[Enregistrement électronique]
Le jeudi 2 novembre 1995
[Traduction]
Le président: Bonjour. Nous accueillons aujourd'hui Sheila Keet, avocate de Vancouver.
Bonjour, madame Keet.
Mme Sheila Keet (Témoignage personnel): Bonjour.
Le président: Nous poursuivons l'étude du projet de loi C-232, Loi visant à modifier la Loi sur le divorce.
Vous pouvez, comme c'est notre habitude, suivre la formule qui vous convient pour nous présenter votre exposé sur ce projet de loi et prendre le temps que vous voulez. Votre exposé pourrait durer, par exemple, de 5 à 15 minutes. Une fois que vous aurez fini de nous présenter votre exposé sur le projet de loi, nous passerons aux questions des députés de l'Opposition et de députés ministériels. Quand les députés auront fini de vous interroger, ce sera la fin de la séance. Je vous invite donc à nous faire l'exposé que vous voulez bien nous présenter aujourd'hui.
Mme Keet: Je vous remercie.
Je suis avocate et je m'occupe exclusivement de droit de la famille. J'ai été inscrite au Barreau pour la première fois en Ontario, et j'exerce maintenant le droit à Richmond, qui se trouve aux limites de Vancouver.
Je vous présente mon exposé en tant qu'avocate du droit de la famille qui s'intéresse de près aux droits des grands-parents et qui aident les grands-parents à obtenir la garde de leurs petits-enfants et l'accès auprès de leurs petits-enfants.
Je vous présente également mon exposé en tant que membre de la section du droit de la famille de l'Association du Barreau canadien et de la British Columbia Law Society.
Je siège aussi au conseil d'administration de la Canadian Grandparents Rights Association, et je crois que l'association vous a fait part de son point de vue.
Je tiens tout d'abord à bien insister sur le fait que, quand nous parlons des droits des grands-parents, nous parlons en réalité des droits de l'enfant à avoir des relations avec le grand-parent. À mon avis, ni les parents biologiques ni l'État ne devraient être autorisés à annuler ces droits ou à les modifier à moins de motifs graves mettant en cause le bien-être de l'enfant.
Il suffit, à mon avis, de se tourner vers la législation provinciale québécoise pour voir ce qu'il convient de faire à cet égard. L'article 611 du Code civil du Québec dispose que:
- Les père et mère ne peuvent sans motifs graves faire obstacle aux relations personnelles de
l'enfant avec ses grands-parents.
Aux États-Unis, les lois de tous les États sans exception, les États ayant compétence en matière de législation matrimoniale, consacrent le droit des grands-parents et des petits-enfants à poursuivre leur relation, tant pendant le mariage et l'union dans certains cas - ce qui est un peu inhabituel qui reflète sans doute la situation particulière du Québec que dans tous les autres cas, y compris après la séparation ou le divorce des parents.
En Grande-Bretagne, la législation relative aux droits de la famille reconnaît également les droits des grands-parents et des petits-enfants de poursuivre leur relation après la séparation ou le divorce des parents et garantit dans la loi la continuité de ces relations.
Ce qu'il faut retenir ici, c'est que le Québec, tous les États de l'Union américaine et la Grande-Bretagne reconnaissent le caractère inhérent des relations entre grand-parent et petit-enfant. Il incombe aux parents ou à la personne qui cherche à interdire l'accès auprès de l'enfant par le grand-parent de présenter devant les tribunaux des preuves suffisantes pour montrer qu'il est dans l'intérêt de l'enfant de limiter ces contacts, contrairement à la situation qui règne au Canada à l'extérieur du Québec.
Il importe également de noter que dans les tribunaux rien ne permet de conclure à une prolifération des poursuites intentées par les parents qui cherchent à interdire aux grands-parents qui les harcèlent et fourrent leur nez partout l'accès auprès de leurs enfants. Il n'existe aucune preuve de cela. Je n'ai pu trouver aucun travail de recherche ni aucune étude statistique qui permettent de rejeter l'hypothèse selon laquelle il y a bien moins de poursuites lorsque les grands-parents ont un droit d'accès que lorsqu'ils doivent demander à un tribunal de leur permettre d'intervenir pour que ce droit soit confirmé.
Je ferai remarquer en outre que les paragraphes 3(1) et (2) du projet de loi C-232 confèrent au Parlement le pouvoir rarement accordé par le législateur d'examiner les conséquences de la loi modifiée dans les six mois qui suivent ce qui semble être une période d'essai de quatre ans. Si, contrairement aux attentes de ceux d'entre nous qui appuient le projet de loi, les modifications à la Loi sur le divorce se révèlent inapplicables, vous pourrez y mettre fin. Si, par ailleurs, il appert que des rajustements d'ordre administratif devraient être apportés à la nouvelle loi, vous pourrez prendre des mesures en ce sens.
On ne saurait trop insister sur le fait que l'amendement proposé ne vise qu'à conférer au grand-parent qui perd son droit d'accès auprès de son petit-enfant en cas de dissolution du mariage des parents de l'enfant, la qualité pour contester. Les modifications consacrent les droits de l'enfant à avoir avec le grand-parent le plus de contacts compatibles avec son propre intérêt. Elles permettent au grand-parent ayant obtenu du tribunal une ordonnance confirmant son droit d'accès de s'enquérir du bien-être de l'enfant. C'est là, il me semble, quelque chose de souhaitable pour toute société raisonnable qui a à coeur le bien-être de ses enfants. Ainsi, le grand-parent n'a pas à intenter une action coûteuse et distincte uniquement pour obtenir l'autorisation de dire au tribunal qu'il ou elle veut aimer ses petits-enfants et rester en contact avec eux.
De la façon dont elle s'applique à l'heure actuelle, la loi prévoit une étape supplémentaire qui équivaut à un gaspillage de temps et d'énergie. Je vous invite à vous reporter à l'article 16 de la Loi sur le divorce. Il y est question des facteurs dont le tribunal tient compte, c'est-à-dire dont il doit tenir compte, quand il rend une ordonnance relative à l'accès d'une personne auprès d'un enfant. Le tribunal ne tient compte que de l'intérêt de l'enfant à charge, défini en fonction de ses ressources, de ses besoins et, d'une façon générale, de sa situation. Les enfants ont plus que jamais besoin de leurs grands-parents à une époque où leur monde s'écroule à la suite de la séparation ou du divorce de leurs parents.
Le rôle que jouent les grands-parents dans la vie de l'enfant fait l'objet de nombre de travaux de recherche de nos jours. C'est peut-être un triste reflet de notre époque, mais nous sommes aujourd'hui inondés de travaux savants, croyez-le ou non, sur le rôle des grands-parents et sur leur importance dans la vie des enfants.
Dans une étude de 1981, deux auteurs américains, Kornhaber et Woodward, définissent ainsi le rôle que jour le grand-parent auprès de l'enfant dans notre monde moderne: historien - il sert de lien avec le passé culturel et familial de la famille; modèle - c'est une personne d'âge mûr qui sert d'exemple à l'enfant; mentor - c'est un adulte qui a la sagesse de l'expérience et des transitions de la vie; magicien ou enchanteur - c'est celui qui sait raconter, qui sait susciter l'imagination créatrice de l'enfant; et , enfin, «grand-parent nourricier» - c'est celui sur qui l'enfant peut toujours compter en cas de crise ou de transition dans la famille.
Les auteurs de cette étude font également remarquer que, pour que l'enfant soit un être complet sur le plan affectif, le contact avec les grands-parents doit être direct et ne pas se faire uniquement par personne interposée.
Naturellement, les grands-parents sont bien conscients de tout cela, mais il incombe à mon avis au gouvernement fédéral et à la Chambre des communes de reconnaître que les grands-parents ne sont pas des étrangers sur le plan juridique qui devraient avoir à faire la preuve devant le tribunal qu'ils ont le droit de demander le maintien des relations qu'ils ont avec leurs petits-enfants.
Nos lois sur le divorce - et nos lois provinciales aussi - doivent reconnaître l'obligation de consacrer, de renforcer et de protéger les relations entre grand-parent et enfant. Pour les grands-parents, le système actuel est trop lent, trop onéreux et simplement trop complexe.
Le léger rajustement qu'il proposait d'apporter à la Loi sur le divorce élimine un des obstacles que doivent surmonter les grands-parents qui cherchent à maintenir les relations qu'ils ont avec leurs petits-enfants. Il n'en découle aucune garantie pour les grands-parents. Il n'en découle non plus aucune menace draconienne aux droits des parents.
Je veux maintenant vous parler de la position qui vous a été présentée au nom de la section nationale des droits de la famille de l'Association du Barreau canadien par le président de la section, Steven Andrew.
Permettez-moi tout d'abord de vous faire remarquer que sa lettre en date du 18 septembre 1995 ne représente l'opinion que de 10 membres de la section. C'est une lettre qu'il a rédigée en réponse à la demande qui lui avait été faite par votre comité lui demandant essentiellement de se prononcer après la rédaction du projet de loi et sans la participation de l'ABC.
À ma connaissance, jamais les droits des grands-parents n'ont fait l'objet d'un débat ou d'un travail d'exploration national, que ce soit à l'intérieur de la section du droit de la famille de l'Association du Barreau canadien ou à l'échelle de l'ensemble de l'association, par voie de consultation auprès des avocats exerçant leurs activités dans le domaine du droit de la famille au Canada. La question devrait probablement être débattue, et il y aurait peut-être lieu de prévoir la participation de la section du droit de la famille de l'ABC à l'examen prévu aux paragraphes 3(1) et (2) du projet de loi C-232.
J'ai entendu l'entrevue radiophonique que M. Andrew a donnée au réseau anglais de Radio-Canada ainsi que l'entrevue télévisée qu'il a donnée le lendemain de son témoignage devant votre comité. Malgré le respect que j'ai pour la compétence professionnelle et la réputation deM. Andrew, il convient de signaler qu'il a lui-même déclaré que, pendant toutes ses années comme avocat spécialisé dans le droit de la famille, il n'a été impliqué que dans deux cas mettant en cause les droits des grands-parents.
Les avocats inpliqués dans un plus grand nombre de causes de ce genre reçoivent en nombre toujours croissant, des demandes d'aide de la part de grands-parents qui n'ont d'autre choix que de faire appel aux tribunaux pour avoir des contacts directs avec leurs petits-enfants.
Il s'agit d'une conséquence directe de la société très différente dans laquelle nous vivons aujourd'hui par rapport à celle dans laquelle nous vivions il y a 20 ans. De nos jours, on peut s'attendre qu'un peu moins de la moitié de tous les mariages se terminent par un divorce. Des milliers de familles sont démantelées chaque année au Canada par le divorce. Des milliers d'enfants sont touchés par ces ruptures, et nous n'avons pas de données statistiques pour déterminer combien d'enfants sont touchés par la dissolution des ménages qui vivent en union libre ou dans une relation moins officielle.
Nous avons des conseillers familiaux qui sont nommés par les tribunaux, nous avons des services de médiation; nous avons des services de counselling offerts à l'école ou par les églises; nous avons des centres de traitement psychiatrique; nous avons des foyers d'accueil. Nous avons tous les services de soutien possibles et imaginables pour les familles canadiennes, mais ceux-là même qui pourraient offrir le service de soutien le plus logique, les grands-parents, doivent faire appel aux tribunaux et demander qu'on reconnaisse leur droit d'être entendus.
Il arrive souvent au Canada que des enfants soient placés en foyer d'accueil sans même qu'on ait pensé à en confier la garde aux grands-parents qui constituent la solution de rechange la plus logique aux soins donnés aux foyers d'accueil, et ces grands-parents doivent lutter pour savoir où sont leurs enfants et leurs petits-enfants et lutter encore pour qu'on reconnaisse en quelque sorte leur qualité d'intervenant dans les décisions concernant les enfants. Il me semble qu'une part importante des dépenses au titre des services sociaux au Canada pourrait être éliminée si l'on prévoyait une participation accrue de la part des grands-parents.
Les enfants souffrent presque toujours de la rupture de leurs parents, et, trop souvent, ils en sortent perturbés et dysfonctionnels. Je soutiens, sauf tout le respect que je dois à mon collègue,M. Andrew, que la proposition de l'Association du Barreau canadien voulant que le parent qui a la garde de l'enfant détermine qui aura accès auprès de l'enfant tend à aggraver les problèmes des enfants et des familles du fait que les enfants pourraient devenir des outils dont on se sert pour punir les conjoints en refusant aux parents du conjoint le droit d'avoir des relations personnelles avec les enfants. Je le vois tous les jours dans les cas que je suis appelé à traiter. Ce sont les parents et les grands-parents qui sont les victimes de cette lutte de pouvoir négative quand il y a action en divorce à la suite de l'échec du mariage.
L'expérience m'a enseigné que les grands-parents ne présentaient pas de demande frustatoire. Il est rare, d'après l'expérience que j'en ai en tout cas, qu'un grand-parent intente une action en justice sans avoir beaucoup souffert et réfléchi au préalable. Les grands-parents sont des gens qui ont déjà élevé leurs enfants. Bien souvent, ils ont un revenu fixe et sont au stade de leur vie, ou à la veille de l'être, où ils s'attendent à récolter les fruits de leur labeur. Comme nous l'expliquait récemment une grand-mère de la Colombie-Britannique qui est membre de notre association et qui a la garde de sa petite fille de cinq ans qui est au jardin d'enfants - la grand-mère est à la veille de célébrer son25e anniversaire de mariage - «Je m'attendais à fêter mes noces d'argent en faisant une croisière dans les Antilles, et non en faisant un voyage à Disneyland», comme elle s'apprête à le faire.
Comment votre comité ou le Parlement peut-il s'opposer à un projet de loi qui permettrait aux parents de comparaître devant le tribunal qui entend une action en divorce pour dire: j'aime ces enfants ou cet enfant; ils ont besoin de moi; je veux pouvoir être là pour eux comme historien, modèle, mentor, magicien et grand-parent nourricier?
L'amendement proposé à la Loi sur le divorce est absolument nécessaire. À mon avis, il ne va pas assez loin, mais servira d'exemple et donnera l'impulsion nécessaire pour qu'on puisse modifier les lois provinciales, qui ne relèvent pas bien sûr du mandat de votre comité. Dans certaines provinces, la législation en la matière est lamentable. Ainsi, en Alberta, si les parents décident de ne pas intenter une action en divorce ou s'ils n'ont jamais été mariés, il n'existe aucune loi provinciale qui permettrait aux grands-parents d'aller devant le tribunal pour intenter une action quelconque afin de maintenir le contact avec leurs petits-enfants. Il me semble qu'il incombe au gouvernement fédéral de permettre à la Loi sur le divorce à tout le moins de compenser cette lacune et de jouer un rôle de chef de file.
En tant qu'avocate spécialisée dans le droit de la famille et qui a à traiter avec des problèmes de ce genre tous les jours et en tant que membre de la Société du barreau de la Colombie-Britannique et de l'ABC, je vous demande d'examiner ce projet de loi et de l'adopter en toute impartialité, sans aucun sectarisme politique. Chose certaine, je témoigne devant vous sur ce projet de loi en toute impartialité. Certaines questions sont trop importantes pour être écartées en raison simplement du parti dont elles émanent. Je vous demande dans votre sagesse collective de donner votre approbation à ce projet de loi et de permettre aux grands-parents de jouer leur rôle de grand-parent dans des situations où on a grandement besoin d'eux.
Le président: Merci, madame Keet. Je peux vous assurer que le comité chargé d'examiner le projet de loi, le comité de la justice, est un comité où tous les partis, le Bloc québécois, le parti Réformiste et le parti Libéral, sont représentés. Nous examinerons le projet de loi en fonction de ses mérites et de la possibilité de l'incorporer à la législation existante. Il ne s'agit pas d'une question de sectarisme politique, et nous ne l'abordons pas dans cet esprit.
Je peux vous dire que je suis moi-même préoccupé par la constitutionnalité de certaines des modifications proposées. C'est toutefois une question qui sera sûrement soulevée ou que je pourrais moi-même soulever plus tard.
Monsieur Ramsay, dix minutes.
M. Ramsay (Crowfoot): Je tiens à vous remercier beaucoup pour cet exposé.
Naturellement, j'appuie le projet de loi. Il est question de le modifier, mais j'appuie son orientation générale. Naturellement, je voterai pour le projet de loi.
Pour ce qui est de savoir si le projet de loi est constitutionnel, M. Joseph Magnet, qui est professeur de droit constitutionnel, est venu témoigner devant notre comité. J'ai ici une lettre dans laquelle il indique qu'à son avis, les amendements proposés, tels qu'ils sont énoncés, ne constituent pas un écart important par rapport à la perception traditionnelle de la compétence du Parlement en matière de divorce.
Avez-vous vous-même des inquiétudes quant à la constitutionnalité du projet de loi?
Mme Keet: Aucune. Je sais que le professeur Magnet vous a fait des observations. Il est certainement bien mieux placé que moi pour se prononcer sur la constitutionnalité du projet de loi, mais il me semble que la mesure proposée ne s'écarte guère la loi existante si ce n'est pour donner aux grands-parents qualité pour agir.
Je n'y vois pour ma part aucune atteinte à la compétence provinciale en ce qui concerne certaines questions liées à la pension alimentaire, à la garde et au droit d'accès. C'est un domaine de compétence partagée. Les cas où il y a action en divorce relèvent manifestement de la compétence du gouvernement fédéral, mais ils sont aussi du ressort provincial.
M. Ramsay: Par ailleurs, j'aurais préféré, pour tout vous dire, que le projet de loi ait été présenté par le gouvernement. Il aurait ainsi eu de bien meilleures chances de survivre, même en étant modifié. J'espère toutefois que notre comité recommandera au gouvernement de permettre au projet de loi de survivre, sinon tel quel, du moins modifié, et d'être incorporé à la Loi sur le divorce.
Évidemment, vous n'avez pas entendu Barbara Baird de Fredericton, au Nouveau-Brunswick qui a témoigné ce matin. Elle nous a bien fait savoir qu'aux termes de la législation provinciale, les grands-parents avaient accès aux tribunaux, et n'ont pas à demander l'autorisation de présenter une demande.
J'étais heureux d'entendre ce qu'elle avait à dire au sujet de certaines des conjectures et des hypothèses quant aux problèmes que créerait ce projet de loi. On sait notamment que le projet de loi ajoute à la complexité du fait que les grands-parents auraient le droit d'intervenir dans des circonstances très chargées sur le plan affectif et que cela pourrait ne pas être dans l'intérêt des enfants. Elle très clairement indiqué dans son témoignage que, depuis l'adoption il y a dix ans de la loi provinciale permettant aux grands-parents d'intervenir, aucun de ces problèmes ne s'est présenté.
J'espère que son témoignage contribuera à dissiper les inquiétudes que certains d'entre nous éprouvent peut-être en raison de ce qu'on nous avait donné à entendre lors de témoignages précédents. Je songe notamment ici au témoignage du représentant de la section du droit de la famille de l'Association du Barreau canadien, qui s'est présenté devant notre comité et qui a soumis une lettre au nom de la section du droit de la famille.
Il semble que les juristes qui témoignent devant notre comité sont plutôt préoccupés par le fait que cet amendement pourrait leur causer un problème à eux. Ils ne sont pas tellement préoccupés par l'intérêt des enfants. Ils s'inquiètent davantage des problèmes qui en résulteraient pour eux si une autre partie était autorisée à intervenir dans les cas de divorce. J'ose espérer que tel n'est pas le cas, mais c'est bien l'impression que j'ai eue.
Je m'intéresse aux données statistiques que vous avez concernant ce qui se fait ailleurs, y compris dans les États américains qui ont une loi sur la question. Vous dites que la participation des grands-parents pourrait à tout le moins éliminer une part des dépenses au titre des services sociaux. J'ai trouvé cela très intéressant.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus long à ce sujet? Le ministère des services sociaux, qui devrait être concerné au premier chef par la situation lamentable ou par l'intérêt de l'enfant, si je peux m'exprimer en ces termes, en cas de divorce ou de rupture du ménage, a-t-il manifesté son appui? A-t-il appuyé l'orientation générale du projet de loi? Pourriez-vous nous dire ce que vous savez à ce sujet?
Mme Keet: À ma connaissance, on n'a jamais même demandé au ministère son avis, ce qui est sans doute malheureux.
Les droits des grands-parents, même s'ils sont inhérents, ne captent l'attention que depuis une dizaine d'années peut-être. En tout cas, depuis cinq ou six ans, les médias y accordent beaucoup d'importance dès qu'il s'agit de questions concernant les enfants.
Nous touchons là toutefois à un domaine de compétence provinciale. Quand les enfants sont retirés de la garde de leurs parents, c'est toujours en vertu de l'autorité provinciale. C'est de cela que je parlais tout à l'heure, et il n'y a pas toujours divorce dans ces cas-là.
D'après ce que j'ai pu apprendre des grands-parents que je traite souvent, il n'est pas du tout rare que les services sociaux ne pensent même pas aux grands-parents - ni même aux oncles et aux tantes - quand ils cherchent à placer un enfant qui, pour une raison quelconque, doit être retiré à l'un ou l'autre de ses parents biologiques ou aux deux. De manière générale, la possibilité n'est même pas envisagée.
M. Ramsay: Comment alors arrivez-vous à la conclusion que le fardeau des services sociaux pourrait ainsi être éliminés? Il me semble que cette conclusion devrait venir de ceux-là même dont vous venez de décrire les responsabilités. Ce serait aux services sociaux d'en juger puisque ce sont eux qui doivent intervenir et prendre en charge l'enfant dont l'intérêt est compromis.
Mme Keet: Eh bien, il en coûterait certainement beaucoup moins cher aux contribuables pour les services de thérapie et de familles d'accueil destinés aux enfants si l'on tenait compte de la possibilité de confier les enfants qui doivent être retirés à leurs parents, aux membres de leur famille immédiate, notamment aux grands-parents.
J'ai souvent des grands-parents qui font appel à moi quand ils apprennent après coup que leur petit-enfant biologique a été retiré à sa famille pour cause de toxicomanie, d'alcoolisme, de violence ou pour quelque autre raison. Il arrive même que l'enfant soit confié à un foyer dans une autre municipalité, une autre province ou un autre État. Les grands-parents qui cherchent alors à savoir où est l'enfant s'opposent bien souvent à une fin de non-recevoir de la part des services sociaux, qui disent que ces renseignements sont confidentiels.
Très souvent, les grands-parents sont éliminés d'office par les services sociaux au Canada. Les grands-parents doivent demander l'autorisation d'obtenir qualité pour agir auprès des tribunaux ou auprès des services sociaux même quand il ne s'agit que d'avoir des contacts avec l'enfant, sans parler de le retirer à son foyer nourricier pour s'en occuper eux-mêmes.
M. Ramsay: Vous semblez dire que les services sociaux pourraient être un obstacle au contact entre le grand-parent et l'enfant dans les cas dont vous parlez. C'est bien à cette conclusion que vous arrivez?
Mme Keet: Bien trop souvent, les grands-parents avec qui je traite considèrent presque les services sociaux comme l'ennemi. C'est très malheureux. Je n'ai pas de données statistiques pour vous montrer à quelle fréquence cela se produit, mais il me semble que tous les grands-parents avec qui je m'entretiens dans cette province - et ceux avec qui j'ai traité en Ontario quand j'y travaillais - considèrent les services sociaux, non seulement comme ceux qui retirent l'enfant à sa famille mais comme ceux qui, sans doute parce qu'ils croient agir dans l'intérêt de l'enfant, refusent aux grands-parents ou aux membres de la famille immédiate le droit d'avoir des contacts avec l'enfant, sans même parler du droit de s'occuper de l'enfant.
M. Ramsay: Les services sociaux agissent-ils vraiment dans l'intérêt de l'enfant quand ils n'envisagent même pas la possibilité de la participation des grands-parents?
Mme Keet: Non, pas selon moi.
Il me semble que ce devrait être automatique. Les services sociaux devraient automatiquement se tourner vers les membres de la famille élargie quand il s'agit de placer l'enfant ou de subvenir à ses besoins.
M. Ramsay: Vous avez parlé de l'article 611 du Code civil du Québec dont nous connaissons le contenu. Il me semble que cet article 611 pourrait à tout le moins servir de guide aux organismes de services sociaux de ces provinces. Peut-être que le problème serait ainsi atténué.
Vous pourrez répondre à cette observation, mais j'aimerais également aborder un autre point, à savoir votre perception de ce qui passe ailleurs, aux États-Unis et dans certains pays d'Europe par exemple, où le droit d'accès est garanti par la loi. Je m'intéresse en particulier aux préoccupations relatives à la complexité.
La complexité s'en trouve-t-elle accrue? Y a-t-il accroissement du nombre de litiges? Y a-t-il augmentation des dépenses? Y a-t-il des problèmes dans ces autres États? Avez-vous pu déterminer s'il existait un problème?
Mme Keet: Non, et j'ai bien examiné la question parce que c'est un argument qu'on a soulevé. L'Association du Barreau canadien a même dit qu'il y aurait accroissement du nombre de poursuites en justice.
Dans les faits, c'est l'inverse qui se produit. S'il y avait action, il faudrait qu'elle soit intentée par l'un des parents biologiques qui estimerait qu'il serait dans l'intérêt de l'enfant d'exclure les grands-parents, et il y a beaucoup moins d'actions intentées par les parents qui veulent exclure les grands-parents qu'il y en a qui sont intentées par les grands-parents.
Il ne faut pas oublier que cet amendement à la Loi sur le divorce ne fait qu'autoriser les grands-parents à présenter une demande. Elle a simplement pour effet d'éviter aux grands-parents d'avoir à intenter une action afin de prouver au tribunal qu'ils devraient avoir le droit d'intervenir. C'est tout ce que fait l'amendement. Il ne garantit absolument pas que les grands-parents auront un droit d'accès ou que, dans certains cas, ils obtiendront la garde. Il doit être démontré qu'ils devraient obtenir ces droits. Le tribunal doit tenir compte de l'intérêt de l'enfant.
M. Knutson (Elgin - Norfolk): Nous avons entendu le témoignage de plusieurs avocats se spécialisant dans le droit de la famille. J'essaierai de vous résumer ce que j'ai entendu.
Il y a un argument en particulier auquel il est difficile d'échapper, et c'est que ces avocats estiment que de permettre à deux, trois, quatre ou peut-être même huit grands-parents différents, selon les circonstances entourant l'échec du mariage ou... Un avocat nous a dit qu'il n'y a pas pire moment pour faire intervenir les grands-parents qu'au moment du divorce, parce que la relation du couple n'est déjà pas ce qu'il y a de mieux. Le père et la mère se livrent une lutte acharnée, et on ne favorise guère le règlement des différends entre les deux ni le processus de guérison ou de compréhension qui doit suivre le divorce quand on fait intervenir d'autres parties à un moment aussi difficile.
Qu'en pensez-vous?
Mme Keet: Quand M. Ramsay, m'interrogeait tout à l'heure, il a parfaitement résumé ce que je pensais: l'intérêt de l'enfant - peut-être pas celui des avocats - est le mieux servi lorsque les grands-parents peuvent intervenir à ce moment-là.
Cela évite un grand nombre de litiges, et la participation d'un grand nombre de grands-parents. En règle générale, ceux-ci jouent un rôle d'arrière-plan dans 95 p. 100 des instances en divorce où il est fait appel à un spécialiste du droit de la famille. Très souvent les grands-parents essaient de se tenir à l'écart, de ne pas prendre parti et de garder le contact avec les enfants. Les grands-parents, - bien plus que les parents entraînés dans une procédure de divorce - ont tendance à se soucier avant tout de l'intérêt des enfants. Le nombre des grands-parents s'en trouverait limité.
Ils ne le feront que si tout contact a été rompu entre eux et leurs petits-enfants.
Chaque semaine j'ai affaire à deux, trois ou quatre cas de droits des grands-parents, mais presque aucun entre eux ont recours à la justice.
M. Knutson: Permettez-moi une petite remarque, et je reviendrai ensuite à ma seconde question.
Je me refuse à croire que les avocats qui comparaissent devant nous ne sont pas de bonne foi.
Mme Keet: Certainement pas.
M. Knutson: Ils ne sont pas ici pour défendre leur propre intérêt ou leur avantage. Chaque jour ils sont aux prises avec des ruptures familiales, et ce qu'ils essaient de faire, c'est empêcher que la loi n'empire une situation déjà mauvaise en soi. Il se peut qu'ils aient raison, il se peut qu'ils aient tort, je n'en sais rien. Nous devrons trancher, mais je suis persuadé qu'ils agissent de bonne foi.
On nous a également fait remarquer que si vous prenez un exemple de rupture de relations... Mettons que le père soit toxicomane et violent, et qu'on lui refuse l'accès à ses enfants. Il s'adresse alors à ses propres parents pour contourner la loi, et la mère devra faire face à des attaques de toutes parts, de sa part à lui et de celle de ses parents. Supposons également que cette femme n'ait pas de grands moyens, que tout ce qu'elle souhaite, c'est régler l'affaire. Il est injuste alors qu'elle ait à se battre sous plusieurs fronts.
C'est un cas qui parait-il se présente beaucoup trop souvent.
Mme Keet: Je ne pense pas que ce cas soit fréquent, mais il se présente certainement. Je dirais plutôt que lorsque nous comparaissons devant un tribunal - et c'est là la question - le juge, dans tous les cas que j'ai vus, a immédiatement relevé ce genre de situation: j'ai vu un grand nombre de juges, dans des cas pareils, catégoriquement interdire aux grands-parents de se mêler de l'affaire. Mais s'il est clair pour le tribunal que les grands-parents agissent de bonne foi et dans l'intérêt des enfants, ils n'imposeront pas de restrictions à l'accès aux enfants par ces grands-parents.
M. Knutson: Il me reste enfin un dernier point, d'importance plutôt secondaire comparé aux deux autres. Pour que le projet de loi ait un effet, nous devons donner aux grands-parents le droit de recevoir notification de l'instance en divorce de leurs propres enfants. Certaines personnes nous ont dit qu'elles ne voulaient pas avertir leurs parents de leur divorce, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Mme Keet: C'est une question difficile, mais je vous dirais en toute franchise que je suis d'accord avec ces gens.
M. Knutson: Avec qui êtes-vous d'accord: que les grands-parents ne devraient pas recevoir notification, ou qu'ils devraient la recevoir?
Mme Keet: Il risque d'y avoir problème lorsque deux adultes consentants souhaitent mettre fin à leurs relations, mais que quelqu'un doit en informer leurs parents. Pour être tout à fait franche avec vous, c'est une idée qui me déplaît. Par ailleurs, je suis bien obligée de constater combien de grands-parents n'apprennent le divorce que lorsque les petits-enfants ont disparu et combien il est alors difficile, en droit, de reprendre le contact avec ceux-ci.
Non, l'obligation de notifier les parents lorsque leurs enfants, adultes, décident de mettre fin à leur mariage, me paraît regrettable, je ne puis l'approuver.
M. Knutson: Mais que nous conseilleriez-vous, à nous législateurs? Sans cette obligation de notification le projet de loi n'est plus qu'un tigre de papier.
Mme Keet: Je ne suis pas d'accord. Même sans cette clause de notification, les grands-parents qui avaient des liens avec leurs petits-enfants ne mettront pas longtemps à décider s'ils seront, ou non, exclus de leur vie en raison de difficultés familiales. On n'a pas besoin d'une clause de notification pour avertir les grands-parents qu'ils risquent de perdre le contact avec leurs petits-enfants.
M. Knutson: Vous recommandez donc d'omettre la clause de notification.
Mme Keet: En ce qui me concerne, certainement.
Le président: Mme Torsney partageait son temps avec M. Knutson, si je ne me trompe.
Mme Torsney (Burlington): Je vous remercie.
Vous disiez que le problème se pose lorsque les petits-enfants ont disparu et les grands-parents ne se rendaient pas compte que les parents étaient en instance de divorce.
Mme Keet: Cela peut arriver.
Mme Torsney: Ce sont là, d'après vous, les cas les plus compliqués, à cause des conflits de juridiction... et parce que ces grands-parents n'étaient pas au courant de l'instance en divorce de leurs enfants et ne savaient pas qu'ils allaient avoir des problèmes d'accès auprès de leurs petits-enfants.
Mme Keet: Non, ce n'est pas ce que je disais, et ce ne sont pas là les cas les plus compliqués.
Je ne pense pas, en toute franchise, que des adultes devraient avoir à dire à leurs parents que leur mariage ou relation est en cours de dissolution. Le problème se pose lorsque les grands-parents vivent loin des enfants, que les parents biologiques se séparent et que les enfants restent avec l'un des conjoints... qui décident alors de rompre le contact avec les grands-parents. Mais ce n'est là que l'une des nombreuses difficultés. Presque chaque cas est un cas d'espèce, et tous les grands-parents qui ont eu des difficultés de garde ou d'accès ont sur cette question un point de vue différent. Il est impossible de généraliser.
Mme Torsney: Vous disiez qu'en Angleterre et aux États-Unis ces dispositions existent dans la loi. Ne serait-il pas conforme à la Constitution, et aux compétences respectives, compte tenu du système juridique de ces pays, que nous laissions cette responsabilité aux autorités provinciales, et non fédérales?
Par ailleurs, les grands-parents ont-ils actuellement des droits dont ils n'ont pas conscience? Ce problème n'est en réalité qu'une petite partie de la procédure juridique relative à un divorce. Le problème se posait quand les grands-parents ne savaient pas qu'ils avaient un rôle à jouer, ou qu'ils avaient une possibilité d'agir. Les enfants divorcent, et d'après tout ce que nous ont dit un grand nombre de témoins en faveur de ce projet de loi, le problème se pose six mois plus tard, lorsque les grands-parents se rendent compte qu'ils n'ont pas accès auprès de leurs petits-enfants. Auparavant les rapports avaient toujours été bons, les grands-parents étaient même au courant du divorce mais tout à coup les choses se gâtent et ils doivent avoir recours au tribunal pour obtenir l'accès.
Mme Keet: En réponse à votre première question, je ne pense pas que ces dispositions devraient relever des provinces, car la Loi sur le divorce relève du gouvernement fédéral. Je suis persuadée que c'est au terme de la Loi sur le divorce que la plupart des parents mariés se voient attribuer la garde et l'accès et que sont décidées les dispositions qui seront prises sur le sort des enfants. C'est de cette loi qu'elles relèvent, et non de la législation provinciale.
En second lieu, les provinces devraient certainement avoir une loi correspondante, car si le couple n'est pas officiellement marié ou décide de ne pas entamer de procédure de divorce, et s'il s'adresse au tribunal pour décider du sort des enfants, le cas relèvera de la loi provinciale. Nous devrions donc modifier la loi fédérale, et apporter des modifications correspondantes aux lois provinciales. À bien considérer les faits, il semblerait que les provinces aient tendance à s'aligner sur une loi fédérale quand celle-ci est vigoureuse, même si elles le font en traînant un peu les pieds.
Si j'étais grand-parent d'un enfant dont les parents ne se sont pas mariés, je ne voudrais pas actuellement me trouver en Alberta, car je n'aurais pas de recours devant les tribunaux.
Vous me demandiez si les grands-parents connaissaient leurs droits: beaucoup d'entre eux ne savent pas qu'ils en ont. Ce sont des gens d'un certain âge, qui n'ont jamais eu à faire, dans leur vie, avec la loi, et qui n'ont peut-être même jamais connu de divorce dans leur famille. Ce n'est que quand on est coupé de ces petits-enfants qu'on commence à se renseigner sur ses droits, et c'est souvent dans cette circonstance qu'ils s'adressent à moi, mais je ne recommande jamais, comme solution privilégiée, de porter l'affaire en justice.
Mme Torsney: Que recommandez-vous alors de faire pour arranger les choses pour les petits-enfants d'enfants mariés, d'enfants divorcés et d'enfants non mariés, et tous les autres cas? Faut-il expliquer aux Canadiens l'importance des grands-parents et insister là-dessus? [Difficulté technique - Éditeur]... auprès des services sociaux, au niveau provincial? Il y a des parents - et pas simplement des grands-parents - qui m'assurent que les services sociaux sont l'ennemi. Nous devons expliquer l'importance de ces liens, cela remédierait à la situation bien plus que ne peut le faire ce projet de loi, car même avec ce dernier bien des grands-parents ne connaîtront pas leurs droits, et ne sauront même pas qu'ils en ont.
Mme Keet: C'est sur les deux plans qu'il faudrait agir. Il faudrait insister sur l'aspect éducatif, car il est bien triste que dans notre pays il faille enseigner aux gens combien il est important que les enfants aient un lien permanent avec leurs grands-parents, mais c'est là où nous en sommes. Tout cela n'aide toutefois pas le grand-parent qui a perdu tout contact et qui se trouve pris comme otage par un conjoint qui, pour léser l'autre, va refuser à un grand-parent l'accès à ses petits-enfants. Toutes les tentatives d'éducation échoueront, seul le temps permettra peut-être de remédier à la situation.
Mme Torsney: Mais le grand-parent possède ce droit dès maintenant.
Mme Keet: Non, pas tout à fait. Ce n'est pas dans toutes les provinces que les grands-parents ont droit d'intervenir pour leurs petits-enfants, à moins que ce soit dans le cadre de la Loi sur le divorce ou que la loi provinciale les y autorise expressément.
M. Ramsay: Nous avons entendu ce matin comme témoin Barbara Baird, qui a fait sa maîtrise en droit de la famille et a pratiqué le droit pendant près de 20 ans, d'après ce qu'elle dit.
Mme Keet: J'ai lu certains de ses ouvrages.
M. Ramsay: Nous lui avons demandé ce qu'elle pensait de la clause de notification: il n'y en a pas dans la loi du Nouveau-Brunswick, mais cela ne semblait pas empêcher les grands-parents d'exercer leurs droits.
Toujours à propos de la connaissance de leurs droits par les grands-parents, vous avez raison de dire que jusqu'à ce qu'une rupture ou autre survienne avec les enfants, et qu'il y ait divorce, on voit mal pourquoi les gens connaîtraient leurs droits ou s'y intéresseraient, mais il faut néanmoins que ce droit existe, en cas de besoin.
Dans tout le pays des organisations se constituent qui revendiquent des droits pour les grands-parents. C'est peut-être par leur truchement que bien des grands-parents pourraient mieux comprendre leurs droits quand ils se trouvent dans ce genre de situation.
La Chambre est saisie d'une motion - je trouve cela plutôt ironique - d'après laquelle le gouvernement devrait envisager de désigner le second dimanche de septembre comme «journée des grands-parents» afin de rendre hommage à l'importance de la structure familiale comme source d'affection et d'éducation des enfants. Je vais, bien entendu, appuyer cette motion mais il me semble ironique que l'on veuille l'inclure dans nos lois, créant ainsi l'illusion que nous reconnaissons l'importance des grands-parents dans la famille tout en craignant, en même temps, que ce projet de loi ne donne aux grands-parents une sorte de droit d'ester en justice pour leur permettre de maintenir le contact avec leurs petits-enfants et d'assurer à ceux-ci tous les bienfaits reconnus par cette motion. Je voulais simplement souligner, pour le compte rendu, ce paradoxe.
Puisque vous connaissez les lois des États-Unies et de Grande-Bretagne, pouvez-vous nous dire si elles contiennent des droits de notification?
Mme Keet: Je n'en sais rien.
M. Ramsay: Vous ne savez pas si ces lois renferment, ou non, des droits de notification?
Mme Keet: Je l'ignore.
M. Ramsay: Très bien.
Je vous remercie, monsieur le président.
Mme Phinney (Hamilton Mountain): J'ai deux questions à vous poser et je vais les poser ensemble afin que vous puissiez répartir entre elles, à votre gré, le temps dont vous disposez.
Vous disiez que vous étiez en faveur du projet de loi C-232, mais vous ne pensez pas qu'il aille assez loin. Que faudrait-il y inclure, d'après vous?
Vous n'y voyez pas des problèmes d'ordre constitutionnel, mais pensez-vous que nous puissions accorder plus de droits à une paire de grands-parents plutôt qu'à l'autre? Quand les parents sont encore mariés, ils peuvent effectivement décider si les grands-parents peuvent voir les enfants ou pas, mais quand il y a divorce, vous dites que les grands-parents devraient automatiquement avoir des droits et je pense qu'il pourrait y avoir là problème d'ordre constitutionnel. Quand pensez-vous?
Mme Keet: En ce qui concerne la première de vos questions je vous renvois au Code civil du Québec qui, à mon avis, a adopté la bonne attitude à cet égard: les grands-parents ont des droits inhérents jusqu'à ce qu'il puisse être prouvé qu'ils devraient les perdre dans l'intérêt de l'enfant. Ce droit inhérent devrait, à mon avis, être incorporé à la loi, et c'est pourquoi je dis qu'on ne va pas assez loin. Il devrait être clair, tant au niveau provincial qu'au niveau fédéral, que les grands-parents pourront toujours garder le contact avec leurs petits-enfants, sauf s'il y a un motif bien fondé de leur retirer.
J'ai répondu à votre première question, mais je ne suis pas tout à fait certaine de la seconde.
Mme Phinney: La Constitution permet-elle de donner à une paire de grands-parents plus de droits qu'à l'autre.
Mme Keet: Certainement pas, d'après la Constitution. D'une façon générale je pense que les grands-parents... J'ai vu des cas où deux paires de grands-parents comparaissaient ensemble en justice pour contester leur exclusion à tous les quatre.
Mme Phinney: Je compare ici un cas où il n'y a pas divorce et un cas un cas où il y a divorce: les parents peuvent décider qu'ils ne veulent pas laisser à une paire de grands-parents l'accès aux enfants. Ce que vous voulez dire, c'est qu'un grand-parent, quand il y a divorce, a plus de droits que d'autres grands-parents, parce qu'il peut aller en justice pour obtenir l'accès, que cela plaise ou non aux parents. Vous dites donc à une paire de grands-parents qu'ils ont ces droits, mais à l'autre paire qu'ils n'en ont pas autant.
Mme Keet: Si je vous ai bien compris, vous dites qu'il n'y a pas dissolution de la relation et qu'une paire de grands-parents a été exclue, n'est-ce pas?
Mme Phinney: Oui, les parents de ces enfants peuvent décider qu'ils ne veulent pas que l'un des grands-parents voit ces enfants.
Mme Keet: Oui, avec toutes les lois du pays, tant fédérales que provinciales, à l'exception du Québec.
Mme Phinney: Sauf s'il y a divorce, auquel cas le grand-parent peut obtenir ce droit en justice, mais s'il n'y a pas divorce...
Mme Keet: Non
Mme Phinney: ...les grands-parents ne peuvent avoir recours à la justice.
Mme Keet: Ils peuvent quand même porter l'affaire devant un tribunal, si la loi provinciale le prévoit, comme par exemple en Ontario et en Colombie-Britannique, seules lois que je connaisse bien. Il y a une loi provinciale en Colombie-Britannique et d'après le droit de la famille, toute personne peut demander à avoir droit d'accès auprès d'un enfant. Ces parents sont peut-être...
Mme Phinney: Le gouvernement fédéral peut-il promulguer une loi qui ne comprenne qu'une catégorie de grands-parents, à savoir ceux de couples divorcés?
Mme Keet: Aux termes de la Constitution, je crois que le gouvernement fédéral ne peut traiter que de la dissolution d'une relation à la suite d'un divorce, tous les autres cas relevant, d'après la Constitution, des provinces.
Le président: Monsieur Ramsay, avez-vous d'autres questions à poser?
M. Ramsay: Non.
Mme Torsney: On s'est longuement demandé si ce projet de loi portait sur les droits des grands-parents ou sur ceux des enfants. Vous avez à plusieurs reprises dans votre témoignage, fait allusion au fait que les enfants ont un droit d'accès auprès de leurs grands-parents, qu'ils ont le droit de bénéficier de cette affection de leurs talents magiques de conteur, et de tout ce qui l'accompagne. Peut-être devrions-nous voir les choses sous un autre angle, ce ne serait pas les grands-parents qui auraient des droits inhérents, aux termes du projet de loi C-232 tel qu'il est actuellement libellé, mais ce devrait être les enfants qui ont droit d'accès auprès de leurs grands-parents.
Le gouvernement fédéral devrait peut-être garantir à tous les enfants du Canada l'accès à leurs grands-parents.
Mme Keet: Serait-ce possible aux termes de la Constitution? Je ne le crois pas.
Mme Torsney: D'après la Constitution, nous ne pouvons donc garantir, au niveau fédéral, qu'aux enfants de parents divorcés d'avoir accès à leurs grands-parents, ce qui n'est pas le cas pour les enfants de parents encore mariés. Nous introduisons là une inégalité.
Mme Keet: C'est une inégalité constitutionnelle, à laquelle on ne peut, je pense, remédier. Nous devons nous accommoder du cadre existant, à savoir que le divorce relève des lois fédérales, mais que toutes les autres questions touchant au mariage et à la rupture des relations relèvent des lois provinciales.
Idéalement, bien entendu, les enfants et leurs grands-parents devraient avoir le droit inhérent de rester en contact les uns avec les autres, quelque soit le sort des parents biologiques, mais notre système est fragmenté, il y a répartition des compétences aux termes de la Constitution. Cet État de choses n'est certainement dû ni à ma génération, ni à celle de mes grands-parents mais c'est un État de fait que nous devons accepter et dans lequel nous devons fonctionner.
Mme Torsney: Mais dans le cadre des Nations-Unies et d'autres manières encore, nous pourrions certainement, en tant que gouvernement fédéral, promulguer, par exemple, les droits de l'enfant.
Je voudrais également déclarer, aux fins du procès-verbal, que ce sont des gens des deux côtés de la Chambre qui, toute appartenance politique mêlée, ont appuyé le renvoi pour examen de ce projet de loi devant notre comité. Ce n'est pas parce que nous ne voulons pas personnellement l'appuyer... Aucun des trois partis ne s'est engagé officiellement pour ou contre; certaines objections ont été soulevées à propos du processus et de ses conséquences, mais sans distinction de parti. Cela ne veut pas non plus dire que le sort des grands-parents nous laisse indifférent, mais certains d'entre nous pensent qu'il devrait être possible de procéder autrement. Je ne vais pas vous exposer les opinions de mes collègues, mais je souhaiterais qu'il n'y ait pas tellement d'arguments du genre «un prêté pour un rendu», «si vous n'appuyez pas ceci, je n'appuierai pas le projet en faveur des grands-parents.» Cela a créé une division très injuste entre nous à propos de certaines des questions qui nous préoccupent, ou en tout cas qui me préoccupent.
Espérons que Dieu nous aidera, car les grands-parents peuvent jouer un rôle très important dans la vie d'un enfant, et nous devrions faire l'impossible pour que cette réalité soit connue, que soit appréciée la valeur de ce lien pour de saines relations familiales, mais peut-être le meilleur moyen d'y parvenir n'est-il pas le projet de loi C-232?
Nous savons, après les discussions sur les pensions alimentaires qui ont eu lieu en présence du groupe de travail présidé l'an dernier par Sheila Finestone, que le système est chaotique. Les batailles que se livrent les gens sont effrayantes, il y a toutes sortes d'actions frustratoires intentées par un ex-conjoint contre l'autre. À Toronto en particulier j'ai été démoralisée comme jamais par ce que j'ai dû entendre, en tant que députée.
Je crains vraiment que ce projet de loi n'exarcerbe encore les choses, que les parents et les grands-parents ne l'invoquent que pour intenter des procès à des mères célibataires qui n'ont pas les moyens de se défendre et qu'il créera de très graves problèmes. C'est une situation détestable.
Mme Keet: Je voudrais faire remarquer que ce projet de loi ne donne aux grands-parents que le droit d'intervenir. Les juges voient chaque jour des cas de ce genre, et considèrent que si vous essayez de vous interposer uniquement afin d'aggraver le problème, cela aura des effets regretables pour les enfants et vous n'aurez pas qualité à comparaître.
Mme Torsney: C'est pourquoi nous avons la disposition d'autorisation.
M. Knutson: On nous a assuré que le seuil prévu dans la loi actuelle est tout à fait suffisant, qu'il permet au tribunal de trier les cas où les grands-parents ne devraient vraiment pas faire de demandes. Qu'a-t-on à reprocher à la loi actuelle, compte tenu du fait que les grands-parents doivent suivre une procédure préliminaire de demande avant d'obtenir le droit de comparaître?
Mme Keet: L'un des pires reproches que l'on puisse faire à la situation actuelle, c'est qu'elle est longue et coûteuse. Contrairement à la position qui a été adoptée par l'Association du Barreau canadien... j'ai entendu le représentant dire que cela n'ajoute qu'un millier de dollars au coût du litige. Mais quand vous avez des revenus fixes, un millier de dollars, c'est beaucoup.
De toute façon vous finissez par devoir suivre la même procédure: vous obtenez l'autorisation et vous devez toujours encore prouver au tribunal que vous avez le droit de plaider votre cause et d'avoir régulièrement accès à ces petits-enfants.
Je trouve que c'est là un obstacle supplémentaire qui se dresse devant ces grands-parents, un obstacle absurde. Si le couple décide de ne pas participer à la procédure de divorce, de ne pas divorcer ou pire encore, si le couple n'a jamais été marié, quelle est alors la situation des grands-parents?
Mais quant au procès en divorce, non, je suis pas d'accord: la procédure actuelle est trop coûteuse et trop encombrante, et elle ne reconnaît pas le droit inhérent de l'enfant d'avoir accès à ses grands-parents. Si ces derniers sont séparés de leurs petits-enfants, ils devraient avoir le droit inhérent de maintenir le contact.
M. Knutson: Ce qui est reconnu ici, c'est que dans certaines familles il est de l'intérêt de l'enfant de maintenir un lien avec ses grands-parents, et dans certaines familles ce n'est pas le cas. La loi impose donc une épreuve qui coûte, comme vous le dites, 1 s000$, c'est donc un seuil qu'il faut franchir au coût de 1 000$, afin de pouvoir débarrasser le tribunal de certains de ces cas où le grand-parent ne devrait pas pouvoir se faire entendre... par exemple le cas de parents d'un père qui a exercé des sévices, ou des grands-parents qui n'ont jamais eu de relations avec les petits-enfants, mais qui veulent intervenir pour de mauvaises raisons.
Mme Keet: Excusez-moi, monsieur, mais je ne suis pas d'accord. À l'heure actuelle le tribunal détermine simplement si les grands-parents ont, ou n'ont pas, droit d'intervenir, sans examiner le fond de la question. Leur décision ne porte pas sur le fait que ce grand-parent devrait, ou ne devrait pas, avoir des contacts avec les enfants et les témoignages à apporter; le tribunal détermine simplement si le cas mérite d'être examiné en justice.
M. Knutson: Mais sur quels critères se base-t-il alors? Ne cherche-t-il pas à savoir s'il y s'agit d'une demande authentique.
Mme Keet: De façon tout à fait superficielle. Ce n'est pas dans ce contexte que l'on examine la situation familiale ou les dépositions.
M. Knutson: Cette audience préliminaire constitue un seuil très bas à franchir, n'est-ce pas? Si le cas présente le moindre intérêt, les tribunaux, selon toute probabilité, permettront à ces grands-parents de comparaître?
Mme Keet: Si le cas présente un intérêt, comme vous le dites, les grands-parents obtiendront probablement le droit de comparaître, mais c'est un exercice coûteux qui les oblige à engager des frais et à plaider dans un procès distinct de l'instance en divorce, afin d'y figurer uniquement pour obtenir de garder le contact avec l'enfant. Un tribunal qui est engagé dans une instance en divorce est probablement mieux à même de déterminer si ce grand-parent devrait, ou non, être impliqué dans le processus qu'un juge qui a simplement déterminé si le grand-parent a, ou non, qualité pour comparaître. Cette décision peut tout aussi bien être prise par le tribunal qui juge de l'instance en divorce.
M. Knutson: Je ne tiens pas à m'acharner inutilement, mais si vous dites que le tribunal qui s'occupe du divorce peut décider s'ils sont impliqués ou non dans le processus c'est dire que vous nous demandez de décider en droit que dans chaque cas sans exception ils ont le droit d'être impliqués dans le processus. Ils ont la qualité pour agir dans la procédure de divorce.
Mme Keet: Certainement.
M. Knutson: Alors si nous acceptons votre suggestion, ils vont être là à chaque fois sans exception.
Mme Keet: Non, ils ne le seront pas.
M. Knutson: On présume donc qu'à chaque fois qu'ils veulent être là, ils le seront, sans exception. C'est par opposition au critère ou seuil minimum qui coûte 1 000$. Je me fie à vous à propos du coût.
Mme Keet: Non, ce n'est pas moi qui ai déterminé ce montant. À mon avis, cela coûtera probablement plus cher. C'est en quelque sorte une moyenne nationale à laquelle est arrivée l'Association du Barreau canadien.
Mais je ne suis pas d'accord. L'intervention des grands-parents dans cette cause de divorce va être définie très étroitement. Elle sera restreinte à la preuve concernant le contact des grands-parents avec leurs petits-enfants. Ils ne seront pas impliqués dans les autres questions ou dans le dédommagement qu'un parent cherche à obtenir de l'autre.
Le président: Si je comprends bien, ces demandes de qualité pour agir sont tout simplement des requêtes présentées au juge sur preuve par affidavit, n'est-ce pas?
Mme Keet: Au début, oui, à moins qu'il n'y ait procès.
Le président: À ce stade-là, le juge décide s'il s'agit d'une requête frustatoire et si cette personne a qualité pour agir, n'est-ce?
Mme Keet: Encore une fois, ça dépend. Le juge ne peut offrir qu'un redressement interlocutoire. Il peut déterminer à un certain point - et c'est souvent le cas - qu'il y a des raisons légitimes pour lesquelles, dans l'intérim, les grands-parents devraient ou ne devraient pas avoir un accès régulier auprès des petits-enfants.
L'autre méthode dont on dispose pour faire cette détermination est de demander ce qu'en Colombie-Britannique on appelle le rapport aux termes de l'article 15. Il s'agit de faire intervenir un professionnel de l'extérieur de la famille qui conseille le tribunal quant à savoir s'il est dans l'intérêt des petits-enfants d'avoir un contact continu avec le grand-parent. Cela peut également se produire.
Le président: Donc, lors de cette requête préliminaire, les grands-parents peuvent avoir une assez bonne idée, ou du moins l'avocat peut les conseiller après la requête, quant aux chances qu'ils peuvent avoir s'ils font une demande d'accès auprès des enfants ou de garde. Alors, même si cela peut coûter 1 000$, ils pourraient ainsi économiser plusieurs milliers de dollars à l'avenir s'ils n'ont pas à subir des procédures très longues.
Mme Keet: Oh oui, c'est souvent le cas. Vous pouvez avoir une très bonne idée de l'attitude du tribunal envers votre client dans ces situations-là.
Je peux également vous dire que les avocats spécialisés en droit familial dans ces situations n'amènent pas leurs clients au tribunal sans les conseiller d'avance sur le bien-fondé de leur comparution. Par exemple, disons que j'ai devant moi des grands-parents qui veulent avoir accès auprès de leurs petits-enfants. Si les parents biologiques sont toujours ensemble et qu'ils sont d'accord pour dire qu'ils ne veulent pas que les grands-parents aient accès à leurs enfants, je ne recommanderai presque jamais qu'ils aillent en cour.
Le président: Madame Keet, merci beaucoup de nous avoir présenté votre point de vue aujourd'hui. Nous sommes heureux d'avoir pu nous entretenir avec quelqu'un qui possède votre expérience. Je suis sûr que vous avez beaucoup aidé le comité. Merci beaucoup.
Mme Keet: Bonne chance dans vos travaux.
Le président: La séance est levée.