-t-elle un mécanisme d'équilibre qui lui permettra de fonctionner dans l'intérêt de la société? En particulier, dans le cas dont nous parlons, une personne est accusée d'avoir commis une infraction et, pour une raison ou une autre, son avocat estime qu'il est nécessaire qu'une personne placée sous la protection de ce programme comparaisse devant le tribunal.
M. Ratushny: À mon avis, c'est au tribunal qu'il appartient de régler cette question. Je crois que c'est toujours ce qui s'est passé jusqu'à présent dans le cas des informateurs. Autrement dit, l'avocat de la défense dit qu'il lui est impossible d'assurer la pleine défense de son client s'il ne peut avoir accès à ce témoin; à ce moment, la Couronne est tenue de présenter celui-ci, sans quoi elle perd le procès. Et c'est ainsi que les choses se sont toujours réglées dans le passé.
En vertu de l'arrêt R. c. Stinchcombe, la Cour suprême du Canada exige une pleine divulgation des renseignements par la Couronne. C'est extrêmement général comme obligation. Je crois que si l'avocat de la défense présentait un commencement de preuve indiquant que l'identité du témoin est un élément essentiel de la défense, il incomberait alors à la Couronne de se renseigner au sujet de ce témoin et d'accommoder la défense ou de donner accès à ce témoin.
M. Ramsay: À ce stade-là, c'est donc le procureur de la Couronne et le procureur général de la province qui devront dire au commissaire qu'il doit présenter le témoin ou retirer l'accusation. C'est bien cela?
M. Ratushny: À mon avis, ça se ramène à cela.
Aviez-vous quelque chose à ajouter?
M. Shonicker: Je pense simplement qu'il faut revenir au processus judiciaire. Il faut démontrer que la nécessité du témoignage. Je ne pense pas -
M. Ramsay: Mais supposons que ce soit le cas.
M. Shonicker: Vous vous trouvez alors dans la situation mentionnée par le professeur Ratushny.
M. Ramsay: La décision de poursuivre ou non appartient donc au procureur général de la province et au commissaire de la Gendarmerie royale.
M. Ratushny: Oui.
Le président: Professeur Ratushny, avant de donner la parole à madame Torsney, quelle serait la situation d'une commission d'enquête qui cherche à examiner un point qui la préoccupe? Si le commissaire souhaite divulguer le nom d'un informateur, ou celui d'une personne protégée, en vertu de cette loi, mais s'il lui est impossible de le faire et de ce fait, d'exécuter pleinement son mandat... En d'autres termes, il serait nécessaire de divulguer certains renseignements pour savoir si les autorités ont porté l'accusation appropriée contre le particulier. Elles ne peuvent pas le faire maintenant. Apparemment elles ne peuvent pas le faire dans ce cas. Il n'y a aucun moyen de protéger la société tout en évitant que l'État ou la police n'abuse pas de leur pouvoir dans le choix des accusations - autrement dit, de réduire celles-ci dans certaines circonstances - et donc aucun moyen de vérifier si c'est effectivement ce qui s'est produit.
C'est un problème. Vous savez sans doute que je songe là à une enquête précise; car c'est exactement ce qui s'est produit.
M. Ratushny: C'est certainement un problème. Dans cette situation, la Couronne ne risque pas d'avoir à retirer l'accusation et il est donc difficile de l'obliger à faire comparaître le témoin.
Franchement, je ne pense pas qu'il y ait de solution. Je crois que ce sont les pouvoirs discrétionnaires du commissaire qui devraient jouer.
Le président: Je vois.
Mme Torsney: Je voulais clarifier ce point. Vous avez une longue expérience du programme de l'Ontario...
M. Shonicker: Pendant de nombreuses années, cela a été un programme ponctuel, fonctionnant au coup par coup. Le programme de l'Ontario est devenu quelque chose que je connais mal aujourd'hui mais comme procureur, il y a dix ans et comme avocat qui s'est occupé de cinq ou six de ces affaires... Ce programme a évolué en fonction des circonstances.
Mme Torsney: Pensez-vous qu'il soit bon que nous codifions enfin le programme de la GRC?
M. Shonicker: Il y a longtemps que cela aurait dû être fait.
Mme Torsney: À votre avis et compte tenu de votre expérience à l'un et à l'autre... Je ne sais pas si vous étiez ici tout à l'heure lors de la comparution du représentant de Victimes de violence, organisation qui se préoccupe beaucoup de l'équilibre entre le nombre des informateurs et des témoins... avec d'autres, il a exprimé des préoccupations à ce sujet. Je crois que le groupe qui vous a précédé avait tout à fait raison de dire que c'était parfois un mal nécessaire. Mais que faire lorsque des bénéficiaires du programme commettent d'autres crimes? Méritent-ils une protection totale? Quel est votre avis?
M. Ratushny: Lorsque j'en discutais hier soir avec monsieur Shonicker, celui-ci m'a appris des choses très intéressantes sur les rapports qui existent entre le témoin et son responsable, ce qui a peut-être une importance cruciale dans ce domaine.
Pete, peut-être pourriez-vous nous fournir plus d'explications à ce sujet.
M. Shonicker: Madame Torsney a soulevé un point très intéressant. Cela va se produire. Les bénéficiaires de programmes de protection créent toutes sortes de problèmes. Ils en ont créé en révélant leur adresse; ils en ont aussi créé en commettant d'autres actes criminels.
C'est ici qu'interviennent les responsables. Certes, ils créent eux-mêmes bien des problèmes car ils ont parfois tendance à devenir si proches de la personne protégée que certains rapports que nous préférons ignorer s'établissent parfois entre eux.
Il faut donc, à mon humble avis, que vous réfléchissiez à l'établissement de rapports très professionnels entre le bureau du commissaire, soit par l'intermédiaire de l'avocat de la personne protégée, de manière à créer presque un rapport avocat-client... et non une situation où la personne protégée pense qu'elle est au-dessus de la loi - cela arrive.
Mme Torsney: Une des choses que nous comprenons... Encore une fois, il s'agit du programme de la GRC que nous sommes en train d'établir. Nous n'exerçons pas nécessairement de contrôle direct sur les quinze autres programmes.
Il faudrait qu'il y ait un code de déontologie, une liste très précise de ce qui est attendu, et aussi une brochure, de manière à ce que ceux qui acceptent de participer au programme sachent à quoi s'attendre, car il y a indéniablement des problèmes. Il y a des gens qui se trouvent dans des situations de vie ou de mort, qui concluent des arrangements et qui reviennent plus tard vous dire, «Mais je croyais que vous m'aviez promis la lune et tout le reste». Manifestement, ce n'est pas possible.
Pensez-vous qu'il serait bon que deux documents, un pour les agents et l'autre pour la personne qui accepte de participer au programme, soient lus par eux avant la signature du contrat?
M. Ratushny: J'ai remarqué qu'au cours de vos délibérations antérieures sur ce projet de loi la question du contrat a été soulevée et on s'est demandé s'il fallait en faire un document distinct ou annexé au projet de loi. Je crois qu'une formule normalisée de contrat serait utile car elle permettrait d'établir la liste de certaines conditions et obligations précises. Bien entendu, cette liste devrait être modifiée en fonction des circonstances, mais il est indiscutable que ces conditions et obligations devraient être indiquées de la manière la plus précise possible car les déclarations vagues du genre «Ne vous inquiétez pas, nous nous occuperons de vous» peuvent créer bien des problèmes, à mon avis.
Mme Torsney: Certains points du contrat devraient être normalisés, mais j'ai l'impression que la personne qui accepte de participer au programme... à cause des différences... il y a des professionnels qui interviennent, des avocats, des infirmières; il y a aussi le fait que certains seront peut-être capables de gagner beaucoup d'argent dans l'autre province ou l'endroit, quel qu'il soit, où on les installera, alors que d'autres qui n'ont pas particulièrement bien réussi dans le secteur privé - peut-être avaient-ils plus de succès comme criminels - et qui avaient des compétences générales... il faut tenir compte de ce que ces gens-là attendent du programme. Dans la mesure du possible il faudrait donc établir un contrat qui couvre les divers points... mais les bénéficiaires du programme sont si différents qu'il serait indispensable d'avoir une sorte de brochure de protection du consommateur qui pose les questions suivantes: Avez-vous pensé à... Vous a-t-on interrogé sur ce point; peut-être voudriez-vous négocier ce point; voici quelques-unes des autres questions que vous devriez prendre en considération; êtes-vous capable de verser votre pension alimentaire ou y a-t-il quelqu'un d'autre qui s'en occupe; ou allez-vous révéler vous-même... comment toutes ces questions sont réglées.
M. Ratushny: Peut-être serait-il bon d'obtenir l'avis d'un avocat indépendant avant de conclure un de ces accords, pour être bien certain d'être protégés contre certaines de ces choses.
Mme Torsney: Et le respect de la confidentialité?
M. Ratushny: Par l'avocat? Craignez-vous que l'avocat révèle le nom de l'intéressé?
Mme Torsney: Ou la personne qui cherche un avocat, qui en interroge cinq et qui leur dit: «Pourquoi ne travaillez-vous pas pour moi; je suis en train de conclure un accord avec la GRC».
M. Shonicker: Je crois que le rapport lui-même serait confidentiel et qu'il faut bien faire confiance dans ce domaine.
Mme Torsney: N'y a-t-il pas des contraintes de temps? Dans ce genre de négociation, il y a un criminel que l'on veut arrêter et une personne qui est susceptible d'accorder son aide pour cela. Mais lorsqu'on engage des négociations longues et très zélées dans lesquelles les avocats des uns et des autres essaient d'intervenir, ce n'est pas toujours le moyen le plus rapide d'arrêter le criminel.
M. Ratushny: Sur le plan pratique, je crois qu'il faudrait tenir compte des contraintes de temps. Mais comme pour toutes les situations dans lesquelles une personne a droit à un avocat et où des décisions doivent être prises très vite, l'entente ne devrait sans doute être conclue qu'à condition que tout se règle en un certain laps de temps.
Mme Torsney: D'accord.
M. Shonicker: Pourrais-je ajouter un mot? Si vous concluez précipitamment une entente de ce genre, c'est vous qui en ferez les frais. Je crois qu'il est tout à fait justifié de se montrer extrêmement prudent et de s'assurer qu'aucun contrat n'est conclu sans l'avis d'un conseiller juridique indépendant, comme le faisait remarquer le professeur Ratushny. C'est absolument indispensable. Je pense qu'il serait bon d'avoir une sorte de catalogue normalisé des attentes ou des obligations contractuelles, mais à mon avis chaque cas sera différent et l'entente devra être aménagée en conséquence.
Dans certains cas, vous voudrez peut-être imposer comme condition que l'intéressé s'abstienne de consommer de l'alcool, parce qu'il est alcoolique. Dans d'autres cas, vous voudrez peut-être qu'il y ait un mécanisme quelconque, peut-être grâce à l'intervention d'un avocat indépendant, pour que les intéressés versent les pensions alimentaires qu'ils sont tenus de payer. Cela peut s'arranger quel que soit le montant de la pension alimentaire.
Mme Torsney: Avez-vous une objection à ce que ce soit le commissaire qui prenne la décision finale?
M. Ratushny: La loi pourrait donner l'impression à un profane que le commissaire exerce une sorte de supervision indépendante sur tout cela. Je suis sûr que le commissaire agira dans l'intérêt de la police et qu'il aura également un sens très fort de ses responsabilités vis-à-vis du public. Cependant, le public a tendance à ne pas avoir confiance dans les organismes qui se contrôlent eux-mêmes. Je pense donc qu'il est important qu'une supervision soit exercée de l'extérieur.
C'est de cela que je parlais au début lorsque je disais que le commissaire aux plaintes du public pourrait examiner certaines de ces questions, et aussi que le rapport annuel permettrait au public de se faire une idée de ce qui se passe. Je crois que le comportement du commissaire et son rôle essentiel dans les prises de décisions susciteront toujours des réserves.
Mme Torsney: Je crois que j'ai épuisé le temps dont je disposais.
Le président: Oui.
Monsieur Ramsay, vous avez cinq minutes.
M. Ramsay: Monsieur Shonicker, selon vous, la définition de témoin donnée dans ce projet de loi s'applique-t-elle également aux informateurs?
M. Shonicker: Pourriez-vous me lire la définition?
M. Ramsay: Un témoin est une personne qui:
- a) soit a fourni ou a accepté de fournir des renseignements ou des éléments de preuve dans le
cadre d'une enquête ou d'une poursuite relative à une infraction «ou y a participé ou a accepté
d'y participer» et, de ce fait, peut avoir besoin de protection, sa sécurité étant mise en danger;
- b) soit, en raison de ses liens avec la personne visée à l'alinéa a), et pour les motifs qui y sont
énoncés, peut également avoir besoin de protection.
M. Ramsay: Bien. D'après votre expérience de la question, pourriez-vous dire au comité quelle est la différence entre un témoin et un informateur?
M. Shonicker: La seule différence réelle est qu'un témoin est un informateur dont le témoignage est probant et peut-être utilisé dans une poursuite.
M. Ramsay: Est-il normal et habituel que le témoin et l'informateur témoignent au tribunal?
M. Shonicker: Ce n'est pas toujours le cas. Cela dépend des renseignements qu'ils ont à fournir.
M. Ramsay: Pourquoi avons-nous ces deux termes? Ils ne figurent pas dans le projet de loi, alors, pourquoi les avoir?
M. Shonicker: Je crois qu'un informateur est quelqu'un qui vient de lui-même fournir des renseignements aux forces de l'ordre. Celles-ci évaluent ces renseignements, s'ils ont une valeur probante, et fournissent des motifs raisonnables d'effectuer une arrestation et d'intenter des poursuites, la même personne devient alors un témoin.
Il est très rare, dans les affaires criminelles, que les informateurs ne finissent pas par comparaître devant le tribunal.
M. Ratushny: Il est bien évident que les agents de police tiennent souvent à maintenir des rapports avec un informateur de manière à obtenir des renseignements sur une base régulière. Il arrive parfois que l'agent ne veuille pas que l'informateur cesse de jouer son rôle. Une fois qu'il a témoigné, son utilité s'en trouve affaiblie, du moins dans le cas en question. C'est donc à l'agent qu'il appartient de décider à quel moment il utilisera un informateur comme témoin à charge.
M. Shonicker: J'essaie de penser à une situation correspondant à votre question. Supposons l'existence d'une entreprise criminelle, par exemple. Supposons que vous avez la chance d'y avoir un informateur, et qu'il s'agisse là d'une entreprise criminelle organisée traditionnelle ou d'un complot massif pour commettre des actes frauduleux. La question qui se pose est alors la suivante: Comment intervenir contre ces malfaiteurs compte tenu des dispositions de cette loi? Je ne suis pas certain que nous ayons une réponse à cela.
Il me semble que cela entre tout à fait dans le cadre des méthodes traditionnelles de la police. Je crois qu'elle sait comment agir dans ce genre de situation.
M. Ramsay: Un informateur qui ne va pas comparaître devant le tribunal pourrait-il bénéficier de ce programme?
M. Shonicker: La définition me paraît assez claire. C'est quelqu'un qui apporte une aide dans le cadre d'une enquête.
M. Ramsay: Oui, mais il y a aussi un risque. Ma question est assez claire. Si un informateur n'est pas convoqué comme témoin, il y a moins de risque que son identité soit révélée. Cette personne pourrait-elle bénéficier du programme, compte tenu du fait que le projet de loi dispose que pour bénéficier du programme, elle doit être exposée à un risque?
M. Ratushny: Cela dépend des circonstances, mais un informateur n'est certainement pas exclu par le fait qu'il n'est pas appelé à jouer un rôle de témoin. La question véritable est la suivante: Une personne est-elle bénéficiaire du programme parce qu'elle court des risques? S'il n'y avait pas de risques, il n'y aurait aucune raison de l'accueillir dans le programme.
M. Ramsay: Merci.
Le président: Madame Phinney.
Mme Phinney (Hamilton Mountain): Je voudrais poser deux questions de nature différente. La première concerne les pouvoirs car il me paraît important de savoir qui les détient. Je ne suis même pas certaine que le commissaire ait suffisamment de pouvoirs ou si ce sont les bureaux locaux de la GRC qui vont choisir eux-mêmes les participants à ce programme.
Quoi qu'il en soit, la police détient-elle trop de pouvoirs? Lorsque ses représentants sont venus témoigner ici, ils m'ont certainement donné l'impression qu'ils considéraient que 95 p. 100 du programme était réservé à leurs informateurs. Je me demande ce qui se passe pour le particulier qui veut aider la police ou qui est témoin de quelque chose qu'il juge nécessaire de signaler à la police.
Le commissaire et, à un niveau inférieur, les membres de la police qui choisissent les bénéficiaires du programme, prennent-ils leurs décisions en fonction de l'argent disponible et assurent-ils avant tout la protection de leurs informateurs? Est-ce là leur principale préoccupation? Certaines personnes ne risquent-elles pas d'être exclues du programme parce qu'on ne dispose pas du temps nécessaire pour s'occuper d'elles? Celles qui ne sont pas des informateurs - c'est-à-dire les personnes qui n'aident pas la police - ne risquent-elles pas d'être les premières à être éliminées et moins bien protégées? Ce sont de simples témoins, mais pas nécessairement des informateurs, pour la police.
Y aurait-il un moyen pour le commissaire d'utiliser quelqu'un qui n'appartient pas à la police? Plus bas dans la hiérarchie policière, cette personne ne pourrait-elle pas aussi prendre des décisions?
Voilà ma première question.
Ma seconde s'adresse à monsieur Shonicker. Vous vous êtes occupé de beaucoup d'affaires judiciaires en Ontario.
M. Shonicker: Des deux côtés de la clôture.
Mme Phinney: Pourriez-vous nous parler du programme? Trouvez-vous qu'il fonctionne bien, ou avez-vous pu voir certains programmes particuliers -
M. Shonicker: Je tiens à préciser tout de suite que je n'ai jamais eu affaire au programme officiel en Ontario.
Il y a bien longtemps, trop longtemps, j'ai eu affaire à des informateurs et à des témoins dans des affaires très importantes. À l'époque, les choses étaient terriblement difficiles. C'étaient des procureurs de la Couronne qui s'occupaient des informateurs, parfois individuellement, en présence d'un agent de police. Il y avait beaucoup de problèmes.
C'est pourquoi, en réponse à la question de madame Torsney, j'ai dit qu'il y avait longtemps qu'on aurait dû faire quelque chose. Le processus variait d'un procureur de la Couronne à l'autre et d'un service de police à l'autre. Ce qu'il faudrait donc, c'est plus d'uniformité.
Revenons au premier point. Je ne sais pas si le professeur Ratushny a une idée plus précise sur la question, mais je crois qu'un jour ou l'autre, cette responsabilité va accaparer tout le temps dont dispose le commissaire. Je pense qu'on devrait envisager de confier cette tâche à un juge en retraite, par exemple, ou alors, à un organisme de supervision comme le proposait le professeur Ratushny.
M. Ratushny: Je crois qu'il est tout à fait légitime, pour que le public ait confiance dans le système, qu'on établisse un mécanisme de supervision indépendant.
Plusieurs mécanismes sont possibles. Le SCRS, par exemple, a un comité d'examen externe qui a pour mandat d'effectuer un examen confidentiel de la conduite des membres de ce service. Le fait que tout ne se fait pas complètement en privé permet peut-être d'inspirer une certaine confiance au public.
Je ne sais pas exactement quel mécanisme conviendrait, mais je pense qu'il serait utile de pouvoir compter sur quelqu'un de l'extérieur, qu'il s'agisse d'un juge en retraite ou d'un comité d'examen.
Le président: Monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Merci, monsieur le président.
Nous avons entendu hier M. Barry Swadron qui représente d'anciens bénéficiaires du programme. Il a déclaré que ce projet de loi ne porte pas sur la protection des témoins mais sur celle de la police. Il a déclaré qu'il lui paraissait indispensable qu'il y ait un mécanisme de surveillance indépendant. Qu'en pensez-vous?
Nous avons également entendu M. Jessop, représentant de l'Association des policiers canadiens, qui a carrément déclaré que la loi était bonne à jeter au panier. Les termes qu'il a employés pour décrire la loi sont particulièrement vigoureux.
On nous a signalé un certain nombre de points préoccupants, notamment l'article 19 de la loi, que vous connaissez peut-être:
- 19. Sa Majesté du chef du Canada de même que le commissaire et les personnes agissant au nom
de ce dernier bénéficient de l'immunité judiciaire pour tout acte ou omission commis de bonne
foi dans l'exercice des pouvoirs et fonctions conférés par la présente loi.
M. Ratushny: Je crois que l'idée d'un organisme de surveillance concorde avec celle de madame Phinney. J'estime aussi qu'il serait très utile d'avoir un mécanisme d'examen externe.
J'estime aussi que cet article accorde une immunité judiciaire beaucoup trop large.
Vous dites qu'on a déclaré que la loi était bonne à jeter au panier. Pourriez-vous être plus précis?
M. Ramsay: Il est peut-être préférable que je ne le fasse pas. Je suis certain que M. Jessop, lorsqu'il a comparu devant ce comité, pensait qu'il s'agissait d'un programme national et non d'une loi codifiant une partie du secteur administré par la GRC. Il s'agit uniquement de la GRC et non pas des quinze autres programmes en vigueur dans tout le pays. Il a déclaré que ce qui était proposé ne lui serait d'aucune utilité mais je crois que c'est parce qu'il avait cru -
M. Ratushny: Je vois.
M. Ramsay: - qu'il s'agissait d'un projet de programme national. En tout cas, il a bien dit qu'il ne lui était d'aucune utilité.
L'article 19 nous inspire des réserves. Je voudrais revenir au début de votre témoignage. Je voulais qu'on parle de la constitutionnalité de la liberté d'expression.
Comme vous le savez, l'identité et le domicile de certaines personnes faisant la une de l'actualité ont été révélés par les caméras de télévision. Qu'en pensez-vous? Cet article privera-t-il de ce droit les membres des médias d'information, quels que soient les motifs qui les inspirent? Apparemment oui. Mais cela entraînera-t-il une contestation en vertu de la Charte?
M. Ratushny: Absolument. Ce qui va arriver c'est que lorsque des journalistes révéleront certains renseignements, ils seront inculpés et ils n'hésiteront pas à se laisser emprisonner. Je crois donc qu'il y aura contestation. À mon avis, c'est là une violation du droit d'expression. En fin de compte, les tribunaux seront obligés de décider si cette atteinte se justifie dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Je pense que les tribunaux diront que l'objectif est valide. Le problème sera celui de la proportionnalité et de savoir s'il est vraiment nécessaire d'avoir une disposition aussi générale.
Je crois qu'un organisme de surveillance, ou un mécanisme d'examen externe public aiderait les tribunaux à déterminer si l'objectif des médias, à condition de ne pas en abuser, ne pourrait pas être atteint d'une autre manière. La solution serait peut-être alors d'utiliser un mécanisme quelconque d'examen externe. Je crois que cela renforcerait la constitutionnalité de la loi.
Le président: Madame Barnes.
Mme Barnes: Merci beaucoup; soyez les bienvenus.
Je voudrais revenir à la question de la responsabilité civile qui est centrée sur l'article 19.
Aux États-Unis et en Australie, il existe des dispositions très semblables qui limitent l'accessibilité par l'intermédiaire des tribunaux ainsi que la responsabilité. C'est ce que nous avons ici devant nous. Hier, un de nos témoins a fait remarquer qu'on ne mentionnait ni la rupture de contrat ni la négligence; il suffisait de prouver la mauvaise foi.
La question que j'adresse aux spécialistes que vous êtes est la suivante: Pensez-vous que si l'article n'était pas modifié, un tribunal l'interpréterait... selon la nouvelle interprétation des tribunaux, la mauvaise foi inclurait la négligence. Je sais que c'est peut-être injuste de... mais nous peinons sur cet article. Il y a de bons arguments en sa faveur mais il y en a aussi des valables en faveur de sa suppression ou de sa modification afin d'inclure d'autres dispositions. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Ratushny: La partie au litige serait obligée de prouver la mauvaise foi.
Mme Barnes: Oui.
M. Ratushny: Cela implique l'existence d'un motif indirect quelconque. Je ne pense pas que la négligence entrerait dans cette définition.
Mme Barnes: Vous pensez donc que ce serait un critère très difficile à contourner.
M. Ratushny: Oui.
Mme Barnes: Bien. C'est ce que je craignais également.
Pourriez-vous me donner votre avis sur la négligence ou la rupture de contrat? Appelons, si vous le voulez bien, accord ou protocole d'entente le document établissant le lien contractuel unissant les parties. Dans un document canadien, devrions-nous avoir une disposition allant au-delà de ce qui est accepté en Australie ou aux États-Unis?
M. Ratushny: Oui, je crois que le document devrait être légalement exécutoire. Je crois que l'on devrait pouvoir avoir accès aux tribunaux pour cela.
Mme Barnes: Si cette disposition n'existait pas, pensez-vous que le mécanisme de plaintes prévu par la loi - je crois qu'il s'agit de l'article 23 - devrait s'appliquer aux dispositions concernant la GRC? Pensez-vous qu'un autre système de règlement des conflits serait aussi efficace que le recours aux tribunaux, étant donné que nous avons affaire à une question très complexe et qu'il est concevable que beaucoup de personnes seront mécontentes quelle que soit la formule proposée et que la prolifération des litiges risque de paralyser le système?
M. Ratushny: J'estime qu'il est important d'avoir une commission des plaintes du public et que celle-ci sera appelée à jouer un rôle utile comme tribunal administratif.
Je pense que le caractère informel des audiences et l'ampleur des pouvoirs accordés sont très utiles, mais je ne pense pas qu'il soit justifié de priver les tribunaux de leurs pouvoirs d'exécution, de leur interdire de faire ce qu'ils font actuellement, sous prétexte que cet autre processus existe.
Mme Barnes: À propos de la constitutionnalité, pensez-vous que l'application de l'article 1 de la Charte - le caractère proportionnel - devrait être déterminée cas par cas ou croyez-vous qu'il sera décidé à un moment donné que la loi est constitutionnelle malgré l'atteinte à notre liberté de la presse et à notre liberté d'expression?
M. Ratushny: Je crois que c'est la constitutionnalité de la loi qui serait contestée. Je pense que, comme ils le font de plus en plus fréquemment, les tribunaux examineront les faits particulier au cas mais aussi les éléments sociaux, la nature du processus concernant les informateurs et du processus de protection des témoins, ainsi que leur rôle et leur importance en droit pénal. Les tribunaux me paraissent adopter une vue beaucoup plus large des questions et des objectifs en cause. Ils ne s'en tiennent pas uniquement aux faits d'un cas particulier.
Mme Barnes: Dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé des éléments qu'il faut concilier, et les facteurs sont énoncés aux alinéas 7a) à 7h). D'après mon interprétation, ils ne sont pas hiérarchisés; ils sont simplement énumérés et l'alinéa 7h) fait appel au jugement du décideur et à des facteurs qui pourraient être pertinents. Donc, même si vous utilisez une formule générale de contrat qui indique vos droits et vos obligations et ce que nous avons l'intention d'offrir, pensez-vous que cela crée l'équilibre souhaité? D'autres groupes - notamment un que nous avons entendu plus tôt ce matin - nous ont déclaré que la sécurité du public primait sur tout le reste. Qu'en pensez-vous?
M. Ratushny: Il est impossible de tout prévoir, mais je crois qu'il est utile de pouvoir s'appuyer sur quelques critères. Cela permet de se faire une idée des éléments qui sont pris en compte, de la nature de la décision, etc.
Mme Barnes: Vouliez-vous ajouter quelque chose?
M. Shonicker: Je crois que nous avons là ce que l'on appelle traditionnellement une disposition omnibus, c'est-à-dire, qui couvre tout ce qui peut être propre à un cas individuel et tout ce qui n'a pas encore été prévu.
Mme Barnes: Merci.
Le président: Avant de revenir à monsieur Ramsay, je précise qu'en vertu du projet de loi, la règle de confidentialité concernant les informateurs cesse de jouer lorsque l'informateur divulgue son identité au public. En vertu de cette loi, l'individu protégé peut révéler à qui que ce soit le fait qu'il est protégé, mais les personnes qui obtiennent ce renseignement ne peuvent pas le divulguer et sont en fait passibles de poursuite, en vertu de ce projet de loi, s'ils le font.
Devrait-on modifier cela de manière à aligner cette disposition sur la règle de la confidentialité concernant les informateurs, selon laquelle cette obligation prend fin lorsque l'informateur rend ces renseignements publics?
M. Ratushny: Je crois que ce serait une condition de l'accord qui interdirait au témoin protégé de divulguer ces renseignements. S'il le faisait, je crois qu'il perdrait du même coup le droit de continuer à participer au programme.
Dans ce cas le recours est différent de ce qu'il est pour les autres personnes qui divulguent les renseignements, car il s'agit dans ce cas d'une infraction. J'estime que certaines restrictions devraient être imposées au témoin comme aux autres, mais que le recours contre lui consisterait à l'expulser du programme ou à l'obliger à renoncer à ses bénéfices.
Le président: Mais s'il cesse d'être bénéficiaire, rien ne l'empêche de parler à d'autres personnes et de révéler qu'il était informateur. Les renseignements ainsi communiqués ne peuvent toujours pas être divulgués par ceux qui les ont reçus, n'est-ce pas?
C'est ainsi que j'interprète le projet de loi.
M. Ratushny: Excusez-moi, quel est l'article qui définit l'infraction?
Le président: L'article 11.
M. Ratushny: Oui, il inclut l'«ancien bénéficiaire».
Le président: Autrement dit, cela va-t-il trop loin?
M. McLellan (Cap-Breton - The Sydneys): Il s'agit aussi de divulguer sciemment, monsieur le président.
Cela changerait-il quelque chose si vous ajoutiez le mot «sciemment»?
M. Ratushny: Je ne sais pas si ce serait très utile. Il faudrait avoir eu l'intention de le faire mais cela me paraît un peu forcer les choses.
Le président: Autrement dit, quelqu'un pourrait cesser de bénéficier du programme et révéler qu'il était informateur aux médias auxquels il serait malgré tout interdit d'imprimer la nouvelle. Encore une fois, cette disposition me paraît soulever des problèmes de liberté d'expression.
M. Ratushny: Oui, je crois que c'est un aspect qui pourrait fort bien être invalidé.
Le président: Je vois.
M. Ramsay: Y a-t-il d'autres parties de ce projet de loi qui mériteraient également d'être éliminées?
Des voix: Oh, oh.
M. Ratushny: On ne m'a pas offert d'honoraires pour cela, mais si vous le désirez, je me ferai un plaisir de l'étudier.
Des voix: Oh, oh.
M. Ramsay: Je tiens à vous remercier d'être venu et je suis heureux que vous ayez demandé à monsieur Shonicker de vous accompagner. Son expérience a été très précieuse au comité.
Lorsque M. Swadron était ici, il a déclaré que les agents de police conseillent souvent aux bénéficiaires des programmes de ne pas parler de leurs contrats avec les avocats. C'est naturellement un peu contraire à ce que vous disiez, monsieur Shonicker, lorsque vous parliez de la nécessité d'établir un rapport avocat-client pour s'assurer que les contrats ont été bien établis au début et que le témoin est effectivement protégé.
Étant donné ce que les autres témoins ont dit au sujet de la réticence des agents de police à informer les avocats ou à s'assurer de leur participation, pensez-vous que nous devrions avoir un article indiquant que le témoin peut faire appel à un avocat au moment de la rédaction et de la signature des accords? Pensez-vous que ce serait sage?
M. Shonicker: Je ne sais pas s'il est nécessaire d'inscrire cela dans la loi. Il serait cependant sage de s'assurer qu'il est toujours possible de faire appel aux conseils d'un avocat indépendant.
Puis-je répondre à la remarque que vous avez faite au sujet de la déclaration de M. Swadron? Comme l'a fait remarquer madame Torsney, il est compréhensible que la police ne tienne pas particulièrement à ce qu'un informateur examine les titres et les qualités de cinq ou six avocats avant d'en choisir un.
D'après mon expérience personnelle, je peux cependant vous dire qu'après avoir été fréquemment consulté par la police, celle-ci veille toujours à ce que les informateurs reçoivent des conseils juridiques, même s'il s'agit d'un avocat avec lequel la police se sent particulièrement à l'aise, quelqu'un qui respectera les confidences de tous.
Je ne suis pas convaincu qu'il ne soit pas possible d'obtenir les conseils d'un avocat indépendant. Cela me paraît au contraire tout à fait faisable. Je ne pense pas que cela doive être codifié mais après tout, pourquoi pas, cela pourrait être utile.
M. Ramsay: Vous venez d'évoquer la situation qui me met toujours mal à l'aise; c'est celle qui se produit lorsqu'un témoin en contredit un autre. Vous venez de le faire en disant que la police veille toujours, ou habituellement, à fournir un avocat aux témoins pour examiner le contenu du contrat.
M. Shonicker: Je n'ai pas été assermenté, mais je serai ravi de vous parler de cela sous serment. Je ne crois pas me tromper en disant qu'il y a eu environ sept cas au cours des huit dernières années pour lesquels on m'a demandé - habituellement pro bono - d'aider quelqu'un qui est sur le point de bénéficier d'un programme de protection des témoins officiels ou ponctuels en lui fournissant des conseils indépendants sur la nature de l'accord et sur ce qu'on attend de lui. Les personnes à qui j'ai eu affaire m'ont toujours paru très satisfaites de l'arrangement même si, à une seule exception près, nous ne nous étions jamais rencontrés auparavant. Ce sont les agents de police, qui se comportent à mon avis conformément aux plus hautes traditions policières, qui semblent insister sur cette précaution.
Franchement, peu importe que je contredise quelqu'un. Cela ne me dérange pas du tout de contredire une personne qui a dit que le projet de loi était bon à jeter au panier. J'aimerais bien rencontrer cette personne car je ne suis pas du tout d'accord avec elle.
Je crois que vous vous heurtez à un problème traditionnel dû au fait que de nombreux corps de police municipaux et provinciaux au Canada se tournent depuis des années vers la GRC pour obtenir une aide financière dans des affaires complexes. Indiscutablement, ils voudraient bien que leurs informateurs soient pris en charge dans le cadre de cette nouvelle loi.
En ce moment même, une grande enquête sur la téléprospection est en cours. Toutes les polices municipales de l'Ontario seraient ravies que la section de la GRC chargée des crimes commerciaux prenne la relève de manière à ce que l'on dispose des ressources nécessaires à la poursuite de l'enquête.
Voilà le genre de chose qui se passe. Je n'appellerais pas cela de la jalousie professionnelle. Je crois tout simplement que les polices municipales et provinciales réagissent en fonction de leurs propres besoins et découvrent que la loi n'en tient pas compte.
M. Ramsay: Vous étiez procureur.
M. Shonicker: En effet.
M. Ramsay: La police vous demandait donc d'autoriser le programme.
M. Shonicker: Non.
M. Ramsay: Qui décidait qu'un témoin pouvait bénéficier du programme?
M. Shonicker: Lorsque je travaillais à titre privé, j'ai été engagé au moins sept fois pour représenter un informateur.
M. Ramsay: Ce n'est pas là ma question. Nous avons cru comprendre que, sauf dans le cas du programme de la GRC, c'est le procureur de la Couronne qui autorise l'accueil d'un témoin dans un programme de protection, est-ce bien cela?
M. Shonicker: C'est exact.
M. Ramsay: En tant que procureur de la Couronne, pouviez-vous le faire?
M. Shonicker: Non.
M. Ramsay: Qui avait ces pouvoirs?
M. Shonicker: Le directeur du bureau de la Couronne, affaires pénales, de la province de l'Ontario.
M. Ramsay: Bien.
M. Ratushny: Je crois qu'il ne serait pas inutile d'exiger que les conseils soient donnés par un avocat indépendant. L'expérience de monsieur Shonicker est en partie liée aux qualités particulières qu'il a manifestées dans son domaine et aussi au fait qu'il a été à la fois procureur de la Couronne et avocat de la défense.
Il se peut que dans d'autres régions du pays, d'autres corps de police ne se préoccupent pas autant de la protection du témoin. Il se peut qu'un agent qui essaie de convaincre un informateur de faire quelque chose soit tenté de le tromper, ou le trompe réellement sans avoir l'intention de le faire. Il serait en effet utile d'exiger que les conseils soient donnés par un avocat indépendant. Je ne pense pas que cela ferait de mal.
M. Ramsay: Merci.
Le président: Nous avons déjà retenu les témoins plus longtemps que prévu, mais madame Torsney et madame Barnes partageront le temps qui reste pour les dernières questions.
Mme Torsney: Ma question est en fait inspirée par celle que vous avez posée, monsieur le président.
Cette idée d'interdire pendant un certain temps aux anciens bénéficiaires de divulguer des renseignements n'est-elle pas destinée à protéger les bénéficiaires actuels du programme? Par exemple, si j'étais moi-même une ancienne bénéficiaire de celui-ci, ne pourrais-je pas mettre des gens en danger en discutant de certaines questions? La GRC nous a dit que la plupart des bénéficiaires ne passent que six mois environ en moyenne dans le programme. Elle utilise donc des cachettes dans trois villes différentes. Est-ce ainsi que les choses se font? Si nous tenons vraiment à vaincre le crime organisé et deux ou trois autres problèmes, ne faut-il pas veiller à ce que les gens ne divulguent pas plus tard les renseignements qu'ils détiennent?
M. Shonicker: Je crois que vous avez raison. Je ne pense pas qu'il faudrait fixer des limites étroites, six mois par exemple. C'est dangereux.
Mme Torsney: Donc les anciens bénéficiaires devraient être inclus, même si, comme vous le pensiez tout à l'heure, ce serait peut-être aller trop loin. Peut-être est-ce une simple question de proportion. Il appartiendra aux tribunaux d'en décider.
M. Ratushny: Vous pourriez donner plus de rigueur à la loi dans ce domaine en précisant que la personne ne devra donner aucun détail sur le fonctionnement du programme, sur son administration, ou sur d'autres questions du même genre.
M. Shonicker: Peut-être serait-il aussi bon que vous étudiez les dispositions du code pénal concernant les écoutes téléphoniques, l'interception des communications privées et leur divulgation. Aucune limite de temps n'est fixée pour cela. C'est une infraction de révéler qu'un tribunal a ordonné qu'on intercepte des communications privées et il n'est pas prévu, que si vous divulguez ce renseignement six mois plus tard, ce n'est plus un crime. Peut-être pourriez-vous utiliser cela comme modèle.
Je voudrais faire une autre remarque, monsieur le président. Il y a quelque chose qui manque dans ce projet de loi et qui mériterait d'être examiné par vous: il faudrait traiter comme une infraction le fait de prétendre être bénéficiaire de ce programme. En ce moment même en Ontario, un très gros problème a été créé par une personne qui se promène un peu partout et a jusqu'à présent échappé à des poursuites pénales parce qu'elle a fait croire à tout le monde qu'elle était bénéficiaire de différents programmes de protection des témoins. C'est un point qui mérite réflexion.
Le président: C'est intéressant. Merci.
Mme Barnes: Ma question concerne encore une fois l'examen des lois américaine et australienne qui comportent une disposition d'urgence utile puisque, comme vous le disiez tout à l'heure, il faut savoir dans quoi l'on s'engage, et cela peut demander du temps... la nécessité d'obtenir les conseils d'un avocat indépendant, etc.
D'après votre expérience, pouvons-nous nous dispenser d'avoir une disposition d'urgence parce que nous avons un mécanisme suffisamment rapide ou un mécanisme de remplacement tout à fait capable d'assurer la détention préventive nécessaire lorsque nous ne disposons pas de suffisamment de temps ou de la capacité d'aller de l'avant? Peut-être est-il injuste de vous poser cette question, mais je profite de votre présence aujourd'hui et je voudrais également la poser à certains représentants du gouvernement car j'ai besoin de données plus solides sur ce point.
M. Shonicker: Je crois que ce serait faire tort à la loi que d'y inscrire cette disposition, mais c'est quelque chose qui se fait depuis des années. Je le répète, l'expérience m'a montré que nous avons bien de la chance, dans notre pays, d'avoir des agents de police et une police d'une telle qualité, que ce soit à l'échelon fédéral, provincial ou municipal. Nous devrions leur faire totalement confiance. S'ils pensent qu'une personne est en danger, ils feront le nécessaire pour la protéger. Si cela signifie qu'il faut trouver de l'argent dans un autre budget pour assurer le court terme en attendant de placer cette personne dans un programme de protection des témoins, je suis à peu près certain qu'ils feront le nécessaire.
Mme Barnes: Bien, très bien. C'est ce que je voulais entendre.
Le président: Merci beaucoup.
Je vous remercie d'être restés plus longtemps que prévu. Vous nous avez dit des choses très intéressantes et très instructives.
Professeur Ratushny, monsieur Shonicker, merci beaucoup.
La séance est levée. Le comité directeur se réunit mercredi.