CHAPITRE 7 : LES ORGANISMES FÉDÉRAUX DE RECHERCHE

        En se servant de ses capacités internes pour effectuer des travaux de R-D et mener d’autres activités scientifiques connexes, le gouvernement du Canada joue un rôle important dans le secteur de la science et de la technologie4. Comme il l’a indiqué :

... pour justifier l’exécution d’activités de S-T à l’interne, le gouvernement doit démontrer que le travail répond à ses besoins particuliers, qu’il peut être réalisé avec plus d’efficacité ou d’efficience dans ses installations qu’ailleurs et que, s’il ne s’en charge pas, ce travail ne se fera pas du tout, ou bien sera effectué d’une façon ou dans des délais qui ne satisfont pas ses besoins...5

            Le gouvernement fédéral doit en outre posséder une certaine capacité interne en matière scientifique et/ou technologique afin de faire les bons choix de sous-traitance de certains types de projets de recherche (à la fois pour des raisons de compétence et de compétitivité).

            Le Comité a été incapable, dans les délais impartis, de suivre ou d’évaluer le rendement et les compétences des laboratoires de R-D des ministères fédéraux, mais il compte faire une enquête poussée sur cet aspect de la capacité du pays en matière de S-T à l’automne. Jusqu’à maintenant, il s’est plutôt concentré sur certains organismes fédéraux clés : le Conseil national de recherches du Canada (CNRC), les Réseaux de centres d’excellence (RCE) et l’Agence spatiale canadienne (ASC). Précisons que le survol que nous faisons ne vise pas à déterminer dans quelle mesure leurs mandats sont respectés (dans la plupart des cas, l’absence de concurrence dans le domaine de la recherche stratégique ou à long terme fait qu’il n’existe pas de façon uniforme de comparer les résultats) ni comment leurs administrations rendent des comptes (nous laissons au vérificateur général du Canada le soin de faire rapport à ce sujet). Le Comité s’est plutôt penché sur l’étendue des mandats actuels et envisagés de ces organismes et sur les ressources dont ils disposent pour les réaliser afin de bien évaluer leur rôle dans le système national d’innovation et leurs contributions possibles à une économie du savoir.

Le Conseil national de recherches du Canada (CNRC)

            La vision du CNRC, l’organisme de R. et D. le plus en vue du Canada, est d’être un chef de file dans le développement d’une économie du savoir par la science et la technologie. Le conseil chapeaute un réseau de laboratoires de recherche qui peut se targuer de posséder un réservoir de connaissances, d’expertise et de compétences de grande valeur pour l’industrie canadienne. Le CNRC participe en fait à tout le continuum de l’innovation à partir de la recherche fondamentale, exécutée principalement dans les universités, jusqu’à la recherche de développement, exécutée surtout par les entreprises.

            La mission première des laboratoires du CNRC est d’effectuer des travaux qui s’inscrivent spécifiquement dans les mandats de l’organisme, lesquels correspondent à un certain nombre d’objectifs stratégiques. Dans tous les cas, un des buts explicites consiste à transférer les technologies développées aux entreprises canadiennes capables de mettre au point des applications commerciales qui profiteront à l’ensemble de l’économie canadienne. Pour cette raison, bon nombre des 16 laboratoires du CNRC au Canada font de la recherche en collaboration avec les entreprises canadiennes. Ces dernières ont donc accès à des installations de pointe dont elles seraient autrement privées. Un représentant du CNRC a expliqué son rôle comme suit :

Le CNRC est un organisme fédéral qui entretient des liens étroits avec ses partenaires et clients du milieu industriel — ce qui s'entend des grandes comme des petites entreprises — du milieu universitaire — c'est-à-dire les hôpitaux de recherche — et du milieu scientifique international. Nous obéissons à une vision nationale dont la mise en oeuvre repose dans une large mesure sur notre force régionale ainsi que sur les possibilités de R. et D. … Le Conseil joue un rôle unique... Nous rassemblons en fait les divers acteurs du milieu par le biais de nouvelles formes de partenariats, comme des projets de collaboration qui s'articulent autour de réseaux novateurs. [Lucie Lapointe, Conseil national de recherches du Canada; 20, 9:05-9:10]

            Sur ce dernier point, le CNRC estime qu’il suscite de la part de ses partenaires des contributions financières trois fois supérieures à la sienne dans les projets de recherche communs. Il résulte de cette collaboration une multitude de petits investissements différentiels dans l’innovation.

            La stratégie d’affaires qui a donné ces résultats consiste pour le CNRC à faire le pont entre les activités et les acteurs à chaque extrémité du continuum de l’innovation, lequel englobe à une extrémité la science pure, qui est surtout l’affaire des universités, et à l’autre extrémité l’application pure ou le développement de la technologie, qui est surtout l’affaire de l’industrie (voir la pièce 7.1). Selon les représentants du CNRC, c’est au milieu de ce continuum, où l’activité est faible et où le « fossé de l’innovation » se traduit par une capacité insuffisante de traduire les idées en produits pour le marché, et ce problème s’est révélé particulièrement aigu au Canada.

            Le CNRC croit posséder tous les outils nécessaires pour contribuer à combler ce fossé de l’innovation. Depuis une dizaine d’années, il s’est restructuré et repositionné au milieu de ce continuum. Il effectue de la recherche-développement de base, mais son activité principale consiste aujourd’hui à combler le fossé, notamment à travailler en partenariat avec les autres acteurs — les grandes et petites entreprises, les universités et les autres laboratoires gouvernementaux — pour non seulement développer la technologie, mais aussi la traduire en produits pour le marché.

Pièce 7.1
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            Le Comité s’est demandé si le CNRC a le budget qu’il lui faut pour s’acquitter pleinement de son mandat et de sa mission et s’il n’y aurait pas lieu de le rendre admissible à des fonds de la FCI. Les présidents des trois conseils subventionnaires ont souscrit sans réserve à cette idée en faisant valoir que le CNRC a besoin de crédits beaucoup plus importants pour faire convenablement son travail et que la provenance des fonds n’a vraiment aucune importance. Le Comité est du même avis et estime que, l’idée étant fort défendable, il doit l’étudier à fond dans le cadre de l’examen exhaustif qu’il fera de la FCI, à l’automne.

            Le Comité constate par ailleurs que l’innovation et la croissance industrielle sont souvent un phénomène local, stimulé par des grappes d’entreprises innovatrices et actives en R-D et des entrepreneurs locaux. Les grappes technologiques communautaires regroupent des entreprises innovatrices et à forte intensité technologique qui œuvrent dans des domaines connexes, cohabitent, interagissent, se livrent concurrence et se développent dans un contexte de solidarité. Ces grappes se sont révélées une formule gagnante pour promouvoir la recherche et ont donné lieu à une croissance économique substantielle et à une compétitivité internationale accrue. Le Comité constate également que bien des grappes économiques au Canada se sont développées autour des laboratoires et établissements de recherche fédéraux existants, et notamment ceux du CNRC, et notamment les grappes suivantes :

Le CNRC a donné quelques explications sur sa stratégie en matière de grappes :

Notre stratégie consiste à associer la force du CNRC en matière de recherche — c'est-à-dire notre savoir et notre réseau de partenaires — au développement commercial et aux réalisations de l'industrie qui sont axés sur des produits. Cela donne lieu à une formule gagnante sur le plan de l'innovation. Moyennant un petit investissement supplémentaire, nous pouvons parvenir à des résultats considérables. [Lucie Lapointe; 20, 9 :15]

            Toutefois, à la question de savoir pourquoi le CNRC propose d’établir une grappe axée sur la technologie automobile à London (Ontario) alors qu’il y en a déjà une à Windsor, on nous a répondu :

Nous avons bien actuellement un institut de recherche à London, mais nous ne proposons pas d'en créer un autre dans ce domaine. Nous avons un institut des technologies manufacturières intégrées à London, en Ontario, et je dois ajouter que les compagnies […] ont investi des sommes supplémentaires très importantes dans cet institut [Lucie Lapointe; 20, 10:35],

AUTO 21 a son centre administratif à Windsor, où il se fait effectivement beaucoup de recherches, mais ce centre est aussi en contact avec d'autres collectivités au Canada. […] Je peux donc vous garantir que si un nouveau centre de recherche était créé, nous le mettrions en relation avec AUTO 21. [Jean-Claude Gavrel, Réseau des centres d'excellence; 2,10:30].

            Le CNRC travaille aussi avec les organismes fédéraux de développement régional qui ont fait de l’innovation un thème prioritaire pour leurs activités — l’Agence de promotion économique du Canada atlantique, l’Agence de développement économique du Canada pour les régions du Québec, et la Diversification de l’économie de l’Ouest Canada. La nouvelle priorité du CNRC a donc produit de nombreuses réussites locales; pour ce qui est des chiffres, le Comité a entendu le témoignage suivant :

Vous voyez ici quelques-unes de nos réalisations au cours des cinq dernières années. Notre niveau de partenariat avec l'industrie a doublé pendant cette période. Nous avons presque triplé notre action en collaboration avec des organismes du secteur

public et, avec les universités, nous avons quintuplé nos activités. Nos services de R. et D., grâce à des ententes de collaboration et de production sous licence, nous ont permis de recueillir 100 millions de dollars par an. Nous nous sommes occupés de 83 entreprises en incubation dans nos installations de partenariat et plus de 1 600 accords de collaboration ont été signés entre l'industrie et les universités de même qu'avec des organismes internationaux. [Lucie Lapointe; 20, 9:10]

            Le Comité souscrit à la stratégie des grappes du CNRC, mais s’interroge sur la façon dont elle est appliquée. En fait, il voudrait en savoir sur la façon dont les grappes technologiques se répartissent actuellement dans l’ensemble du pays et dont on choisit les endroits où les implanter. Le Comité va examiner ces questions à l’automne, mais pour l’instant, il recommande :

12. Que le gouvernement du Canada soutienne financièrement le Conseil national de recherches du Canada afin qu’il étende la stratégie des grappes d’innovation.

Les réseaux de centres d’excellence (RCE)

            Le programme des Réseaux de centres d’excellence (RCE) est administré conjointement par les trois conseils subventionnaires fédéraux et Industrie Canada. Un peu comme la stratégie des grappes du CNRC, le programme permet de réunir les chercheurs des universités, du secteur privé et du gouvernement — souvent issus de différentes disciplines — et de faire avancer des dossiers de recherche d’intérêt commun qui ont un potentiel économique. Comme l’a indiqué le Comité :

Ce programme a été créé en 1989. Il est question de favoriser les synergies entre ceux que nous appelons les créateurs et les utilisateurs du savoir. C'est sur ce plan que le lien avec le secteur privé est extrêmement important. Nous nous attaquons à des questions complexes qui sont de prime importance pour les Canadiens et dont la résolution bénéficiera bien sûr à tout le monde. [Jean-Claude Gavrel; 20, 9:45]

Ce genre de grappe ou de partenariat a été décrit comme une organisation virtuelle dont voici la structure typique :

Chaque RCE est géré par un comité de direction auquel siègent des représentants du secteur — non pas des représentants de ceux qui sont subventionnés — ce qui en fait un comité indépendant. Celui-ci a pour responsabilité d'administrer les fonds du programme et de déterminer où les recherches doivent être effectuées, et de veiller à ce que les gens administrent de façon responsable les fonds qui leur sont versés. En général, un RCE type s'occupe de quatre à six thèmes de recherche pour un total de 15 à 20 projets. [Jean-Claude Gavrel; 20, 9:50]

            En ce moment, il existe 22 RCE reliant plus de 900 organisations canadiennes qui emploient plus de 5 000 personnes. Les RCE ont étudié des questions dans des domaines aussi divers que la recherche spatiale, la santé respiratoire, les cellules souches, l’ingénierie des protéines, les télécommunications, la microélectronique, la photonique, l’aquaculture et la foresterie durable. Le programme coûte 77 millions de dollars par année aux contribuables canadiens et a amené le secteur privé à investir un total de 160 millions de dollars dans la recherche. Le programme des RCE a donné des résultats concrets : dépôt de 66 brevets, attribution de 31 brevets, attribution de 71 licences et formation de 78 entreprises dérivées.

            Le Comité croit que le programme des RCE constitue un élément vital du système d’innovation du Canada. Toutefois, avant de faire une recommandation sur l’importance du financement que les RCE devraient recevoir du gouvernement fédéral, il voudrait examiner les besoins financiers des RCE dans les détails.

L’Agence spatiale canadienne (ASC)

            L’Agence spatiale canadienne (ASC), formée en 1989, s’est donné pour mission de diriger l’acquisition et l’application des connaissances spatiales au profit des Canadiens et de l’humanité. L’ASC œuvre dans cinq domaines stratégiques : la terre et l’environnement, les communications par satellite, la technologie de l’espace, la présence de l’homme dans l’espace et la science spatiale. À l’occasion de son dixième anniversaire, le gouvernement s’est pour la première fois engagé à long terme en matière de développement de l’espace :

L'évolution de notre budget montre qu'en 1999, pour la première fois de son histoire, l'ASC a été dotée d'une base financière stable et soutenue qui sera d'environ 300 millions de dollars par an à compter de 2002-2003. C'est là un important changement dans la façon dont le gouvernement finance le Programme spatial canadien. Avant cela… nous dépendions uniquement d'un financement accordé à des projets préapprouvés. Dès que le projet arrivait à terme, notre budget était réduit. Désormais, à l'instar de toute autre organisation gouvernementale, nous allons disposer d'une base financière stable en fonction de laquelle nous pourrons planifier notre action. [Mac Evans, Agence spatiale canadienne; 20, 9:25]

            À l’instar de la plupart des Canadiens, les membres du Comité sont bien conscients des réalisations du Canada dans l’espace. Le programme des astronautes canadiens et l’évolution de la robotique spatiale, comme le bras canadien, sont deux très grandes contributions dont nous pouvons être fiers. L’ASC a à son actif d’autres réalisations notables pourtant moins connues :

Notre programme de technologie spatiale est en fait une rampe de lancement dans le domaine de l'innovation, pour tout le programme spatial…Grâce à ce programme, nous accordons des contrats de R. et D. à l'industrie. Nous entendons nous lancer dans des activités grâce auxquelles l'industrie pourra mettre au point sa propre technologie, l'envoyer dans l'espace et la faire spatioqualifier; ainsi une importante dimension des activités liées à la commercialisation de ce produit est prise en charge par quelqu'un d'autre… Au cours de l'année qui vient de s'écouler, nous avons réalisé plus de 200 projets de développement dans le cadre de ce programme. Cela a donné lieu à 48 brevets, 59 permis et 60 documents publiés. Nous travaillons essentiellement auprès de PME, partout au Canada, que nous aidons dans leurs activités de recherche. Ce programme est axé sur la télédétection spatiale, les télécommunications par satellite et la robotique spatiale. [Mac Evans; 20, 9:35]

            Le Comité souscrit sans réserve à l’investissement stratégique du gouvernement dans l’ASC et ses activités. Les frontières de la recherche spatiale laissent entrevoir d’intéressantes découvertes pour l’avenir. En conséquence, le Comité recommande :

13. Que le gouvernement du Canada augmente son appui financier à l’Agence spatiale canadienne pour permettre au Canada de jouer un rôle plus important dans les projets nationaux et internationaux de science spatiale dans le cadre de son plan d’action en matière d’innovation.