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CHAPITRE II : COMMENT ASSURER LA SANTÉDES ENFANTS?


Les membres du Comité ont utilisé le cadre de la santé de la population pour cerner les divers problèmes entourant la santé des enfants. De nombreux témoins ont appuyé cette approche et ont rappelé les facteurs déterminants de la santé des enfants. Ce cadre de travail, qui a été proposé par un groupe consultatif fédéral, provincial et territorial en 1994, suggère que tous les paliers de gouvernement élaborent des stratégies axées sur cinq catégories de déterminants de la santé : le milieu socio-économique, le milieu physique, les habitudes personnelles en matière de santé, les capacités personnelles et les habiletés d'adaptation, et les services nécessaires à la santé. Dans cette approche axée sur la santé de la population, les témoins attribuent des rôles importants aux familles, aux collectivités et aux gouvernements, des segments de la société servant d'intermédiaires entre les enfants et ces grands facteurs.

A. FAMILLES, COLLECTIVITÉS ET GOUVERNEMENTS

1. Enfants et familles

Les familles des enfants constituent le facteur qui compte le plus dans l'état de santé général des enfants. Selon des témoins, bien que les familles soient de types très variés, elles doivent toutes éduquer et soutenir les enfants. Pour beaucoup, chercher à assurer un développement sain des enfants équivaut à travailler à un développement sain des familles. Des témoins ont signalé la diversité de plus en plus grande des familles et de leurs modes de fonctionnement. La plupart ont reconnu le rôle prépondérant de la famille nucléaire, mais ils ont souligné également à quel point les enfants peuvent continuer à bénéficier de la famille élargie. Ils ont souligné l'importance de rapports parents-enfants positifs pour garantir la santé des enfants tout en signalant qu'il faut faire preuve de réalisme au sujet de ceux qui agissent comme parents auprès de l'enfant. (ICSI 71:62, ACSP 72:10, CNPC 8:6, ASL 9:9, CRRU 10:9, ACRF 12:14, KF 12:21-22)

Parmi les personnes qui assument un rôle de parents, ce sont celles qui remplissent le rôle de mère dont on a le plus parlé, des témoins réclamant des mesures qui augmenteront le temps dont disposent les femmes qui doivent assumer la double tâche d'éduquer les enfants et de prendre soin du foyer, souvent en plus d'occuper un emploi rémunérateur. Certains ont aussi souligné que plus d'un parent doivent participer pleinement aux tâches et que toute augmentation du temps dont disposent les familles pour les enfants passera par une plus grande disponibilité des pères. (ICSI 71:12, ASL 9:8, KF 12:21-22)

2. Enfants et collectivités

On considère que les collectivités sont en mesure de se mobiliser et de répondre aux besoins des enfants et de leurs familles. Les témoins considèrent que la famille constitue un facteur crucial dans la santé des enfants, mais ils font une mise en garde : la famille ne peut tout faire seule. Les efforts déployés pour cerner la notion de collectivité ont donné des résultats variables. Pour certains, la collectivité se situe dans un large contexte social tandis que pour d'autres, elle correspond à une certaine région géographique comme une municipalité ou un quartier. Selon des témoins, une collectivité saine, c'est une collectivité où il existe une volonté publique de s'occuper du bien-être des enfants dans le cadre de ses activités normales, et où il existe une vitalité civique, l'un des indicateurs du milieu qui servent à mesurer les progrès par rapport aux enfants. D'autres personnes ont souligné qu'on se retrouve en présence d'une dynamique réciproque où une communauté saine engendre des enfants sains et où des familles et des enfants sains créent et appuient une communauté saine. (ICSI 71:3, ICSI 71:27, ACSP 72:11, CNPC 8:6, CNPC 8:12, CCDS 9:18, P123 9:26, SPT 11:10, GUHD 12:8)

On attribue des rôles différents à divers segments de la collectivité. Des témoins ont ainsi parlé des systèmes officiels de prestation des soins de santé et des services sociaux de même que des systèmes informels comme la famille élargie et le soutien du quartier. Pour certains, il faut assurer la participation directe des professionnels de la santé au sein des collectivités tandis que d'autres privilégient le recours aux moyens électroniques comme le réseau Grandir ensemble pour établir un lien entre les connaissances des spécialistes et l'expérience de la collectivité. On a signalé à cet égard que les écoles pouvaient jouer un rôle clé dans ce processus en tant que chefs de file de la collectivité. Plusieurs témoins ont évoqué le rôle que jouait ou pourrait jouer le secteur privé dans les initiatives concernant la santé des enfants. Le financement de tels projets par des sociétés est considéré comme un moyen de diffuser le message que les enfants constituent une ressource importante pour garantir la stabilité future de l'économie et que ce type d'investissement est tout à fait sensé. D'autres soutiennent toutefois que l'engagement de l'entreprise doit dépasser le stade du financement et garantir aux employés - hommes comme femmes - des politiques sur les milieux de travail qui permettent de concilier carrière et responsabilités familiales. (ASL 9:9, CRRU 10:11, ICSI 71:11, ICSI 71:18, ACSP 72:5&11, SCP 72:18, CNPC 8:6, P123 9:27, GUHD 12:1, KF 12:22, IVF 12:34)

3. Enfants et gouvernements

Tous les paliers de gouvernement - municipal, provincial/territorial et fédéral - ont un rôle important à jouer dans l'amélioration de la santé des enfants en travaillant avec les familles, avec les collectivités et les uns avec les autres. On considère que chaque palier de gouvernement a des responsabilités à assumer. Pour certains, les gouvernements municipaux et provinciaux doivent, avec les organisations bénévoles, fournir les services tandis que le gouvernement fédéral s'occupe du financement et de la promotion des politiques générales sur les services. Un témoin a ainsi parlé d'un navire où les organismes communautaires se trouveraient dans la salle des machines, les gouvernements provinciaux sur le pont en train de s'occuper des manoeuvres, et le gouvernement fédéral à la barre. (C2000 4:6, CNPC 8:3)

Au sein des divers paliers de gouvernement, les témoins ont souligné la nécessité d'une concertation et d'une action intersectorielle qui supposeraient un lien étroit entre la santé et les politiques plus générales sur les affaires sociales, la justice, l'emploi et l'économie. Les ministères sont exhortés à coordonner leurs efforts afin d'élaborer une stratégie globale sur les enfants et leurs familles. Une analyse, une planification et une intervention intersectorielles sont jugées essentielles pour toute politique sur les enfants digne de ce nom. (ICSI 71:3, ICRA 71:20, ACSP 72:3)

On presse les gouvernements de se doter d'indicateurs, de critères et de lignes directrices pour promouvoir la santé des enfants. On les encourage également à envisager différentes politiques, fiscales et autres, afin de permettre une approche holistique tenant compte des besoins des enfants à court comme à long termes. Il leur faut analyser l'impact de toutes les politiques proposées afin de déterminer leur incidence sur la santé et le bien-être des enfants, des jeunes et des familles. Ils doivent donc prendre en considération la famille dans leurs restrictions financières et examiner attentivement comment le fardeau de ces restrictions est réparti. On leur rappelle que le Canada a deux déficits, un déficit économique et un déficit social, et qu'on ne peut en réduire un aux dépens de l'autre parce qu'on pourrait au bout du compte augmenter les deux. (ACSP 72:3, ASL 9:4, SPT 11:10, IVF 12:35)

B. LES DÉTERMINANTS DE LA SANTÉ DE L'ENFANT

1. Milieu socio-économique

De l'avis de la plupart des témoins, les familles doivent pouvoir compter sur l'aide de la collectivité et des gouvernements pour satisfaire les besoins de leurs enfants sur le plan du développement. Ce soutien mutuel est perçu comme de plus en plus important en cette période de profonds changements socio-économiques et d'évolution des structures familiales. De nombreux témoins ont déploré les réductions dans les transferts fédéraux aux provinces, l'érosion du financement des services destinés à l'enfance et aux familles et l'absence de normes nationales sur les aspects sociaux du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Selon un témoin, trois facteurs expliquent les difficultés d'un grand nombre de familles comptant des enfants : «le fait que quelqu'un doive travailler beaucoup plus longtemps pour échapper à la pauvreté s'il est payé au salaire minimum, que plus de 70 p. 100 des familles ont besoin de deux revenus pour vivre au-delà du seuil de pauvreté, le taux accru de divorce et la disparition progressive de la famille étendue». (ASL 9:3)

On a fréquemment signalé l'étroite association entre pauvreté et problèmes de santé. Les témoins ont convenu que la pauvreté ne constituait pas simplement un manque d'argent. Ainsi, l'un d'entre eux a soutenu que «la pauvreté, le chômage et l'insécurité économique menacent la santé sociale, affective et spirituelle des familles et des collectivités, et empêchent les enfants de jouir de chances égales dans la vie». (ACSP 72:3) Ces liens entre pauvreté et problèmes de santé chez les enfants se situent sur trois plans : les enfants eux-mêmes, les femmes enceintes et les familles ayant des enfants.

En ce qui concerne les enfants eux-mêmes, l'Institut canadien de la santé infantile a signalé ce qui suit : «la pauvreté chez l'enfant vient parfois doubler l'incidence de certains des éléments qui militent contre la santé infantile. Les taux de mort accidentelle, de faible poids à la naissance, de mortalité infantile, de mauvais résultats scolaires et de troubles psychiatriques sont au moins le double chez les enfants pauvres. De même, la grossesse pendant l'adolescence, le tabagisme et la toxicomanie sont des problèmes très fréquents chez les enfants vivant dans la pauvreté». (ICSI 71:7) Un autre témoin a par ailleurs rappelé ce qui suit : «nous savons que le fait de grandir dans la pauvreté - il n'y a pas que la privation sur le plan économique, il y a également la privation sur le plan psychologique, et elle est très grande chez les pauvres - double le taux de presque tous les échecs chez tous les enfants; pour les troubles de comportement, qui laissent présager la délinquance, le taux est plus du triple». (ASL 9:5)

Les femmes enceintes sont elles-mêmes gravement touchées par l'insuffisance des revenus, ce qui a des conséquences nuisibles sur le foetus. Ainsi, une étude sur les coûts du loyer menée par le Dispensaire diététique de Montréal a montré que certaines familles dépensent 46 p. 100 de leur revenu total pour se loger, ce qui ne laisse pratiquement plus d'argent pour se nourrir. L'étude a démontré que : «15 p. 100 de nos mamans n'ont pas un cent, n'ont pas d'aide sociale ou d'assurance-chômage. Elles n'ont rien. Il faut donc trouver des moyens pour les nourrir. On leur offre un litre de lait et un supplément d'oeuf par jour». (DDM 11:28)

Quant aux familles ayant des enfants, on a signalé qu'il y a eu «une redistribution des richesses entre générations au détriment des familles ayant de jeunes enfants», et que «c'est inquiétant si nous avons une perspective longitudinale à la santé humaine». (ICRA 71:20) L'organisme Campagne 2000 réclame une approche axée sur le cycle de vie pour répondre aux besoins des enfants, approche qui tient compte de toutes les familles et de l'ensemble de leur vie : «d'un point de vue économique, cette stratégie s'applique aux familles à revenu modeste et moyen, de même qu'aux familles pauvres qui sont les plus vulnérables aux événements du cycle de la vie qui entraînent la pauvreté». (C2000 4:3) Plusieurs témoins ont demandé des changements au régime fiscal qui accroîtraient les ressources mises à la disposition des familles, notamment des changements qui permettraient de traiter plus équitablement les familles ne comptant qu'un seul revenu. (ASL 9:4, KF 12:22, IVF 12:31)

Le chômage de même que le sous-emploi des parents constituent des facteurs importants de la misère chez les enfants. L'Institut canadien de la santé infantile a ainsi signalé ce qui suit concernant les 41 p. 100 de parents de moins de 30 ans qui ont des enfants vivant dans la pauvreté : «un grand nombre de ces personnes ne sont pas des profiteurs du système de bien-être social. Trente-cinq pour cent de ces familles comptent des membres qui ont fait des études collégiales ou universitaires. Ce n'est donc pas uniquement une question de niveau d'instruction. Pour ces familles, dans ce climat économique, il nous faut manifestement améliorer leurs perspectives d'emploi afin qu'elles aient les ressources économiques nécessaires pour élever leurs enfants dans des conditions raisonnables». (ICSI 71:12) L'organisme Campagne 2000 a pour sa part expliqué les vraies conséquences d'un chômage prolongé pour les familles : «le stress est très intense. Il y a des familles qui doivent déménager parce qu'elles ne peuvent plus payer le loyer. Quand ces gens-là doivent s'adresser aux banques alimentaires, c'est une atteinte à leur dignité. On en constate également l'incidence dans la salle de classe, sous forme de symptômes d'inattention, de stress, d'absence, etc. Les conséquences apparaissent très clairement. C'est comme une onde de choc qui ne se limite pas à la famille, mais qui se répand dans la collectivité et dans l'ensemble de la société». (C2000 4:5)

2. Milieu physique

Les témoins établissent un lien entre cet élément des déterminants de la santé et les problèmes de développement des enfants. Parmi les aspects mis en lumière, notons l'accès à des logements, à une alimentation et à des services de transport et de loisirs adéquats et peu coûteux. Les collectivités locales sont considérées comme essentielles, car elles «travaillent ensemble pour lutter contre l'isolement, la pauvreté et l'inégalité». (ICSI 71:4) et en évolution parce «qu'un enfant, dans le voisinage, au parc, à la garderie, à l'école, doit être entouré d'adultes attentifs et disponibles, même lorsque les parents ne sont pas là». (ASL 9:3)

Le logement semble être un facteur critique pour la santé des enfants. Le Département de santé publique de Toronto commente les conséquences du manque de logements à prix abordable pour les familles à faible revenu ayant des enfants : «D'après des renseignements émanant du service des centres d'accueil du Toronto métropolitain, les enfants représentent le groupe à la croissance la plus forte parmi les nouveaux sans-abri. Le nombre de familles dirigées par des femmes qui comptent sur des refuges a augmenté de 53 p. 100 en novembre 1995, comparativement à novembre 1994, alors que celui des couples avec enfants a augmenté de 27 p. 100. En janvier 1996, les demandes d'expulsion présentées par les propriétaires au bureau du shérif étaient de 25 p. 100 supérieures à l'année précédente». (SPT 11:11) En outre, «le nombre de familles avec enfants qui ont eu recours à l'aide à l'enfance et qui ont dû partager des logements a doublé. Cette situation soulève des inquiétudes au sujet de l'adéquation et de l'encombrement des logements où habitent les enfants. Une étude sur la santé infantile en Ontario a constaté qu'on peut attribuer au manque d'espace à la maison un ralentissement du développement physique moteur et intellectuel, que cela peut expliquer le manque d'assiduité à l'école». (SPT 11:11)

Tous les enfants qui viennent au YWCA Crabtree Corner (centre agréé de garderie d'urgence situé dans l'un des angles d'un terrain de stationnement de la ville, dans la partie est du centre-ville de Vancouver) vivent dans la pauvreté et doivent faire face aux conditions matérielles qui s'ensuivent : «Les familles vivent dans des chambres d'hôtel, des maisons de chambres, ou partagent à plusieurs des appartements d'une ou deux chambres; il s'agit toujours de logements insalubres. Souvent, il n'y a pas de réfrigérateur, de cuisinière, d'eau courante ou de chauffage. On y trouve par contre des coquerelles, des souris et d'autres parasites, ainsi que des aiguilles et des condoms dans les couloirs. Les loyers sont très élevés, ce qui veut dire que ces familles disposent de moins d'argent pour la nourriture. Le manque d'argent, d'installations de cuisson et de réfrigération entraînent une mauvaise nutrition. La troisième semaine de chaque mois financé par l'assistance sociale, Crabtree a une longue liste d'attente des mères qui essaient de faire garder leurs enfants pour qu'ils puissent manger». (YCC 10:22)

Le problème d'une alimentation adéquate pour les enfants a également été mis en relation avec les obstacles physiques qui limitent l'accès à des aliments peu coûteux. Les parents du secteur montréalais de Saint-Michel qui participent au Projet 1, 2, 3, GO! Pour un bon départ dans la vie considèrent comme une grande priorité la bonne alimentation de leurs enfants. Comme il n'y a pas de supermarchés dans le quartier, ils doivent acheter leurs aliments à prix plus élevé chez des dépanneurs. Il y a donc, outre le problème d'accès, un problème de coût. Parmi les solutions proposées au niveau communautaire, notons la mise sur pied d'un restaurant qui offre des repas peu coûteux et le jumelage entre personnes âgées et jeunes mères pour le partage de recettes et d'expériences culinaires. (P123 9:30)

Plusieurs témoins préconisent l'accès à des milieux de loisirs sûrs et stimulants dans les communautés. L'Institut canadien de la santé infantile souligne que les collectivités doivent accorder davantage d'attention «aux approches préventives visant à modifier les milieux dans lesquels les enfants vivent et jouent». (ICSI 71:5) Notons par exemple une série d'interventions allant de l'abaissement des limites de vitesse à la prestation de services de garderie sûrs et de qualité pour les enfants d'âge scolaire et préscolaire, de même que la fourniture d'un transport adéquat pour les enfants et les jeunes atteints d'un handicap. D'après les données, «25 p. 100 des enfants handicapés n'ont pas suffisamment de services de transport. Ils ne peuvent, de ce fait, participer de la même façon que les autres à un certain nombre d'activités de loisirs». (ICSI 71:8) Le Childcare Resource and Research Unit avance que les aptitudes physiques des enfants sont améliorées grâce à des services de garderie de grande qualité : «Par services de grande qualité, on entend ce qui va au-delà de la simple protection de la santé et de la sécurité de l'enfant; ceux-ci doivent également contribuer au développement physique, affectif, social et cognitif de l'enfant». (CRRU 10:11)

3. Habitudes personnelles en matière de santé

La plupart des échanges sur les habitudes personnelles en matière de santé qui ont une incidence sur la santé de l'enfant ont visé les femmes, parce qu'elles portent et élèvent les enfants. L'accent a été mis sur l'aide à apporter aux femmes - à l'adolescence, lorsqu'elles sont enceintes et lorsqu'elles élèvent des enfants - pour qu'elles fassent des choix constructifs dans les domaines suivants : relations sexuelles et personnelles, alimentation prénatale, allaitement maternel et développement de l'enfant. Pour certaines, cela signifie qu'il faut apporter des changements au sein de la famille, notamment faire davantage participer les pères. Pour d'autres, il faut une participation de la collectivité, en particulier une meilleure organisation de quartier.

Certains témoins sont bien au courant des influences, dans la vie des femmes, qui agissent sur leur capacité de prendre des bonnes décisions pour leurs enfants. Par exemple, l'état de santé général médiocre des familles qui participent au programme Crabtree a été lié au fait qu'elles «ont connu de multiples expériences traumatisantes, y compris de nombreux décès familiaux, le racisme systémique, le sexisme, les préjugés de classe et les agressions physiques, sexuelles et émotionnelles». (YCC 10:20) Pour la Coalition de nutrition périnatale de Toronto, certains facteurs de risque qui accroissent la probabilité qu'une femme accouche d'un bébé de faible poids peuvent comprendre «la pauvreté, une mauvaise alimentation avant et pendant la grossesse, la monoparentalité, les grossesses chez les adolescentes, l'insuffisance ou l'absence de soins prénatals, la présence d'un partenaire violent, le stress, le tabagisme, la consommation d'alcool, la toxicomanie et le stress en milieu de travail».(CNPT 11:18-19)

L'analphabétisme est désigné comme l'un des grands facteurs qui limite chez les femmes la capacité d'adopter de bonnes habitudes en matière de santé. D'après l'un des témoins, le niveau intellectuel de nombreux parents qui participent au programme de Moncton est inférieur à la cinquième année. «Combien parmi vous connaissez des gens qui, à l'épicerie, suivent un bénéficiaire d'aide sociale et se demandent pourquoi on leur donne plus d'argent. Ils achètent une pizza toute fait et de la soupe Campbell. Évidemment, ils ne savent pas lire. Qu'est-ce que vous voulez qu'ils achètent, de la nourriture pour chiens? Si nous pouvions leur apprendre à lire, ils sauraient quoi acheter lorsqu'ils vont à l'épicerie». (CNPC 8:14)

La capacité d'influencer favorablement les habitudes en matière de santé et de prévenir les problèmes de développement chez les enfants a été attribuée à de saines habitudes avant et après la naissance. D'après la Coalition de nutrition périnatale de Toronto, «Lorsqu'une nouvelle mère manque d'estime de soi et de confiance en elle-même, elle risque de ne pas pouvoir établir les liens d'attachement particulièrement indispensables à l'enfant à cette étape essentielle de son développement». (CNPT 11:19) La Coalition de Toronto et le Dispensaire diététique de Montréal sont d'accord pour dire qu'il est très rentable de prévenir l'insuffisance de poids à la naissance à l'aide de programmes directs de nutrition prénatale. (CNPT 11:19, DDM 11:25) Après la naissance, selon l'Institut national de nutrition, «Dès que l'on parvient à établir à un âge tendre un mode de vie sain et une attitude saine à l'égard des éléments, ceux-ci peuvent jouer un rôle clé et permettre d'éviter nombre de maladies reliées à l'alimentation et se déclarant plus tard au cours de la vie. En effet, les désordres alimentaires et les maladies chroniques telles que les maladies cardiovasculaires, le cancer et l'obésité ont toutes des liens très serrés avec l'alimentation». (INN 11:1)

Le travail avec les jeunes femmes est perçu comme vital. L'Association canadienne de ressources pour la famille parle de «contacter les jeunes avant qu'ils aient des enfants» au moyen d'ateliers, au secondaire, sur l'art d'être parent. (ACRF 12:16) Le Département de santé publique de Toronto a abordé la question de l'éducation sexuelle et des décisions sur les relations sexuelles et les mesures de prévention de grossesse chez les adolescentes. L'organisme insiste également sur l'importance de travailler avec les jeunes mères afin de consolider leur estime de soi, de les amener à mieux s'accepter dans leur rôle de mère et de les aider à stimuler leurs enfants. Le programme a du succès «avec des mères qui, une fois qu'elles ont une meilleure image d'elles-mêmes, ont un sens d'appartenance à la communauté et sentent qu'elles peuvent réaliser quelque chose. Leurs perspectives changent et on peut espérer les réintégrer dans la main-d'oeuvre active». (SPT 11:13) Plusieurs témoins appuient fortement les programmes de visite à domicile. (ICSI 71:3, SCP 72:12)

Des témoins font valoir qu'il faut des méthodes variées mais complètes pour aider les femmes à faire des choix constructifs pour elles-mêmes et leurs enfants. Grâce à la Coalition de nutrition périnatale de Toronto et aux programmes de soutien, «les femmes apprennent beaucoup les unes des autres; c'est pourquoi nos programmes favorisent l'aide et le soutien mutuels, en particulier dans des domaines comme l'allaitement et l'établissement de liens affectifs entre la mère et l'enfant». (CNPT 11:20) Pour d'autres femmes, des projets axés sur l'informatique, dont un réalisé à partir de l'Université de Dalhousie, fournissent des ordinateurs remis en état à des mères adolescentes, chez elles, afin qu'elles puissent «s'entretenir les unes avec les autres et communiquer en ligne entre elles et avec des experts pour obtenir le soutien dont elles ont besoin pour élever leurs enfants». (GUHD 12:7)

On encourage fortement le soutien positif des femmes et des autres membres de la familles qui procurent quotidiennement des soins aux enfants. Pour Kids First, «Il est absolument essentiel que les parents sachent bien à quel point il est important de former des liens avec leurs enfants, d'entretenir des rapports avec eux et de les entourer de soins si l'on veut en faire des êtres confiants, affectueux et ouverts aux autres». (KF 12:22) L'Institut canadien de la santé infantile considère qu'il faut «dans l'intérêt de la santé mentale des enfants d'âge préscolaire, c'est d'élaborer un programme intégré et exhaustif d'éducation des parents». (ICSI 71:5) Selon l'Association canadienne de santé publique, le gouvernement fédéral pourrait coordonner des services de sensibilisation et de formation sur les compétences parentales, y compris la poursuite d'initiatives comme le programme de formation au rôle de parents «Y'a personne de parfait». (ACSP 72:4) L'Institut Vanier de la famille recommande «des programmes de préparation au mariage, des cours d'éducation familiale, des services de relève, des groupes de parents sans partenaires ou des programmes spécialement conçus pour les enfants dont les parents sont en train de se séparer ou de divorcer». (IVF 12:33)

4. Capacités personnelles et habilités d'adaptation

Les questions de compétence personnelle et de sentiment de maîtrise comme caractéristiques influant sur la santé de l'enfant ont été mises en lumière. Les témoins ont abordé diverses variables sociales et physiques qui produisent des enfants solides et plein de ressources. On a fait remarquer que la résistance de l'enfant tient aux éléments suivants : aisance sociale, capacité de résoudre des problèmes, autonomie, bonne perception de soi, objectif dans la vie, milieu caractérisé par la sollicitude et le soutien, attentes élevées. (ACSP 72:12)

L'un des témoins parle d'une base physiologique possible pour un bon développement des enfants, mentionnant les recherches en neuroscience et sur le développement du cerveau, ainsi que la recherche sur le système neuro-immunitaire et la réaction de ce dernier aux expériences précoces. D'après lui, «Les gens au courant de ces travaux savent qu'on parle aujourd'hui de «neurosculpture» : les expériences vécues par une personne créent au niveau neural des réseaux et des cheminements qui ont une incidence énorme sur la santé». (ICRA 71:19) Une autre question, celle de l'établissement de l'identité sexuelle, est également abordée : «Le développement de l'identité sexuelle de chacun est un processus fort complexe qui commence dans la vie foetale. Cependant, rares sont ceux qui contesteraient le fait que l'identité sexuelle détermine dans une large mesure les choix et les parcours de vie que nous choisissons. La compréhension des influences de l'identité sexuelle est essentielle à toute analyse des différents facteurs déterminants». Le témoin réclame qu'une attention particulière soit portée aux filles dans l'enfance et parle de données prouvant que la santé mentale chez les adolescentes se détériore dès l'âge de 11 ans. (ICSI 71:6)

Pour d'autres témoins, «La qualité des soins qu'un enfant reçoit au cours des trois premières années de sa vie est le facteur le plus important dans son développement, mis à part l'hérédité. Nous savons maintenant qu'il existe un certain nombre de créneaux : un créneau pour le développement intellectuel, un créneau pour le contrôle émotif et un créneau pour le potentiel d'attachement. L'attachement est ce qui permet de faire confiance aux autres, de nouer des liens solides et enrichissants avec les autres. Il est à la source de toute socialisation. Il est à l'origine de l'empathie et de la volonté de changer son comportement pour plaire aux autres. Nous savons que ces créneaux se ferment avant la fin de la troisième année». (ASL 9:2) L'un des témoins fait état des résultats d'une méta-analyse : «[. . .] avant l'âge de 5 ans, le fait pour un enfant de recevoir régulièrement des soins de personnes autres que ses parents pendant plus de 20 heures par semaine influe négativement (sur) le développement socio-affectif, le développement comportemental des enfants et la formation des liens parentaux». (FNREF 10:4)

Toutefois, comme le précisent bon nombre de témoins, ce n'est pas seulement les parents qui ont une influence car certains enfants réussissent, malgré les problèmes qui existent dans leur famille immédiate : «Lorsqu'on se penche sur le cas des enfants qui s'en tirent contre toute attente, l'un des facteurs quasi universels que l'on retrouve est qu'un facteur tampon est assuré soit par la famille élargie soit par la communauté. Ce facteur tampon est assuré par des adultes qui sont suffisamment près de l'enfant pour l'appuyer et pour lui donner le genre de soutien nécessaire pour compenser certaines des lacunes qui ont peut-être marqué son début de vie». (ICRA 71:20) Au YWCA Crabtree Corner, le succès des enfants gravement défavorisés est attribué au lien qui s'établit entre les enfants et le personnel de la garderie : «Les enfants savent alors qu'une personne dans leur vie pense qu'ils sont merveilleux. On qualifie ces personnes de chaleureuses; il peut s'agir d'une femme du quartier qui dit bonjour à l'enfant ou lui donne un biscuit, ou d'une éducatrice qui est exceptionnelle. Cette personne peut donner beaucoup d'assurance à un enfant, lui permettant ainsi d'acquérir des compétences d'adaptation». (YCC 10:27)

5. Services pour la santé

Des témoins ont parlé au Comité des multiples programmes et services nécessaires pour garantir la santé des enfants. Ils estiment que les gouvernements et les collectivités doivent collaborer pour faire en sorte que des services officiels et informels soient mis à la disposition des familles ayant des enfants. Ces services ne se limitent pas au secteur traditionnel de la santé, mais englobent les domaines éducatif, récréatif et social. La plupart des témoins réclament divers programmes, certains offerts à l'ensemble de la population et d'autres axés sur des segments particuliers.

Les arguments en faveur d'applications universelles pour l'ensemble de la population des enfants, des jeunes et des familles mettent en évidence ce qui suit : «Les pays dotés de programmes sociaux et de soins de santé complets, et plus particulièrement de programmes universels qui appuient les familles grâce à des congés de maternité, à des allocations familiales et pour enfants, à des logements subventionnés, à des services de visites à domicile et à des services à l'enfance, affichent des taux de mortalité infantile qui sont très bas». (ICSI 71:3) Les services ciblés, répondant aux besoins de groupes spécifiques, sont considérés comme dispendieux et stigmatisants : «[. . .] une stratégie ciblant exclusivement les gens qui sont déjà pauvres non seulement ne donne pas les résultats escomptés, parce que cela ne contribue même pas à réduire sensiblement la pauvreté, mais peut aussi être une source de discorde très grave. Cela dresserait les familles à revenu minime [. . .] contre les gens dont la situation est encore plus désespérée. [. . .] C'est un des dangers d'une orientation qui met toujours davantage l'accent sur le ciblage de nos ressources vers ceux que l'on appelle les plus démunis». (C2000 4:7-8)

Les services axés sur les enfants comprennent les garderies, les prématernelles, la garde réglementée en milieu familial, les programmes Bon départ, les centres de développement de l'enfant et le maintien des programmes d'action communautaire actuellement offerts dans le cadre de l'Initiative pour le développement de l'enfant. Certains témoins réclament une politique nationale faisant en sorte que «toutes les régions du Canada offrent une gamme de services souples de compétence provinciale, planifiée à l'échelle locale et complétée par un congé parental bonifié». Ces services «ne viseraient pas des clientèles particulières, par exemple des enfants dont les mères travaillent, des enfants vivant dans la pauvreté ou des enfants à risque, mais représentaient un régime complet de services qui varieraient selon la collectivité». (CRRU 10:12)

Pour certains, il faut se concentrer davantage sur toutes les familles par l'intermédiaire des «communautés dont les familles tirent leur force, en investissant dans des programmes de ressources familiales [. . .] : des joujouthèques, des bibliothèques publiques, des installations et des programmes de loisirs ainsi que des initiatives de développement communautaires», un effort supplémentaire étant consenti pour aider «les familles vulnérables ou les membres de familles vulnérables par l'adoption de mesures comme les programmes ciblés de soutien du revenu, les subventions au transport ou à l'habitation, les banques de vêtements et d'aliments, les programmes Bon départ pour les enfants pauvres». (IVF 12:33) D'autres maintiennent que le gouvernement devrait cibler «la minorité des parents qui éprouvent d'énormes problèmes. Le gouvernement pourrait concentrer ses efforts sur des programmes précis afin d'aider directement ces personnes plutôt que d'essayer de mettre en place un filet de sécurité universel. Les mailles du filet étant trop larges, nombre de gens passent à travers». (FNREF 10:9) Les enfants autochtones et les enfants d'immigrants sont identifiés comme des groupes nécessitant une attention particulière. (ACSP 72:4, SCP 72:11, YCC 10:21)

On insiste surtout sur la mise en place de réseaux de soutien communautaire bien adaptés. Par une collaboration entre les secteurs, le réseau vise à «assurer aux enfants au niveau local des services intégrés». (ICRA 71:20) Considéré comme un élément essentiel et destiné «à promouvoir la santé et l'épanouissement des enfants, à favoriser l'éducation et à aider les familles à traverser des périodes de transition difficiles», ce réseau de soutien communautaire porterait sur l'éducation en matière de santé, l'alimentation, des programmes de garde d'enfants et de ressources familiales, des programmes d'éducation à la vie familiale et de soutien des jeunes, des programmes d'éducation et de formation. (C2000 4:5) Le Programme d'action communautaire pour les enfants, l'un des éléments de l'Initiative pour le développement de l'enfant du gouvernement fédéral, a été applaudi pour sa façon de faire différente et le fait qu'il habilite la communauté. (ACSP 72:4, YCC 10:21, ACRF 12:8)

Outre la gamme des services nécessaires pour garantir la santé des enfants, les témoins soulignent la multiplicité des protagonistes qui concourent à la prestation des services. À un niveau, on trouve les efforts de participation axés sur les besoins de la famille : «Les programmes de ressources pour la famille s'attachent aussi à promouvoir les activités d'entraide formelles ou informelles, comme les cuisines communautaires et les coopératives de gardiennage. Certains organisent des activités de promotion d'une bonne alimentation, ce qui comprend le recours aux banques d'alimentation et aux cuisines communautaires. Ceux qui offrent des programmes de nutrition prénatale sont financés par le gouvernement fédéral». (ACRF 12:9)

Sur un autre plan, mais toujours dans une dimension communautaire, les témoins mentionnent les bénévoles et les travailleurs rémunérés : «Nous avons des bénévoles que nous recrutons spécifiquement en fonction des besoins linguistiques des participantes. Tous les programmes sont de nature communautaire et collaborative; ils sont exécutés par des équipes multidisciplinaires comprenant des infirmières, des diététiciens, des travailleurs sociaux, des visiteurs à domicile, des spécialistes en éducation de la petite enfance et des travailleurs communautaires. Il en résulte une réaction plus holistique aux problèmes polymorphes complexes auxquels doivent faire face les femmes enceintes à risque élevé». (CNPT 11:19)


2 Référence aux témoignages : acronyme de l'organisation suivie par le numéro de la séance et la page.


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